LES SENTIERS DU DESIR par Ali GADARI
C
Avertissement
J'informe mes lecteurs qus ces nouvelles érotiques peuvent choquer un certain nombre de lecteurs.
Chapitre 1
MICHELLE
Je me demandais ce que je faisais là ce matin de juin 1958, dans cet immeuble aux bureaux austères d'une grande compagnie française des services publics. La rue Tronçon du Coudray, elle-même si petite, si triste à l'entrée spécialement réservée au personnel, alors que cent mètres plus loin, la rue d'Anjou offrait ses façades bourgeoises décorées par de nombreuses de style Haussmann, avec une entrée sous porche pour accueillir les notables de la haute direction. Il m'avait fallu plus d'une heure de transport en autobus et en métro pour arriver jusqu'à mon nouvel employeur.
Je regardais mes futurs collègues s'asseoir sur leurs chaises devant de grands bureaux en bois vernis encombrés de gros livres aux couvertures cartonnées. Sur ces grands bureaux se trouvaient des encriers aux teintes de couleurs noires, bleues et rouges. Les trois encriers étaient gros comme des tasses à café ! Le chef de section, c'est ainsi qu'on appelait le chef hiérarchique du bureau où j'allais travailler, m'indiqua d'un bras volontaire la chaise qui m'était destinée. Le bureau où je me trouvais s'appelait poétiquement « AB », et la dame vieillissante installée à côté de moi était chargée de m'informer de la marche du travail qu’il m'était donné d'accomplir. Cette dame était grassouillette et portait une blouse bleue délavée. Une grosse paire de lunettes en écailles ornait sa face rubiconde et je pus remarquer à son poignet gauche un gros bracelet en or gravé de lettres arabes. Elle ouvrit le premier livre placé devant moi ; il devait peser pas moins de cinq kilogrammes. Elle m'expliqua que ce livre était en fait un registre de relevés de compteurs et sous mes yeux inquisiteurs elle alla plus loin. C'est avec ce livre que les releveurs de compteurs se rendaient chez les clients afin d'y inscrire consciencieusement les chiffres qu'ils relevaient sous les aiguilles du compteur. Mon travail se résumait à renouveler les carnets de relevés des usagers. J'ai fait cela pendant plus d'un trimestre, j'en avais la nausée Je n'étais pas habitué, ni même éduqué à travailler dans un bureau, et encore moins à finir gratte - papier ! Ma jeune vie avait été faite de travaux pénibles qui m'avaient rempli de fierté. J'avais travaillé aux mines de Carmaux, puis j’avais été soudeur à l'arc pour raccorder les tronçons de tuyaux du gaz de Lacq (1) à Salbris, poseur de charpentes métalliques en région parisienne… tout cela pour finir scribouillard dans une grosse compagnie.
Je
m'intéressais peu aux autres collègues, charmant au demeurant, mais n'ayant
aucune connaissance du travail extérieur ou de la vie des ouvriers. Ils
m'agaçaient. Nous n'avions pas du tout le même vécu, les mêmes valeurs. Nous
n'étions pas du même monde ! Je n'avais que des discussions sans conséquence
avec les cancans habituels des bureaucrates.
Je
ne sais pourquoi, un vendredi après midi à quinze heures, c'étaient les dix
minutes de repos que nous appelions « hygiène », et qui permettait de
fumer, boire de l'eau, du thé ou du café... je me mis à parler de la danse que
je pratiquais plusieurs fois par semaine dans des salles spécialisées à ce
domaine artistique comme : « le Massif central ou le Balajo
» ou d'autres de cette époque. Cette activité nocturne m'obligeait, lorsque je
loupais le dernier autobus de minuit et demi, à faire sept kilomètres à pieds
pour rentrer au bercail à Neuilly-Plaisance par le bois de Vincennes. Mon père
n'oubliait jamais de me réveiller à six heures du matin : le travail s'est
sacré ! me disait-il.
Aujourd'hui
encore, je ne sais toujours pas pourquoi j'avais parlé de cela. Il y avait une
grande fille aux cheveux longs auburn qui m'écoutait, et je constatais que je
ne m'étais jamais intéressé à elle. En fait je ne la voyais pas. Oh, je ne
voyais personne ! C'est à ce moment-là que devant l'intérêt quelle portait
à mes propos, que je l'ai regardée pour la première fois. C'est curieux, d'un
seul coup je découvris sa grâce, ses longues jambes bien galbées, un corps
mince avec une poitrine haute ressortant sous son corsage blanc. Je remarquai
avec étonnement ses yeux verts clairs, immenses, prometteurs, alors subitement
je l’invitai au Balajo le soir même !
Après
le travail, nous sommes allés nous promener sur la place de la Bastille pour
être tout près du Balajo, puis nous nous sommes fendus d'un steak- frites au
petit bougnat du coin. La petite salle du Balajo était déjà pleine. J’entamai
aussitôt un tango avec Michelle… elle s'appelait Michelle… Curieusement, elle
se serra fortement contre moi comme si elle craignait que je me sauve.
Il
a bien fallu nous séparer malgré sa demande sans détour de la raccompagner,
mais je n'avais ni changes ni rasoir. Elle m'apposa un tout petit baiser sur la
bouche et s'engouffra dans la station du métro presque en courant !
Le
lendemain matin, chacun des collègues était à son poste. Pour tenir jusqu'à
midi, les habituels coupe-faim tels que les petits gâteaux étaient rapidement
avalés ! Je suis sorti un moment aux toilettes où j’eus la surprise de
voir rapidement arriver Michelle qui m'entraîna dans le coin des femmes. Ses
doigts descendirent sur mon pantalon pour aider sa bouche à me rendre heureux.
Il me fallut plusieurs minutes dans le couloir pour retrouver mon état normal.
Revenant
à mon bureau, rien n'avait changé. Les collègues poursuivaient leur même
travail, le nez plongé sur leur bureau.
Le
vieux métro et son wagon sale nous transportèrent jusqu'à Alésia, une station
quelconque, anonyme comme presque toutes les autres de la ligne. Durant tout le
trajet Michelle me parla de tout et de rien comme si nous étions tout neufs.
Elle me prit le bras pour me guider vers un immeuble de trois étages. Sa
chambre était sous les combles, elle devait faire maximum six mètres carrés. Sa fenêtre donnant
sur la rue d'Alésia ressemblait à une grande meurtrière. La chambre était
parfaitement rangée. Elle avait de l'ordre et au-dessus du lit une punaise
fixait une image représentant le mont Blanc. Juste devant le lit une armoire
avec un petit miroir sur la porte et au-dessus une valise bleue. À côté, une
petite table supportant un réchaud à gaz lui servait de cuisinière. Une seule
lampe, cachée timidement à l'intérieur d'un abat-jour en carton, éclairait la
chambre de bonne.
Debout
devant le miroir, elle se déshabilla en prenant garde de bien ranger ses vêtements
sur la chaise en paille. Je la regardai et l'envie de la prendre dans mes bras
était grande. Mes phantasmes accompagnaient ses gestes à chaque manœuvre de
délestage. Un petit geste sur son dos suffit à faire glisser son soutien-gorge
orné de petites dentelles blanches sur le haut du bonnet tandis qu'elle
s'amusait à regarder mon érection sous le pantalon. Ses seins étaient jolis,
bien formés et haut perchés sous sa gorge blanche. Je voulus l'embrasser, elle
me repoussa d'un geste tendre, mais autoritaire. Ce fut au tour de la robe de
tomber sur le plancher, laissant apparaître une culotte blanche, elle aussi
ornée de dentelles. Tout l'arrière, tant la minceur du tissu était visible,
était entré à l'intérieur du pli de ses fesses somptueusement galbées. Le temps
me parut interminable !
C'est
encore elle qui prit l'initiative, se dévoilant sans pudeur, se montrant femme.
Elle m'embrassa goulûment durant de longues secondes et elle put tout à loisir
constater le degré d'excitation auquel j'étais arrivé en jouant de sa main
quelque temps avec mon sexe pour l'amener au raidissement ultime. Elle
descendit elle-même mon pantalon et mon caleçon jusque sur mes chevilles.
Presque brutalement, elle s'empala. Je manquai de glisser du tout petit lit
tant elle y avait mis de l'ardeur. Puis soudain, un râle significatif annonça
sa jouissance.
Tendrement
je regardais ses yeux immenses. Elle me souriait assise sur le lit, un pli
barrant son ventre plat juste au-dessus de sa fourrure auburn bien fournie. Il
ne fallut que quelques minutes pour que notre envie réapparaisse. Elle me
laissa glisser ma main entre ses cuisses qu'elle ouvrit, de là, je pus enfin
apercevoir la fontaine aux oiseaux. Ma bouche d'abord aborda les contours,
humant les odeurs, constatant l'humidité. Ma langue poursuivit l'enquête en
s'engageant plus profondément au creux du sanctuaire. Michelle monta les reins,
les pieds bloqués dans les draps, m'obligeant à suivre le mouvement… Ce furent
des minutes d'enchantement. Ses cris, ses paroles insensées trouvées sous les
caresses, se terminèrent dans un cri ultime. Elle avait repris ses esprits, sa
bouche me couvrit de baisers.
Elle
n'avait pas fait de courses particulières. Les œufs sur le plat furent vite
avalés. La journée et la nuit se terminèrent par un lot de caresses et de cris
de joie. C'est sa main qui opérant avec compétence me réveilla le dimanche
matin. Mon corps tout entier fut réveillé. Elle se glissa sur le dos, les
jambes écartées. Les choses étaient claires. Je m'apprêtai à enfourner « gâteau
au four », mais elle monta les reins pour que je puisse atteindre l'endroit
qu'elle convoitait. Et ainsi de suite, tout le dimanche se passa à répéter les
chapitres du livre de l’amour.
J'avais
trouvé en Michelle une compagne à ma mesure avec laquelle on ne se demande pas
quand nous pourrions faire l'amour, où
allions-nous le faire !
Néanmoins,
Michelle n'était pas que cela. Elle était une femme amoureuse, certes,
imaginative au demeurant, mais c'était surtout une femme intelligente,
instruite et la femme qui a transformé ma vie durant plus de trente ans.
J'étais
un passionné de jazz et personne à l'époque n'aurait pu me coller sur Duke
Ellington, Louis Armstrong, Sydney Bechet, Dizzy Gillespie et tant d'autres.
J'assistais à tous les concerts de la salle Pleyel sans exception. Michelle
pour sa part préférait l'opéra, les grands classiques. Si je n'ai pu
l'intéresser à fond au jazz, elle me traîna au début de notre union à l'opéra.
Ce fut un choc ! La salle luxueuse d'abord, les mélomanes bien habillés et
cette scène décorée d’une fabuleuse manière. La première fois, elle m'emmena
voir « Carmen ». Pour la première fois de ma vie, j'entendis des voix, des
vraies, des dialogues musicaux… et je pus découvrir les costumes, les artifices
de théâtre que je ne connaissais pas. Elle m'avait eu ! J'étais réceptif
et conquis à la fois. Je ressortis de là tout autre, comme si j'avais mûri,
comme si j'étais devenu un autre ! Nous sommes souvent retournés à l'opéra
écouter d'autres grandes voix et découvrir les ballets tels que « Gisèle »
que nous avons dû voir trois ou quatre fois !
Cela
faisait plus de deux mois que je vivais avec Michelle. Il était donc temps de
la présenter à mes parents. Ils s'en sont trouvés ravis tant ils avaient peur
que je tourne mal alors forcément ils avaient hâte de connaître la femme avec
qui je vivais.
C'était
un samedi de juin, je crois. Maman avait fait un lapin aux champignons avec une
purée de pommes de terre. Michelle les avait conquis. Leurs sourires, leur
facilité de discussion nous faisaient comprendre que la partie était gagnée.
Michelle était restée elle-même, simple, attentive aux questions posées par mes
parents, répondant sans problème sur ses parents vivant à Nantes… bref, elle
était restée Michelle ! Quand l'heure fut venue de nous séparer avec la
promesse de nous revoir la semaine prochaine, papa et maman l'ont embrassée
presque goulûment sur les deux joues avec des baisers sonores. C'est au moment
où Michelle passa le porche de la porte d'entrée qu'elle eut un malaise. Mon
père l'a rattrapa aussitôt et l'allongea sur le canapé du salon. Il la regarda
quelques secondes sans rien dire, tout comme moi, et d'un ton solennel il
déclara : vous êtes enceinte. J’eus envie de réagir, mais Michelle
répondit tout simplement : oui.
Je
n'étais pas au courant et me trouvai blessé, laissé pour compte. C'est alors
que je connus mon vrai père, mes vrais parents :
— Vous
resterez dormir ici, pas question de rentrer à Paris. Ces mots, je les entends
encore, tant ils ont été dits avec une sorte de joie, de satisfaction, de
jubilation.
Michelle
m'informa plus tard qu'elle ne voulait m'en parler qu'après les analyses du
docteur. Il n'empêche que cela n'avait en rien retiré ma première sensation. Au
fond de mon être, j'avais été blessé ! Mais le bonheur était plus fort,
alors finalement l’apaisement avait pris le dessus. Le fait de devenir père
m'était tombé dessus comme « roche dans le ruisseau ». Je n'étais pas
préparé à un tel événement. À cette époque il n'était pas possible de laisser
une fille accoucher sans être marié...ou alors ? Cette situation a été un
moment difficile. Comment prévenir les parents de Michelle qu'elle attendait un
bébé ? Ses parents étaient des petits bourgeois de Nantes, originaires de
Touraine. Nous avons donc commencé par le commencement en nous rendant à Nantes
de façon qu'ils fassent ma connaissance. Cela s'était plutôt bien passé et le
fait que nous ayons fixé le mariage un mois plus tard arrangeait bien la
situation. Bien entendu, il était hors de question d'exprimer la moindre
volonté concernant notre mariage, c'étaient les parents des deux côtés qui menaient
la danse.
La
cérémonie s'était déroulée à la mairie de Neuilly-Plaisance, seulement en
présence de quelques membres de la famille. Pas question d'aller à l'église,
nous avions péché ! C'était Maman et ma belle- mère qui firent la cuisine.
Michelle
eut une grossesse sans trop de problèmes et l'accouchement avait eu lieu dans
une clinique de Nogent-sur-Marne, là aussi sans problème particulier. Nous
étions devenus les heureux parents d'une belle-petite-fille que nous avons
baptisée Madeleine, le prénom de ma mère… Finalement et aussi surprenant
soit-il.
LA SAULDRE
C'était
jour de marché. Les cris, les palabres et les invitations des marchands à côté
de leurs étals donnaient un air de fête à ce petit Bourg. Les clients
déambulaient dans les allées. Vu de loin, cela paraissait ubuesque et rien ne
semblait rationnel. Des arrêts, des départs, des retours, des gestes
incompréhensibles. Il y avait des aides avec des brouettes pleines de légumes
et de fruits qui bousculaient toute cette foule afin de s'approcher au plus
vite de l'étal visé pour le réapprovisionner. Juste en face se trouvait le
« Solognot », café tabac plein d'hommes accoudés au comptoir qui
s'envoyaient leurs verres de vin rouge avec ce coup de coude caractéristique
des buveurs. Accords et désaccords sur les nouvelles du jour, commentaires
bruyants sur la défaite ou la victoire de l'équipe de foot communale, poussées
amicales des compères pour certifier un jugement, et Gisèle, la patronne de
l'établissement offrant chaque jour de marché la bouteille de rouge à ses
clients les plus assidus.
C'était
encore une belle femme du haut de ses soixante ans ou presque. Toujours
coquette, elle changeait chaque jour son tablier blanc. Depuis deux ans elle
vivait seule, ayant perdu son mari foudroyé par une attaque au cœur.
Je
travaillais depuis des mois pour une grosse société de travaux publics,
laquelle réussissait à s'imposer auprès du Gaz de France. Mon travail
consistait à souder des kilomètres de tuyaux à travers la Sologne, pour le
transport du Gaz de Lacq 1 !
Salbris
était devenu de fait, le lieu de résidence de tous les « lacqueurs 2
». Pour ma part je louais un vieil appentis que j'avais transformé en
appartement acceptable. Mireille la fille de mes logeurs venait de temps en
temps en cachette embellir mes nuits.
