SHAIITANE AL AHMAR LE DIABLE ROUGE, court extrait Par Ali GADARI
Publié le 19 juin 2021
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Jean Jacques Paul CoudiereLe statut est en ligne
Jean Jacques Paul Coudiere
Le trublion de l'écriture
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Le Saumur filait bon vent. Il avait doublé Gibraltar, et à présent, entré en Méditerranée, l’Atlantique derrière lui, le capitaine du vaisseau Aodren de Kervinec se sentait maintenant l’esprit plus tranquille. La mission qu’il devait accomplir au nom du Roi de France était d’une importance capitale. Louis XIV voulait doter le pays d’une marine puissante, capable de rivaliser avec la Hollande et de commercer avec les ports de la Méditerranée. Sur les conseils de Mazarin, le Roi souhaitait obtenir un accord avec le sultan d’ Istambul, le Grand Vizir Fazil Ahmet Köprülü, ce maître de la Méditerranée dont l’empire s’étendait sur trois continents, une partie de l’Europe, de l’Asie et de l’Arabie. Aodren, marin breton, nobliau de la région nantaise loin des intrigues de la cour, avait été recommandé par l’évêque de Nantes à Mazarin pour effectuer cette délicate mission. Aodren de Kervinec correspondait à l’homme providentiel, sachant tenir sa langue, d’une honnêteté au- dessus de tout soupçon, un homme de la mer prêt aux sacrifices, qui avait accepté sans broncher, disant en breton :<< sentin dont-a-benn>>, j’obéirai et je réussirai ! Après des jours et des jours de navigation, deux felouques armées du Grand Vizir attendaient le Saumur au large de la Crète pour le guider jusqu’au Bosphore et Constantinople, protégés par d’innombrables iles. Toujours accompagné par ces felouques, le Saumur, s’ancra à quelques encablures du quai. Quatre janissaires à bord d’une barcasse s’approchèrent et invitèrent Aodren à se rendre à terre. Il se laissa conduire au palais du Grand Vizir. Il vivait intensément ce moment, subjugué par les richesses dévoilées de Constantinople, dont l’ancienne cathédrale Sainte Sophie, transformée en mosquée après la conquête ottomane par Mehmet deux, admirable avec son dôme et ses minarets visibles depuis le port. Aodren était ébloui par les maisons en bois pourvues de grandes baies donnant accès de chaque côté à la multitude de ruelles adjacentes. Constantinople grouillait de vie, cinq cent mille âmes s’y côtoyaient. Le Bosphore, étroit conduit de mer entre l’Europe et l’Asie, entre mer Noire et mer de Marmara, impressionnait Aodren. Dès qu’il fut parvenu au palais, des esclaves le conduisirent au hammam, où ils le brossèrent, le parfumèrent, le revêtirent d’un jabador et le coiffèrent d’un turban de forme arrondie. Ses longs cheveux roux tissés et fixés en un catogan étonnaient les serviteurs du Grand Vizir. Conduit dans un salon décoré de riches tentures brodées, il fut laissé seul avec des esclaves légèrement vêtues, venues de tous les continents, assises sur des sofas brodés. L’invitation était explicite ! Le repas était servi, le Grand Vizir Fazil Ahmet Köprülü s’assit en face de l’envoyé du Roi de France, marque de respect envers un étranger. Habituellement le Grand Vizir prenait seul son repas dans son salon ou dans son jardin. Après les douceurs, les fruits confits, les gâteaux au miel, arriva une soupe aux légumes, grains de blé et queues de bœufs, servie dans un grand bol aux subtiles décorations. Les esclaves changèrent son bol décoré de filaments d’or et d’argent pour une kassriya, grand plat en terre cuite luxueusement décoré, mélangeant un poulet fourré d’olives vertes, de fromage, de noix, de yaourt et parfumé à l’estragon. Le poulet avait été longuement cuit dans un tagine avec jus de citron, miel, cannelle, amandes, raisins et abricots secs. Aodren pour la première fois goûtait avec délice l’accompagnement de riz safrané, et ces mélanges de saveurs sucrées et salées, accompagnées de vins de Grèce et de Chypre, tout cela servi sur des tables basses. Des coussins brodés d’or étaient disposés à terre sur des tapis pour inviter à s’asseoir confortablement. Des récipients remplis d’eau de rose permettaient de se rincer les mains. L’on mangeait avec les doigts, un pain coupé en morceaux, tenu entre le pouce et l’index, remplaçant judicieusement couteaux et fourchettes.
Le repas terminé, sur un signe du Grand Vizir, le scribe et Aodren s’isolèrent dans le diwan tout proche, somptueusement décoré, et gardé à l’extérieur par des esclaves armés de sabres recourbés aux manches sertis d’or, tout dévoués au Grand Vizir. Aodren, en s’inclinant, remit le parchemin signé de Louis le quatorzième, Roi de France et de Navarre, au Grand Vizir Fazil Ahmet Köprülü. Bien que lettré, parlant cinq langues, le Grand Vizir ne possédait pas le français. Le scribe Aytac Atkhan lut et traduisit, avec déférence et force salamecs, le document royal. Fazil Ahmet Köprülü tira quelques bouffées de son narghilé décoré d’or et serti de diamants, se leva, donna des instructions à Aytac Atkhan. « Le Grand Vizir vous recevra ce soir après la prière Al-‘Icha pour vous donner une réponse ».
Aodren se fit accompagner sur le Saumur. L’équipage et ses officiers n’avaient pas souffert de son absence : des esclaves du Grand Vizir leur avaient apporté des vivres et du vin de Chypres en suffisance, pour le moment présent et pour le retour. Le muezzin appelait à la Al-‘Icha. Aodren retourna vers le palais, un peu inquiet quant à la réussite de sa mission. Introduit de nouveau dans le diwan, le Grand Vizir Fazil Ahmet Köptülü, les yeux fermés, tirait sur le tuyau de sa pipe à eau. Allongé sur un sofa, avec Aytac Atkhan à ses pieds, il s’attacha à faire une déclaration diplomatique à Aodren, relatant les options de Fazil Ahmet Köprülü quant aux rapports diplomatiques et commerciaux avec la France. Le sultan d’Istambul s’engageait à protéger les navires du Roi de France en Méditerranée contre les pirates d’Alger et de Tunis, à leur ouvrir les ports sous sa gouvernance pour y commercer en toute liberté. En contrepartie, Louis le Quatorzième s’engageait à ne pas intervenir dans les conflits d’Istambul avec les Etats voisins, en particulier Venise qui avait tendance à titiller un peu trop l’hégémonie de la Turquie. Cette union ne pouvait que servir les intérêts de chacun. Aodren remercia le Grand Vizir en baisant l’anneau de sa main droite, et prit congé à reculons en courbant le dos.
Le vent venait du levant, le Saumur voguait rapidement et Tanger était maintenant derrière la poupe du Saumur. Le retour parut court à Aodren et son équipage. L’entrée dans la Loire ne passa pas inaperçue, à tel point que sitôt arrivé à Nantes, l’émissaire du Roi de France monta à bord et s’enquit de la situation. Muni du précieux document signé du Grand Vizir, son carrosse, accompagné par une garde de dix hommes armés, fila grand train jusqu’à Versailles.
Quelques mois plus tard, Aodren reçut en son manoir Henri Duplessis Guenégaud, Conseiller à la mer du Roi Louis XIV. Celui-ci lui apportait la reconnaissance du Roi par un acte signé étendant ses propriétés de cinq mille arpents. Le Roi Louis le quatorzième l’autorisait également à participer à la guerre de courses par un parchemin lui donnant droit de marque !
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