LA GOMME EST AU PARFUM de Ali GADARI, nouvelle retouchée par l'auteur
1ere édition 19 février, 302 lecteurs au 10 avril 2022
Seconde édition éditée le 10 avril 2022
Avertissement :
J’informe
mes lecteurs, que ce récit est une fiction. Il n’y a jamais eu jusqu’à
aujourd’hui, Dieu merci, de combats entre les troupes royales marocaines et le
Front Polisario, en dehors de la guerre des sables.
Synopsis :
Zohra est
appelée à enquêter sur les agissements du Front Polisario à Madrid. Curieusement,
cela l’amène jusqu’à un établissement de plaisir, La Roseraie, où la prostituée
Leila est la cheville ouvrière du réseau ouvrant sur l’ambassade d’Algérie.
Elle découvre petit à petit toutes les ramifications du réseau qu’elle détruira avec l’aide d’Abdéramane et d’Amine, ses deux collaborateurs.
Après cette
enquête, elle est amenée à supprimer un groupe terroriste appelé Groupement de
libération du Sahel.
LA GOMME EST AU PARFUM
La Boutique avait
bien fait les choses. Quelques jours auparavant, un tout petit drone à
propulsion électrique avait photographié en silence le bâtiment sous toutes les
coutures. Une seule ouverture avec une porte ouvrante sur rail. Zohra était là
depuis une heure, tapie dans le fourré, face à la grande porte. Elle scrutait
longuement les lieux à l’aide de jumelles mises au point par les techniciens de
la Boutique, avec possibilité de filmer toute activité. Elle était indécelable
pour autrui. Les gardiens du bâtiment étaient des professionnels, invisibles,
tout de noir vêtus. Leurs armes avaient été rénovées avec des matériaux
composites, des métaux noircis chimiquement de façon à ne pas être repérés la
nuit. Zohra les avait localisés avec ses jumelles infrarouge. Ils étaient
coincés au niveau des murs d’angles de la porte. À l’intérieur, une vingtaine
d’individus, en partance pour le djihad.
Il fallait
intervenir. Zohra n’avait pas d’arme automatique, juste une nouvelle trouvaille
de la Boutique, des explosifs gros comme des châtaignes pesant une vingtaine de
grammes. Elle s’approcha de la clôture, lança par deux fois ses châtaignes de
chaque côté de la porte. L’explosion fut terrible, les murs et le toit en béton
se volatilisèrent. Elle attendit quelques minutes encore et, pour être sûre que
tout était détruit, elle lança encore deux explosifs à l’intérieur du bâtiment,
ou du moins ce qu’il en restait. Des flammes gigantesques montèrent si haut que
tout le Maroc les aperçut !
Sa douche prise,
habillée, elle fit sa prière, demandant à Allah de lui pardonner ses méfaits.
Arrivée devant le colonel, Abdou Mélik, elle le salua et s’assit à son
commandement.
— Capitaine, lui
dit-il, je vais vous confier une mission difficile, pénible. Vous êtes la seule
sur qui je peux compter dans ce genre d’affaires ! Je vous suis depuis
votre entrée à l’école militaire de Meknès. Votre succès au concours
d’ingénieur en électronique et votre brevet de parachutiste, avec vingt et un
sauts à trois mille mètres, m’ont conforté dans mon appréciation. Je vous ai
suivie également sur le front en Irak et en Afrique noire, c’est la raison pour
laquelle je vous ai recrutée à la Boutique, dans mon service. Vous êtes mon
meilleur agent, mais j’ai une question à vous poser : pourquoi les
journalistes vous surnomment-ils La Gomme ?
— C’est le chroniqueur
vedette du Matin, mon colonel, qui
s’est laissé aller dans son article, assimilant mes actions anonymes à des opérations
militaires – discrétion, action, disparition – qu’il comparait à une gomme
effaçant un coup de crayon !
— Ah, je ne voyais
pas cela comme ça ! Bien, cela peut se défendre, en effet ! Vous avez
vu, capitaine, les journaux espagnols commentent l’exploit de la police
anti-terroriste qui a mis la main sur l’une des plus dangereuses terroristes.
En effet, la presse
hispanique commentait l’exploit de la police anti-terroriste d’Espagne.
Albiztur Elissiry, membre de l’ETA, (Euskadi Askatasuna), avait refusé l’auto-dissolution de l’organisation et
continuait la lutte à la tête de quelques irréductibles ! La police
espagnole avait même des soupçons sur son accointance avec des terroristes
africains. Le coup de filet était le résultat d’une longue traque, après
l’assassinat d’un ex-membre de l’ETA, revenu en Espagne pour bénéficier de
l’amnistie.
Le colonel continua
son explication à l’attention de Zohra :
— Cette terroriste
a été incarcérée à la prison d’Ocana, capitaine, et isolée durant dix mois. Son
procès a fait grand bruit au tribunal de Tolède.
Il lui exposa la situation
plus en détail : la salle d’audience avait été réservée aux journalistes
et aux policiers qui l’avaient arrêtée. Mademoiselle Albiztar Elissiry était
accusée d’appartenir à un groupe terroriste, mais aussi d’assassinat sur la
personne d’Amiano Arrighuri, ancien membre de l’ETA ayant déposé les armes et
bénéficiant de l’amnistie, ainsi que de blessures sur deux policiers lors de son
interpellation. Elle restait muette, refusant de répondre à ses agresseurs,
comme elle aimait à le déclamer en prison. Albiztar Elissiry avait des
accointances avec nombre d’organisations terroristes. Elle avait été condamnée
à vingt ans d’emprisonnement. Le Front Polisario n’était pas exclu d’un pacte
avec Albitzar, ce qui réclamait la participation de Zohra pour la recherche des
éléments extrémistes frontistes qui menaçaient le royaume.
Le colonel
conclut :
— Je vous charge,
capitaine, de cette nouvelle mission.
***
De mèche avec les
gardiens et en accord avec le directeur de la prison d’Ocana ainsi qu’avec le ministre
de la Justice, il fut notifié que toutes les visites que recevrait Albiztar
Elissiry seraient enregistrées. Cela arrangeait également la justice espagnole.
Plusieurs mois s’écoulèrent sans élément déterminant puis en fin d’année, un
membre de l’ambassade d’Algérie vint la visiter. C’était un geste important,
mais l’homme était intouchable protégé par son mandat à l’ambassade. Après prise
de renseignements auprès des autorités espagnoles, il fut établi qu’il s’agissait
de Mohamed Malbrouk, deuxième secrétaire de Monsieur l’Ambassadeur d’Algérie en
Espagne. La connivence entre eux se précisait, même si aucun élément
justificatif ne permettait encore d’intervenir. La police espagnole fit suivre
Mohamed Malbrouk dès ses sorties de l’ambassade, devenues de plus en plus
nombreuses. Monsieur le secrétaire d’ambassade s’évaporait dans un endroit
propice à la rencontre avec de nombreuses dames de compagnie, La Roseraie, maison de tolérance[1]
de bonne tenue de la capitale, fréquentée par les notables de la région. Cette
maison close faisait également restaurant et bar, de quoi rehausser son
prestige. Ce fut l’occasion pour Zohra, accompagnée d’Abdéramane, de
s’installer à une table pour déguster un poulet au fenouil. Monsieur le
secrétaire d’ambassade était là, assis avec une dame de compagnie d’une grande
beauté. La discussion entre eux paraissait sérieuse, sans rien d’équivoque.
Abdéramane, l’air de rien, se renseigna sur le nom de la dame, Leila, mais elle
ne recevait que sur rendez-vous ! Le poulet au fenouil avalé, ils
partirent, convaincus que ces deux larrons ne faisaient pas du tricot ensemble.