Mes
jours de repos se passaient au bord de la Sauldre 4,
canne à la main, recherchant la truite ou le gardon. C'était une belle rivière,
calme et propre, il n'y avait aucun taillis qui encombrait les berges de la
Sauldre. À cette époque, un grand nombre d'oiseaux faisaient des environs de la
rivière leur habitat de prédilection. Je ne mangeais pas ma pêche, mon logis
était trop petit, mal adapté pour l'évacuation des odeurs et donc, mes logeurs
en profitaient.
En
fin de semaine, j'allais danser avec des jeunes du village à Vierzon, la grande
ville d'à côté. Henry notre chauffeur avait une Panhard 3
dont il était fier, à sa place je l'aurais été également, car son automobile
était vraiment sublime. Perdue à la périphérie de Vierzon, la grange à Loulou
servait tous les samedis soirs de dancing avec un succès croissant. Toute la
jeunesse du coin s'y réunissait. Loulou jouait du saxophone. J’ai oublié le nom
des autres lascars de l'orchestre, mais il y avait un autre saxophoniste, un
batteur et Julie, la chanteuse du groupe. C'était l'époque où les filles
s'émancipaient, et pour preuve, elles n'oubliaient jamais de se munir de
préservatifs, au cas où. Étudiantes pour beaucoup à Orléans ou à Bourges
c'était plus facile et plus discret pour elles de les acheter dans les
pharmacies de la ville avant de revenir aux villages de leurs résidences
habituelles.
Le
groupe de Loulou essayait de reconstituer des ambiances cubaines avec le
cha-cha-cha, le mambo et d’autres musiques rythmiques du moment en plus des
bons vieux tangos, des boléros et des valses musettes. Ce n'était pas Xavier
Cugat, mais nous étions contents de passer de si bons moments. Il y avait
Denise qui travaillait dans une boulangerie de Vierzon et depuis quelques
semaines nous avions pris l'habitude de nous échapper ensemble durant quelques
heures. Elle ne voulait pas franchir le rubicond, préférant se contenter des
caresses que nous nous prodiguions !
Pour
la Saint- Jean, le groupe d'habitués que nous étions avait proposé de fêter
l’événement au bord de la Sauldre, à midi. Chacun participerait à sa manière.
Une chose était certaine, ce serait Gisèle qui s'occuperait du repas. Au soir
venu, la place de la mairie serait noire de monde pour apercevoir monsieur le maire
mettre le feu aux vieux fagots.
Comme
d'habitude il y avait beaucoup de discussions pour rien, seul le chapitre des
vins et des apéros se concluait en quelques minutes.
Quatre
voitures et le fourgon Citroën d'Henri le charpentier du bourg ont suffi à
transporter les victuailles ainsi que tout ce petit monde au bord de la
Sauldre. Ce fourgon Citroën était un drôle d'engin, l'on aurait dit qu'il
sortait d'une presse à ferraille tant la tôle du fourgon était plissée !
Gisèle
avait prévu une grande poubelle en fer étamé qu'elle avait spécialement achetée
sur le marché. Remplies de victuailles pour le déjeuner sur berge, ainsi
immergée dans la Sauldre jusqu'aux trois quarts, elles resteraient fraîches
pour attendre l’heure de la dégustation. Les bonshommes s'étaient équipés
également de plusieurs seaux remplis de bouteilles de vin du pays et une
bouteille d'eau ; cette dernière n'avait d'usage que de mouiller le
Pernod.
Le
premier litre de blanc fut vite bu sans que les verres fussent sortis, chacun
lampait consciencieusement le goulot. Sur une serviette de couleur, les cartes
furent distribuées. Le Rami en Sologne c'est sacré ! Effectivement je
n'avais jamais assisté à une fête sans rami. Ce furent les seuls instants de
calme relatif. Gisèle participait également au jeu de cartes.
Deux
ou trois litres de blanc avaient déjà été bus avant que l'on ne passe à
l'incontournable Pernod, agrémenté suivant les goûts avec plus ou moins d'eau.
Je laissais aux autres le liquide jaune, préférant le vin rouge. Le temps
filait et les langues s'étaient déliées : le jeu était de se moquer de
tous, individuellement en y ajoutant un stère pour faire rigoler. Gisèle
demanda assistance pour relever la poubelle de la rivière ; il lui fallut pousser
un coup de gueule pour que nous consentions à l'aider.
Le
gros pain de campagne et la motte de beurre de la ferme du bois caché accompagnèrent
à souhait le saucisson à l'ail de la région ainsi que les rillettes, les œufs
durs, les pâtés de foie ou de campagne et la viande froide. Tout le vin rouge y
passa, l'ambiance était au beau fixe.
Mais
les heures passant, il a bien fallu revenir au bourg. Le rangement des
véhicules s'exécuta dans un joyeux brouhaha avant la fête du soir. Dans ce
temps-là, les véhicules étaient encore rares.
Chacun
reprit ses ustensiles dès l'arrêt des voitures dans des vrombissements joyeux
et rejoignirent leurs maisons. Gisèle me demanda de l'aider à porter sa
poubelle, ses plats et ses verres.
Assis
sur le canapé, nous analysions cette belle journée passée au bord de la Sauldre
en nous remémorant les plus belles bêtises de chacun. Cela allait bon train et
puis, l'on ne sait pourquoi, le silence s'installa entre nous. Gisèle en
profita pour me tenir le bras et m'embrasser de longues minutes. Je reconnais
avoir accepté sans broncher ce baiser, et j'irais même plus loin puisqu'en
retour je l'ai retins un bon bout de temps, ma main ouvrant la blouse pour
caresser sa poitrine. Elle se dégagea, pressée de se déshabiller et de se
montrer nue à mes vingt -quatre ans. Je ne voyais plus la différence d'âge.
J'en avais envie ! Deux petits plis barraient sa gorge, mais ses seins
étaient fermes, les pointes se dressaient sous mes caresses. Sa toison était
restée brune, bien fournie, montant haut sur le ventre. Elle avait entrepris
avec un peu de brutalité de me déshabiller, je devais être drôle ainsi tout nu
dans mes sandales ! Mon désir était au maximum, elle s'en occupa
activement, puis s'arrêtant d'un coup, elle me traîna dans sa chambre. Le grand
lit donnait juste devant le miroir de son imposante armoire en bois vernis.
Elle s'allongea sur le dos et ouvrit les jambes... Les idées en ébullitions, je
crus devoir me précipiter sur l'offrande, mais elle m'arrêta net afin d’amener
ma tête d'une poussée généreuse à hauteur de son pubis. De longues minutes
s'ensuivirent. Ses gémissements et ses phrases sans suite m'indiquèrent qu'elle
appréciait mes caresses jusqu’au moment où je me suis senti désarçonné en
entendant Gisèle saisie d’un spasme gigantesque ; un cri qui a de l’être
perçu jusqu'à la gendarmerie !
Gisèle
était une femme d'expérience, elle dosait ses initiatives et son plaisir avec
douceur et lenteur. Elle me laissa mariner un bout de temps avant
d'entreprendre de me chevaucher comme pour une course de haies. Le plaisir
n'arriva que lorsqu'elle le voulut, contrôlant habilement tous mes réflexes,
tous mes tremblements amoureux. Puis enfin elle me libéra en quelques sauts
précipités.
Cette
nuit là éprouvé par une suite de positions et de performances diverses, Gisèle
m'avait fait homme. Je ne l'ai jamais oubliée !
AMINA
J'avais
toujours connu Amina. À moi comme à mes autres camarades, ce prénom nous semblait
beau. C’était la seule petite algérienne de l'école élémentaire de mon
quartier, une école, comme toutes les autres de mon époque, séparée en deux
parties par un mur de briques recouvert de ciment gris : un côté garçons,
un côté filles. Les parents d’Amina n’habitaient pas très loin des miens. Dans
ces années-là, les collectivités musulmanes avaient une forte volonté de
s'intégrer. La maman ne portait ni voile ni foulard sur la tête, elle étonnait
seulement par un tout petit tatouage bleu sur le haut du front. Le père, lui,
avait fait la guerre dans les forces libres et à ce titre la population locale
le respectait. Il travaillait à la Thomson, une usine de recyclage de véhicules
militaires, tout au bout de la commune à côté de l'usine à plâtre de la «
Maltournée ». Amina avait six frères et sœurs, tous biens élevés, sa famille y
tenait. Si son papa parlait un français correct, sa maman en revanche avait des
difficultés à prononcer certains mots sans cet accent caractéristique d’Afrique
du Nord. C'est chez eux, invité, que toute ma famille a mangé son premier
couscous. Ils avaient acheté du vin pour mes parents, eux ne buvaient que du
thé. Je me souviens de la joie que nous avions eue à manger ce repas, cette
découverte culinaire qui allait devenir tellement banale avec le retour des «
Pieds noirs » quelques années plus tard. Les merguez, où les avaient-ils
achetés ? La gorge nous piquait, nous buvions des verres d'eau pour
essayer de court-circuiter les brûlures provoquées par le piment. Toute la
famille d’Amina était prise de fous rires devant nos joues rouges et nos yeux
pleureurs.
J'ai
appris des années plus tard que la maman d’Amina était décédée, suite à un
accident de la route ; un motard l'avait accrochée et traînée sur
plusieurs mètres. Je travaillais en province, j'avais perdu de vue Amina et sa
famille depuis de nombreuses années.
De
retour en région parisienne, je réintégrai par facilité et commodité bancaire,
la maison familiale, ce qui avait dérouté un temps mes parents. Je continuais à
aller danser, que ce soit en semaine ou en fin de semaine, c'était ma
passion ! C'est ainsi que curieusement je retrouvai Amina dans le dernier
autobus de minuit trente. Je n'osais pas l'embrasser, simplement je lui tendis
la main qu'elle prit et qu'elle garda quelques secondes dans la sienne. Les
retrouvailles étaient difficiles, il y avait de longues années de séparation et
nous avions tous les deux changé, nous étions devenus des adultes, des
autres ! Par politesse, je lui demandai ce qu'elle faisait dans la vie.
Elle travaillait le soir dans un restaurant de la place Voltaire en plus de son
emploi aux Galeries de la République. Nous n'avons à aucun moment évoqué notre
enfance, simplement nous parlions de choses et d'autres sans importance pour
faire passer le temps. Je me sentais gêné devant elle, ça m'embarrassait, je ne savais comment m'y prendre. Curieusement
cela aurait été plus facile avec une étrangère.
Accompagnant
maman au marché du dimanche, je revis Amina un panier plein de légumes à son
bras en compagnie de l'une de ses sœurs que je ne reconnus pas tellement, elle
aussi avait changé. Ce fut plus facile de parler ensemble d'autan que maman
nous offrit le café au café-tabac du coin.
Il
y avait bal cet après-midi-là à la salle des fêtes, j'y invitai les deux jeunes
filles qui se confondirent en remerciements, mais m'indiquèrent qu'elles ne pourraient pas venir sans autre
explication.
La
salle des fêtes était pleine de jeunes venus danser. L'orchestre, bien que
local avait bonne réputation dans la région. Il était près de dix-neuf heures,
à quelques minutes de la fermeture et c'était le dernier tango de la journée.
Me dirigeant vers la sortie, je tombai sur Amina, debout contre le pilier, elle
semblait étrangère à cette manifestation.
—
Qu'est-ce que tu fais là ? lui dis-je… je croyais que tu ne pouvais pas
venir ?
Je
lui pris le bras, elle semblait désemparée d'avoir été surprise à l'intérieur
de la salle de bal. En déambulant dans les rues de la commune pour rejoindre
nos maisons, elle m'avoua ne pas savoir danser, qu'elle n'était jamais allée au
bal. Son père, même s'il était gentil, gardait encore certains principes de la
religion musulmane. Il fallait qu'elle fasse attention à ses fréquentations,
qu'elle reste à la maison quand elle ne travaillait pas, et ses frères y
veillaient en exerçant une surveillance constante. Pour éviter des problèmes,
je lui serrai la main devant sa maison, non sans avoir convenu que nous nous
arrangerions pour prendre ensemble le dernier bus.
Pratiquement
tous les soirs nous étions ensemble à parler. Je sentais qu'elle me faisait
confiance par des petits bouts de phrases qu'elle me prononçait. Elle avait
envie d'être comme toutes les autres jeunes filles. Durant tout le trajet du
bus nous ne parlions que d’elle, mais ce qui est important c’est que nous
étions arrivés à un accord, celui d’aller danser ensemble un samedi soir. Elle
dirait à son père que le restaurant avait besoin d'elle ce soir-là ; ce
serait la première fois qu'elle mentirait à son père.
Elle
ne savait pas du tout danser, tous les rythmes lui étaient étrangers… j'usais
d'une patience d'ange pour lui apprendre les pas de chaque rythme. Elle
apprenait vite, l'envie sans aucun doute ! Le mensonge ayant réussi, elle
continua. Chaque samedi nous nous retrouvions pour danser ensemble jusqu'au
dernier autobus, il y avait plusieurs semaines qu'elle usait de cet artifice.
Amina
vous l'avez compris était une très jolie femme. Comme toutes les femmes du sud
ou des femmes noires, elles n'ont pas besoin de maquillages pour rehausser leur
beauté. Amina sous une magnifique chevelure d'ébène possédait un joli visage
allongé, éclairé par des yeux grands comme des soucoupes, elle était superbe.
Les regards des garçons dans la salle étaient révélateurs. Assise devant un jus
de fruit,s elle me faisait des confidences, elle était encore jeune fille,
aucun garçon ne l'avait touchée. J'étais embêté devant ces confidences intimes
et ses désirs de femme. Durant deux mois encore nous continuions à danser le
samedi soir, nous commencions à devenir très proches l'un de l'autre, mais
j'avais vite évacué les confidences qu'elle m'avait faites. Si nos corps se
joignaient parfois, je faisais attention à ne pas prolonger la position, je me
sentais mal à l'aise, justement à cause de ses confidences.
Un
jour de semaine, au bal du « Massif central » près de la place Voltaire, j’eus
la surprise d'apercevoir Amina accoudée au comptoir. La danse terminée je
remerciais ma danseuse et allais directement au bar. Je craignais une
magistrale embrouille avec sa famille. Elle me claqua un baiser sur la joue, me
prit le bras et sans rien dire me poussa hors de l'établissement. Sans que je
puisse réagir, elle me dirigea vers l'entrée de l'hôtel à cinquante mètres « du
Massif central ». Elle avait tout organisé, tout prévu et nous avions peu de
temps avant le dernier bus. J'étais sidéré de son culot. Avant que je puisse
dire quoi que ce soit, elle s'était déshabillée ! Nue devant moi elle
s'allongea sur le lit. Je rattrapais le temps perdu en la rejoignant. Compte
tenu de ses confidences, je m’obligeais à prendre mon temps pour ne pas la
blesser ou la décevoir. Elle avait raison, elle était intacte, sa langue
inexpérimentée aux baisers… Nous avons pris du temps pour défricher le terrain.
Ma main caressait sa poitrine qui se durcissait un peu plus à chaque mouvement.
Sans lâcher sa bouche, j'arrivai à la jointure des jambes qu'elle ouvrit
d'elle-même, je sentais ses lèvres mouillées dont une partie inondait sa
toison. J'abandonnai sa bouche pour venir cueillir son plaisir accentué de
spasmes et de petits cris. Elle m'embrassa et se mit à pleurer.
—
C'est la première fois, Paul, mon Dieu que c'est bon.
Son
envie était telle qu'il ne fallut pas longtemps pour qu'elle retrouve le goût
de jouir à nouveau. Je pris quelques secondes pour installer le préservatif et
me faufiler entre ses lèvres… C'était une profanation, j’eus peur de lui faire
mal, c'était la première fois que je faisais l'amour avec une fille vierge.
Elle eut juste un tressautement à ce moment puis elle me regarda fixement et se
mit à nouveau à pleurer et très vite des gémissements annoncèrent sa défaite.
Nous
avions juste le temps de prendre le dernier bus. Amina ne lâcha plus ma main,
ses doigts malaxaient ma paume sans arrêt. Devant sa maison, elle m'embrassa,
mis la clef dans la serrure et s'engouffra rapidement à l'intérieur.
