La nuit des Abeilles, nouvelle de Paul Edouard GOETTMANN






La nuit des Abeilles, nouvelle de Paul Edouard GOETTMANN


                       Balaou arrima son bateau à l’ anneau du quai en laissant un long sillage d’eau claire dans la traînée du moteur, Gwo Lucien l’aida à transporter le thon pêché dans la soirée au large de la Désirade dans le petit hangar réfrigéré à quelques mètres du quai. Il sera vendu à la découpe le lendemain. Déjà deux heures du matin, après les congratulations, ils se séparèrent en prenant chacun son chemin.
                       Martine monta le morne de la source le coeur allègre. Visiter ses ruches, soigner ses abeilles étaient pour elle le bon moment de la journée d’autant qu’elle aimait ce chemin bordé de flamboyants, (1). Au virage de man Albè, un gros rocher ornait le paysage par sa forme curieuse de grosse grenouille, laissant à penser à certains qu’il était habité par des esprits. Beaucoup faisaient un écart à son approche. Martine au contraire, caressait la roche grise, qui abritait les iguanes.
                       A son arrivée sur le lieu de ses ruchers elle eu un recul. Pratiquement toutes les ruches étaient sans dessus dessous, brisées, écrasées, les abeilles agressives tournaient autour de Martine. Elle en comprit la raison en trouvant Balaou étalé de tout son long, une plaie sur le torse Elle descendit en courant le chemin au risque de chuter jusque sur la plage où elle eu enfin la présence d’esprit de téléphoner à la gendarmerie, ceux-ci gentiment après les questions d’usage la raccompagnèrent à ses ruchers en haut du morne de la Source, en prenant des précautions pour ne pas être piqués. Devant l’état du corps, ils firent appel aux pompiers pour transporter Balaou à l’hôpital de Basse Terre. Un rapport circonstancié rapportait des coups sur le corps et la tête et un coup de couteau long et effilé sur le côté gauche du corps à la hauteur du buste, transperçant les poumons et le cœur. Il était mort sur le coup ! Le médecin légiste devrait confirmer le rapport du spécialiste de l’hôpital.
                       Qu’est il arrivé à Balaou ? Chacun dans le bourg se posait la question. Il était pourtant sans histoire Balaou, pêcheur depuis son enfance, blagueur, champion de dominos, amateur de ti punch et danseur Gwo Ka, (2). France Guadeloupe le journal régional, relatait cette affaire avec les suppositions d’usage, la gendarmerie n’avait rien révélé. Georges Ursus dit Balaou titrait France Guadeloupe, mort assassiné sur le morne de la Source, Bouillante est sous le choc, les gendarmes enquêtent !
                       Des mois après, la gendarmerie livra un rapport qui fit sensation. Le procureur de la République en réponse aux journalistes, donna quelques morceaux de foin à mâcher. Georges Ursus a été assassiné par des trafiquants de drogue, faisant parti lui-même d’un large réseau.
                       Balaou était passé maître dans l’art de la dissimulation, personne ne pouvait songer à sa véritable personnalité. Avec l’aide des douanes et des services compétents anglais, espagnols et hollandais, la gendarmerie reconstitua point par point ses activités, ses points de chutes, comment il était arrivé à masquer toutes ses activités criminelles depuis des années.
                       Balaou partait chaque matin pêcher le thon ou le marlin, dès cinq heures au lever du soleil, Balaou sortait du petit port avec son bateau acheté d’occasion à Saint Martin, le KA W’FE. Un bateau de pêche LUHRS de 315 chevaux. Ce bateau était idéal pour ramener le thon et le marlin, long de dix mètres et large de trois mètres soixante. Il avait choisi un monocoque de six tonnes avec une vitesse de croisière de 30 nœuds, (4) ! Il filait en haute mer entre la Dominique, la Martinique et Antigua. La nuit venue, il mettait le cap sur Montserrat, isle à moitié déserte, évacuée par une grande partie de la population depuis l’éruption de la Soufrière en mille neuf cent quatre vingt quinze. Dans une crique du côté de la Soufrière l’attendait Sullivan, une crapule de premier choix venant de la Dominique. Cet endroit déserté abritait un gros zodiac, Sullivan amenait les six moteurs avec lui, embarqués dans une saintoise cachée derrière les rochers, deux moteurs de cinq cent chevaux, quatre de deux cent cinq chevaux. Montés consciencieusement à l’arrière du zodiac. Poussé à la mer ils montaient à bord à la volée, les moteurs mis en marche avec une puissance de deux mille chevaux, ils atteignaient en haute mer une vitesse de soixante kilomètres à l’heure. C’était phénoménal, le zodiac ne naviguait que sur la partie arrière, et toutes les heures, il fallait stopper le zodiac et le réalimenter en essence, il consommait six cent litres d’essence embarqués à bord dans des jerricanes prévus à cet effet, Sullivan s’occupait de la maintenance.