L’Algérie cherchait
querelle au Maroc. Les journalistes craignaient un conflit entre les deux
nations sœurs. Le Front Polisario n’en serait que plus heureux. Dans l’optique
d’un conflit armé, le Maroc s’était doté tout récemment d’une petite flotte de
navires de guerre, d’avions américains dernier cri, de drones construits en
Israël, en Turquie et en Chine, ainsi que des chars derniers modèles provenant
des États-Unis, pour répondre à l’agressivité de l’Algérie. Ainsi, la visite de
monsieur le secrétaire d’ambassade à Albiztar Elissiry ne semblait pas fortuite,
mais était dans la continuité de la querelle Algéro-Maroco-Front Polisario
entretenue et attisée par les généraux d’Alger.
Le travail de Zohra
serait délicat, tout ce qui touchait au personnel d’ambassade étant tabou. Il
faudrait dénicher une faille concernant M. Malbrouk pour obtenir des
renseignements, soit directement, soit par recoupements. Mademoiselle Leila ne
semblait pas facile à manipuler, toutefois il faudrait qu’Abdéramane essaie
d’en savoir plus. Il prit rendez-vous avec elle, pour une heure de galanterie,
et essaya d’obtenir des informations concernant ses rapports avec Mohamed, mais
sans résultats qualitatifs. Il apprit simplement qu’il s’agissait d’un client
habituel ! C’était prévu, il fallait changer de programme.
M. Malbrouk se
rendait à La Roseraie avec son
automobile particulière, qu’il conduisait seul. C’était l’occasion attendue. Le
mercredi suivant, il sortit de l’ambassade au volant de sa Seat Arona. À
distance respectable, Zohra et Abdéramane le suivirent en moto, une Kawasaki 500
louée chez un concessionnaire. Il entra bientôt dans une forêt de chênes bordée
d’anciens villages inhabités, où chemins pédestres et pistes cyclables se
perdaient. Il s’arrêta à l’orée d’un site abandonné, nommé San José De Dios. Dissimulés,
les « locataires » de la Boutique attendirent le moment propice. Une
Dacia rouge se gara à côté de la Seat Arona et Leila en descendit. Tout se
recoupait. Les deux individus discutèrent plus d’une demi-heure, puis la jeune
femme quitta les lieux. C’était le moment opportun : Zohra et Abdéramane prirent
le sieur Malbrouk par surprise. Il devint tout blanc, transpirant, respirant
avec difficulté.
— Alors, monsieur
Malbrouk a des rendez-vous galants dans la forêt. Qu’en pense Monsieur l’Ambassadeur ?
— Monsieur le
secrétaire d’ambassade, nous voudrions savoir la teneur du dialogue que vous
avez eu avec Leila, prostituée de haut vol.
— Ce n’était rien,
Leila m’intéresse et j’essaie d’avoir des relations hors de La Roseraie.
— Vous vous foutez
de nous, monsieur Malbrouk.
— Non, non, répétait-il
à l’envi.
L’heure était au
dialogue, non à la brutalité.
— Allons, monsieur
Malbrouk, nous voulons bien vous écouter, mais il faut que vous arrêtiez de
nous mentir et de nous raconter des fables, car notre patience à des limites.
— Je vous dis la
vérité, je vous le jure.
Abdéramane lui balança
une gifle à renverser un sapin. Sa tête voltigea de droite à gauche.
— C’est terminé les
câlins, nous voulons la vérité, maintenant : que foutez-vous avec
Leila ?
L’homme saignait du
nez et des lèvres.
— Je ne comprends
pas ce que vous voulez, je vous ai tout dit !
— Bon, je
recommence ! Vos rapports avec Leila ne sont pas libidineux, nous en
sommes certains. Vous trafiquez grave.
— Non, je vous ai
tout dit.
À peine sa réponse
achevée, il reçut une deuxième baffe, aussi violente que la première, qui
amplifia les saignements de son nez et de ses lèvres. De plus, sa paupière se
mit à gonfler et noircit, à vue d’œil.
Ce fut au tour de
Zhora d’intervenir.
— Bien, monsieur
Malbrouk, c’est à mon tour. J’ai horreur de faire souffrir les autres, mais
dans votre cas je me sens obligée d’en passer par là. Nous savons qu’il y a un
lien entre vous et les groupes terroristes. Leila est un maillon de la chaîne.
Qu’y a-t-il entre vous, à l’ambassade d’Algérie, Leila et les groupes
extrémistes ?
L’individu répétait
inlassablement qu’il n’y avait rien, que c’était une erreur.
Il fallait employer
les grands moyens.
Abdéramane sortit
son Berretta et l’agita devant les yeux du secrétaire d’ambassade. Zohra lui
dit :
— Vous voyez,
monsieur Malbrouk, nous n’hésiterons pas à nous en servir si vous ne vous
décidez pas à parler.
— Je n’ai rien fait.
Je viens voir Leila par amour.
— Par amour, répéta
Zohra et la préparation du conflit armé avec le Maroc, c’est du pipeau ?
Il y a une liaison évidente entre vous et les groupes terroristes, je veux
savoir ce que vous manigancez.
Pour appuyer la
demande, Abdéramane lui envoya une balle de son Berretta dans la main droite. Il
hurla de douleur.
— Arrêtez de crier,
lui dit Zohra, vous allez faire peur aux écureuils et aux oiseaux de la forêt.
Bon continuons, quel est le lien entre vous et les extrémistes ?
— Je n’ai rien à
dire, je ne sais rien.
— C’est dommage
Malbrouk, tu vas souffrir pour rien. Nous allons continuer, fahimt, tu as compris ?
Abdéramane lui
décocha une deuxième balle, dans la même main. L’homme hurla à nouveau de
douleur. Les larmes coulaient de ses yeux.
— La prochaine, ce
sera dans les genoux, clama Abdéramane.
— Attendez, dit Malbrouk
vert de peur et de douleur, je vais tout vous dire.
— Bravo, rajul saghir, petit homme, Allah te
récompensera.
— Leila collecte
des fonds dans son bordel auprès des autres prostituées, pour le Polisario. Je
suis chargé par l’ambassadeur de récolter ces fonds et de les remettre à
l’entremetteur sahraoui.
— Comment
s’appelle-t-il ?
— Ajar Skharji.
— Bon, il faut
continuer de te tirer les vers du nez ou quoi ? Parle, dis-nous tout.
Les mains du
secrétaire d’ambassade tremblaient. Ce n’était pas un héros, un combattant,
seulement un intermédiaire sans panache.
— Je lui remets les
fonds après l’avoir contacté, ici dans le Parc Régional Del Curso Médio Del, à
cet endroit même.
— Donne-nous son
numéro de téléphone.
— 34 91 89
25 009, mais il ne répondra pas si vous ne faites pas le numéro deux fois
de suite.
Le secrétaire s’écroula
dans l’herbe, fauché par une balle du Berretta d’Abdéramane. Il ne parlerait
plus jamais.
Les services
secrets ne s’embarrassent pas de préjugés, ils sont au-dessus des lois ;
les intérêts de leur pays passent avant tout !
Abdéramane et Zohra
enfourchèrent la Kawasaki et disparurent du panorama.
Ils rendirent
compte de leur mission auprès du colonel. Celui-ci, spécialiste du
renseignement, les félicita. Mais l’assassinat d’un secrétaire d’ambassade allait
créer des problèmes diplomatiques à l’Espagne. L’ambassadeur d’Algérie Icham Djerkaoui
ferait la relation avec le rôle que jouait Malbrouk dans cette histoire.
C’était une sale affaire avec des ramifications géopolitiques obligées.