' O'FADO
Le
Portugal était en pleine mutation. La révolution avait eu lieu quelques mois
auparavant. La région de Porto était très pauvre, mais magnifique avec des
monuments splendides et ses villages pittoresques où les charrettes tractées
par des chevaux servaient de mode de transport. Les hommes n'avaient pas encore
changé leurs habitudes vestimentaires et portaient toujours un pantalon, une
veste noire, la tête couverte d'un chapeau également noir tandis que les
femmes, elles, étaient vêtues de longues robes noires, la tête coiffée d'un
foulard. Réunis au café, les hommes buvaient l'aguardiente et du vinho verde.
Ils parlaient fort une langue que je trouvais rugueuse et complètement
incompréhensible à cette époque. J'étais venu avec Ernesto, un ami colombophile
portugais. Nous avions parcouru les trois quarts de la France en voiture pour
parvenir jusqu'ici. Peu de Portugais possédaient alors un véhicule en dehors de
quelques émigrants.
Je
logeais chez la famille d'Ernesto dans une toute petite chambre qu'elle m'avait
généreusement allouée. La maison était toute petite, accolée à la maison d'à
côté comme une dizaine d'autres formant un grand carré où une petite entrée
donnait sur la rue. Au milieu se trouvait une belle cour pavée. Tout du long
des bancs de pierre redessinaient le carré de la cour et au centre une fontaine
munie d'un grand bras en acier livrait une eau divine. Le soir, les hommes se
réunissaient dans cette cour, assis sur les bancs pour raconter leur journée,
leurs derniers ragots. Les femmes de leur côté écossaient les haricots et
triaient les grains de riz en posant des regards de biais rigolards à leurs
hommes. Les enfants pompaient à tour de bras pour remplir les seaux d'eau en se
chamaillant la priorité.
Il
y avait aussi des colombiers au-dessus des maisons basses, trois ou quatre, je
crois. Le soir, les pigeons sortaient durant une heure en meublant l'air du
bruissement de leurs ailes sur un vol fascinant.
Ernesto
était content de retrouver sa famille et me remerciait d'avoir fait le voyage
jusqu'au Portugal. Il s'excusait sans cesse des mauvaises conditions de
logement, m'obligeant à réfuter sans arrêt ses allégations. Il se faisait un
devoir de me faire visiter les monuments, les églises, les vieux villages… Et
de me faire connaître plein de gens, des amis qui à leur tour m'invitaient.
C'est là où j'ai bu pour la première fois de ma vie un vrai porto d'une
splendeur et d'un goût incomparable !
Le
fait d'être français me donnait accès à tout, malheureusement à cette époque,
je ne comprenais pas la langue et de ce fait Ernesto passait des heures à me
traduire les multiples discussions.
Une
belle ballade était la traversée de Vila Nova de Gaia, puis la traversée sur ce
grand pont en acier bleu supporté par une masse de béton sur le fleuve Douro,
le fleuve du nord qui se jetait ensuite dans l'océan Atlantique et qui
délimitait la grande ville de Porto.
Un
soir sur ma demande alors qu'il n'avait jamais mis les pieds dans un
établissement de Fado 5
Ernesto m’emmena dans l'un d'eux ; c'était dans le vieux Porto. « O
PORTO », était le nom de l'établissement. Devant une bouteille de vinho verde, il
était tellement heureux d'écouter la voix des fadistes 6,
des violes et des guitares qu'il en était devenu muet de bonheur. Le silence
était de rigueur, chacun écoutait religieusement l'harmonie de la musique et
des instruments ainsi que les voix qui exprimaient la douleur et l’amour !
Il
devait être une heure du matin lorsque l'une des chanteuses s'approcha et
demanda en français l'autorisation de s'asseoir à notre table. Ernesto et moi,
flattés, debout, lui avons tous deux présenté une chaise. Candida, tel était
son nom, avait travaillé un moment en France. Le mal du pays l'avait fait
rebrousser chemin, malgré la misère qui régnait ici.
C'est
en entendant le français qu'elle s'était autorisée à prendre place auprès de
nous. Son français était de qualité avec un accent caractéristique aux Portugais.
Je l'ai félicitée sur la qualité de sa voix. Son châle noir bordé de franges de
couleurs rehaussait la beauté de son visage orné de grands yeux noirs qui
prenaient presque toute la place du visage. Elle termina son tour de chant
avant de revenir à notre table. Normalement il lui était interdit de s'asseoir
à la table des clients, mais le patron considérait notre présence comme un
honneur. J'étais le tout premier étranger à avoir poussé la porte de son
établissement. Ernesto et moi avons eu l'extrême honneur de déguster une bouteille
de vin mousseux offerte par le patron et avec lequel nous avons partagé cet
instant. Nous sommes restés bien après la fermeture de l'établissement à
deviser sur la situation du Portugal. Candida, laissait le soin à Ernesto de me
traduire le discours du patron.
Le
lendemain, Ernesto devait se rendre dans sa famille à Espino pour la journée,
un grand port au nord de Porto. Je refusai de l'accompagner en songeant qu'il
avait besoin d'un peu de liberté tant il était à mes petits soins. Après avoir
arpenté le village de Canélas, lieu de ma résidence, salué par la population,
je pris au hasard la direction de Guimares, une magnifique ville au nord du
pays. La route était tellement étroite qu'il fallait faire attention, non pas
aux véhicules encore trop rares à cette époque, mais aux chariots tirés par des
mules ou des chevaux sur les pierres glissantes. Toutes les routes de l'époque
étaient empierrées, c'était presque des œuvres d’art ! Les maisons, les
églises, la cathédrale, tout donnait l’impression de sortir directement d'un
livre d'histoire où surgissait Vasco de Gama. Dans un dédale de toutes petites
rues pavées, empierrées, tortueuses, je baignais dans un sentiment de plénitude
et de découverte d'un autre monde, croisant et recroisant ces femmes toujours
habillées de noir, la tête coiffée de leur châle et modestement parée de
bijoux ; pourtant la rumeur indiquait que les bijoutiers du Portugal
étaient parmi les meilleurs.
À
cet instant la faim commença à se faire sentir. Je me trouvais à proximité de
la cathédrale où pignon sur rue un petit restaurant typique en pierres de
granit gris et au porche arrondi se tenait là, une croix trônant en haut de
l'arche. « Restaurante Sardinha », pourquoi pas me dis-je ? Plein de
confiance et d'appétit j’entrai à l'intérieur de l'établissement. La patronne
s’aperçut tout de suite que j'étais étranger, d'abord à cause de mes vêtements,
puis de ma complexité à lire et comprendre le menu. Elle avait un magnifique
tablier plein de couleurs noué à la taille, des cheveux gris bien peignés tenus
par un chignon noué à l'aide d'un ruban blanc à l'arrière de la tête. Je ne
compris pas un mot de ce qu'elle me dit excepté « bacalhau » ;
c'était le seul mot de cuisine portugais que j'avais retenu. Fier de moi, je
lui dis, sim, elle me sourit, tourna les talons et entra en cuisine !
Dix
minutes plus tard, elle mit sur la table un plat pour quatre, au moins. Je
tentai de lui expliquer que c'était trop, mais sans succès. Elle me répétait
sans cesse, comida bom, comida bom...alors j'acquiesçai de la tête. Déséjo
Vinho ? Cela, je l'avais compris, un bon français comprend tout de suite
quand il s'agit de vin. Vinho verde branca, por favor, je faisais des progrès
chaque jour ! La morue était excellente, accompagnée de choux verts et de
riz, bien entendu, je n'ai pas pu tout manger et le regard désapprobateur de la
patronne en disait long sur l'appétit des étrangers.
Je
suis rentré tout doucement sur Porto. J'en profitai pour acheter quelques
bouteilles de Porto blanc et rouge, ainsi que du vinho verde blanc. J'ai traîné
dans les rues de Porto plusieurs longues heures en m'arrêtant un moment pour
avaler une fillette de vinho verde.
J'étais
bien, le vinho verde avait produit son effet, je me sentais en pleine forme.
Passant devant l'établissement « O Fado », j'y entrai pour écouter une
nouvelle fois, l'harmonie de cette musique et de ses voix. Le patron, étonné de
me revoir, me fit asseoir à une petite table juste devant la petite estrade des
artistes. Sans prendre ma commande, il mit sur la table un verre et une
bouteille de vinho verde, puis par convenance, il me laissa seul à la table.
C'était
une magnifique soirée, je me régalais de tous ces chants qui reflétaient une
certaine nostalgie. Candida, passa trois fois sur l'estrade, elle ne me jeta pas
un regard, ne me gratifia d'aucun sourire, elle était redevenue la fadiste,
l’artiste !
Il
était plus d'une heure du matin quand je me résolus à rentrer, en espérant
qu'Ernesto ne se soit pas inquiété. O Fado faisait l'angle de rues. Ma Renault
était garée deux cents mètres plus loin. J'étais à dix mètres à peine de ma
voiture quand une femme s'approcha de moi. Dans la pénombre, je ne la reconnus
pas de suite. Candida me prit le bras tout simplement.
—
Viens prendre un verre d'aguardiente me dit elle.
Étonné,
je me laissai guider. Elle habitait à une centaine de mètres de là. À cette
heure tardive il n'y avait pas âme qui vive dehors. L'escalier en bois était
raide, au premier étage elle ouvrit sa porte, entra puis alluma la lumière sur
le petit appartement bien décoré. Elle me désigna un siège comme un ordre.
J’obéis. Elle s'absenta peu de temps puis elle revint tête nue. La petite
lumière mettait en valeur sa grande chevelure noire, longue qui lui tombait sur
les épaules. Ses grands yeux sombres que j'avais aperçus la veille sous le
châle étaient encore plus impressionnants tant ils mangeaient pratiquement
toute sa figure. Elle était belle ainsi, d'autant que sa grande robe noire
cachait tout son corps. Je ne pouvais qu'imaginer, deviner ce qu'il y avait en
dessous.
Le
vieil « aguardiente » terminé, après quelques banalités en français,
Candida enleva sa grande robe noire. Je suis resté sur ma chaise totalement
tétanisé. Aucun sous-vêtement sous la robe, elle apparut toute nue, la poitrine
haute, ferme, la taille plus fine que ce que j'avais imaginé, des jambes
longues aux mollets bien faits. Le ventre plat sans artifice se terminait sur
une proéminence garnie de longs poils noirs. Je la suivis dans la chambre...
Couchée de tout son long sur le lit, elle me laissa entrevoir son intimité. Ses
yeux me regardaient en signe d'invitation. Je la pénétrais sans autre caresse,
sans perte de temps… Pas un mot, pas un cri, juste une crispation au moment du
plaisir. Elle en avait eu envie, c'était fini.
TU ES SI BELLE MON AMOUR !
Tout
contre moi, j’ai la sensation du toucher au plus profond de mon corps, au plus
profond de mon cœur. Ma main glisse sur ta joue en prenant soin à ne pas te
réveiller et je ne peux résister à l’envie de t’embrasser doucement le long de
ton cou. Ton odeur de femme m’enivre comme un verre de vin… Tu es belle mon
amour dans ton sommeil, ignorante de mes sentiments du moment, la bouche
légèrement ouverte, respirant doucement, exhalant rien que pour moi une odeur
de rose. Je voudrais tant que tu saches la passion qui m’anime, les désirs qui
me hantent. Je voudrais que tu saches n’osant te le dire quand le jour se lève
que je t’aime. Je voudrais entrer en toi comme un conte des mille et une nuits
et ne plus en sortir, ne faire qu’un, ne faire qu’une ! Je voudrais que
jamais le jour ne se lève tant la nuit tu es à moi lovée contre mon corps
partageant la chaleur qui t’habite, cette chaleur que je vole et que je
m’approprie.
Dors
mon amour, rêve aux jardins extraordinaires où je t’amènerai sentir les mille
roses d’Agadir, les orchidées de Bagdad, explorer le lac miraculeux là- bas
au-delà du Siroua 7
caché dans la montagne. Le vieux derviche nous montrera le chemin par le son de
son tambourin qui effacera la montagne pour nous ouvrir le chemin, alors mon
amour tu verras un lac, immense domaine d’oiseaux merveilleux de toutes les
couleurs. Une barque magnifiquement décorée viendra nous chercher sur la rive
pour nous transporter sur une Isle couverte d’arbres atteignant le haut du
ciel, là une hutte de roseaux fera office de palais, une couche de feuilles aux
odeurs délicates nous servira somptueusement de lit de noces.
Dors
mon amour tu es si belle, rêve, nous ferons l’amour comme personne, protégée
par l’oiseau bleu, dors mon amour, rêve !
DORMIR AVEC TOI, C'EST MOURIR
ENSEMBLE
Tes
jambes repliées sur mon ventre, tes pieds jouant avec lui agaçaient mon esprit.
Mes mains avaient pris possession de tes seins, les caressant avec soin en
partant de la pointe qui durcissait lentement. Je ne pouvais faire d’autres
mouvements vu ta position embarrassante en travers de mon corps. C’était comme
une frustration. Comme un chaton tu changeais de position, allongeant tes
jambes le long des miennes. Ta bouche s’amusa un temps avec le lobe de mon
oreille, je me souviens encore que tu guidas ma main avec douceur sur le parvis
de ton église, trouvant là l’humidité de ta fontaine au milieu d’une forêt
fertile. Tu me guidas encore vers la grotte profonde où résonnait le chant de
nos amours.
Dormir
avec toi c’est mourir ensemble ! Tes yeux agrandis par l’extase, la bouche
ouverte prononçant des mots incompréhensibles, nos mains qui caressent, nos
doigts s’enlacent, nos envies inlassables de nous… c’est mourir ensemble !
Cette musique des mots prononcés à voix basse, nos langues pourtant habituées
qui s’entrelacent perpétuant le désir au fond de nos âmes, nous mourrons
ensemble dans un spasme merveilleux.
Ne
m’oublie pas, aime-moi, aimons-nous par nos seuls regards, par nos gestes
répétés, par les jouissances successives et voulues. Dormir avec toi c’est
mourir ensemble ! Une nuit viendra, ivres de bonheur, étendus tous les
deux sur les draps mouillés de sueur, nous nous endormirons pour un long
voyage. Dormir avec toi, c’est mourir ensemble !
Chapitre
2
JUSTE UN BAISER
Mon
Dieu qu'elle était belle cette femme ! Elle s'était levée pour
m'accueillir à cette table de restaurant. J’en suis resté tétanisé pendant de
longues secondes. Encore une fois, comme un refrain en boucle, elle était
belle, mais pas seulement. Elle avait aussi beaucoup de classe. Simplement
vêtue d'une robe courte en coton tressé de couleur grise et ornée d’une fleur
de même couleur. Sa robe, ou peut-être devrais-je dire tunique, recouvrait
partiellement un pantalon noir. Cette tenue aussi simple soit elle la mettait
encore plus en valeur à l'image d'un top modèle. Je crus rêver. D'un seul coup,
je me suis senti honteux, habillé d'un short vert et d'un tee-shirt de même
couleur. Je ne me trouvais plus à la hauteur des circonstances, me demandant ce
que je faisais là. Réellement, avais-je mérité ce rendez-vous ? Cette femme
d'une beauté non sophistiquée me laissait pantois, à la limite du coup de
foudre, et à mon âge était-ce sérieux ?
Je
devais me ressaisir alors j'entrepris une conversation banale sans pour autant
m'empêcher de regarder ses yeux en essayant de lire ses pensées. Et justement à
cet instant précis, que pensait-elle de moi ? Le repas de qualité se déroulait
sous un éclairage particulièrement bien choisi pour l'intimité des couples,
accompagné par le bruit des vagues frappant sur la grève toute proche. Je me
laissai aller à caresser son bras ; sa peau était douce et lisse. Ce ne
fut qu'un geste fugace, mais riche d'une intensité tellement agréable.
Nous
sommes allés chez moi. Une visite impromptue de ma petite « case ».
Sans doute voulait-elle en sentir l'âme ou connaître les secrets qu’elle
renfermait. Je voulus l'embrasser, ce ne fut qu'un baiser tendre, mais fugitif
sans promesse ni obligation. J'avais refoulé avec force ma libido pour ne pas
risquer de gestes qui auraient pu déranger ou être mal interprétés. Puis elle
est repartie comme elle était venue. C'était juste un baiser.