                       Ils se dirigeaient sur la toute petite isle de Statia, minuscule pièce de monnaie dans l’océan, à 115 miles, (5) de la Guadeloupe, ils ne mettraient que quatre heures pour débarquer à Statia, il ferait donc encore nuit ! Statia était un point névralgique relativement tranquille pour embarquer la cocaïne vers les isles du sud, la Guadeloupe, la Martinique en particulier pour les nombreux embarquements vers l’Europe ! Peu de discussions après l’échange des jerricanes du retour, cinq sacs de cocaïne de vingt kilogs, soigneusement empaquetés furent embarqués. L’opération ne pris pas plus de trente minutes, tout était soigneusement préparé.
                       Le zodiac fendait l’eau comme les dauphins, depuis une quinzaine de minutes. L’aube s’était levée encore blafarde, cela ne durerait pas. C’était maintenant la traversée délicate, le jour n’étant pas propice à la clandestinité. Sullivan et Balaou sur leur garde avaient sorti les kalachnikov des caisses en bois, les bateaux des douanes ou des curieux pouvaient s’approcher. A l’approche de Barbuda, Sullivan remarqua un gros zodiac filant à toute vitesse dont les moteurs furent stoppés par Sullivan à vint mètres Balaou et Sullivan sans hésitation liquidèrent les deux occupants, les kalachnikov avait fait leur travail. En s’approchant du zodiac, ils virent qu’ils ne s’étaient pas trompés, ils étaient tombés sur des trafiquants qui ne leur voulaient pas du bien ! Ils s’emparèrent des cinq sacs de cocaïne, puis fusillèrent le zodiac qui s’enfonça rapidement dans l’eau, emporté par les moteurs, disparaissant à jamais. La course au trésor ne tolère pas les sentiments de bienfaisance ! Sullivan remit les gaz sur Montserrat et là à deux milles de la crique, ils larguèrent les sacs de cocaïne attachés à un flotteur, ils s’enfoncèrent de quatre à cinq mètres dans la mer, la bouée surmontait le tout solidement ancrée au fond à dix mètres. Tout était bien ! Sullivan et Balaou, reprirent leur canot respectif. Balaou comme Sullivan mis le cap sur la Dominique mais pas au même port. A Roseau la capitale, Balaou achetait aux pêcheurs de la capitale le thon, le marlin, la dorade avant de rentrer, personne ne lui posait de questions. Gwo Licien était là comme toujours pour l’aider à entreposer le poisson dans l’espace réfrigéré installé sur le quai. C’était lui le lendemain qui était chargé de vendre le poisson à la criée, de le découper en fonction de la clientèle. Balaou malgré sa fatigue, n’alla pas dormir, il s’installa chez Man Odette devant un ti punch remplissant la moitié de son verre, la bouteille de Boulogne à côté de lui. Il rentra enfin dans sa case, s’allongea sur la planche, et sombra dans un profond sommeil. Réveillé vers dix huit heures, il prit une douche froide avant de descendre chez Man Odette. Ka w’ fé, (6), lui dit elle connaissait ses habitudes, un ti punch avalé le gosier en arrière épongé par un verre d’eau glacé et une assiette de balaous, (7). Les pêcheurs arrivèrent seuls ou par groupes, s’asseyant aux tables en plaisantant fort. Man Odette, distribua les bouteilles de Bologne à chaque table avec les dominos. La nuit était noire, avec une lune cachée par des gros nuages annonciateurs d’orages et de pluies.