L’ambassadeur du Maroc s’était préoccupé du numéro de téléphone donné par
Malbrouk, tout en étant persuadé que l’individu avait déjà disparu. Le quidam
au téléphone gîtait au 2, Calle Atocha. Il restait deux pistes, Leila et Ajar
Skharji. Leila ne sortait plus du bordel depuis l’assassinat de Malbrouk. Il
serait difficile de la faire parler. Quant à Ajar, il ne répondait plus au
téléphone. La surveillance du 2, Calle Atocha ne donna aucun résultat : l’oiseau
s’était envolé !
À La Roseraie Abdéramane prit un nouveau
rendez-vous avec Leila. Alors qu’elle commençait à se déshabiller, il
l’interrompit :
— Arrêtez-vous là,
Leila, je suis venu pour parler.
— Que dites-vous ?
Parler ?
— Oui et je vais entrer
tout de suite dans le vif du sujet. Je sais que vous travaillez pour le Front
Polisario, ne le niez pas. Le secrétaire d’ambassade m’a tout raconté !
— Puisqu’il vous
l’a dit, finissons-en.
— Comment avez-vous
fait pour obliger les autres pensionnaires de La Roseraie à donner 50 % de leur gain pour le Polisario, via
Ajar Skharji ?
— Vous êtes bien
renseigné, mais encore ?
— Répondez à ma
question : comment avez-vous réussi à organiser cette collecte auprès de
vos amies de La Roseraie ?
Leila avait des
lettres. Elle répondit tranquillement, avec assurance.
— La
manipulation mentale, mon cher
monsieur !
Elle devait sortir
de l’université. Que faisait-elle dans un bordel de luxe ?
Elle
continua :
—
Vous semblez surpris. Souhaitez-vous que je vous donne une définition de la
manipulation mentale ? Eh bien, en psychologie, il s’agit d’une méthode délibérément mise en œuvre dans le
but de contrôler ou d’influencer la pensée, les choix, les actions d’une
personne, via un rapport de pouvoir ou d’influence. Je poursuis ?
Donc, les méthodes utilisées faussent ou orientent la perception de la
réalité de l’interlocuteur en usant notamment un rapport de séduction, de suggestion, de persuasion, de soumission non
volontaire ou consentie.
Terminé,
il n’y avait plus rien à dire. Abdéramane en
était tombé sur le cul. Cette femme parlait comme une encyclopédie ! Il
fallait pourtant continuer.
—
Leila, j’ai besoin de renseignements concernant la filière que vous avez
organisée pour alimenter le Polisario.
Elle
hurla de rire
—
Non, mais vous me voyez vous donnant des détails sur l’organisation de mes
frères et sœurs.
—
Il me faut pourtant ces renseignements. Vous êtes dangereuse pour mon pays.
Nous avons eu un bon dialogue, tous les deux, et je voudrais éviter tous
conflits afin que nos rapports restent harmonieux. Ne m’obligez pas à devenir
méchant en employant la force. De toute façon, nous saurons ce que nous voulons
savoir, tôt ou tard.
Il
ne pensait pas obtenir des renseignements par la force. Leila était d’un autre
calibre. Finalement, il prit congé et régla les honoraires de Leila :
trois mille dirhams.
Il rendit compte de
sa démarche à l’ambassadeur du Maroc. Il n’était pas fier. Il était même honteux
de ne pas avoir réussi sa mission. C’était un soldat, un homme d’action, pas un
négociateur ou un diplomate ! Zhora comprenait très bien la frustration de
son homme de confiance. Elle prit une décision, faire surveiller en permanence La Roseraie et Leila, dès le lendemain
matin.
Onze jours plus
tard, la Dacia rouge sortit de La
Roseraie, mais Leila n’était pas au volant. Aussitôt, la filature se
mit en route. En moto d’une part, et grâce à deux automobiles différentes, d’autre
part. La Dacia fit tout le tour de Madrid en prenant son temps, puis rentra à La Roseraie. Leila les avait encore
possédés ! Pendant qu’ils suivaient la Dacia, Leila avait eu toute
latitude pour régler ses problèmes. Elle était extrêmement intelligente et
agissait suivant un processus réfléchi. C’était loupé, il faudrait attendre la
prochaine occasion. Mais qu’allait-elle inventer pour se soustraire à la
filature ?
Toujours onze jours
plus tard, la Dacia rouge sortit de La
Roseraie avec Leila au volant. Quel stratagème avait-elle mis au
point ? Elle se savait suivie, mais ne se cachait pas. Elle s’arrêta au
grand Café Del Sol, avenue Ventura
Rodriguès. Elle entra, s’assit, commanda un cortado,
avec un nuage de lait. Zohra observa attentivement Leila, rien n’était suspicieux
dans son comportement. Était-ce encore une fable, un brouillage de
pistes ? Leila se leva et alla aux toilettes, Zohra attendit son retour.
Revenue à sa table, elle reprit une tasse du même breuvage, puis s’éclipsa. Il
n’y avait rien à signaler. Curieux,
curieux ! Tout ce chemin pour boire un café.
Zohra se perdait en
conjectures. Cette femme avait un esprit supérieur. Ajar Skharji avait disparu,
mais il devait toujours être en relation avec Leila ou le remplaçant du sieur
Malbrouk. Elle n’était pas allée aux toilettes pour rien. Et si c’était là le
nœud du problème ? Elle n’avait pas voulu se faire remarquer, surtout pas.
Zohra pensa que sa visite au grand café Del
Sol pouvait être un signal pour un compère. Dans ce cas, elle se trouvait
dans le noir absolu, l’obscurité la plus totale. Des dizaines de clients
étaient attablés, lequel, laquelle cibler ? Il fallait pourtant que
l’horizon s’éclaircisse, qu’elle ait du grain à moudre. Le renseignement était
un métier délicat, difficile, subtil, long, à prendre avec des pincettes, tout
contrôler, recontrôler, c’était le crédo des agents des services spéciaux.
Leila était la seule piste de Zohra, elle ne pouvait pas la lâcher. Prendre
Leila de front au bordel n’était pas possible, en plus les renseignements
obtenus sur La Roseraie étaient
intéressants. Leila était co-propriétaire de la maison close. Les maisons
closes étaient déclarées en Espagne et bénéficiaient de nombreuses ristournes
de la part du gouvernement. L’autre co-propriétaire de La Roseraie était Juan Garido. Mafioso repenti, ayant purgé dix
années de prison à Carabanchel pour attaque de banque, il s’était amandé et
associé à Leila. Juan devait être au courant des activités de cette dernière.
Pourquoi ne pas essayer de le faire parler ?
L’ambassade du
Maroc à Madrid dépêcha deux agents pour connaître l’adresse de Juan Garido,
ainsi que ses activités. Juan habitait tout près de La Roseraie, Alcalá de Henares. Il s’était effectivement calmé, ne
s’occupait plus de La Roseraie,
laissant Leila la gérer toute seule. Il passait son temps au Café de España à boire du Cava Lola de
Paco[2].
Zohra et Abdéramane décidèrent de rendre visite à Juan.
Assis au Café Lola de Paco, ils attendaient que
Juan remonte dans son appartement. Deux heures du matin, il se décida à quitter
les lieux, d’un pas hésitant, le vin ayant fait son effet ! Les deux
membres de la Boutique lui emboîtèrent le pas. Il trébucha dans les escaliers. Abdéramane
le soutint.
— Gracias, marmonna l’homme, d’une voix
grasse.
Il ouvrit la porte
de son appartement et ne s’étonna point que Zohra et Abdéramane entrent avec
lui.
— Ola, dit-il, voulez-vous un verre de
vin ?
— Non, c’est gentil
Juan, mais nous avons à parler avec vous.
— Avec moi, mais je
ne vous connais pas, dit-il dans un accès de lucidité.
— Nous, nous vous
connaissons.
— Ah bon, alors je
vous écoute, répondit-il en s’asseyant bruyamment dans le fauteuil.
— Nous voulons
savoir ce que fabrique Leila. Elle fait de la politique ?