L'HABITUEE NEGRESSE
Au
bout du chemin de Birloton, le chemin de l'Habituée Négresse descend sur la
rivière, là une dalle en béton interrompt le courant et permet de traverser
pour se rendre dans les bananeraies du morne. Quelques rastas y travaillent la
journée, certains restent la nuit pour fumer des joints tranquillement dans des
cabanes en tôles. J'aime la rivière en cet endroit accidenté, au fort courant
léchant les pierres et les rochers qui s'accumulent dans l'eau vive. Il n'est
pas rare d'apercevoir des racoons sur les abords. Les branches pourries par les
termites, sonnent à chaque coup de bec des pics de Guadeloupe dans d'étranges
rythmes. Si l'on remontait la rivière, quelques ouassous se laisseraient
pêcher ! Je reste de longues heures assis sur un rocher au bord de l’eau,
sous le manguier, à lire ou tout simplement à ne penser à rien et à tout !
Au coucher du soleil? c'était sublime, l'ombre qui dormait couvre maintenant
tout un côté de la rivière. Le chemin a disparu, l'eau de la rivière brille
sous la lune, la chute produite par la dalle en béton scintille comme au 14
juillet, c'est le moment choisi pour évacuer les lieux.
***
Ce
chemin a une histoire qui m'interpelle chaque fois que je passe devant le
panneau intitulé : « l'habituée Négresse ». Au milieu du chemin, à droite
en descendant à la rivière se trouve une toute petite case en tôles entourées elles-mêmes
de tôles de récupération. Impossible de voir à l'intérieur. C'est très
curieusement isolé, mais il y a une vie à l'intérieur ; le caquetage des
poules en donnait confirmation ainsi que quelques fumées qui de temps en temps
léchaient le toit !
Un
soir en remontant dans la lumière des phares j’aperçus devant la case en tôle
une forme qui me faisait signe. Ayant stoppé, une femme dont je voyais mal le
visage, un gros sac poubelle à la main me demanda si je pouvais l'emmener au
bout du chemin pour déposer ses ordures. Service facile à rendre, il y avait
deux cents mètres à couvrir. Quand elle rejoignit la voiture, je m’aperçus que
cette femme claudiquait. Elle m'expliqua que tombant de vélo enfant elle en
avait gardé la jambe raide. Elle m'invita à boire un punch. La case était toute
petite, mais bien tenue propre, bien rangée. Un lit dans le coin avec les draps
bien tirés, une toute petite armoire et un évier en céramique blanche. Où
prenait-elle de l’eau ? La réponse suit, c'était un rasta qui lui
remontait un seau plein d'eau de la rivière chaque jour et elle me fit
comprendre en s'amusant qu'elle payait ses services avec sa féminité.
J'avais
pris l'habitude de klaxonner quand je passais devant sa case ainsi elle savait
que je repasserais le soir. Pour lui éviter de monter ses sacs poubelle, je
m'en occupais. De temps en temps elle me servait un ti-punch après m'avoir
claqué un baiser sur la joue. Je n'ai jamais connu son nom, nos baisers étaient
chastes, jamais il n'y eut autre chose que le plaisir de converser ensemble.
Un
jour, la fumée avait disparu emportant la femme de l'Habituée Négresse avec
elle.
LES VOYAGES
D'EMILIE
Tante
Émilie était encore une belle femme, la soixantaine passée. Elle passait son
temps entre son petit appartement coquet de la banlieue parisienne, des fleurs
aux fenêtres et à l'association des vieux du quartier où elle prenait une place
non négligeable. Ses responsabilités se résumaient dans l'organisation des
festivités régulières et de l'activité journalière. Ainsi, son quotidien lui
évitait de s'ennuyer.
Veuve
depuis 15 années déjà, elle était la tata des enfants de son frère. À chaque
vacance elle s'en occupait, les bichonnait en organisant des jeux, des
promenades et en confectionnant des pâtisseries au chocolat. C'était immuable,
les vacances c'étaient chez tata et la famille ne se demandait pas si cela lui
faisait plaisir, c'était ainsi ! Tante Émilie pourtant aurait souhaité quelquefois
changer de vie, retrouver de la tendresse, une épaule pour se caler… C'était
arriver une fois. La famille avait alors poussé des cris et des remontrances en
affirmant que ce n'était pas digne d’elle ! À croire que l'on n’a pas le
droit de refaire sa vie ! Les enfants sont égoïstes et refusent de
comprendre les parents.
Elle
songeait aux plages de sables blancs de cette Guadeloupe qu'elle fréquentait
assidûment un mois par an depuis maintenant cinq ans. Un mois par an ou Émilie
se retrouvait tel qu'elle était. Elle choisissait le mois de mars, c'était
moins cher. Dès le matin en maillot de bain, le midi un ti-punch sirop, un
blaff ou un colombo pour passer un bon après- midi avec une petite sieste
jusqu'à seize heures puis retour à la plage à sa place préférée, sous un
cocotier ombrageux.
L'avion
n'allait pas tarder à atterrir sur la grande piste de Pointe- à- Pitre. L'âme
et le cœur réjoui, Jeannine savait que Wobè (Robert) l'attendait avec sa
camionnette rouillée pour la transporter jusqu'à sa case au milieu de la forêt
en Côte sous le vent.
La
Guadeloupe avait joué un rôle important, désinhibiteur même dans la vie
d’Émilie, là, elle vivait à nouveau sans entrave et sans honte ! Elle
retrouvait la joie de l'amour, de la passion à la fortune des vents avant de
rejoindre à nouveau sa petite vie de banlieue.
Wobè
avait su, par sa gentillesse tout au début, conquérir son corps qui ne
demandait qu'à céder aux entrelacs du créole. Depuis, chaque année, elle cédait
aux charmes des ti-males, se laissant aller aux rythmes tropicaux, aux collés
serrés, aux phrases toutes faites et évocatrices… Elle n'en avait cure, elle
vivait sa vie. Il n'y avait pas de sentiments, pas d'amour et elle s'en
moquait. Il y avait juste le besoin de revivre, de redonner à son corps une
jeunesse qui foutait le camp et qui se rangeait sagement à son retour dans
l'armoire dans son appartement de banlieue, simplement pour faire plaisir aux
enfants.
Elle
était heureuse Émilie lorsqu’elle venait en Guadeloupe, elle n'était pas seule,
elle côtoyait plusieurs femmes de même âge qui se laissaient glisser sur le
chemin du plaisir. La soirée passée avec de jeunes garçons leur donnait
l'impression d'être encore jeunes et belles. Belles, certaines l'étaient
encore, mais toutes glissaient dans la poche du jeans un billet de cinquante
euros. Oh, ils ne demandaient rien, c'était normal pour ces dames, à leurs
âges, l'amour se paye !
L'AMOUR N'A PAS
D'AGE
Les
commentaires allaient bon train sur notre passage lorsque nous déambulions sur
les trottoirs de Basse-Terre. Elle était belle Adelise avec ses longs cheveux
noirs tombants sur les épaules, sa démarche souple et élégante mettant en
valeur des fesses rondes et larges, ses longues jambes soutenues par des
chaussures à talons hauts. Elle était un brin provocante en se serrant contre
moi un peu plus fort que la normale.
Notre
couple faisait les beaux jours des « makrèl 8»
de l’Isle papillon, toute jeune encore, à peine plus de quarante ans.
Magnifique métisse et moi les cheveux gris-blanc marquant d’une manière
indélébile mes soixante-dix ans. L’amour nous unissait depuis bientôt une
année, son regard me rassurait au travers de ses yeux d’un noir absolu où même
le diable se serait perdu, s’il l’avait rencontrée.
Pourrions-nous
expliquer cette attirance mutuelle que nous ressentions l’un pour
l’autre ? Cet amour fou qui s’enflammait comme une allumette ? Nos
culbutes qui me faisaient oublier mes douleurs de vieux bonhomme ? Nos
baisers alimentant tous nos fantasmes, nos gestes, nos caresses, nos mots
dictés par un cerveau dérangé en ébullition par les désirs mutuels ?
L’un
sur l’autre à la recherche du plaisir, goûtant l’un et l’autre la sueur de nos
corps et notre odeur qui activaient l’animalité qui était en nous. Durant
des heures, Adelise, loin de se dérober? me donnait les plus belles preuves
d’amour par des caresses savantes venues sans aucun doute de l’Afrique de ses
ancêtres. J’étais friand de ces moments qui n’appartenaient qu’à nous seuls, de
ces cris, de ces soupirs, de ces jouissances qui la faisaient trembler des
pieds à la tête en entraînant le drap avec elle. C’était le moment où elle
poussait sa langue au fond de ma bouche comme pour me remercier, le moment
également où sa peau luisante de métisse resplendissait comme une toile de
Matisse me poussant à récidiver.
« Elle
court, elle court la maladie d’amour de 13 à 77 ans ! »
Comme
il avait raison ce poète 6chanteur pour cette merveilleuse analyse. Non l’amour
ne faiblit pas. L’envie tout comme le désir est une réaction humaine qui nous
porte, quel que soit notre âge à aimer, à désirer… Et je dis merde à celles et
ceux coincés dans leurs convictions rétrogrades qui ne peuvent admettre que
l’amour est universel comme un bienfait du ciel. Et comme un célèbre chanteur
nous le dit en créole : sé sèl médikaman nou ni 9 !
Adelise
connaissait tout le monde à Basse-Terre au point que les commerçants l’appelaient
Chérie Doudou. Elle naviguait m’entraînant dans un long slalom à travers le
marché de la capitale. Gwo Lisyen le pêcheur était son favori pour le poisson,
celui-ci la connaissait bien, il savait que tous les mercredis elle venait
acheter ce qu’elle aimait : les grosses gueules, les dorades, les balaous…
Tous étaient achetés sur les trottoirs à la criée. Le balaou frit, ce poisson
au long bec pointu était excellent ! Je m’amusais des commentaires grivois
des hommes du marché, tini bèl bonda mam’zèl la 10.
J’étais fier, fier d’être accompagné de cette femme magnifique accrochée à mon
bras. Elle me rendait invincible, ou je croyais l’être !
Je
faisais des jaloux aux bals du samedi soir, collés l’un à l’autre, remuant les
hanches sur un zouk love sans pratiquement bouger, les têtes serrées l’une
contre l’autre, les bras liés autour du cou comme si nous faisions l’amour.
Elle ne refusait pas de danser avec d’autres partenaires, en sachant les tenir
à distance, car son ventre seul m’appartenait ! Nous n’étions pas seuls,
d’autres amis nous fréquentaient et s’asseyaient à la même table, la bouteille
de Bologne ou de Cœur de Chauffe à notre entière disposition. Les ti-punch à
répétitions nous mettaient dans un état de communication collective propice aux
confidences. Adelise préférait le Planteur bien serré et bien glacé. Ce moment
permettait le makrélage ; c’était la gazette de la semaine. Deux heures du
matin, je sentais les pieds d’Adelise qui me donnaient le signal.
Ma
vieille Panda réussit à monter le morne sans trop de difficulté. À peine
descendu de voiture Adelise inventa des jeux que la religion réprouve, coincés contre
le mur, sa langue scrutait consciencieusement ma bouche. Toute la périphérie de
mon palais se voyait examinée et elle s’appuyait sans vergogne sur mon ventre,
allant jusqu’à me faire mal.
D’une
main habile, après m’avoir baissé le pantalon elle s’incrusta loin au fond de
sa Soufrière. Le feu brûlait en elle ! J’aimais ces instants de folies,
j’aimais faire l’amour avec elle… Les chauves-souris avec leurs cris aigus
voletaient autour de la case et les petites grenouilles faisaient un bruit
d’enfer. Elle poussa un cri de délivrance, j’eus peur qu’elle réveille le
voisin pourtant situé à une cinquantaine de mètres. Nous n'eûmes même pas la
force de prendre une douche. Le lit nous reçu avec satisfaction, collés l’un
contre l’autre, le sommeil prit vite notre conscience.
LA SYMPHONIE DE
LA BAIGNOIRE
Elle
m'appelait avec sa voix teintée de l'accent de Basse-Terre. Arrivé dans la
salle de bains je ne pus que la voir, flottant dans l'eau tiède. Sylvia avait
dénoué ses longs cheveux qui trempaient dans l'eau du bain. Ses yeux brillants,
curieusement tirés comme ceux d'une asiatique, étaient provocateurs. J'adorais
ses seins hauts perchés sur sa gorge, petits, rehaussés de bouts charnus au
milieu de grandes aréoles sombres, plus foncés que sa peau noisette.
Son
ventre était resté plat autour du nombril en forme de coquille. Le haut de ses
cuisses abritait une forêt que le rasoir ne défrichait jamais.
Elle
s'ingéniait en gigotant aussi habilement qu’astucieusement au fond de la
baignoire pour me faire constater, si besoin était, la différence qu'il y avait
entre nous deux. J'étais pieds nus et je ne pris même pas la peine d'enlever le
short qui m’habillait avant de plonger dans l'eau. Sitôt fai,t les vagues
inondèrent le carrelage autour de la baignoire. Sylvia se mit à genoux sur le
tapis de bain, me poussa sur le fond et d'un coup sec tira le short entraînant
mon slip. Elle constata avec un grand éclat de rire ma transformation physique.
Sa main accomplit quelques allers-retours avant de s'asseoir sur le bord de la
baignoire, les jambes hautement perchées sur les deux côtés, me laissant
entrevoir toute la beauté de son intimité. D'une manière autoritaire, elle prit
ma tête et la plaça contre sa forêt… La demande était claire. Il n'était pas
question d’abandonner l'exploration, même si la position adoptée me blessait
les genoux. Ma langue glissait dans sa vallée avec quelques interruptions
vivement critiquées, ses mains guidaient ma tête et m'intimaient de continuer
avec des mots crus prononcés d’une voix rauque. Un grand soubresaut la
désarçonna de sa position initiale et la fit glisser dans le fond de la
baignoire. Outre une nouvelle inondation de la salle de bain, je me suis
retrouvé scotché contre le bord avec un mal de tête dû au choc.
Un
immense sourire éclairait son visage, rendant ses yeux encore plus grands
qu'avant. Elle entreprit de m'embrasser, sa langue jouant avec la mienne,
reconstituant une rectitude quelque peu perdue. Elle ne quitta plus ma bouche
tant que sa main n'eut pas fini de coller des affiches sur ma « colonne
Vendôme ».
Habillée
d'une robe bleue dont la longueur se terminait légèrement en dessous des genoux
et munie d’un décolleté harmonieux qui laissait apparaître le haut de sa
poitrine, d’une paire de chaussures à hauts talons lui galbant encore plus les
mollets de ses jambes, elle était splendide. Elle avait pris le temps de
reconstituer sa coiffure, aucun fard ne couvrait son visage, ces longs cils
soulignaient naturellement la grandeur de ses yeux éternellement brillants…
Lovée dans mes bras elle entourait mon cou et se laissait tanguer contre mon
corps au rythme du zouk. Ainsi, elle retrouvait une attitude, loin de la
symphonie de la baignoire.
MARIE-ODILE
Il
pleuvait à seaux, en alerte jaune alors que nous étions en période de carême,
je m’étais abrité sous l’auvent de la boulangerie du Bourg. Nous étions
nombreux à nous presser les uns contre les autres pour échapper à l’eau du
ciel. Les voitures éjectaient sans précautions des torrents d’eaux sales dont
nous étions les receveurs, certains émettaient des jurons en créole à l’égard
des automobilistes. Il fallait réagir, nous ne pouvions pas rester
éternellement dans ce recoin. Je pris le parti de sortir et de courir jusqu’à
ma voiture garée cinquante mètres plus loin. Au moment d’ouvrir la porte, je
heurtai une femme qui courait se mettre à l’abri, elle faillit tomber. Je la
retins par la taille et ce geste fit qu’elle se trouva collée brutalement
contre moi. Je m’excusai en la relâchant un peu fâché. J’aperçus alors sa
silhouette, une femme cacao, relativement grande avec un joli visage sur un
corps enrobé, montée sur de jolies jambes. Alors que j’attendais des mots pas
très gentils, je reçus des sourires, ce qui me permit de découvrir des dents
éclatantes, brillantes entre de grandes lèvres charnues. Ma foi, c’était mieux
comme ça. Je me surpris à lui demander si je pouvais la déposer quelque part.
