les paysans italiens face à une bactérie incontrôlable

ous les oliviers meurent » : les paysans italiens face à une bactérie incontrôlable Durée de lecture : 7 minutes12 octobre 2020 / Laure Giuily et Luca Schilirò (Reporterre) « Tous les oliviers meurent » : les paysans italiens face à une bactérie incontrôlable Depuis 2013, la « Xylella fastidiosa » ravage le Salento, la pointe sud des Pouilles. Cette bactérie, qui tue les oliviers en les asséchant, a déjà détruit près de vingt millions d’arbres et remonte vers le nord de la région. La fin de ces oliviers, « c’est une ère qui se termine », résume un oléiculteur. Ugento (Italie), reportage Oléiculteurs de père en fils, les Marra sont implantés à Ugento, un petit village des Pouilles situé à quelques kilomètres de la côte ionienne, depuis 1880. « C’est mon arrière-arrière-grand-père qui a acheté ce terrain et y a planté nos premiers arbres », raconte Francesco Marra qui a récupéré la propriété familiale en 2003. Soixante-dix hectares dont 45 d’oliviers et 25 de vignobles, soit environ 4.000 arbres, qui produisaient chacun soixante kilos d’olives par an — près de 240 tonnes au total. Une entreprise lucrative et caractéristique du Salento — péninsule formant l’extrémité sud-est des Pouilles — réputé pour ses oliviers et son huile si particulière. Mais cela fait maintenant trois ans que Francesco Marra n’a pas vendu une olive. Il n’en a plus. Comme beaucoup d’oléiculteurs de la région, il a été victime de la Xylella fastidiosa : une bactérie transmise par un insecte, la sputacchina, qui s’attaque aux racines des oliviers. Elle empêche l’eau et la sève de circuler, ce qui tue l’arbre par assèchement. Branches dégarnies, feuilles sèches, entortillées et marronnasses… L’agronome de 55 ans a tout de suite compris de quoi il s’agissait lorsqu’il a eu son premier cas en 2015. « Il aurait fallu intervenir tout de suite et tailler les arbres malades, mais il faut un permis de la région pour cela et il n’est pas arrivé à temps. » En deux ans, la situation est devenue incontrôlable et ses 4.000 oliviers ont été contaminés. Il se souvient, avec peine, du jour où il a dû acheter sa première bouteille d’huile d’olive : « Ça peut paraître insolite, mais c’est quelque chose que je n’aurais jamais pensé faire dans ma vie. C’est à ce moment là que j’ai réalisé que c’était vraiment fini. » Sur les onze millions d’oliviers de la province de Lecce, 90 % ont séché Détectée pour la première fois à Galipolli — ville située sur la côte ionienne — en 2013, l’épidémie a dévasté le Salento. Sur les onze millions d’oliviers de la province de Lecce, capitale du Salento, près de 90 % ont séché. « Les autres sont destinés à mourir aussi, c’est juste une question de temps », déplore Francesco Marra. Et le massacre est loin d’être terminé. Petit à petit la bactérie remonte vers le nord des Pouilles. Massimo Romano, travaille à l’Arif, l’organisme régional chargé de surveiller l’évolution de la Xylella fastidiosa sur le territoire. Il n’est pas très optimiste quant à l’évolution de la situation : « Quand nous avons commencé ce travail de surveillance en 2016, la zone infectée s’arrêtait sous Brindisi, ville portuaire et porte d’entrée du Salento depuis le nord des Pouilles. Depuis, la province de Brindisi — onze millions d’arbres — a été détruite elle aussi et la bactérie continue de remonter. La crainte étant qu’elle aille jusqu’à Bari, épicentre de la production d’huile d’olive. Si la bactérie dépasse le Salento et remonte jusqu’à Bari, on ne pourra plus rien faire, car le territoire à contrôler sera trop large. » Un arbre malade se détecte rapidement car ses feuilles sêchent, s’entortillent et deviennent marron. L’attention de la région est focalisée sur le nord de la région, mais pour le Salento il est déjà trop tard. « Il n’y a pas de remède contre la Xylella, la seule chose qu’on puisse faire c’est limiter sa propagation. En réalité, c’est comme le Covid, il va falloir que l’on apprenne à vivre avec. Comment, on ne sait pas encore », conclut Massimo Romano d’un rire inquiet. L’agent de l’Arif est préoccupé par l’avenir du territoire : « C’est un problème environnemental et culturel. L’olivier est la forêt du Salento. C’est toute la végétation de notre territoire qui est en train de mourir. À quoi va ressembler notre paysage après ça ? Si on perd le paysage, on perd l’identité du territoire, on perd le tourisme. C’est un désastre. » Une triste perspective que partage Francesco Marra : Ces arbres ont poussé spontanément un peu partout, sous des