— Bof, elle
trafique un peu avec les Arabes.
— Quels Arabes ?
— Des Arabes, je
n’en sais pas plus, cela ne m’intéresse pas.
— Vous devez en
savoir beaucoup plus que cela Juan.
— Donnez-nous des
détails et nous vous laisserons en paix.
— Écoutez, Leila
est une chic fille, je ne veux pas lui causer du tort, dit-il en commençant à
récupérer.
— Nous ne lui
causerons aucun tort, donnez-nous des détails.
— Je ne sais rien.
Juan avait fini par
dessouler et réagir, comprenant la manœuvre. Il s’énerva :
— Sortez de chez
moi, vous n’avez rien à y faire.
— Nous ne sortirons
de chez vous que lorsque vous nous aurez donné les renseignements.
— Làrgate de mi, sortez de chez moi !
— Bon, puisque vous
refusez de coopérer, nous allons vous faire danser.
Abdéramane commença
par lui envoyer deux gifles magistrales, puis il lui écrasa le pied droit. L’individu
se mit à geindre. Il ne fallait pas qu’il réveille les voisins ! Zohra et
son homme de main l’attrapèrent, bloquant toute tentative de fuite ou de
rébellion. La capitaine le bâillonna pour éviter qu’il n’ameute tout le
quartier.
— Si tu veux
parler, l’on t’enlève le bâillon, compris ! Nous voulons savoir avec qui
Leila travaille. Qui est l’intermédiaire avec le Front Polisario ?
Abdéramane lui
enleva ses chaussures. Pied droit et pied gauche subirent un écrasement
progressif. Juan cria, mais le bâillon l’empêcha de réveiller l’étage.
— Bien, lui dit Abdéramane,
c’est au tour de tes mains, maintenant.
Juan se remit à
hurler, au travers de son bâillon.
— Tu ne veux
toujours pas parler ?
Il fit non de la
tête.
Zohra sortit alors un
pistolet pneumatique de son sac et tira deux aiguilles dans la main droite de
Juan. Endurant la douleur, il se trémoussa dans tous les sens, mais il ne
semblait toujours pas prêt à parler. Zohra récidiva dans la main gauche. Les
larmes se mirent à couler de ses yeux, mais il restait toujours muet. Il leur fallait
à tout prix obtenir ces renseignements ; c’était capital pour le Maroc.
Zohra planta cette
fois une aiguille dans le genou droit du collaborateur de Leila. L’homme se
démena tellement qu’il en tomba de son fauteuil. D’un coup de pied, Abdéramane le
redressa. Pas de pitié dans le monde du renseignement !
— Juan, tu vas
souffrir pour rien, nous ne te lâcherons pas, has comprendido !
— Bastardos, marmonna-t-il à travers son
bâillon !
En réponse, Zohra
planta à nouveau une aiguille dans son genou.
L’individu hurla
sous le coup de la douleur. Pour démultiplier le degré du supplice, Abdéramane lui
envoya un violent coup de pied dans le genou. C’en était de trop. L’homme vomit.
Abdéramane lui enleva le bâillon, alors que l’autre éructait :
— Hablaré, je vais parler.
La séance l’avait complètement
dessoulé.
— Enfin, rétorqua
Zohra, il aura fallu que nous te fassions mal pour obtenir ton accord.
— Elle m’a dit
qu’elle était née à Smara, petite ville du nord-est du Sahara occidental,
évacué par les Espagnols et actuellement tenu par le Polisario. Elle défend
d’arrache-pied ce territoire contre les ambitions territoriales du Maroc. Elle
est l’un des pions du Polisario à l’étranger. C’est une fille très
intelligente, docteur en philosophie et en histoire. Un temps, elle a été
professeur à l’université des lettres de Madrid. Être propriétaire avec moi du
bordel La Roseraie et aussi putain
lui permet de rester dans la clandestinité, d’organiser la filière pour aider
le Polisario, de ramasser des fonds et de les faire parvenir sans coup férir.
— Ce qui nous intéresse,
dit Zohra, c’est de connaître la filière complète.
— Je ne sais pas
tout, mais après avoir récolté les fonds, elle se rend dans différents endroits
pour rencontrer Ajar Skharji, et lui donner le signal.
— Cela nous
intéresse. As-tu la nouvelle adresse d’Ajar ?
— Non, je ne l’ai
pas, notre relation ne va pas jusque-là !
— Faut-il que je te
fasse mal, à nouveau ?
— Non, je vous
assure, je ne la connais pas.
— Nous voulons bien
te croire. As-tu une idée de sa planque ?
— Comment est-il,
ce Ajar Skharji ?
— C’est un noir,
grand et mince. Elle le rencontre au Grand Café Del Sol, suivant un code
précis.
— Ah, cela se
précise. Tu ne connais pas son adresse, mais tu connais très bien le lieu de
rendez-vous.
— C’est parce
qu’une fois je l’ai accompagnée, elle craignait d’être démasquée.
— Très bien Juan,
tu as fait un bon boulot.
Zohra lui perça la
tête, d’une aiguille de son pistolet pneumatique. Pas de témoin, place
nette ! Maintenant, il fallait chasser Ajar, le dernier élément avant
Leila, croyait-elle.
Les renseignements
généraux espagnols coopéraient avec le Maroc sur les activités terroristes et
après de minutieuses recherches ils obtinrent l’adresse d’Ajar ainsi que sa
photo. C’était effectivement un grand type, un mètre quatre-vingt, quatre-vingt-cinq,
type africain bien balancé, baraqué.
Il va falloir se le faire, pensa Zohra.
Zohra et Abdéramane
se postèrent nuit et jour devant la crèche d’Ajar, aidés par Amine, venu en
renfort. Tous trois logeaient dans un petit hôtel à côté du logement d’Ajar, l’Hidalgo, ce qui leur permettait de se
reposer après leur tour de veille.
Leur planque porta
ses fruits. La cible se rendait régulièrement au bar, pour prendre un café avec
un petit verre d’Everclear à 70°. Puis, il se promenait dans le quartier,
s’asseyait sur un banc et lisait le journal As,
en feuilletant doucement les pages. Un soir, il s’arrêta au restaurant El Destino – Le destin – pour dîner. Les
trois amis de la Boutique le suivirent pour se restaurer également. Il était
onze heures du soir. En Espagne l’on se couche tard. Ajar une fois assis fut rejoint
par un individu aussi petit qu’Ajar était grand. Ils commandèrent un Cocido madrilèno, plat typiquement
madrilène composé de pois chiches, de légumes, de porc, de lard et de
saucisses. Il fallait avoir faim ! Les locataires de la Boutique se
suffirent de la Tortillas de Patatas.
La discussion allait bon train à la table d’à côté, malheureusement ils étaient
trop loin pour que Zhora entende et comprenne la discussion. Au milieu du
repas, le petit bonhomme se leva et sortit du restaurant. Amine se leva à son
tour, pour suivre l’individu. Il marchait vite. Il tourna subitement à droite.
Amine fit de même et se trouva devant un tueur, pas du genre troubadour, le
pistolet à la main, prêt à faire feu. Amine leva la jambe désarma le type et le
secoua vivement pour qu’il parle. Le lieu n’était pas propice à ce genre de
jeux, le trottoir étant passager. Aussi, il amena le petit drôle dans un
immeuble, l’assomma et lui prit ses papiers. Le gars, un Marocain de Dakhla, se
nommait Rachid Malek. Il ne pouvait pas l’interroger dans cette cour
d’immeuble, il fallait le supprimer ! Le Berretta avec silencieux mit fin
à son supplice.
Amine attendit ses
complices à la porte du restaurant et les mit au courant. Ils rentrèrent tous à
l’hôtel Hidalgo. Amine posa le portefeuille du petit homme sur la table. Zohra en
détailla chaque poche minutieusement. Le nom du quidam l’interpellait :
Rachid Malek, habitant Dakhla. L’ambassade une fois avisée ferait des
recherches. Rejoignant sa chambre, après avoir pris une douche, elle fit sa
prière et s’endormit.