Sa voix était musicale avec des registres différents comme des instruments de
musique. Elle habitait la section de Descoudes juste après le Bourg. Je fis
donc demi-tour et l’amenai jusque devant chez elle. Malgré la pluie je sortis de
la voiture pour lui ouvrir la porte. Elle me claqua un baiser sur la joue et
courut jusqu’à sa maison puis m’adressa un signe de la main avant de
s’engouffrer chez elle.
Situation
banale, une anecdote journalière sans conséquence particulière. Le lendemain,
le temps était redevenu ensoleillé, aspirant toute l’humidité de la veille.
Quelques
mois plus tard, je revis cette femme au cours d’une soirée dans un restaurant
du bord de mer. Elle était assise au bout d’une table qu’elle auréolait de sa
beauté. Bien que j’eusse voulu un petit signe de sa part, elle ne me regarda
pas. Elle parlait avec des gestes élégants et évocateurs à une compagne
attablée en face d’elle.
Le
repas, débuté par une soupe aux fruits de mer, m’avait enchanté, suivi d’un
filet de bourse cuisiné en marinade pimentée au citron vert et agrémenté de
petits morceaux de patates douces. Et pour terminer, une glace maison
délicieuse. Je ne pensais plus à la jolie jeune femme du bout de la table. Un
vieux Rhum Reimonenq de plus de 20 ans finit de me mettre à l’aise et de bonne
humeur.
La
musique jusque là discrète se fit sournoisement judicieuse afin de nous convier
à danser, le son se répercutait dans tout le restaurant. Je sortis un moment
pour me laver la bouche avant de reprendre ma place tandis que les couples
avaient envahi la salle tout entière, me balançant corps contre corps, les
mains autour des épaules ou du cou… J’observais les danseurs et ceux qui
restaient assis. Ma belle inconnue continuait à discourir à l’autre bout de la
table. Ma voisine m’invita par un geste et un sourire radieux si bien que je
m’élançai sur la piste. Collés serrés, les mains tenant nos corps, nous étions
bien entraînés par le rythme du konpa et nos songes évocateurs. Je la remerciai
après une série de danses partagées de musique haïtienne pour me rasseoir et
finir mon vieux rhum. Il se faisait tard, le temps passait très vite. Je
m’apprêtais à partir quand la belle inconnue de Descoudes s’assit sur la chaise
devant moi sans cérémonie. Avec un merveilleux sourire, elle me tendit un
papier avec son prénom : « Marie-Odile » et son numéro de
téléphone, puis elle se leva et rejoignit sa compagne du bout-de-table.
Quant
à moi je rentrai, néanmoins durant tout le trajet son image ainsi que son
invitation qui demeurait sans équivoque assaillirent mon âme.
MAHEA
C'était
fou ! Des trombes d'eau massacraient la plage et l'environnement ! On
ne voyait plus où était la mer tellement le ciel et l'horizontal se confondaient !
La pluie sonnait contre la tôle du restaurant comme un leitmotiv, nous
obligeant à écouter les échos qui se répercutaient sur tout l'établissement.
J'étais assis bien à l'abri, essayant de percer le rideau gris qui nous
entourait, mais en vain. Mes pensées vagabondaient à droite et à gauche sans
direction précise, changeante devant mon verre de rhum. C'était une situation
compliquée comme nous en avons de temps en temps, ne sachant pas quelle idée
projeter.
Sur
un signe de la main, le jeune homme du restaurant me présenta un autre rhum.
J'avais l'impression qu'il y avait des heures que ce temps de chien durait et
je commençais à m'ennuyer avec le besoin de changer les horizons de ma journée
pour me sentir bien dans ma peau.
Enfin
il pleuvait beaucoup moins et c'est à ce moment qu'elle arriva en courant,
trempée, les cheveux délavés et tombants sur ses joues. Il m’était impossible
de ne pas la remarquer lorsqu’elle entra juste en face de moi. Comme un chien
mouillé, elle se tordit de tout son corps? essayant d'évacuer l'eau de ses
vêtements. Elle ne regardait personne, trop occupée par ses difficultés
vestimentaires. De haut en bas, l'eau avait collé ses vêtements à sa peau, il
était difficile de ne pas s'en rendre compte. Je ne suis pas sûr qu'elle-même
s'en soit rendu compte pourtant cette situation la laissait extrêmement
suggestive : ses vêtements collaient littéralement sur tout son corps, son
tee-shirt soulignant parfaitement sa poitrine et son short court habillait ses
cuisses.
Elle
avait ce que l’on appelle la tête des mauvais jours ! La bouche fermée,
les traits tirés… À ce moment-là elle semblait en vouloir au monde entier.
Je
me levai en lui indiquant les toilettes, pour l'inciter à mettre de l'ordre
dans sa tenue. En retour je reçus un regard glacial, toutefois elle accepta de
se diriger vers l'endroit précité. Je me rassis à ma table pour finir mon punch
et retrouver la vision de la côte avec ses arbres qui la bordent.
Elle
m'interpella avec plus de douceur qu'auparavant, les cheveux peignés, les
vêtements mouillés, mais moins collants, puis elle s'assit en face de moi sans
demander si cela me plaisait… En fait elle était sûre qu'il n'y aurait pas de
problème. Elle commanda un planteur dans lequel elle rajouta du rhum. Elle me
regarda dans les yeux… de grands yeux qui mangeaient son visage de braise.
Emmène-moi
à Marigot, me dit-elle avec autorité… je suis à pieds et j'ai besoin de me
changer.
Arrivée
devant chez elle, elle ouvrit rapidement la porte de la voiture et me laissa
là, pantois sans un mot. Estomaqué, je retournai au restaurant de la plage. La
pluie cessait lentement dans un ciel encore menaçant, empli de gros nuages
sombres poussés par les alizés tandis que les feuilles des balisiers
s'égouttaient doucement en laissant des trous dans le sable.
Il
y avait des heures que j'étais là en tenant deux ou trois discussions sans
importance avec des buveurs de passage. C'était l'un des moments de la journée
que j'appréciais particulièrement… La disparition soudaine du soleil englouti
par la mer Caraïbe dans une lueur rouge comme un fer de forge. J’étais toujours
étonné de ne pas voir la mer se démonter avec d'énormes vagues provoquées par
sa chute qui semblait brutale. Et brutale aussi était l'arrivée de la nuit…
Quelques secondes suffisaient pour plonger cette partie de la Guadeloupe dans
l'obscurité avec immédiatement le concert des grenouilles et des invisibles
dans une partition écrite bien longtemps à l'avance. Il ne fallut pas longtemps
pour voir et entendre le bruit des chauves-souris avec leurs cris stridents.
Elles nichaient sous le toit des toilettes et des douches de la plage. Les
oiseaux de mer avaient disparu sous une lune en morceaux affaiblie par les gros
nuages.
Ce
restaurant situé à Petite Anse était en fait mon quartier général. Là, je
retrouvais mes amis dans d'interminables discussions que nous pensions
intelligentes, mais qui finalement ne menaient à rien, sinon à passer le temps.
C'était jour de fête chez Annie qui s'affairait à délivrer repas et boissons.
Léandre, son compagnon, avait conquis la terrasse avec son quartet. La musique
créole emplissait la plage de ses sons langoureux et les couples entre deux
assiettes dansaient ventre contre ventre sans trop bouger les pieds.
La
table était trop petite pour les six énergumènes que nous étions. Préoccupé à
décortiquer nos ouassous tout en dégustant un vin blanc de la Loire, je tournai
le dos à l'orchestre pour me lancer comme d'habitude dans d'interminables
discussions. Je ne pus engloutir ma crevette tant le choc fut soudain. Je me
suis senti tiré à l'arrière avec force et persuasion ! Effectivement la
surprise était de taille. La femme aux cheveux mouillés se tenait là devant
moi !
L'invitation
à la danse était précise, bien qu'un peu brutale sous les éclats de rire des
autres garnements. J'eus à peine le temps de m'essuyer les mains avant de
l'enlacer, mais cela ne lui avait pas plu. Elle les retira pour les monter
autour de son cou avec autorité. Ainsi fait, lovés corps à corps, nous nous
balancions au son d'un konpa magistral.
C'était
une femme curieuse, pas un mot, seulement le discours de son corps qui me
berçait sur les rythmes tropicaux jusqu'à la fin de la fête, heureusement
entrecoupée de temps en temps d'une coupe de champagne que j'avais commandée à
Annie. Léandre amusé me faisait des clins d’œil et des sourires provocateurs
qui me déplaisaient. Léandre annonça la fin de la soirée par un konpa que tous
les Caribéens connaissaient : « Tchiré kilot » (déchirer la
culotte).
Après
une dernière coupe de champagne, elle était restée debout, je m'attendais à la
même conclusion que la première fois ; une disparition rapide au pas de
charge. Elle était grande, bien faite avec des yeux tirés comme une Asiatique…
Beaucoup de femmes de Basse Terre ont ce profil. Ses cheveux, elle les avait
laissés naturels. Ils étaient frisés et noirs comme de l'encre, agencés dans
d'harmonieuses retombées. Elle en eut sans doute assez d'attendre, car soudain
elle me prit le bras avec autorité et m'exila de mes amis.
Avec
peu de mots, elle me fit comprendre qu'elle me suivrait avec sa voiture jusque
chez moi. Je suis resté ébahi… Farce, provocation ou réalité amoureuse ? Je
pris bien soin de conduire doucement de peur de la perdre en route.
Arrivée
à destination et juste le temps d'éclairer la terrasse, elle lova sa bouche
contre la mienne. Il n'y avait plus d’ambiguïté.
Elle
s'amusa de ma transformation en jouant avec, puis elle stoppa les jeux
subitement. Désignant la salle de bain, elle fit couler l'eau de la baignoire.
Par convenance je m'éloignai du lieu. Je changeai d’apparence pour adopter une
tenue plus décontractée avec juste un slip tandis que j'entendais l'eau couler
durant de longues minutes. Elle ne m’avait pas demandé mon nom et moi non plus,
nous n’étions deux parfaits inconnus.
Hé ! vin là ! me dit-elle.
Elle
avait planté le décor pour une pièce en un acte. Assise sur le bord de la
baignoire, les jambes sur les côtés, elle me laissait admirer son anatomie.
Tétanisé, j'entrai à mon tour dans la baignoire en faisant des vagues qui
inondèrent le carrelage. Une nouvelle fois elle s'amusa de ma transformation
physique, glissant au fond, s'ingéniant à tirer mon slip de mes deux jambes
pour le jeter sur le sol. D'un seul coup je devins le commandant Cousteau,
explorant les profondeurs de l'océan féminin. Ce furent de longues minutes de
cris et de gémissements. Toute la fin de la nuit et une partie de la matinée furent
consacrées aux plaisirs partagés.
Ce
n’est qu’après nos festivités que je sus son identité :
« Mahéa ». La journée se passa à nous raconter notre vie et là elle
fut beaucoup plus bavarde. La nuit était tombée, je l'emmenai au restaurant de
Petite Anse où Annie fut surprise de nous revoir tous les deux. Curieusement
nous n'avions pas très faim, une salade composée fut suffisante. Il restait du
champagne, Annie nous le servit.
Les
jours passèrent avec les critères habituels avec encore en tête cette étrange
aventure. Je refusai de donner des explications à mes amis affamés de
nouvelles… « Awa, Mahéa et moi, c'est top secret ! » J'en avais pris
un coup sur la tête et au cœur, j'en rêvais encore, elle était trop parfaite
pour l'oublier et de nombreux mois furent nécessaires pour y parvenir. Je n'ai
pas cherché à la revoir non plus malgré mon envie d'aller frapper à sa porte à
Marigot.
Chapitre 3
L’AME D'ANISSA
Qu’avait-elle
de plus que les autres ? Jolie sans plus, un sourire radieux aux dents
blanches tirées de la nacre, de longs cheveux noirs frisés en crans irréguliers
et tombants sur des hanches larges un peu lourdes, Anissa avait quelque chose
d’indéfinissable. Son regard à la fois poignant tétanisait tout votre être et à
la fois libérait le trop-plein de désirs ou de peines cachées.
Ce
n’était pas le khôl (11)
qui lui donnait cette profondeur, même si celui-ci accentuait l’expression de
ses yeux, mais ses pupilles d’un noir profond qui reflétaient l’état de son
âme. Ses envies étaient marquées d’une façon indélébile, il fallait lire dans
ses yeux la tristesse, le manque d’amour, la rigidité des lois ancestrales et
aussi une profonde tendresse, un immense besoin de s’épancher ou de s’épanouir
comme la rose du jardin royal. Elle guettait indéfiniment celui qui viendrait
l’attendrir, lui glisser dans l’oreille des mots attendus, mais tellement
sublimes à ce moment-là qu’elle risquerait de s’évanouir comme le parfum de la
rose. L’amour, cet élément qui comme le vent vous effleure, vous parle, vous
chante à la manière des poèmes de Jamila Abitar, ce sentiment dont seule
l’écriture des mots lui donne raison de sa profondeur insondable et qui
accompagne au fond de l’âme les accents de la musique andalouse d’Al Hajj
Mohammed Bajeddoub.
Anissa
tes yeux sont dans la peine, ils reflètent ton âme, trop te regarder serait une
profanation. Anissa, ton jour viendra, l’amour t’emportera au-delà de tes
espérances, tu connaîtras alors les délices et les recettes de ce que tu
attendais désespérément depuis tellement longtemps. Ton corps soumis se
laissera aller aux exigences et aux plaisirs de la chair, tu seras percée au
plus profond de ton intimité, tu connaîtras les plaisirs démultipliés par une
si longue attente, tes yeux alors laisseront apparaître une autre facette de
ton âme, celui du bonheur !
SUR LA ROUTE DE KENITRA
J’étais
parti à Tanger, la ville des conquérants andalous, des voyageurs, celle de Ibn Batouta
parti avec son baluchon, traversant des centaines de pays jusqu’en Chine, reçu
comme un prince par les rois et les émirs du quatorzième siècle des pays
visités.
Au
retour, je me laissai aller aux réflexions d’usage émises après un voyage. Le
bruit des roues du train m’entraînait dans cette voie, celle qui me rappelait
les trains de mon enfance, bruyant avec leurs jets de fumées blanches, les
roues claquant sur les rails.
Arrivé
à destination, le voyage m’avait paru court tant la discussion avec ma voisine
fut agréable. Ce qui ne m’avait pas empêché de la contempler discrètement.
Volubile,
elle me demandait si j’étais en vacances ou si je résidais au Maroc ? Les Marocaines
généralement n’adressent pas la parole aux inconnus. Elle me racontait qu’elle
revenait d’Espagne où elle avait rendu visite à sa mère qui travaillait à
Madrid. C’était une interrogation subtile à mon endroit et sans me livrer outre
mesure je lui dis que j’étais retraité. Elle me demanda si je travaillais
encore, je lui que non et que je passais mon temps à lire, à voyager dans les
différents quartiers de Rabat et Salé où l’histoire avait laissé des traces
indélébiles. Elle me dit qu’elle brodait à ses moments de loisir et écrivait de
petits poèmes. Curieusement la destinée et les rencontres fortuites sont
quelquefois riches en découvertes, car moi aussi je me laissais aller à écrire
des nouvelles. Juste avant de descendre à la gare de Rabat, elle me demanda mon
adresse E-mail, m’assurant qu’elle me donnerait de ses nouvelles. Bien entendu
je n’en croyais pas un mot, elle avait employé une formule de politesse.
J’avais
pratiquement oublié cette conversation, pourtant trois semaines après notre
arrivée à Rabat, elle me sollicitait pour une discussion sur la littérature par
un rendez-vous devant le parc zoologique de Rabat.
Je
ne la reconnus pas de suite, c’est elle qui me héla en m’appelant
« Georges ! » Sa blondeur tranchait avec les cheveux noirs des Marocaines.