pierres, à des endroits où rien d’autre n’aurait pu grandir. Ils ont façonné notre territoire et l’habitent depuis des siècles. Avec ces oliviers, c’est une ère qui se termine. » Dépité, l’agronome s’alarme également des possibles répercussions climatiques liées à la disparition de ces arbres, notamment en ce qui concerne la qualité de l’air : « Ils font de l’ombre et régulent la température de notre sol sec et aride. Sans eux, notre terre sera vraiment désertique. Même pour la qualité de l’air, cela pose problème. Nous avons les fours de l’Ilva — une aciérie — d’un côté de la péninsule, et Cerrano — une centrale de charbon — de l’autre. Qui va absorber tout cela ? Nous ? C’est un problème climatique et environnemental grave. » 1.408 incendies ont été recensés dans le Salento depuis le 15 juin 2020. À ces considérations s’ajoute un autre problème : les incendies. Laissés secs et à l’abandon, les oliviers constituent un combustible très inflammable. Il suffit d’un coup de vent ou d’une cigarette jetée sur le bord de la route. Selon l’organisation régionale d’agriculteurs, Coldiretti Puglia, 1.408 incendies ont été signalés depuis le 15 juin, soit près de trente par jour. À ce jour, deux espèces d’oliviers sont reconnues comme résistantes à la Xylella Propriétaire d’une azienda de cinquante hectares et d’un moulin — qui, à son heure de gloire, transformait presque toutes les olives de la province de Lecce, soit 40.000 quintaux par an — à Gagliano del Capo, Giovanni Malcarne est catégorique : il faut tout tailler et replanter. À ce jour, deux espèces d’oliviers sont reconnues comme résistantes à la Xylella : le Leccino, plus répandue dans le Salento, et la FS17, aussi dite Favolosa, brevetée il y a une vingtaine d’année par le Conseil national de la recherche (CNR). Selon l’oléiculteur, chacune a ses avantages et ses inconvénients : « La Favolosa souffre du froid et nous n’avons pas encore de vraies données concernant sa résistance, elle pourrait se mettre à sécher elle aussi. Mais elle est plus productive et son huile est très parfumée. Le Leccino, au contraire, est plus sûr, mais il a un rendement moins intéressant et donne une huile plus douce. C’est un choix difficile et un investissement aussi risqué que coûteux. » Francesco Marra a essayé de tailler ses arbres pour les sauver mais cela n’a pas fonctionné. Mais Giovanni Malcarne ne semble pas tellement inquiet pour l’avenir de son entreprise : « Les grosses structures comme la mienne vont s’en sortir. On va se spécialiser et produire uniquement de l’huile de très haute qualité. Par contre, les petits producteurs qui n’ont même plus assez d’argent pour mettre de l’essence dans leurs tracteurs et ne croient plus en rien, que vont-ils faire ? Ils ne vont pas faire tailler leurs arbres. Ils vont les laisser secs et dégarnis, en proie aux incendies, car ils n’ont pas d’autre option. Alors oui, on fera encore de l’huile d’olive dans le Salento dans vingt ans, mais notre territoire, lui, sera un désert. C’est ça la vraie catastrophe. » Selon l’oléiculteur, une politique de restructuration du territoire, efficace et bien pensée, pourrait à terme sauver le Salento. « La région doit étudier sérieusement les besoins de chaque commune et allouer des aides financières en fonction de cela. Il faut investir sur la reforestation et la biodiversité. » Le changement ne sera pas immédiat, « il va falloir être patient, on ne va pas raviver un territoire de 200.000 hectares comme ça. Cela prendra du temps, peut-être cinquante ou soixante ans. » Francesco Marra a plus de 4000 arbres. En deux ans, ils sont presque tous morts. Puisque vous êtes ici… ... nous avons une faveur à vous demander. La catastrophe environnementale s’accélère et s’aggrave, les citoyens sont de plus en plus concernés, et pourtant, le sujet reste secondaire dans le paysage médiatique. Ce bouleversement étant le problème fondamental de ce siècle, nous estimons qu’il doit occuper une place centrale dans l’information. Contrairement à de nombreux autres médias, nous avons fait des choix drastiques : celui de l’indépendance éditoriale, ne laissant aucune prise aux influences de pouvoirs. Le journal n’appartient à aucun milliardaire ou entreprise ; Reporterre est géré par une association à but non lucratif. Nous pensons que l’information ne doit pas être un levier d’influence de l’opinion au profit d’intérêts particuliers. celui de l’ouverture : tous nos articles sont en libre consultation, sans aucune restriction. 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