Peu de temps après,
l’ambassade marocaine lui donna des nouvelles du sieur Malek. Il était fiché au
grand banditisme pour attaque de banques et de fourgons postaux. Il s’était
radicalisé auprès de personnalités du Sahara occidental et était suivi par la
police. Quel rôle tenait Rachid dans la filière du Polisario ? Il fallait
absolument s’en prendre à Ajar Skharji. Mais ce serait difficile. Il se méfierait
et se tiendrait sur ses gardes.
Après une petite
conférence avec les deux soldats de la Boutique, Zohra prit la décision de
l’attaquer de front. Assis au restaurant, ils commandèrent un gaspacho. Ajar,
de son côté, avala une paella aux poissons avec du vin rouge de la Mancha. À deux
heures du matin, notre homme alluma un cigarillo, se leva et monta dans son
appartement. Les trois membres de la Boutique attendirent une demi-heure pour
rejoindre l’appartement d’Ajar. Zohra frappa à la porte en se mettant sur le
côté pour ne pas être fusillée. Effectivement, l’individu ne faisait pas dans
la tendresse et il vida son chargeur au travers de sa porte. Ceci étant fait,
de son pied, Amine poussa violemment ce qu’il restait de ladite porte, qui
s’ouvrit sur un Ajar qui venait de réarmer son pistolet. Amine fut blessé. Apparemment,
une éraflure, mais cela le faisait souffrir.
— Écoute bien, basura, ordure, tu vas nous
donner les renseignements que nous voulons. Quel est ton rôle dans
l’organisation de Leila ?
L’homme nia tout en
bloc.
— Je ne sais pas de
quoi vous voulez parler.
— Bien sûr, tu fais
joujou avec ton pistolet et tu ne réponds pas à nos questions. Je répète :
que fabriques-tu avec Leila ?
— Rien, rien de
rien, vous m’emmerdez à la fin avec vos questions.
Amine saignait
beaucoup. Il fallait arrêter l’hémorragie. Zohra fouilla dans l’armoire d’Ajar,
déchira une chemise et fit un garrot sur le bras d’Amine en attendant le retour
à l’hôtel.
— Nous ne prendrons
pas de gants avec toi, Ajar. Tu es mouillé avec Leila, il faut que nous
sachions ce que tu fous avec elle ?
— Vous perdez votre
temps avec moi, je ne sais rien.
Chaque fois,
c’était la même chose, il fallait user de violence pour arracher des renseignements.
— Pour la dernière
fois, vas-tu parler ?
— Pudrete, allez vous faire foutre,
rétorqua-t-il, employant des mots orduriers !
— Ce n’est pas
gentil, Ajar, pas du tout gentil.
Dans le même temps,
Abdéramane lui décocha un direct magistral qui lui fendit la lèvre et lui
laissa une marque sur le menton.
— On continue, tu
ne veux toujours pas répondre ?
Amine prit le
relais, malgré son bras en écharpe, et expédia son poing dans l’œil droit d’Ajar,
qui noircit rapidement. La paupière enfla à vue d’œil. Puis, ce fut le tour de
Zohra qui lui envoya son pied dans le ventre, lui coupant la respiration. L’homme
hoqueta des insultes sans suite.
— Mon pauvre petit
lui dit Zohra, le monde est méchant, hein ?
— Basura, ordures, je vous ai dit que je
ne savais rien !
— Mon Dieu qu’il
est têtu, hein, les copains.
Zohra joua de la
chaussure en lui envoyant son pied dans les genoux, endroits sensibles par
excellence. Il cria. Amine le fit taire avec un coup de poing qui l’endormit.
Il fallait qu’il parle, elle ne voulait pas le supprimer sans rien connaître de
ses activités terroristes. Ils attendirent qu’il se réveille pour l’interroger
à nouveau.
— Dis-nous ce que
tu fous avec Leila, lui redemanda Abdéramane. Quel rôle as-tu dans
l’organisation ?
— Nada, nada !
Il était plutôt du
genre coriace, le Ajar.
— Bien, dit Zohra,
il va falloir employer les grands moyens !
Sur ce, elle sortit
le petit pistolet pneumatique de son sac, approcha le canon de la cuisse de
Ajar et appuya sur le ressort. Une aiguille de trois millimètres de diamètre et
de trois centimètres de long se ficha profondément dans la chair.
Il cria, déjà ramolli
par un coup de poing d’Amine.
— Qu’en penses-tu,
Ajar, ça chatouille, hein ? Je vais cribler toutes les parties de ton
corps, tu seras percé de toutes parts. À toi de choisir : tu parles où tu
souffres !
— Bastardos, podridos
— Et en plus, tu
nous dis des choses pas gentilles, hein, les gars ? Dieu est témoin que tu
n’es pas coopératif.
— Je vous l’ai dit :
je n’ai rien à dire !
— Et cela continue !
Tu préfères souffrir que de nous livrer ta version des faits.
Zohra perça l’autre
cuisse. L’homme hurla de nouveau. Amine appuya à nouveau sa main sur
l’emplacement de l’aiguille. Le gus cria très fort, mais sans succès. C’était
un sacré lascar, résistant à la douleur et la langue clouée pour l’honneur du
Polisario. Il allait falloir l’abattre sans connaître son rôle dans
l’organisation. Zohra, tentant le tout pour le tout, choisit de mettre une
aiguille dans sa joue. Ajar hurla de douleur, des pleurs inondaient ses joues.
— Parle ou je te
remets une aiguille dans l’autre joue.
Non, il ne parlerait
pas, c’était une évidence. Amine l’abattit de son Berretta. C’était un échec,
ils avaient fait chou blanc !
Zohra n’était pas
contente, la piste s’arrêtait là ! Il restait Leila, mais là aussi cela
s’avérait difficile.
Le trio de la
Boutique mit La Roseraie sous
surveillance, de nuit comme de jour. Un mois durant, rien ne bougea. Zohra ne
voulait pas liquider Leila sans avoir eu de résultats. Après les meurtres des
deux loustics, Leila se méfiait et restait cloîtrée à La Roseraie. La liquider aurait été assez facile : un
rendez-vous avec Amine et le tour aurait été joué, mais pour la faire parler
c’était une tout autre histoire.
Un deuxième mois passa.
Elle n’était toujours pas sortie de La
Roseraie. Le trio de la Boutique commençait à s’impatienter.
Un jour, un homme,
chic, bien habillé, la classe, vint
pour rencontrer Leila. Zohra réussit à le prendre en photo. L’ambassade du
Maroc répliqua par un petit communiqué. Cet homme était le premier secrétaire
de l’ambassade d’Algérie, Ahmed Zouti.
« Enfin »,
se dit Zohra ! Une piste s’ouvrait à nouveau. Le contact était rétabli
avec Leila et son réseau. Maintenant, au trio de régler le problème. Il était
évident que l’ambassade d’Algérie jouait un rôle primordial dans le réseau de
Leila, il fallait la jouer serré. La diplomatie obligeait à prendre certaines
précautions si on ne voulait pas que les relations diplomatiques s’enveniment.
Ce n’était pas le moment, des tensions existant entre l’Algérie et le Maroc.
Ahmed Zouti vint
plusieurs fois visiter Leila, mais toujours accompagné de son garde du corps. Depuis
l’histoire de Malbrouk, la prudence était de rigueur.
À première vue,
Ahmed Zouti reprenait le rôle du sieur Malbrouk, mais seule Leila pourrait
confirmer cette vision des choses. Il fut décidé d’attendre le bon moment pour
s’emparer d’Ahmed Zouti et le faire parler. Atteindre cet objectif demandait de
la réflexion, de l’organisation.