Elle m’avait dit qu’elle était d’origine berbère, que ses parents étaient
d’Agadir. Cette fois-ci sans essayer d’être inconvenant, je la regardai avec
les salamalecs d’usage. Un grand café faisait face au parc zoologique, nous y
prîmes place. Assis devant un verre de jus d’orange pressée, nous entamâmes la
discussion avec la volonté d’en savoir plus sur les écrits de chacun. Nous
n’arrêtions pas de dialoguer, de donner notre point de vue sur telle ou telle
situation littéraire jusqu’à ce que la faim nous tenaille. Je l’invitai à
manger un tajine quelques pas plus loin, elle accepta. Nous avions pris
l’engagement de nous faire lire nos écrits via internet en la prévenant que mes
nouvelles érotiques étaient plus près du texte non expurgé des **mille et une
nuit** traduit par Joseph Charles Madrus (sans en avoir son génie, oh non), que
des ouvrages d’Alphonse Daudet ou de Jamila Abitar !
Nous
nous sommes rencontrés de nombreuses fois au Jardin du Triangle de vue situé à
Rabat près du musée de la monnaie pour échanger nos idées sur le travail que
nous avions fait chacun de notre côté. Les petits textes qu’elle avait écrits à
la manière d’une lettre destinée à des amis ou des membres de sa famille
avaient ce charme particulier des conversations arabes. Riches de nombreux
retours avec des exclamations hautes qui certifiaient l’authenticité du
dialogue. Je me sentais quelque peu mal à l’aise avec mes nouvelles sublimant
l’amour, ses gestes, la femme illustrée par des tableaux crus et à la fois
réalistes. Et même si elle me certifiait que celles-ci ne la gênaient pas, que
l’homme et la femme créatures d’Allah étaient faits pour s’aimer, l’écrire
était la façon de dire ce que l’on n’osait pas dire d’une façon générale…
« La nudité des mots, c’est écrire ce que l’on n’ose dire. C’est rendre
pudiques les mots, et bavardes les lettres. »
Plus
de quatre mois avaient passé, chaque semaine nous nous rencontrions pour nous
faire lire nos nouveaux écrits avec les critiques afférentes à ceux-ci. Cet
après-midi-là, nous étions sur cette grosse péniche en bois sur le Bouregreg,
fleuve séparant Salé de Rabat. Il était amarré sur le quai coté Rabat et nous
nous étions régalés d’un copieux repas. De l’autre côté du Bouregreg, la Médina
de Salé, magnifique, éclatante dans son grand manteau rouge. Je ne sais
pourquoi, mais j’avais le sentiment que quelque chose d’indéfinissable avait
changé, c’était la façon qu’elle me parlait avec ce regard profond, ne
détournant plus les yeux comme avant... Il était temps de nous séparer. Je lui
tendis la main comme il est d’usage au Maroc, elle l’a prise en restant
longtemps à la retenir prisonnière. Sa chaleur communicante monta le long de
mon bras et continua jusqu’à la tête, mon front distillait des gouttes de sueur
que je m’empressai d’essuyer à l’aide de mon mouchoir. Elle lâcha ma main et me
fit un sourire à mourir debout, puis elle tourna les talons en se déhanchant
d’un naturel gracieux pour monter l’escalier qui menait au boulevard au-dessus
du Bouregreg.
Le
tramway me véhiculait sans bruit, presque silencieusement. Je ne cessais de
penser à cet au revoir pour le moins bien différent des autres. La difficulté
de ces situations est de ne pas se laisser aller à des fabulations infondées,
sans doute était-ce moi qui me laissais flâner sur des pensées érotiques loin
de la réalité. Il n’empêche que mon sommeil fut difficile.
Curieusement,
nos rendez-vous hebdomadaires avaient sombré un certain temps dans l’oubli,
jusqu’au jour où elle m’envoya un message en s’excusant de son silence
prétextant des affaires familiales. Cela faisait plaisir de recevoir à nouveau
des nouvelles de Douha, ce qui signifie matinée en français. Cette Berbère aux
courts cheveux couleur châtaigne non couverts du foulard traditionnel me
proposait un rendez-vous en soirée, boulevard de Kenitra, devant le supermarché
Carrefour. Bien entendu je lui accordai avec plaisir. C’était curieux ce
rendez-vous, d’ordinaire c’était toujours l’après-midi, mais je mettais ça sur
le compte de ses problèmes familiaux.
Je
la retrouvai sur le parking appuyée sur une Sandéro rouge. Après les salamalecs
d’usage et la poignée de main, elle me dit que nous étions invités chez des
amis à Kenitra, eux aussi amateurs de belles-lettres. Trente kilomètres, le
temps passait très vite à discuter de tout et de rien. Elle conduisait
doucement sans à coups avec un fond de musique andalouse qui couvrait le bruit
du moteur. Après avoir échappé aux nombreux sens interdits de Kenitra, elle se
gara dans une toute petite rue plantée de petites habitations individuelles
blotties les unes contre les autres comme pour se protéger des intempéries. Une
fois la porte franchie, un tout petit escalier en bois accédait à une très
grande salle carrelée qui servait de chambre à coucher suivie d’un salon à la
marocaine et d’une toute petite cuisine fonctionnelle tapie dans le coin près
de la fenêtre. Un grand lit haut trônait sur le côté de la porte et un large
tapis rouge donnait accès au couchage.
Avec
son sourire à damner les anges, elle m’indiqua le sofa rouge comme la couleur
du tapis. Tout était propre, bien rangé. Je compris alors son silence de
plusieurs semaines et ses mensonges… Elle venait à Kenitra pour remettre en
état ce tout petit appartement qui avait appartenu à ses parents, pour se
mettre au vert, rédiger ses nouveaux textes. Un ordinateur portable siégeait
sur la table. Elle avait dans la tête l’idée de nous éloigner de la capitale
pour être à l’aise tous les deux, comprenant sans peine à ma façon de la
regarder, même si je m’en défendais, que je la désirais. Ce mensonge était donc
inventé à mon profit.
Elle
vint s’asseoir auprès de moi entourant mon cou de son bras serré, me mordillant
l’oreille, se complaisant à me voir me tortiller ainsi. Elle avait tout prévu.
Rapidement sur un coup frappé à la porte d’en- bas elle descendit presque en
volant comme l’oiseau, le retour fut aussi furtif, mais les mains pleines d’un
tajine de légumes et de poissons. L’un à côté de l’autre, nous dégustions en
riant encore de la farce qu’elle m’avait faite. C’était le moment des
discussions stériles sans queue ni tête partant dans toutes les directions,
Inch Allah 12 !
Sans
formalité elle s’esquiva, j’entendis le bruit de la douche dans l’autre coin de
la pièce m’invitant à en faire autant dès l’emplacement libre. Elle prit son
temps pour sortir de derrière les rideaux vêtue d’une longue robe jaune et or,
parfumée de senteurs d’orient. Je pris la suite, l’eau était froide, mais
réparatrice. Le bain terminé je m’essuyai avec ses serviettes, car je n’avais
pas du tout pensé à ce piège bienheureux. Bien obligé de sortir nu de derrière
les rideaux, je me sentis vexé, humilié de devoir me présenter ainsi à elle.
Une brève observation et elle comprit ma gêne. Elle me jeta un drap sur le dos
pour me couvrir complètement tout en éclatant d’un rire sonore qui du réveiller
tout Kenitra !
Elle
se mit à confectionner pour nous deux le thé du plaisir. J’ignore si c’était
vrai, mais il était excellent, parfumé à la menthe bien entendu avec une autre
herbe qui donnait beaucoup de goût à ce breuvage. On m’a appris par la suite
qu’il s’agissait de l’absinthe.
Sans
gêne et pleine d’initiative, elle tira sur le drap pour dévoiler ma nudité. Ses
caresses multiples parvinrent à ce qu’elle souhaitait et ses baisers parfumés
achevèrent de me transformer. La nuit de Kenitra compte encore dans nos
mémoires, elle se poursuit chaque semaine dans le petit appartement qui nous
accueille pour consommer notre amour.
CHICHA BLUES
Le
petit taxi jaune slalomait entre les autres véhicules dans les rues de Salé où
les piétons indisciplinés et les vendeurs ambulants se risquaient à maintes
collisions. Comme la plupart des taxis, celui-ci était vétuste, une vieille 205
avec des amortisseurs absents, un tape-cul qui me donnait l’impression de jouer
aux autos-tamponneuses.
Un
soir de stress, je m’étais décidé à aller dîner à la Médina. J’aimais cet
endroit cerné de murailles ocre, divisé en petites rues commerçantes. Le taxi
m’arrêta à la grande porte de la Médina, refusant de s’engouffrer dans les
encombrements où il était difficile de s’extirper ! Je ne suis pas allé
bien loin pour trouver un restaurant sympathique. Il se trouvait près de la
place où prospéraient quelques palmiers. Les meubles Marocains tous de bois
sertis de nacre blanche par des artisans de qualité, supportaient le
rembourrage spécifique au Maroc recouvert d’un magnifique tissu de couleur aux
motifs orientaux.
Un
tajine de poulet aux légumes finit de me mettre de bonne humeur, d’autant que
le service était impeccable et le prix comme partout au Maroc, des plus
compétitifs. Déjà vingt-deux heures, le temps passait très vite. Je marchai au
hasard dans les ruelles de la Médina et au coin d’une rue des musiciens
offraient un concert avec différents instruments de percussion. Le musicien à
la « nira » qui se trouve être une flûte légère en roseau portait la
traditionnelle chéchia 13
rouge, un jabador 14
jaune le couvrant jusqu’aux babouches également jaunes. Je m’arrêtai quelques
instants pour écouter la mélodie en les saluant la main sur le cœur.
Toujours
beaucoup de monde se bousculant dans les rues étroites malgré l’heure tardive.
J’arpentais les rues doucement, prenant soin de regarder les différents
boutiquiers. Dans une toute petite rue, un endroit m’attira par sa lumière
tamisée donnant du relief à la façade. Trois marches donnaient accès au salon.
À l’intérieur, une chaîne diffusait une musique andalouse interprétée par
Mohammed Bajjedoub. D’un sobre niveau sonore, elle emplissait néanmoins chaque
recoin de l’établissement. L’endroit était richement agencé : tables,
meubles, sofas provenaient tous d’artisans spécialisés dans ce style de
décoration. Des rideaux lourds et riches de décors soulignaient les
encadrements des portes.
En
fait je me trouvais dans un établissement de fumeurs de chichas ou narguilés.
J’appris plus tard que ces établissements étaient interdits. Le garçon me
conduisit sur le sofa de coin, mais je refusai la chicha, car je ne fume pas.
Un double café noir me suffit. L’odeur du tabac égyptien, doucereux, rehaussée
de parfum d’orange, m’aidait au plaisir inspiré de l’orient.
J’avais
aperçu en entrant, une femme légèrement alanguie sur un sofa, tirant sur le
tuyau de la pipe à eau. Aussitôt assis- je jetai un regard de son côté. Elle
était habillée d’un magnifique caftan bleu décoré d’arabesques jaunes, ses
longs cheveux noirs tombaient bas sur le dos et quelques fils d’argent avaient
pris possession de sa chevelure. S’apercevant que je la regardais, elle tourna
la tête dans ma direction avec un sourire à mon endroit. Je pouvais voir sur
son visage des cernes au coin de ses yeux dessinés par le khôl (11).
Quel âge pouvait-elle avoir ? Quarante, quarante-cinq ans… La classe, me
dis-je.
Au
moment de payer mon café, elle me demanda de lui prêter mon téléphone. Pas de
chance, il ne fonctionnait pas et me le rendit. En rangeant mon portable, je
vis un autocollant apposé dessus. Saluant l’assemblée, je rejoignis la foule de
la Médina. Ce n’est qu’en sortant, rejoignant le boulevard que je découvris un
nom : « Abir » ainsi qu’une adresse de rendez-vous. J’avoue que
j’oubliai à ce moment mes bonnes résolutions. Le taxi bleu de Rabat me déposa près
de la tour HASSAN où j’attendis quarante-cinq minutes avant de la voir
apparaître telle la reine de Sabbat dans son caftan bleu, ses longs cheveux
enveloppés dans un magnifique foulard du même bleu. Elle me prit le bras sans
un mot pour me guider vers son appartement situé dans un immeuble cossu.
Cette
femme n’était pas n’importe qui. L’appartement était luxueux de par les
meubles, les rideaux, les étoffes diverses, les vases. Une chicha posée sur la
table basse aux quatre pieds sculptés à la marocaine dans du bois rouge
laissait supposer qu’elle fumait également chez elle. Qui était-elle ?
Femme entretenue ? Intellectuelle ? Femme issue d’une famille
riche ?
Elle
s’absenta quelques instants pour revenir habillée d’un pantalon turc bouffant
aux chevilles et d'un haut brodé de motifs arabes de couleur or. Ce chemisier
court laissait apercevoir la chair de sa taille légèrement arrondie. Un large
décolleté découvrait une poitrine généreuse et haut perchée.
Je
ne savais plus par où commencer tellement j’étais sous le charme d’Abir. La
signification française de son prénom c’est elle qui me l’expliqua… cela
correspond à « parfum », une traduction que me donnait encore plus le
désir de humer l’odeur de son corps comme une rose du jardin d’Éden ! Elle
m’expliqua aussi l’autocollant sur le téléphone. Bien que femme libre, en tant
que musulmane elle faisait attention de ne pas tomber dans le piège de la
Charia (15)
et de ses tabous. Elle venait de temps en temps fumer la chicha à la Médina et
lorsqu’elle repérait un étranger à son goût, elle s’arrangeait via le téléphone
portable pour le lui faire savoir. Elle avait ainsi préparé une petite liasse
d’autocollants dans son sac, il était très facile ensuite de le coller sur le
téléphone ; sa méthode était invariable.
La
nuit fut longue, ponctuée de longs soupirs partagés. Abir avait un tempérament
à damner les anges, elle avait le Siroua ( 7)
entre les jambes. Je me demande encore aujourd’hui si elle n’avait pas mis des
produits dans son tabac égyptien, tant elle était amoureuse et désireuse.
Cette
aventure unique restait constamment dans mon esprit, interloqué par la
curiosité qu'Abir m’inspirait encore des années après.
CE SONT ENCORE DES ENFANTS
Un
flot de lycéens sortit en chahutant de l’établissement devant le vigile
placide, adossé au mur de clôture tandis que des cris et des bourrades
ponctuaient cette libération des études. Deux groupes distincts différenciaient
les étudiants : les filles, foulard sur la tête, robe longue, chaussures
plates en petits groupes raisonnables, et les garçons jouant les durs, se
frappant les épaules ou se donnant des coups de pies dans les fesses, un jeu
qui ne pouvait que dégénérer. Quelques groupes mixtes avançaient doucement, se
racontant des histoires ou revenant sur le dernier cours de philosophie. Des
étudiants en vélo ou vélomoteur dressé sur la roue arrière lâchaient le guidon
pour épater les filles ; c’est un éternel recommencement. Les autres se
contentaient de faire entendre les rugissements des petits moteurs en zigzaguant
autour des filles qui faisaient semblant d’avoir peur au plus grand plaisir de
ces garnements.
Fatima
était timide, réservée, grande, très jolie. Elle prenait soin de cacher sa
chevelure sous un foulard de couleur qui par un besoin de coquetterie
inconscient était différent chaque jour. Aucun maquillage ne venait orner son
visage à la différence d’autres étudiantes qui usaient de produits de beauté
dès la sortie du lycée. Bonne élève, Fatima était sur le chemin de la réussite,
car elle souhaitait devenir avocate. Elle avait toujours les mêmes amies, un
groupe de filles tranquilles. À la sortie des classes, chacune se dirigeait
vers son domicile respectif.
Fatima
habitait la Médina dans une maison ancienne datant du dix-septième siècle.
C’était une maison rénovée par la famille au fond d’une ruelle étroite. Elle
aimait cet endroit historique remontant du douzième siècle pour la
reconstruction des remparts, elle s’était plongée avec volupté dans la lecture
des textes historiques. Elle en était là dans ses pensées à une centaine de
mètres de chez elle quand elle se sentit tirée par les cheveux, frappée dans le
dos et jetée au sol. Elle n’eut pas le temps de voir l’individu qui l’avait
interpellée de cette façon, a contrario, elle remarqua le garçon qui avait fait
fuir le voyou. Resté sur place, il l’aida à se relever en la regardant dans les
yeux, heureux qu’elle n’ait pas eu plus de mal. Elle avait ses longs cheveux
ébouriffés par la violence exercée sur elle. À ce moment il pensa à ramasser le
foulard qu’elle récupéra et le mit dans son sac.
—
Je m’appelle Amin, dit-il en reprenant le guidon de son vélo.