                       Il retrouva Sullivan à la crique de Montserrat. Ils devaient livrer deux sacs de cocaïne à la Désirade à une heure du matin. Le bateau de pêche de Balaou faisait l’affaire ce soir là, plus discret, plus de temps, la drogue embarquée, ils n’oublièrent pas pour autant les kalachnikov dans leurs boîtes. A une heure du matin, ponctuels, à tribord de l’isle des signaux désignèrent l’endroit prévu, Balaou, répliqua. Le KA W’ FE s’avança encore de plusieurs miles, les signaux se firent plus lumineux. Les deux sacs munis de flotteurs et de bandes fluorescentes furent jetés à la mer. Sullivan et Balaou s’écartèrent d’une centaine de mètres, la kalachnikov à la main. Quand les réceptionnaires eurent récupérés les ballots, Sullivan et Balaou virèrent de bord jusqu’à Montserrat. La discussion sur le partage de la drogue récupérée au large de Barbuda n’avait pas encore eu lieu, car entre eux le temps ne comptait pas. Par contre il fallait régler le problème du jeune Sacha de la Martinique qui avait oublié de payer sa commande, plusieurs millions d’euros, que Sullivan et Balaou devaient récupérer absolument pour payer leurs fournisseurs du Mexique, sous peine d’exécution punitive de la part des patrons du cartel envers Sullivan et Balaou.
                       Ils prirent le bateau navette Guadeloupe, Dominique, Martinique. Rendez vous fut pris à Fort de France au restaurant face à l’arrivée de la navette. Sacha le chaben , (8) était là, bien habillé, dandy, ka w’ fé tout va bien s’adressant aux deux hommes ? Ils se reverraient à 23 heures dans le quartier des prostituées, clientes de Sacha la chaben , dans le petit hôtel de Paris. Sacha tout sourire, sentait le faux jeton à plein nez, les deux hommes se doutaient du résultat de leur visite. Le chaben leur préparait une réception à sa manière. Après manger sur le port, Sullivan et Balaou, rejoignirent leur hôtel. A peine y étaient ils entrer que le portier apporta un paquet joliment ficelé avec bon anniversaire Georges, les deux hommes remercièrent le portier en lui donnant un pourboire confortable. Sullivan et Balaou savaient que le chaben leur préparait une fête de sa façon. Balaou ouvrit la boite, contenant deux pistolets automatiques avec silencieux, qu’ils prirent soin de charger et d’armer. Au premier étage de l’hôtel de Paris, chambre 4 Balaou et Sullivan ne frappèrent pas à la porte ils enfoncèrent la porte. Ils avaient vu juste deux sbires entouraient Sacha ils étaient déjà morts avant que Sacha tente de dégainer ! Le chaben se vit secouer durement par les deux hommes, les poings de Sullivan lui ayant déjà rectifié la face, il saignait abondamment du nez et des lèvres. Dépêches toi de nous dire où tu as planqué l’argent, Balaou le sonna durement en le frappant à l’estomac et le chaben ne tenait plus debout il s’écroula littéralement, Sullivan le ramassa à coups de pieds dans les côtes ! Tu veux qu’on continue le chaben ? Il avait du mal à parler, et les conduisit difficilement dans un local du centre ville où travaillaient des dizaines de prostituées clientes du chaben. Sacha ouvrit les deux verrous de sécurité, de peur d’un coup tordu du chaben, Sullivan et Balaou sortirent les armes. Ils le poussèrent à l’intérieur, fais vite dit Sullivan en lui mettant le pistolet sur le ventre. Je n’ai pas l’argent dit le chaben, je l’ai mis en sécurité dans une banque de Nevis, laissez moi le temps de le transférer, le chaben s’écroula sous les coups du pistolet. Cette petite fripouille de Fort de France les avait couillonnés ! Ils risquaient gros, s’ils ne remboursaient pas le cartel, ce sont eux que l’on retrouverait occis !
                       Au retour sur la navette les deux compères tiraient des plans sur la comète. Sullivan descendit à Roseau, Balaou à Pointe à Pitre.