Le trio suivait
Ahmed Zouti à la trace. Dès sa sortie de La
Roseraie, l’homme se dirigeait vers
le Parque Del Retiro. Là, une femme
l’attendait. Ils discutaient pendant trente minutes, puis Ahmed se retirait
pour se rendre à l’ambassade. Il fallait se faire tout petit, éviter à tout
prix d’attirer leur attention ou que la presse s’empare du sujet.
Zohra et ses deux
soldats tinrent un conseil de guerre pour mettre au point le plan d’action. Ils
arriveraient au parc très en avance, de façon à s’emparer de la femme qu’avait
vue Zouti ; ils la menotteraient dans la voiture pour éviter qu’elle ne se
débatte et la bâillonneraient. Lorsque la voiture d’Ahmed Zouti arriverait, ils
liquideraient d’abord le garde du corps, avant de s’emparer de Zouti et de filer
rapidement dans un local aménagé par l’ambassade du Maroc, en espérant que le
premier secrétaire ne serait pas armé. Cela paraissait crédible.
Avant de passer à
l’action, ils se rendirent une nouvelle fois sur place afin de vérifier chaque
phase du plan. La femme arriva, comme prévu. Le garde du corps descendit de
l’automobile en premier, la main dans l’intérieur de son veston. Une
information à prendre en compte pour le jour J.
Quatorze heures
trente : Parque Del Retiro. La
femme arriva et commença à attendre Ahmed Zouti. Amine s’était placé à quelques
mètres derrière elle, Abdéramane et Zohra s’avancèrent vers elle, mine de rien.
Elle ne put rien faire : Amine l’entoura fortement de ses bras, elle cria,
il déplaça un bras pour lui clouer le bec en la poussant rapidement dans la
voiture où Zohra la menotta. Une fois la femme immobilisée, elle lui plaça
également un bâillon sur la bouche.
L’automobile de
Zouti arriva dix minutes plus tard. Le trio était assis sur le banc. Le garde
du corps descendit de la voiture, il s’écroula le nez par terre, touché par une
balle du Glock de Zohra. Les trois bougres de la Boutique ouvrirent la portière
et sortirent un peu violemment Ahmed Zouti qu’ils poussèrent dans leur
automobile. Le plan avait fonctionné.
Le premier
secrétaire, blanc comme neige, était au bord de la panique.
***
Dans le local loué
par l’ambassade, Zouti assis sur une chaise n’en menait pas large. La sueur
coulait sur son front, un tremblement visible de ses mains marquait sa
préoccupation. Quant à la dame qui se recroquevillait sur sa chaise, elle
s’appelait Amina Loubna Gouiri.
— Monsieur Ahmed
Zouti, vous voilà avec nous pour quelques instants. Nous avons besoin aussi de
mademoiselle Loubna, pour des renseignements sur sa participation au réseau de
Leila. Nous savons qu’elle travaille pour le Front Polisario, nous verrons cela
après vous, monsieur Zouti.
— Je ne peux pas
vous dire grand-chose, je suis un tout petit élément de son organisation.
— Bien,
dites-nous-en peu plus.
La peur le faisait
parler.
— Leila me donne
les fonds récoltés que je remets ensuite à Loubna. Elle est chargée d’envoyer
ces fonds à un dirigeant du Polisario.
— Bien, nous vous
remercions, monsieur Zouti.
— Loubna, M. Zouti
nous précise qu’il vous remet les fonds récoltés par Leila. Vous ne pouvez plus
nier, mademoiselle, qu’en dites-vous ?
— Zouti vous a tout
dit, je n’ai rien à ajouter.
— Oh que si,
mademoiselle ! À qui remettez-vous la cagnotte ?
— Je l’envoie à un
certain Driss, par Wafacash. Je n’en sais pas plus.
— Nous sommes sûrs
que vous en savez plus que cela.
— Non, je vous
assure que ça s’arrête là !
— Ne nous obligez
pas à être désobligeants et méchants avec vous.
— Je n’ai
connaissance de rien d’autre, je vous le jure.
Zohra sortit son
pistolet pneumatique et l’agita devant le nez de la dame.
— Vous allez vous
en servir, demanda cette dernière, toute tremblante ?
— Oui, puisque vous
ne voulez pas nous renseigner correctement.
— Attendez, attendez,
dit-elle, je vais vous renseigner. Driss s’appelle Skreff. Il habite à Rabat, 4
avenue Hadj Ahmed Cherkaoui. Je lui envoie l’argent par WafaCash, après je ne
sais pas ce qu’il en fait. Je sais que c’est un ponte du Polisario, c’est
tout !
C’était réglé, tout
était au point. Zohra appela le colonel Abdou Mélik, chef de la Boutique pour
lui rendre compte du succès de sa mission.
— Rentrez
rapidement à la base pour que nous finissions le travail, lui dit-il.
Mais l’équipe n’en
avait pas terminé pour autant, à Madrid. Il fallait se débarrasser de beaucoup
de monde.
Restait le cas
Leila qui serait résolu en dernier.
— Que savez-vous de
plus, Loubna ?
Sur ses mots, Zohra
envoya Ahmed Zouti en enfer, son Glock pour l’exemple cracha le feu deux fois. L’homme
s’écroula sans un mot sur le plancher.
Loubna se mit à
pleurer, les mains sur la tête, verte de peur.
— Je ne peux vous
en dire plus, j’ai dit tout ce que je savais.
Zohra l’expédia
rejoindre Abdou en enfer, avec une aiguille qui lui traversa l’os temporal et
se logea dans le cerveau.
« Que
Shaiitane vous reçoive », dit-elle pour oraison funèbre.
***
Dans la foulée, Amine
prit rendez-vous avec Leila, qui s’avéra disponible. Mais elle n’eut pas le
temps de finir de se déshabiller, qu’elle s’écroula sur le lit fauché par un
projectile du Berretta d’Amine. Il attendit le temps nécessaire pour faire
croire à la consommation de la chair et sortit de La Roseraie.
Le colonel était
satisfait de la réussite de cette enquête. Les médias de Madrid n’eurent pas
accès aux informations, la diplomatie exigeait le silence.
Maintenant, il
fallait retrouver Skreff et l’éliminer également. Ils sortirent en saluant le
colonel.
***
L’avenue Hadj Ahmed
Cherkaoui se trouvait dans le quartier chic d’Agdal. Les trois membres de la
Boutique pistèrent Skreff chaque jour pour connaître ses habitudes. Driss
Skreff était un homme discret, un « monsieur-tout-le-monde » en quelque
sorte. Sa seule sortie se faisait le soir, au restaurant du Temple, pour dîner.
Les trois
compagnons entrèrent également dans le restaurant. Un endroit sympathique ;
peu de tables mais une bonne gastronomie. Ils demandèrent une soupe marocaine
et du poulet rôti avec des frites. Driss était trop loin d’eux pour qu’ils
puissent voir son menu.
Ils attendirent sa
sortie du restaurant pour intervenir. L’homme marchait vite. Il monta les
escaliers presque en courant jusqu’au premier étage et entra rapidement chez
lui, la porte au centre du palier. Comme d’habitude, Zohra frappa à la porte en
se tenant sur le côté pour éviter une salve, au cas où l’olibrius serait armé.
Driss vint ouvrir, l’air étonné. Zohra lui envoya une aiguille dans le cœur et
l’homme s’abattit sur le plancher. Elle fouilla dans ses poches, mais ne trouva
rien d’essentiel. Toute la maison fut retournée, tiroirs et placards. Driss
était un malin, il n’y avait rien dans la maison qui puisse aider à retrouver
celui ou celle qui recevait les fonds au Sahara occidental, côté Polisario. L’équipe
était parvenue à démanteler toute la filière, c’était sa seule victoire.