De
l’autre bras, Amin aida la jeune fille à marcher jusque chez elle. Elle
s’arrêta devant la lourde porte en fer forgé, le remercia simplement et referma
la porte derrière elle.
Désormais
Amin montait subrepticement une surveillance en fin de soirée lorsque
normalement Fatima arrivait. Durant près d’un mois, elle ne sortit pas de chez
elle. Il l’aperçut enfin au vieux marché avec sa mère, les cabas remplis de
légumes et de fruits. Elle lui jeta un regard en biais. Amin ne s’imposa pas,
ayant l’impression de ne pas appartenir au même monde.
Il
n’allait pas au lycée, mais travaillait comme livreur pour les commerçants du
souk ou du vieux marché. Il livrait avec son vélo les courses commandées par
les clients. Sa mère étant veuve, il était devenu le chef de famille.
Il
avait abandonné sa surveillance furtive, conscient que l’individu ne
reviendrait pas de sitôt ! Il ne connaissait pas le nom de cette jeune
fille qui l’avait touchée par sa faiblesse passagère, à terre, frappée par un
misérable. Mais il avait aussi été touché par sa beauté malgré sa peur, son
courage, son orgueil qui l’avait empêché de pleurer. Amin en était tombé
amoureux tout en sachant que ce sentiment ne pourrait aller bien loin… Qui
était-il pour espérer cela ? Il s’arrangeait pour l’apercevoir juste un
instant au vieux marché ou au retour du lycée qu’elle avait retrouvé, toujours
accompagné de sa mère. Pourtant, le visage de Fatima le poursuivait, il ne
pouvait le chasser de son esprit. Comment la rencontrer, lui parler, connaître
son nom ?
Il
priait Allah de lui accorder cette faveur. L’amour est-il un péché ? Allah
est miséricordieux, il aime les justes et Amin était persuadé qu’Allah
l’exaucerait ! En attendant, il s’activait jour après jour sur son vélo à
livrer ses clients habituels dans toute la Médina. Sérieux, Amin avait la
confiance des commerçants, y compris pour changer le flouze à la banque, car
certains clients payaient encore en dollars ou en euros aux commerçants
compréhensifs. Toujours habillé du même short semi-long couleur bleu délavé
légèrement blanchi derrière par la selle du vélo, et d’un tee-shirt de même
couleur, il fendait les ruelles du souk à la vitesse du son, le porte- bagage
plein à craquer. C’est là qu’il se fit accrocher par un petit chariot,
déchirant son short sur la cuisse. Contrarié, désemparé, il se rendit chez un
de ses fournisseurs habituels. Lui faisant voir les dégâts, il lui demanda s’il
acceptait de lui vendre un short à crédit. Mohammed se mit à rire avec des
hoquets lui bloquant la voix, et ses babouches jaunes le portèrent au fond
de l’échoppe pour revenir avec un short et un tee-shirt rouge qu’il
n’avait pas vendu, stockés depuis des lustres dans le fond sur des cartons au
cas où une occasion se présenterait. Il balança les vêtements dans les bras
d’Amin en lui montrant le fond de l’échoppe. Quand Amin revint, Mohammed
l’embrassa sur ces mots : « qu’Allah te garde, suit ton chemin ».
C’était sa façon de faire sa zakat (16)
journalière.
Content,
rasséréné, Amin enfourcha d’une jambe légère son vélo et repartit comme une
flèche vers son prochain destinataire. Il déboucha sur la place du vieux marché
comme un bolide aux vingt-quatre heures du Mans pour se trouver nez à nez avec
Fatima, seule, achetant des grosses oranges au bayyaz (17)
du trottoir. Elle le reconnut, mais ne sut quoi faire d’autre que de lui lancer
une orange qu’il attrapa au vol. Son cœur battait plus que la mesure pendant
qu’elle disparaissait à l’intérieur du vieux marché en le laissant
décontenancé. Il prit le parti de poser son vélo et de partir à sa recherche.
Il la retrouva chez le boucher. Là, il fit comme s’il faisait la queue, la
suivant dès qu’elle quitta l’étal pour l’interpeller.
J’essaie
de parler avec toi, mais c’est des missions impossibles. Il s’enhardit et
poursuivit… Le vendredi, tout est fermé, pourrions-nous nous voir au jardin des
Oudayas (18) juste
pour parler ?
Amin
s’attendait à un refus ou à des mots de colère, mais il fut surpris d’entendre
cette douce voix lui dire : « Je t’attendrai à la grande Bab (19)
des jardins à quinze heures ».
Quand
le muezzin appela à la prière, il se rendit à la mosquée de la Médina pour
remercier Dieu. Cette journée ne pouvait être qu’envoyée par Allah lui-même. Le
restant de la journée se passa comme dans un rêve, et en rentrant chez lui sa
mère constata le changement dans l’attitude de son fils, mais n’en fit cas. Le
jeudi soir Amin avait pris soin de laver ses vêtements pour un séchage dans la
nuit. Le vendredi matin il prit le temps de les repasser convenablement. Après
manger, sa mère le trouvait fébrile. Amin traversa le pont du Bouregreg pour
rejoindre la route des Oudayas, il n’avait pas l’argent pour prendre le taxi ou
le tramway néanmoins il arriva à la porte des jardins largement en avance. Il
s’assit sur le banc de pierre devant la fortification. Il avait dû s’assoupir
ou du moins perdre conscience du temps quand il entendit : « tu
dors ? ». Il se leva d’un bond, s’excusa bêtement. Fatima était
superbe, toujours simple, non maquillée, un foulard bleu sur ses cheveux, une
jupe descendant au-dessous des genoux d’un bleu turquoise et un haut dessinant
parfaitement son cou. Sa tenue se mariait à merveille avec le foulard et ses
chaussures plates également de couleur bleue. Amin la voyait respirer aux
mouvements de sa poitrine qui gonflait légèrement son vêtement. Elle lui prit
la main gentiment comme deux écoliers, le conduisit sur le banc des orangers
plantés là dans une sorte de haie.
Je
voulais te remercier de ton intervention, j’y pense souvent, tu as été
courageux. Je m’appelle Fatima. Je fais des études de droit. Je te vois quand
tu te caches avec ton vélo derrière des voitures, n’osant pas m’aborder.
Tu
sais bien Fatima que les interprétations vont vite au Maroc. Je ne veux pas que
tu aies des retombées négatives ni que tu aies des problèmes avec tes parents.
C’est la raison pour laquelle je t’ai proposé le jardin des Oudayas, pour ne
pas rester dans la Médina.
Amin
en avait le souffle court avant de poursuivre.
Il
faut que j’aide ma mère, je suis livreur dans la Médina et le soir je lave les
voitures. Je n’ai pas de revenus, tout l’argent que je gagne je le donne à ma mère.
Je n’ai même pas les moyens de t’offrir un jus d’orange ou de prendre le
tramway. J’aimerais te revoir aux jardins d’essais ou au jardin du triangle de
vue, mais je ne peux pas Fatima… J’ai honte, je suis loin d’avoir le niveau de
vie de ta famille. Je me rends compte à l’instant que ce rendez-vous était
déplacé, incongru.
Voyant
sa détresse, Fatima choisit de rire en saisissant sa main, puis elle lui
adressa un regard avec gentillesse.
Avec
Allah, Amin, tout s’arrange. As-tu envie de me revoir ?
Cette
question, c’était comme de demander à un enfant s’il voulait du chocolat. Il
avait envie de l’embrasser sur la joue, sa main effectua une pression sur celle
de Fatima et ses yeux éclairaient le ciel.
Écoute,
lui dit-elle, tous les vendredis tu m’attendras à la station de tramway
« Bab Lamrissa », j’aurai pris un billet pour toi, personne ne verra
rien, ne se doutera de rien, nous pourrons nous promener en toute tranquillité.
Ce
manège dura des mois. Il s’était trouvé un autre travail le soir, plongeur dans
un restaurant de la Médina ainsi il pouvait garder une partie de cet argent
pour ses rendez-vous avec Fatima. Ensemble ils avaient décidé d’aller au jardin
exotique ce vendredi. Fier, il paya le taxi. Le jardin exotique était immense
avec des emplacements aquatiques et des bancs sous les frondaisons permettaient
de se reposer. Sur l’un d'eux, côte à côte, la main dans la main, ils se
regardaient plonger par cet amour d’enfants. Profitant de la solitude des lieux,
elle l’embrassa d’un bisou furtif sur les lèvres. Amin en fut bouleversé et lui
rendit son baiser. Ils étaient amoureux. Un amour encore chaste qui poussait
Amin à la mettre sur un piédestal où il n’y avait qu’elle, rien qu’elle. Il ne
voyait plus rien autour d’elle, même les fleurs étaient devenues quelconques.
C’est dans cet état d’esprit que tous les deux revinrent à la Médina. Amin
descendit au mur de Kwass Kenitra pour terminer le reste du trajet à pieds, la
tête dans les étoiles. Il avait l’âme bien née, l’honnêteté chevillée au corps…
Le courage se lisait sur ses mains et son visage. À la Médina, chacun
connaissait Amin et sa mère Aïcha en était fière, à lui seul il gagnait le pain
du dar. Levé à six heures du matin, couché à la fermeture du restaurant, cela
lui rapportait, grosso modo avec le lavage des voitures, cinquante dirhams (20)
par jour.
Hajji
(21) !
héla Mohammed lorsqu’Amin passa devant son échoppe… Amin, écoute, j’ai une
proposition à te faire, réfléchis et donne-moi ta réponse demain dans la
journée. Tu vois l’échoppe à côté de la mienne, elle est fermée depuis le décès
du propriétaire, tu te souviens de Ali ? Sa famille est venue me voir pour
me revendre l’emplacement cinquante mille dirhams. Tout seul à mon âge je ne
pourrai pas m’occuper des deux en même temps alors j’ai longuement réfléchi. Tu
es jeune, courageux. Voilà, je rachète l’échoppe de Ali à ton nom, mes enfants
sont en Italie, tu n’auras plus à courir dans tous les sens dans la Médina et
nous partagerons les bénéfices moitié-moitié. Réfléchi bien, je te fais
confiance. Si tu es d’accord, viens demain avec ta maman.
Allah
est bienveillant, il ne s’était pas remis en selle, il marchait à côté de son
vélo. La proposition de Mohammed lui avait donné mal à la tête. Lui, Amin,
propriétaire d’une échoppe dans le souk aux vêtements ! Des idées plus ou
moins farfelues se bousculaient dans sa tête. Il avait besoin de calme. Il
livra ses derniers clients puis rentra chez lui pour faire part à sa mère de
cette proposition venue du ciel.
Allah
soit loué ! dit sa mère… Ne refuse pas, c’est un signe. Mohammed est un
homme juste.
La
nuit fut agitée, mais au petit matin sa décision était prise, il irait voir
Mohammed avec sa mère. Au fond de , il savait qu’il avait pris la bonne décision,
d’autant que cela pouvait déboucher sur une autre approche de la famille de
Fatima. Mohammed sortit de la mosquée, Amin et sa mère l’attendaient à la porte
de l’échoppe cadenassée. Mohammed comprit qu’il avait gagné un compagnon solide
pour ouvrir le local d’Ali. Il leur proposa d’aller chez le notaire avant
d’ouvrir son commerce pour faire les choses en règle, légalisées, Inch Allah (12).
Durant
trois semaines, Amin nettoya, répara, rénova le local et mit une porte en fer
devant le futur étal. Il avait été décidé que pendant un certain temps ce
serait sa mère qui tiendrait l’échoppe, tandis que Amin continuerait son travail
habituel : livraisons, lavage de voitures, plonge au restaurant, tout cela
afin de pouvoir rembourser Mohammed des achats de tissus et de vêtements
féminins accrochés dans l’échoppe.
Il
continuait à voir Fatima le vendredi, profitant que les commerçants et bayyaz
soient fermés pour le jour de la création d’Adam, jour sacré pour les
musulmans. Amin se rendit au Jardin du Triangle de vue où Fatima l’attendait
assise sur le banc près de la porte d’entrée, toujours aussi jolie. Il lui prit
le bras et à petits pas ils s’éloignèrent.
Je
ne t’avais encore rien dit, commençait-il souriant… je suis devenu
propriétaire.
Après
une brève inquiétude, Fatima le regarda avec étonnement, impatiente de
connaître toute l’histoire. Évidemment Amin était fier de tout lui raconter.
Amin
et sa mère avaient su mettre en valeur des vêtements à leur échoppe qui
attiraient beaucoup de femmes et en même temps chez Mohammed, au bout de
quelques années, le petit livreur avait fait place à un commerçant
aisé, écouté dans le souk et la Médina.
L’amour
que les deux jeunes se portaient n’avait pas faibli si bien qu’ils décidèrent
de se marier. Le statut d’Amin avait changé et faciliterait sans doute le
dialogue avec les parents de Fatima. Ce fut la maman d’Amin qui fit la demande
aux parents de Fatima. Elle se présenta dans sa plus belle tenue à l’heure
du thé, soit après la prière, avec deux flacons de parfum de qualité. Le dar
des parents de Fatima était presque aussi beau qu’un palais des mille et une
nuits, tous les murs étaient carrelés de toutes petites mosaïques bleues, une
fontaine alimentait sans cesse le bassin aux petits poissons qui sillonnaient
l’eau au travers des plantes aquatiques. D’un seul coup elle eut peur, face à
la richesse de cette maison. Son ameublement serait à coup sûr un repoussoir à
sa demande. Les parents entrèrent ensemble dans le salon, Aïcha se leva
avec les paroles de bienséance et d’usage, puis d’un geste, Saïd le père de
Fatima l’invita à s’asseoir. Aïcha eut de la peine à déglutir et c’est avec une
petite voix presque inaudible qu’elle eut le courage de faire sa proposition
après avoir décrit sa situation et celle de son fils.
Avec
le thé présenté dans une théière en argent, des petits gâteaux au chocolat
étaient proposés dans une petite assiette en porcelaine. Aïcha les mains
tremblantes offrit les deux flacons de parfum à Rachida la maman de Fatima,
puis elle proposa une dote de cent mille dirhams ainsi qu’un local vide situé
dans le souk que son fils avait l’intention d’acheter à cette occasion. Les
parents connaissaient la réputation d’Amin et la proposition paraissait
alléchante. Ils se retirèrent avec politesse afin de se consulter en privé
pendant près de trente minutes, laissant Aïcha seule avec ses pensées. La
porte s’ouvrit sur le salon. Fatima entra rayonnante, entourée de ses parents.
Chacun prit place sans un mot. Puis soudain Saïd se leva et d’un air docte
s’adressa à sa fille.
Fatima,
acceptes-tu la proposition de Aïcha ? Acceptes-tu d’épouser Amin ?
Là
elle se jeta dans les bras de ses parents en sanglotant. Aïcha de son côté
pleurait à chaudes larmes. Des discussions interminables eurent lieu pour
trouver la date des noces, mais ce n’était rien en comparaison de la soirée
éprouvante et longue que les époux durent subir dans leurs costumes
flamboyants. Les musiciens emplissaient l’immense salle des sons traditionnels
tandis que les invités battaient la mesure et dansaient en se tortillant
le ventre.
Après
le poulet aux amandes, Amin et Fatima aidé par Mohammed s’éclipsèrent sans
bruit sur leur nuage bleu. Mohammed les salua. Amin et Fatima le cœur plein de
rêves s’engouffrèrent dans le grand hôtel de Rabat accompagné du groom de
service. La porte de leur chambre refermée, ils se déshabillèrent promptement
en prenant soin de ranger leurs beaux vêtements. Amin prit une douche
salutaire, Fatima oublia son visage et sa belle coiffure, qu’importe, ils
étaient beaux, impatients de donner enfin libre cours à leurs désirs si
longtemps cachés… Leurs lèvres inexpérimentées s’essayaient aux baisers, faisant
monter la fièvre dans leur corps, cette fièvre qu’ils avaient réussi à occulter
depuis de si longues années. Alors ils inventèrent comme Adam et Ève les gestes
de l’amour, les caresses folles qui les remplissaient d’un plaisir intense,
leurs mains, leurs lèvres, leurs sexes se livrèrent aux jouissances diverses,
découvrant enfin ce qui leur avait été défendu. Amin se trouvait désemparé, la
peur de faillir, la peur de faire mal. Voyant son malaise, Fatima jeta ses bras
autour de ses épaules et l’attira vers elle. Doucement il se poussa dans le
corps de Fatima, elle l’attira encore plus fort. Lors de ses va-et-vient, il
aperçut le sang sur son pénis. Bizarrement cette vision lui fit mal et en même
temps le mit dans un état d’excitation extrême l’amenant au plaisir. Il avait
été trop vite pour Fatima. Avec tendresse il se servit de ses doigts dans une
caresse ultime, Fatima eut juste un soupir au moment où ses reins se levèrent…
Ce n’était plus des enfants !