                       Ils informèrent le cartel de la situation avec le chaben, le cartel leur accorda un mois pour régler leur dette. Ils continuèrent plusieurs livraisons à différents points de la Caraïbe. Toutes ces livraisons furent payées rubis sur l’ongle au cartel via un notaire véreux de Antigua, restait la dette de Sacha, cette petite crapule les avait mis dans de beaux draps !
Sullivan connaissait un homme d’affaires de la Dominique peu à cheval sur la légalité et l’honnêteté. Armateur il possédait une dizaine de petits bâtiments pour le cabotage entre les isles qui l’enrichissaient. Il était également propriétaire d’une petite compagnie aérienne, Faithfull Air permettant aux riches de la Dominique ou aux touristes cossus de voyager vite d’isle en isle ! Sullivan le connaissait pour avoir autrefois trafiqué avec Rony Faithfull Ils ramenaient de l’essence du Vénézuela revendu au prix de la Dominique, laissant un large bénéfice à Rony ! Sullivan était son homme de mains. Il eu l’idée d’en parler à Rony des histoires de cocaïne et des énormes profits qu’il pourrait en tirer. iIls l’informèrent de cette idée, le notaire d’Antigua qui transmettait scrupuleusement toutes les informations. Rony Faithfull mit trois semaines à répondre, il avait pesé le pour et le contre, examiné toutes les conséquences. Rony, Balaou et Sullivan se rencontrèrent à Dublanc un petit port au nord ouest de l’isle dans un entrepôt appartenant à Rony. Rony téléphona au notaire d’Antigua, il proposa de payer au cartel ce qui restait sur les livraisons du chaben, mais à la condition d’être partie prenante dans les bénéfices tirés par Sullivan et Balaou ? Le notaire mis seulement deux jours à répondre, le cartel avait tout intérêt à être payé, la dîme payée à Rony serait infime à côté des bénéfices engrangés par le cartel de Mexico !
Conscients des avantages de cet arrangement, Sullivan et Balaou envisagèrent de vendre à leur compte la drogue saisie sur le zodiac au large de Barbuda. Ils vendirent ainsi près de 20 kilos de cocaïne à de gros trafiquants de Saba, les enrichissant d’une façon notable.
Sullivan accosta à dix huit heures. Attablé chez Man Odette devant sa bouteille de Bologne avec Balaou, ils jouaient aux dominos avec force claquements sur la table. Le poulet grillé avalé, ils montèrent tous les deux par discrétion le Morne à la Source au dessus de la plage pour discuter du partage de la dernière livraison. En arrivant tout en haut du morne, Sullivan aperçu des ruches bourdonnantes encore malgré la nuit noire, d’un seul coup il assomma Balaou d’un coup de poing américain, Balaou sombra dans le coma il tomba en renversant les ruches, les abeilles devenant agressives, Sullivan fini son travail par un coup de couteau dans la poitrine ! Il racontera à la police lors de son arrestation à Dublanc que le cartel avait eu vent des ventes de cocaïne en dehors du cartel de Mexico
                       La police de la Dominique avait fait des investigations qui l’amenèrent sur le cas Sullivan, il raconta par le menu toutes activités criminelles de Balaou et de lui-même y compris le meurtre des deux marins du zodiac et du chaben!
                       Sullivan fut condamné à trente ans de prison, il n’en n’est jamais ressorti, un membre du cartel emprisonné dans la même prison lui régla son compte discrètement, ainsi, justice fut faite ?
                       
                          FIN


Flamboyants – arbres fleurissant en juin se couvrant de fleurs rouges, annonçant la période cyclonique.
Gwo Ka – musique traditionnelle de Guadeloupe sur la base de rythmes de tambours
Bouillante – ville de la côte sous le vent en Guadeloupe
Noeud – vitesse utilisée par la marine égale à 1832 mètres
Miles – distance marine égale à 1832 mètres
Ka w’ Fé – littéralement, qu’est – ce que vous faite – bonjour
Balaous – Poissons vifs, argentés, côtiers au long bec
Chaben – individu issu d’un croisement entre blanc et noir, de couleur très claire





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