Au retour à la
Boutique, ils retrouvèrent le colonel Mélik qui avait l’air déçu.
— J’ai une
communication importante à vous faire, leur annonça-t-il. Le Front Polisario
amasse des troupes à la frontière. On parle de dix mille soldats et de quatre
blindés russes, ancienne génération. Le gouvernement envisage d’entrer dans la
zone du Polisario et de réduire au silence ces dissidents. Nous enverrons vingt
blindés américains de nouvelle génération et deux cents commandos de Marines.
En ce qui concerne les chars, c’est un nouveau blindé tactique Abraham M1.
Le canon Rheinmetall de 120 millimètres est de fabrication allemande. Le
canon ne sera pas seul, une mitrailleuse de 7,62 millimètres et une de
12,7 millimètres seront également commandées de l’intérieur du blindé. Le
char possédera un système de protection NBC avec télémètre au laser, gyro-stabilisation
du canon, système de tir et viseur thermique rotatif. Un ordinateur dernier cri
et une vitesse de 72 km/h sur 475 km/h, bien au-dessus des anciens
blindés russes ! Nous attendons l’ordre du gouvernement. Capitaine, vous
aurez la responsabilité de cent commandos de Marines qui resteront derrière les
blindés. Fahimt alqubtan, vous avez
compris, capitaine ?
— Oui, mon colonel
Vendredi 28 janvier,
l’ordre fut donné. Il fallait obéir pour sa patrie. Les chars s’avancèrent dans
les sables avec l’ordre de détruire, avant tout, les deux silos de missiles. L’emplacement
des missiles était connu grâce aux satellites Pléiade. Les blindés prirent
position avec le relais de l’ordinateur de bord et les missiles furent détruits
au tout début de l’invasion des troupes royales. Les quatre blindés russes
prirent également position et furent détruits par les canons Rheinmetall de 120 millimètres,
dès leur engagement. Les dix mille hommes du Polisario prirent la fuite et
entrèrent en Algérie se joindre aux troupes algériennes, après avoir subi de
lourdes pertes. Le territoire du Polisario était conquis, mais les troupes
royales reçurent l’ordre de rentrer au Maroc. Les militaires avaient défendu
leur pays et revenaient à la maison après leur victoire. Malgré leur déception,
il fallait obéir. La diplomatie prenait le relais. L’Algérie n’avait pas bougé,
elle n’était plus sûre de liquider le Maroc. Les blindés restèrent à la
frontière avec les deux cents commandos de Marines, pour répondre à une éventuelle
attaque.
***
Sept mois après le
retrait des troupes royales du Sahara occidental, le colonel interpella
Zohra :
— Capitaine nous
avons à nouveau des problèmes avec un groupuscule terroriste qui se fait
appeler Groupement de Libération du Sahel.
Les renseignements que j’ai obtenus montrent qu’ils sont peu nombreux, mais
lourdement armés. Ils projettent des attentats contre des bâtiments civils et
militaires, je vous donnerai tous les renseignements pour anéantir ces
assassins. Prenez Amine et Abdéramane avec vous.
Dakhla, les trois
membres de la Boutique sirotaient un jus de fruits en observant discrètement, à
l’autre bout de la terrasse, Sofiane Berrada, soupçonné d’être le chef du
groupuscule. Zohra avait eu sa photo par le colonel. Il ne se cachait pas, sûr
de son anonymat. Beau garçon, il avait du succès auprès des étrangères en
vacances. Suffisant, il les abordait sans complexe. Il était voyant, mais où
étaient donc ses complices ? Il se rendait tous les jours dans une maison
du centre-ville, entourée de murs de deux mètres de haut, sans doute leur
repaire !
Abdéramane se porta
volontaire pour escalader le mur, de nuit, et voir ce qui se passait à
l’intérieur. Zohra et Amine restèrent à l’extérieur. Deux jours plus tard,
attablés au café Bel Sahel, ils dînèrent d’un casse-croûte aux saucisses, avec
du soda, en attendant qu’il n’y ait plus personne dans les environs. Deux
heures du matin, nombre de touristes se baladaient toujours. Les membres de la
Boutique se reposèrent dans leur voiture, en attendant le calme plat.
Quatre heures,
c’était le bon moment !
Abdéramane grimpa sur
le mur. À peine fut-il arrivé en haut, que deux chiens se mirent à aboyer, dans
le jardin, en essayant de l’atteindre pour le mordre. Quatre hommes sortirent
de la maison, armés de pistolets-mitrailleurs HK MP5 de marque allemande, reconnaissables
à leur profil. Ils commencèrent à asperger le mur de mitrailles. Heureusement,
quand ils passèrent à l’action, Abdéramane avait déjà sauté de l’autre côté.
— Bien, dit Zohra,
nous ne nous étions pas trompés. Les assassins sont bien là ! Je me
demande comment ils vont réagir, avec Sofiane Berrada ? Si nous attaquons
les loulous de Sofiane en premier, il va se tirer et nous ne le reverrons plus.
Il nous faut d’abord nous débarrasser de Sofiane et j’ai mon idée.
***
Zohra était une
très jolie jeune femme.
Dans une guérite,
sur la plage, elle se déshabilla, puis apparut, splendide, sac de plage à
l’épaule, vêtue d’un maillot de bain la couvrant jusqu’à la poitrine.
Elle s’avança vers
Sofiane sans avoir l’air d’y toucher.
— Où allez-vous comme
ça, mademoiselle ? dit Sofiane pompeux. Je peux faire un bout de chemin
avec vous ?
— Pourquoi pas ?
répondit Zohra. Je suis toute seule et je recherche un peu de compagnie.
— Je suis là, reprit
Sofiane, emballé par cette délicieuse poupée. Je vous accompagne.
— Allongeons-nous
sur le sable et parlons un peu, si cela ne vous dérange pas.
— Pas du tout, au
contraire. Sur le sable chaud, c’est l’idéal.
Sofiane était tout
sauf un beau diseur. Il se fit rapidement entreprenant, Zohra le laissa faire.
Elle fit semblant de l’embrasser, tout en plongeant la main dans son sac et
logea une aiguille dans la tête du crétin.
Allongé sur le dos,
il semblait dormir. Cela avait été plus facile que prévu ! Zohra retourna
dans la guérite se rhabiller. Elle ne voulait pas apparaître comme cela devant
ses soldats. Sofiane mort, ses loustics voudraient disparaître au plus vite. Ce
serait au trio de la Boutique à veiller à la casse et d’être là pour régler les
comptes.
Le soir, Zohra,
Abdéramane et Amine prirent position devant et derrière la maison, mais c’était
déjà trop tard, les hommes avaient disparu.
C’était un coup dur.
Où retrouver ces lascars ? Ils ne pouvaient pas être bien loin, mais à
quel endroit ? Abdéramane en remettant le courrier avait vu l’un des
hommes ; ce pouvait être le pion déterminant.
Une partie d’échecs
commença.
Ils obtinrent assez
vite un renseignement de première importance. Des touristes avaient aperçu un
4x4 et une grande tente avec des hommes qui n’étaient pas des nomades, à une
vingtaine de kilomètres de Dakhla, dans les sables.
— C’est sûrement
notre bande de malfrats, annonça Zohra.
Elle prépara une
expédition punitive.
L’équipe de la
Boutique avait l’habitude, avec l’aide des Touaregs, de se déplacer à dos de dromadaires.
Aucun bruit de moteur, l’avancée se faisait en silence. Il leur fallut deux
jours pour convaincre le chamelier de les conduire au campement des assassins.
