MEURTRE AU GWO KA, par Ali GADARI , extrait

Vers cinq heures du matin, au lever du soleil, Georges sortit du petit port de Losteau le Ka W’ Fe, un bateau de pêche acheté d’occasion à Saint-Martin. Ce bateau, un monocoque de trois tonnes et trois cent quinze chevaux, de six mètres de long et deux mètres de large, atteignait une vitesse de croisière de vingt nœuds et était idéal pour pêcher le thon, l’espadon et le marlin . Il navigua en haute mer entre la Dominique, la Martinique et Antigua. La nuit venue, il mit le cap sur l’île de Montserrat, à moitié déserte depuis l’évacuation d’une grande partie de la population, en raison de la très forte éruption, en 1995, de son volcan, homonyme de la Soufrière guadeloupéenne. Dans une crique, du côté de la Soufrière, l’attendait Sullivan, une crapule de premier choix venant de la Dominique. Cet endroit déserté abritait un gros zodiac. Sullivan apporta six moteurs – deux, de cinq cents chevaux, et quatre, de deux cents – embarqués dans une saintoise qu’il cacha ensuite derrière les rochers. Grâce aux moteurs d’une puissance totale de presque deux mille chevaux, le zodiac atteignit, en haute mer, la vitesse de soixante kilomètres-heure, une allure phénoménale. En revanche, sur l’aller et le retour, il fallait fréquemment le stopper, car sa consommation estimée s’élevait à quelque six cents litres, afin de le réalimenter en carburant, stocké à cet effet dans des jerricanes. Sullivan s’occupait de la maintenance. Ils se dirigèrent, en un peu moins de quatre heures, vers la toute petite île de Statia, minuscule pièce de monnaie dans l’océan, à 115 miles de la Guadeloupe. Il ferait encore nuit à leur arrivée. Statia, relativement tranquille, était le point névralgique pour embarquer la cocaïne vers les îles du sud, la Guadeloupe et la Martinique, en attendant un embarquement vers l’Europe ! Peu de discussions après l’échange des jerricanes, sur le retour ; une simple opération de trente minutes consistant à embarquer cinq sacs de vingt kilos de cocaïne, soigneusement empaquetés. Le zodiac fendait l’eau, comme le font les dauphins. Depuis une quinzaine de minutes, une aube encore blafarde s’était levée. C’était le moment le plus délicat : le jour n’était pas propice à la clandestinité. Sullivan et Georges, sur leurs gardes, avaient sorti les kalachnikovs des caisses en bois, car les bateaux des douanes, voire des curieux pouvaient s’intéresser à eux, de trop près. À l’approche de Barbuda, Sullivan remarqua un gros zodiac qui filait vers eux à toute vitesse. Il stoppa les moteurs à vingt mètres du zodiac étranger et les deux hommes liquidèrent, sans hésiter, les deux visiteurs indésirables. Les kalachnikovs avaient fait leur travail. En s’approchant du zodiac, ils virent qu’ils ne s’étaient pas trompés : ils étaient tombés sur des trafiquants qui ne leur voulaient pas de bien ! Ils s’emparèrent de nouveaux sacs de cocaïne, puis criblèrent de balles le zodiac qui disparut, à jamais, au fond de l’eau. La course au trésor ne tolère pas de sentiments de bienfaisance ! Sullivan remit les gaz vers Monserrat, et, à deux milles de la crique, ils larguèrent les sacs contenant la cocaïne, attachés à un flotteur, qui s’enfoncèrent de plusieurs mètres dans la mer. Une bouée surmontait le tout, solidement ancrée au fond, à dix mètres. Tout était bien ! Sullivan et Georges reprirent leurs canots respectifs et mirent le cap sur la Dominique, chacun vers un port différent. À Roseau, la capitale, Georges acheta aux pêcheurs du thon, du marlin et de la dorade, avant de rentrer à Losteau. Personne ne lui posa de questions. Gwo Lisyen était là, comme toujours, pour l’aider à entreposer le poisson dans l’espace réfrigéré, installé sur le quai. C’était lui qui, le lendemain, serait chargé de vendre à la criée, le poisson découpé suivant les demandes de la clientèle. Malgré sa fatigue, Georges Ursus n’alla pas dormir de suite. Il s’installa chez Man Bèbè devant un ti punch, remplissant la moitié de son verre, la bouteille de Bologne à côté de lui. Il rentra enfin dans sa case, s’allongea sur la planche et sombra dans un profond sommeil. Réveillé vers dix-huit heures, il prit une douche froide avant de descendre chez Man Bèbè. — Ka W’ Fe , lui dit-elle, connaissant ses habitudes : ti punch, avalé le gosier en arrière, épongé par un verre d’eau glacé et un blaff de poissons. Les pêcheurs de Losteau arrivèrent seuls ou par groupes, s’asseyant aux tables et plaisantant fort. Man Bèbè distribua les bouteilles de Bologne à chaque table, avec des dominos. La nuit était noire et la lune cachée par de gros nuages annonciateurs d’orages et de pluies. Georges, dit Balaou, surnom que lui avait donné la population de Bouillante , retrouva Sullivan, à la crique de Montserrat. Il était prévu qu’ils livrent deux sacs de cocaïne à La Désirade, à une heure du matin. Plus discret, le bateau de pêche de Georges ferait l’affaire, ce soir-là. La drogue, une fois embarquée, ils n’oublièrent pas les kalachnikovs dans leurs boîtes. À l’heure convenue, sous une pluie battante et sur une mer agitée, ils aperçurent, à tribord, venant de l’île à l’endroit prévu, des signaux auxquels Georges répondit. Le Ka W’ Fe s’avança encore de plusieurs miles, les signaux se faisant plus lumineux. Les deux sacs munis de flotteurs et de bandes fluorescentes furent jetés à la mer. Sullivan et Georges s’écartèrent d’une centaine de mètres, kalachnikov à la main. Quand les ballots furent repêchés, Sullivan et Georges virèrent de bord, jusqu’à Montserrat. La discussion sur le partage de la drogue récupérée au large de Barbuda n’avait pas encore eu lieu. Entre eux le temps ne comptait pas. Par contre, il fallait régler le problème du jeune Sacha, le chaben de la Martinique qui avait oublié de payer une commande qui s’élevait à plusieurs centaines de milliers d’euros. Sullivan et Georges en avaient besoin pour payer leurs fournisseurs du Mexique, sous peine de faire l’objet d’une exécution punitive de la part des patrons du cartel. Sullivan et Georges empruntèrent le bac traversier Guadeloupe, Dominique, Martinique. Rendez-vous fut pris à Fort-de-France, au restaurant, face à l’arrivée de la navette. Sacha, le chaben, dont la peau était presque blanche, était là, élégamment habillé. Un véritable dandy.

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