DEUX GOUTTES D’EAU de Ali GADARI

 


PHOTOGRAPHIE PIXABAY

 

Deux gouttes d 'eau glissaient sur la vitre de la cuisine comme des larmes sur la joue d’un bébé, puis disparaissaient définitivement sur la terre du jardin, évacuées par l’appui de la fenêtre. J'apercevais à travers la vitre les moineaux sautillants allant à la chasse aux mies de pain jetées à terre et s'envoler sur les branches du pommier. Le chat s'élance d'un seul coup sur le tronc du pommier dans l'intention de déguster l'un de ces petits passereaux toutes griffes dehors. Déçu d’avoir été floué, Minet rejoint la queue basse l’appui sous la fenêtre et s’étend de tout son long. C’est l’époque des mouches, Monia avait accrochée à l’entrée de la porte, un attrape mouches consistant en un ruban de colle forte. Les mouches zigzagantes dans l’espace de la porte se collaient par dizaines sur le ruban, obligeant Monia de le changer souvent. Les hirondelles qui avaient construites leurs nids sous le toit étaient friandes de cet insecte noir au vol lent, les oisillons étaient nourris par les parents de centaines de mouches attrapées en vols avec dextérité. De la cuisine je voyais les nuages défiler vers l’est, quitter la plaine et les rives de l’Atlantique pour se diriger vers le massif du Rif et la Méditerranée. Des oiseaux poussés par le vent, se poseront sur les pyramides d’Egypte, les temples d’Angkor, la Baie d’Along. Moi, je regarde tout cela de mon fauteuil ou de ma chaise de cuisine. Je suis un clandestin de la nature. Je vois dans ma tête ces merveilles placées là par la nature et par l’homme. Je me laisse aller au bonheur de la rêverie bercé par le bruit du vent dans les feuilles des arbres et les chants des oiseaux. Je me fais tout petit, invisible même devant la cohorte de fourmis brunes regagnant leur nid. Ce sont de curieuses bestioles les fourmis, les spécialistes du monde animal, les zoologues ont découvert plus de douze mille espèces de fourmis. Leur ressemblance avec les sociétés humaines est depuis fort longtemps sources d’études scientifiques. Oh là là, serions également une sorte de fourmi ? Curieux quand même cette similitude, brrr, cela me froid dans le dos ! Le mâle est un moins que rien, les ouvrières vivent de trois semaines à un an, la reine se pavane jusqu’à plus de vingt ans. C’est un monde d’une totale cruauté, auquel je ne voudrai pas être confronté. Je tourne la tête, je vois un papillon blanc posé sur mon géranium. Elégant, léger, frivole, volant sans peur de fleur en fleur et marquant de ses ailes blanches et fragiles une tâche presque indélébile sur la rougeur du géranium. Je préfère le papillon aux fourmis, pourtant elles ont toutes deux un rôle à jouer dans l’équilibre écologique. Là encore, mon regard se porte sur le laurier fleurs, domaine des moineaux brailleurs et batailleurs. Comment étaient ces oiseaux à l’origine du monde, d’affreux prédateurs de deux mètres de haut aux griffes redoutables au bout de leurs pattes longues comme des échasses. Leur bec pointu comme une pioche de terrassier qui transperçait leurs proies de part en part. Cela ne devait pas être facile tous les jours pour nos grands-parents, les homos sapiens, obligés de vivre dans des grottes humides. Ils passaient leur temps à la chasse pour se nourrir et à enduire les murs de ces grottes de dessins reproduisant leurs animaux familiers. D’un seul coup, je me sens à nouveau projeté dans la réalité par un vol bruyant de pigeons. Le couple de paons du voisin fait la roue, ils sont splendides ! Tiens, Ahmed conduit son troupeau de moutons à la prairie, aidé par son chien qui jappe après les indisciplinés. La charrette pleine de foin tirée par des chevaux trapus sur le chemin de terre reviennent à la ferme. Hana a nettoyé l’écurie, les odeurs du fumier arrive jusqu’à moi, l’on dit que ce ferment est source de vie ? Les poules ravies, grattent la paille pourrie et malodorante pour en tirer les éléments nutritifs dont elles raffolent. Un avion va atterrir, il laisse derrière lui une grande fumée blanche qui s’amenuise à fur et à mesure. Le bleu du ciel est brisé par son passage assourdissant, les corbeaux s’envolent pour se poser dans le champ en friches. Mes canards se promènent à la queue leu leu dans un déhanchement de femmes fatales. Dans la mare, ils ont une toute autre allure, seyante, fuyante, gracieuse, distinguée, ce sont les reines de la surface aqueuse. Les grenouilles viennent tenter en vain de les déranger par leurs sinistres coassements. Les têtards ne sont pas à la fête ils sont consommés sin die par mes canards trop contents de déjeuner à domicile. Regarde l’eucalyptus au coin du champ il est plus que centenaire, son tronc à un sérieux diamètre, je ne peux le mesurer, ses feuilles bonifie l’air et nous envoie des senteurs suaves et bénéfiques. Il est parfois conquis par d’étranges lézards, l’inoffensif gros gecko, attendant la nuit pour s’introduire dans les maisons. Cet eucalyptus est immense il monte droit vers le ciel, il doit être l’un de ses gardiens, attentif à la moindre dégradation. Le ciel ne doit pas être déchiré. Toute la clôture est protégée par des pieds de figues de Barbarie formant une haie infranchissable. Cette haie nous donne de magnifiques fleurs rouges qui accoucheront à leur tour de figues juteuses que nous manierons avec délicatesse, leurs piquants minuscules s’incrustant fortement dans la peau. Entre deux figuiers de Barbarie, pousse, je ne sais comment un bougainvillier jaune magnifique, éclatant comme le soleil. De l’autre côté, ma vigne de raisins rouges que je taille soigneusement chaque année au mois de mars, me donne en gros plus de cinquante kilos de beaux et bons raisins dont une bonne partie sera transformée en jus délicieux et frais. J’ai trente oliviers que j’ai planté à la barre à mines tellement le sol était dur. Tous les ans je récolte les olives que Hana s’empresse de traiter. J’ai aussi des oranges, des figues, des poires, des pêches, des mandarines et des grenades. Côté fleurs, je suis également bien servi, des géraniums montant et fleurissant jusqu’à deux mètres de hauteur, des bougainvilliers blancs et rouges, des lauriers et des arbustes dont je ne connais pas le nom qui fleurissent en rouge toute l’année. Ali, le cri de Hana pour m’approcher de la table, mais je reste assis, songeur devant la création et la diversité qui l’accompagne, c’est trop beau, le monde est parfait seul l’homo sapiens est un ravageur, un terrible prédateur, alors je me suis reconstitué mon monde de douceur, de beauté pour échapper à la laideur, aux tours infernales des villes invivables. Je préfère l’odeur du fumier à celle de la dictature de l’automobile et du téléphone portatif. Ali, là il faut que j’y aille pour éviter un conflit avec Hana, je me lève de la chaise, je m’approche de la table après m’être lavé les mains, Hana me jette un coup d’œil réprobateur, elle a horreur de répéter.

 

 


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