Ils avançaient doucement,
sous la conduite du Bédouin. Lorsqu’ils aperçurent la grande tente plantée dans
les sables, ils stoppèrent leur avancement pour attendre la nuit. Le chamelier
resterait à l’écart, avec les dromadaires. Zohra observa attentivement le
groupement. Les individus étaient armés. C’était donc bien eux. Elle changea de
stratégie : elle attendrait leur départ pour les attaquer. Le 4x4 Dacia
était rangé à côté du campement. Ils se faisaient discrets : pas de feu ;
ils se nourrissaient de conserves. Deux jours plus tard, il y eut de
l’agitation dans le campement. Les hommes démontèrent la grande tente et
rangèrent leurs affaires dans le Dacia. Zohra décida de lancer l’opération.
Amine avec son fusil à longue portée abattit l’un des terroristes, provoquant la
panique dans le groupe qui démarra péniblement dans les sables.
Zohra avait ce
qu’elle voulait : semer la peur dans le groupe de terroristes. Désormais, ils
n’étaient plus que huit. La nuit était étoilée, des bruits étranges venant des
sables inquiétaient les loustics. Les cris des chiens du désert déchiraient la
nuit. Le chamelier s’étant pris au jeu, grâce à la promesse d’une forte prime, ses
dromadaires suivirent le 4x4 de loin, mais sans les perdre de vue. Le
dromadaire va toujours d’un pas tranquille, mais quand il est lancé il peut
atteindre la vitesse de soixante-dix kilomètres à l’heure. Ses pieds n’ont pas
de sabots, ils ont une élasticité remarquable. Certains les comparent à un
véhicule à quatre roues motrices.
Lors de l’arrêt du
4x4, Zohra voulut mettre la pression sur les loustics à Sofiane. Amine sortit
son fusil, ajusta un terroriste et pressa sur la détente. L’individu chuta
lourdement à terre, mortellement blessé.
— Sept, déclara Abdéramane,
bientôt deux contre un !
Les lascars
restants remontèrent dans le véhicule et essayèrent de prendre le large, la
trouille au ventre. Ils ne savaient pas d’où venaient les coups. Toutes les
suppositions étaient envisagées. Ils roulèrent une partie de la nuit avant
d’arriver à un village, Wahat alraayat[3],
« Oasis du Bruant ». Ils se garèrent près d’un palmier dattier et
descendirent en courant du véhicule pour se mettre à l’abri.
Bien après le 4x4,
environ une heure plus tard, le trio de la Boutique arriva avec le chamelier.
La tête enrobée d’un foulard bleu cher aux nomades, leurs visages étaient
indécelables pour les sept nervis nerveux, anxieux de cette arrivée.
Une oasis est la
plaque tournante des voyageurs du désert. Ils furent invités à se joindre au
repas des Bédouins, une chèvre grillée ointe d’huile d’olive et de poudres
odorifères, avec du thé bouillant. Le repas terminé, ils entrèrent dans la
guitoune dépliée. Quelque temps plus tard, ils s’endormirent après avoir fait
leur prière.
Ce serait une
longue traque. Pas d’attaque dans l’oasis, cela pourrait blesser des nomades.
Les fuyards rangèrent
leurs affaires et leur guitoune dans le Dacia et reprirent leur route, suivis
de loin par le groupe de Zohra. Ils bifurquèrent au sud vers la Mauritanie, le
Mali, où ils espéraient être tranquilles et aidés par Boko Haram. À l’approche
de la Mauritanie, ils s’arrêtèrent à Bir Gandouz, petite ville de trois mille
habitants dans la région de Dakhla, juste avant la zone tenue par le Polisario.
Ils se croyaient à l’abri. Ils déplièrent leur guitoune à l’extérieur de la
ville avec les Bédouins.
Le groupe de la
Boutique s’installa à l’hôtel Barabas, relativement moderne avec Wi-fi, quatre
langues parlées, l’anglais, l’espagnol, le français, l’arabe. L’équipe agirait pendant
la nuit. Trois heures du matin, chacun sortit de sa chambre en catimini, le
fusil sous la djellaba. Les chambres donnaient directement sur le jardin.
Hors des lieux de
l’hôtel, ils se dirigèrent vers la grande tente des terroristes, fichée dans
les sables à l’entrée de la ville. Le trio de la Boutique fit aussitôt feu,
terrorisant les membres du groupe. Les projectiles trouaient la guitoune de
part en part. Les hommes sortirent en envoyant également de la mitraille de
leur fusil mitrailleur allemand HK MP5.
— Ne vous faites
pas blesser, lança Zohra à ses soldats.
Ça pétait de chaque
côté. Les Bédouins s’étaient enfuis, laissant le champ libre aux belligérants.
Le trio se mit à l’abri derrière une petite dune tirant à coups sûrs pour ne
pas gaspiller les munitions. Deux des hommes du camp adverse avaient été tués. Il
restait donc cinq pourris du Groupement de Libération du Sahel ! Zohra
chercha dans sa poche des petites billes explosives. Elle les manipula avec
précaution. Il y avait deux cents mètres entre eux, trop loin pour les lancer.
Amine prit deux billes explosives et s’avança dans les sables, furtivement,
rampant comme un lézard des sables, invisible. Avec l’arrêt des coups de feu,
les bruits des sables étaient revenus. Les étoiles brillaient, c’était
fantastique. Pourquoi mourir par une nuit pareille ? Amine avait estimé
pouvoir lancer une bille explosive jusqu’au repaire des loustics de Sofiane. Il
observa minutieusement son environnement. Il avait l’impression d’être très près
d’eux. Il se redressa et lança la bille explosive sur les voyous. Un bruit
terrible s’entendit jusqu’à Dakhla, avec des flammes de cinq mètres de hauteur
visibles jusqu’en Mauritanie.
Plus rien ne
bougeait. Par sécurité, il jeta une deuxième bille explosive. Ce fut le désert
parmi le désert ; affaire conclue !
Ils revinrent
tranquillement à l’hôtel où les attendaient les gendarmes armés. Zohra sortit
un document de sa poche, les gendarmes la saluèrent et disparurent. Affaire
terminée. Le personnel de l’hôtel les regardait avec peur et curiosité.
De retour dans sa
chambre, Zohra prit une douche, se sécha vigoureusement, déplia son petit tapis
et fit sa prière, duea' allayl
lilmuslimin, la prière de la nuit. Elle n’oublia pas d’aviser le colonel de
la réussite de l’opération et s’endormit.
Le chamelier était
heureux ; il toucherait au retour, une forte somme d’argent.
Deux jours après,
ils étaient à Dakhla. Après avoir passé un coup de fil, Zohra reçut de quoi
réjouir le chamelier : cinq cent mille dirhams qu’elle alla chercher à la
banque de Dakhla. Le chamelier, récompensé, était déjà prêt à recommencer. Mais
l’avion de la Royale Air Maroc s’envola, traversa tout le pays et atterrit à
Rabat-Salé. Une automobile de la Boutique attendait le trio.
À leur arrivée à la
Boutique, ils saluèrent le colonel Abdou Mélik, qui les regarda longuement et
les remercia de leur travail. Les agents spéciaux sont aussi des mercenaires
qui recherchent et balayent les ordures, sans états d’âme. Le trio était
content d’être revenu à la maison. Il aurait certainement l’occasion de revenir
sur la restitution de territoires volés et appartenant au Maroc.
[1] Ancien nom donné aux maisons de prostitution.
[2]
Marque d’un vin mousseux espagnol.
[3]
L’historien Bernard Lugan juge que le
rattachement des régions du Touat, du Gourara, du Tidikelt et d’Igli, au Sahara algérien, s’est fait au détriment du Maroc, puisque cette partie de la vallée de la Saoura
dépendait du Maroc. Lugan rapporte aussi que, au moment de leur conquête,
« Londres accordait même toute liberté à Paris d’occuper les régions
marocaines du Touat, du Gourara, du Tidikelt et d’Igli, dans la vallée de la
Saoura. Dont
acte !
Traduction : Google
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