L’amour c’est comme l’orthographe




           L’amour c’est comme l’orthographe
             Nouvelle tirée du Sentier des désirs de Paul Edouard GOETTMANN


Le souk s'étendait sur une bonne partie de la Médina, coincé contre les fortifications de briques de terres jaunes. D’innombrables ruelles étroites sillonnaient le quartier, coupées à angles droits de ruelles encore plus étroites. Territoires incontestables et incontestés de cyclistes et cyclomotoristes zigzagant entre la foule et les tabourets posés au bord des échoppes. Une foule considérable arpentait à petits pas en vas et viens frustrants les ruelles du souk. Chaque produit avait son empire, la viande, les volailles, les légumes, les produits laitiers, les œufs, les vêtements, les chaussures. Les bayyaz, (1) vous interpellaient, chaque échoppe était pleine à craquer de produits. Je cherchais un jabador, (2) à mon goût dans cette circulation difficile du souk aux vêtements qui pendaient par dizaines suspendus sur des cintres accrochés aux fils ceinturant les ouvertures. Cette façon de me diriger me fatiguait, j’avais l’impression d’avoir couru dix kilomètres ! Une échoppe m’intriguait par le physique du bayyaz assis sur un tabouret bas à l’entrée de l’échoppe. Directement sorti du dix septième siècle, un estomac volumineux remplissait son jabador, une barbe longue et rouge teintée au henné, il ne lui manquait que le sabre des pirates du Bouregreg, (3) pour compléter l’image. Quand il m’interpella en se levant du tabouret, j’eu à faire face à un géant, un colosse de chairs et d’os qui aurait pu fracasser le toit d’une voiture d’une seule main. Mon salam alaikoum avait trop l’accent français pour le tromper, qu’est –ce que tu veux me dit il ? Après lui avoir expliqué il me mit sur le dos un jabador ample léger de couleur grise avec des grands carreaux plus foncés. C’était ce que je souhaitais, il était sympa ce pirate, d’un geste, un enfant accouru avec une théière et deux verres. Mon pirate commença à remplir les verres en prenant soin de les vider et de recommencer aussi souvent qu’il le désirait. Une bonne demi - heure passa ainsi à nous raconter nos vies. Au moment de nous séparer il m’embrassa en me disant :<< qu’Allah te garde khrouya, (4) longue vie à toi >>! J’eu depuis de nombreuses occasions de le saluer.
Il me fallu encore jouer des coudes pour m’extraire de cette immense foule coagulante comme le sang d’une blessure. Ouf, je pu revoir le soleil, l’esplanade, les massifs de fleurs et les palmiers nains. Assis sur un banc, mes pieds hors des sandales, j’appréciais ce moment de détente la tête haute, vidée de tous problèmes, les yeux fermés, j’étais seul au monde, dans mon monde. Ce monde, de temps en temps perceptible par le cliquetis du tramway. La tête vidée, je m’étais sans doute endormi quand une voix me demanda si je connaissais les Oudayas, (5) avec un fort accent britannique? J’ouvris les yeux pour me trouver face à face avec une demoiselle à la longue chevelure blonde. Voyez, lui dis je en lui montrant du bras ce sont les fortifications en hauteur que vous apercevez de l’autre côté du fleuve, il vous faut traverser le pont, des indications en français vous aideront ensuite à poursuivre votre chemin. Elle parlait un français légèrement hésitant avec ce fort accent anglais. Elle me remercia, au moment où elle se remit en marche, une pulsion me fit la rappeler, je vais avec vous lui dis je ! Un beau sourire me récompensa. Le taxi nous déposa à la porte des Oudayas, face aux jardins. Elle me prit le bras, un sac de toile crue beige pendait sur son côté. Les jardins traversés, nous fûmes la cible d’étudiants voulant nous guider à travers les Oudayas, à force, j’en connaissais autant qu’eux ! Elle était conquise par la cité bleue, souvenir des Andalous, elle n’arrêtait pas de photographier le site sous toutes ses coutures. Sur l’esplanade surplombant le Bouregreg elle m’offrit un jus d’orange, en me racontant son histoire. Elle s’appelait Maddie originaire de Galway une cité côtière à l’ouest du sud Irlande, elle y faisait ses études de droit. Elle me décrivit Galway comme une cité vivante avec de nombreux festivals, auxquels elle participait. Une publicité d’agence, vantait les voyages vers le Maroc, elle regrettait d’y être venue seule, elle s’ennuyait un peu, elle était contente de notre rencontre. Elle avait trouvé un hôtel populaire à Salé à des prix raisonnables. Je lui vantais Salé, ville historique, sa médina son histoire que je lui contais rapidement.
Elle me prit le bas, je pris la décision de l’amener dîner, je connaissais un restaurant sympa à Salé, Barbe Cul et cuisine traditionnelle. Sa chevelure blonde fit sensation parmi les piliers de bar accros au foot. Assis au fond, loin du bruit, nous continuions notre conversation avec un jus d’orange en ayant commandé tous les deux des brochettes de bœufs avec des frites. Je sentais qu’elle avait besoin de compagnie, sa solitude l’effrayait un peu. Je me lançais en lui demandant si elle voulait dormir chez moi, j’ai été récompensé par un magnifique sourire ponctué d’un ho, yes !
C’est toujours intimidant ce moment ou l’on découvre l’intimité de l’autre, des gestes de l’autre, je n’avais pas encore remarqué que sa poitrine était si généreuse, coincée sous une robe répressive. Maddie était experte, ses caresses ne permettaient plus de retour en arrière, je l’accompagnais nous avions gagnés tous les deux le pays du non retour, ses cheveux blonds flottaient comme un drapeau sur mes épaule, le drapeau de la flibuste. Elle m’avait piraté, enchainé, s’enchainant elle-même à mon corps consentant. Elle prenait la barre, ne me laissant pas le loisir de gouverner à ma guise. C’était un supplice, le plaisir multiplié par dix, le souffle court je la laissais parcourir mon corps, de haut en bas elle me récitait des obscénités qui augmentait mon désir qui à m’écouter ne s’éteindrait jamais !
Chacun de nous repus d’amour encore ivre de cette violence amoureuse, couché sur le dos, elle me dit tout de go :<<tu sais, l’amour c’est comme l’orthographe, ça s’apprend>> ! Elle m’avait sidéré, longtemps après j’y pense encore, elle avait raison, combien de fois faut il faire l’amour pour arriver à la plénitude amoureuse, au respect de l’autre dans le plaisir, dans la connaissance des envies, des pulsions de l’autre. Combien de fois en dehors de notre mauvaise foi et d’orgueil de male avons-nous raté une expérience amoureuse, conduisant au désastre ? Alors arrive le temps de l’amour, le temps de la compréhension mutuelle du désir charnel des deux corps couchés l’un contre l’autre, le temps de la jouissance nous faisant perdre temps, raison et conscience en un bouleversement cosmique repoussant l’univers encore plus loin ! Ce privilège que Dieu nous a octroyé, celui de nous reproduire mais aussi celui d’aimer, d’aimer à en mourir comme a chanté le poète.
1/Bayyaz – vendeur
2/Jabador – tunique longue en soie ou coton, généralement grise pour les hommes
3/Bouregreg – fleuve séparant Rabat la capitale de Salé
4/Khrouya – frère
5/Oudayas – forteresse de Rabat construite par les Almoravides

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