LES WAGONS DE
L'OUED DES OLIVIERS
Le
Duster haut sur pattes battait la campagne doucement sans heurts sur la route
goudronnée. Saïda conduisait bien, elle était attentionnée tout en entretenant
une discussion de tout et de rien. Il est de faits notoires que la vie est
faite d’aventures où le hasard n’a rien à faire!
Il
y avait des mois que je faisais mes achats au supermarché de la ville, un grand
magasin de deux étages fortement achalandé. À ma première visite, je fus
bousculé par une employée poussant un chariot lourd de produits domestiques.
Elle s’excusa par le terme marocain « smerlhi » et reprit sa route
zigzagante entre la clientèle nombreuse en cette heure précise sans se douter
qu’elle m’avait fait mal aux jambes. Je la regardai s’éloigner sans un mot.
Comme de nombreuses Marocaines elle avait une longue chevelure de jais qui
devait lui tomber jusqu’à la ceinture, en tout cas je l’imaginais, car elle
était cachée sous un foulard de couleur bleue laissant dépasser quelques
mèches. J’avais vu son visage lors de ses excuses : ovale, légèrement teinté,
sans doute métissée. Cette jeune femme avait un joli visage valorisé par des
yeux cernés au khôl (11),
comme beaucoup de Marocaines. Elle avait aussi une taille légèrement arrondie.
J’eus l’occasion de la revoir plusieurs fois officiant à une caisse, rarement
la même, avec le sourire et une dextérité stupéfiante dans la présentation du
code barres au lecteur magnétique de la caisse.
Plusieurs
mois s’étaient écoulés depuis cet incident, mes salam alékoum (22)
avaient contribué à détendre l’atmosphère lorsqu’un après- midi je tombai nez à
nez avec elle. Sans réfléchir, je criai « taxi » en faisant le
signe de main habituel. Je la reconnus immédiatement. Elle fit semblant de
descendre la vitre du véhicule et me dit avec un sourire de circonstance :
« désolée, je ne vais pas dans cette direction »… Pan, touché !
C’était du tac au tac. Cette jeune femme jouait à merveille sa partition de
séduction.
Un
samedi vers treize heures peu de monde dans le magasin, alors que je m’engageai
seul dans le couloir réservé à cette caisse, elle barra l’accès avec son bras
en me disant : « li makay yetkalmouch al arabiya
mayhadrouch ». Surpris, inquiet presque, je me tournai vers le vigile, un
colosse de près de deux mètres de haut.
Saïda
vous dit que cette caisse est fermée aux étrangers ne parlant pas arabe !
me dit-il d’un air sérieux.
Devant
ma surprise, il poursuivit sur un commentaire :
La
direction fait un essai, si cela est concluant, le magasin sera fermé aux étrangers
ne parlant pas l’arabe, car cela est une perte de temps. La rentabilité de
l’établissement est en jeu.
Le
rire me secoua le corps, je m’étais fait avoir d’une belle façon. Le vigile de
connivence avec Saïda avait préparé et joué cette comédie. Il faut dire que
j’étais assez copain avec le vigile. De temps en temps je l’emmenais hors
service pour boire un café.
Je
rangeai mes achats dans mon cabas,je payai, pris le ticket, puis je sortis pour
prendre un taxi et rentrer chez moi. En rangeant mes produits dans le réfrigérateur
et le placard, je découvris sur le ticket de caisse un numéro de téléphone. Je
compris que c’était celui de Saïda. Le magasin fermant à vingt-deux heures,
j’eus la patience d’attendre la fermeture pour l’appeler.
Je
ne croyais plus à ton appel, me dit-elle… J’ai terminé à dix-huit heures
aujourd’hui et je voulais faire un tour dans un endroit sympa, tu es
d’accord, non ?
Je
n’avais pas de voiture alors nous nous sommes retrouvés à l’endroit choisi. Là,
elle me récupéra. Dans les phares du Duster, s’alignaient sur des kilomètres
les forêts d’eucalyptus et de chênes-lièges aux troncs lisses, de chaque côté
de la route, avant de suivre la ligne de chemin de fer en direction de
l’Oued des Oliviers. C’était une petite station régionale, mais un carrefour
important de transit de marchandises, particulièrement de machines agricoles et
outils de levages. Quatre ou cinq voies de garage attendaient les puissantes
locomotives électriques souvent attelées deux par deux pour acheminer ces wagons
lourdement chargés vers leurs destinations. Sur la voie extrême, aucune
barrière ou clôture ne séparait la voie du domaine public. De vieux wagons de
voyageurs étaient là, pour certains depuis plusieurs années. Saïda m’expliqua
que ces wagons étaient devenus des hôtels pour les jeunes lycéens, chaque
compartiment se transformant en chambre d’hôtel. Ils ne recherchaient pas le
confort, mais seulement un lieu pour donner libre cours à leurs désirs. La loi
au Maroc interdisait toujours les amours hors mariage, d’où les wagons hôtels
des Oliviers !
Saïda
connaissait bien l’Oued des Oliviers. Elle se dirigeait sans coup faillir
jusqu'à un établissement composé d’une boîte de nuit, d’un restaurant et d’un
hôtel. Là encore nous aurions dû être mariés pour prendre une chambre d’hôtel,
toutefois nous étions adultes et le bakchich de deux cents dirhams (20)
avait suffi pour refouler efficacement les scrupules du responsable. Les
affaires posées sur le lit, nous sommes allés nous restaurer. Une pizza aux
fruits de mer gigantesque pour Saïda, des tagliatelles aux fruits de mer pour
moi que je n’ai pas pu finir.
Il
était plus de minuit quand Saïda m’entraîna dans la boîte de nuit attenante. La
musique disco ne m’ayant jamais emballé, après deux ou trois danses, assis sur
nos chaises nous dégustions une bière de qualité. Ce fut le moment des
confidences. Elle m’avoua qu’elle avait habité le bled 23,
du côté de Fès et qu’elle s’était mariée, puis divorcée il y avait maintenant deux
ans. Pour ne pas avoir de représailles toujours possibles de sa belle famille,
elle avait disparu de la région pour s’installer dans le sud, à Marrakech où
elle habitait dans un petit appartement qui lui suffisait largement. Personne
ne rentrait dans son logis, c’était la règle qu’elle s’était fixée. Lorsqu’elle
ressentait des envies, elle les passait à l’Oued des Oliviers où le responsable
de l’hôtel faisait semblant de ne pas la reconnaître. Elle avait trente-huit
ans, et avait la chance d’avoir trouvé rapidement du travail dans ce
supermarché qui lui assurait une vie agréable sans plus. Elle ne me posait pas
de questions pourtant l’heure était venue de lui faire également des
confidences… Veuf, je m’étais établi au Maroc par curiosité, pour mieux connaître
la culture, les gens. Mais au fil des mois j’étais devenu marocain grâce à un
certificat de résident qui me permettait de séjourner sans problème au Maroc.
En France, j’avais occupé un poste de maîtrise dans une entreprise de
construction. Soudain elle me prit la main ; l’invitation était claire. Le
responsable de l’hôtel nous salua tous les deux.
La
porte de la chambre refermée, elle m’embrassa goulûment, entreprenant de
m’enlever ma chemise, mon pantalon et mes sous-vêtements. Ses mains étaient chaudes
et douces. Je profitai de son déshabillage pour me rincer la bouche. Elle
m’apparut telle que je l’avais imaginée, et même plus encore… La poitrine
forte, c’était effectivement une métisse, sa peau était très légèrement
colorée, ses cheveux noirs très longs descendaient jusqu’aux reins, de grandes
jambes aux mollets parfaits soutenaient un corps bien fait.
Elle
m’accompagna sous la douche. Armée d’un gant de crin, elle entreprit de me
frotter le dos, le ventre et les cuisses, c’était délicieux. Je fis de même
avec plus de douceur sur le corps de Saïda, surtout sur sa poitrine. Nous
étions enduits de savon parfumé des pieds à la tête et nous commencions à
perdre la raison ; nos lèvres scellées refusaient de parler. Avec un geste
précis? elle s’enfonça, ne me laissant pas le temps à la réflexion elle
commença des allées et venues développant en nous des fantasmes interdits. Elle
monta ses fesses encore plus haut, ses
cuisses enveloppant les miennes risquant de nous faire glisser. Je lâchai Saïda
pour agripper les robinets de la douche, mais sans la quitter des yeux jusqu’au
moment où un imperceptible tremblement noyé dans une ultime secousse lui rend
sa lucidité. L’eau chaude de la douche nous remit en état.
Séché
je m’allongeai sur le lit pendant que Saïda terminait le séchage de ses cheveux
tout en les lissant délicatement avec un peigne adapté. Après dix minutes elle
vint se coucher près de moi, mutine, toute souriante, laissant apparaître ses
dents d’une grande blancheur. C’était plus fort que moi, le désir revenait, et
je ne pouvais ni n’avait envie de le réfréner.
Nos
langues mêlées orchestraient nos fantasmes, nos obscénités cachées. Ma main
prenait possession de sa poitrine, jonglant avec l’un et l’autre fruit offert à
ma convoitise, titillant les cerises posées comme un défi sur le bout de ses
seins. Ma langue aussi goûtait avec délice ces fruits que Dieu avait donnés aux
femmes pour que nos enfants trouvent après nous les voies de la vie et de
l’amour. Mes doigts descendaient doucement sur son ventre, rencontrant un petit
buisson taillé, court, défendant une vallée heureuse où logeait le génie des
plaisirs. Mes doigts continuaient leurs dédales doucereux dans une vallée de
plus en plus humide. Saïda s’abandonnait en ouvrant les jambes, la bouche ouverte,
aspirant l’air doucement, me rendant son souffle tendrement au creux de
l’oreille.
Plus
vite, me glissa-t-elle à l’oreille.
J’obtempérai
de bonne grâce. Il ne lui fallut pas longtemps pour qu’elle chasse ma main
d’entre ses cuisses. Un large sourire éclairait son joli visage. Au bout de
quelques instants, elle rampa sur le lit en écrasant mes jambes pour les ouvrir
et délicatement elle commença une succion ; elle m’amena au vertige par
une savante fellation. Je ne me souvenais plus le matin au réveil du moment où
je m’étais endormi tant ces instants avaient été forts !
Je
continuai à aller faire mes achats au même magasin, rencontrant Saïda, mais
n’échangeant que des banalités. C’était elle qui me téléphonait lorsqu’elle
avait envie de me rencontrer pour confondre nos corps et nos phantasmes.
RIEN QUE TOI
Il
existe un petit théâtre minuscule bien sympathique à l’autre bout de la ville,
**La Soupière** où la direction éclectique offre aux passionnés différents
spectacles allant du chant à la tragédie en passant par le burlesque et le
mime. De simples bancs en bois pour se poser en toute simplicité. Chaque
semaine la direction nous propose un spectacle spécialement choisi, chaque
semaine j’assiste emballé par ce choix toujours intelligent, chaque semaine je
m’assieds pratiquement à la même place, et chaque semaine vient s’asseoir à
côté de moi une jeune femme un peu ronde, étoffée, mais au joli visage. En fait
c’était sympathique d’être accompagné malgré soi de cette inconnue à chaque
représentation. Elle prenait soin tout comme moi de venir de bonne heure afin
de bénéficier d’une place assise.
—
Salam alékoum (22),
lui dis-je.
Puis
le silence s’installait entre nous. Les trois coups retentissaient sur
l’estrade et l’ensemble des spectateurs claquait des mains en accompagnant les
chanteuses aux robes superbes. Je sentis la jambe de ma voisine qui fort
discrètement s’appuyait contre la mienne, je la regardais, elle me sourit en
continuant comme les autres femmes de l’assemblée à se tortiller dans une danse
du ventre donnant l’impression d’un envol de papillons. Sa jambe restait soudée
à la mienne avec de légers frottements, invisibles pour les autres.
Un
peu gêné, je retirai ma jambe pour la coincer sous le banc. Le spectacle
terminé, je sortis en me dirigeant vers la station de taxis.
Pourquoi
tu ne me parles pas ?
Surpris,
je tournai mon regard vers cette voix. C’était ma voisine de banc. D’un geste
autoritaire, elle me prit le bras… Double surprise, ce n’était pourtant pas le
genre de clientèle de la **Soupière**.
Que
voulez-vous à la fin ? Je ne vous connais pas ! lui avais-je répliqué,
fâché.
Pourtant
depuis plusieurs mois je suis assise à côté de toi, sans que tu fasses un
geste, ou jette un regard de mon côté ! J’ai patienté, attendu en vain.
Aujourd’hui j’ai pris la décision, au risque de passer pour une mauvaise fille,
de te faire savoir que tu m’intéresses, Inch Halla (12).
Je voudrais parler avec toi, savoir qui tu es. Suis-je si laide pour que tu ne
t’intéresses pas à moi ?
Elle
m’avait dit cela en me regardant droit dans les yeux. De ce fait elle avait
réussi à m’intéresser. Je la trouvais pitoyable et j’éprouvais de la peine pour
cette femme qui avait pris ce risque d’humiliation. Était-ce vraiment de
l’amour ou une passion pour ma personne ?
Ce
sont ses grands yeux et sa figure éplorée qui ont éclairé et dirigé ma
conscience.
Viens,
lui dis,-je, j’ai faim, allons dîner ensemble.
C’était
tout naturellement que je l’avais tutoyée, probablement pour la mettre à
l’aise. L’ameublement du restaurant était magnifique : des meubles
marocains de caractère avec un éclairage doux à dominante rouge.
Il
t’en a fallu du temps pour me remarquer, dit-elle en me prenant les mains… J’ai
tout essayé jusqu’à ce soir, tu ne voyais rien. Je suis amoureuse depuis la
première fois où je t’ai vu au théâtre. Je m’appelle Rachida. J’aimerais que
nous puissions nous connaître, avoir une relation que j’attends depuis mon
adolescence, rien que toi et moi. J’ai trente-cinq ans, je t’ai rencontré, Dieu
t’a mis sur mon chemin rien que pour moi.
C’était
ubuesque et pourtant si réaliste. Elle était persuadée que son existence en
serait changée.
J’habitais
une maison en banlieue de la capitale, isolée, entourée d’eucalyptus et de
rosiers, ainsi je faisais ce que je voulais et mon statut d’étranger arrangeait
bien les choses. J’optais comme elle l’avait fait pour un comportement
autoritaire dès la fin du repas en la prenant par le bras sans lui demander son
avis. Le taxi nous déposa tous les deux devant chez moi. Elle n’eut aucune
protestation, sans doute attendait-elle ce moment depuis longtemps.
Il
y avait de l’alcool chez moi, mais je faisais très attention à ne pas choquer
mes amis musulmans avec ces produits prohibés par l’Islam en les rangeant dans
un placard. Je lui demandai donc si je pouvais boire un verre de whisky et elle
me donna son feu vert. Elle me laissa boire tout seul à petite gorgée en
s’asseyant collée contre moi. Je l’embrassai tendrement… Elle avait dit
vrai ! Elle n’avait jamais eu de relations avec un homme si bien qu’il
m’appartenait d’user de toute la délicatesse possible avec elle. Sa langue ne
savait pas où se nicher, elle cherchait la méthode, je la forçais avec la
mienne aux contacts glissants, bientôt elle devint experte au french kiss. Elle
se laissait caresser avec de petits soupirs d’enfants. J’avais retroussé sa
longue robe jusqu’aux mollets tandis que ma main remontait longuement sur sa
cuisse jusqu’à la vallée interdite, puis je remontai petit à petit le pan de sa
robe. Changeant de position je levai sa robe. Elle leva les bras par facilité
et sa forte poitrine apparut, serrée dans un soutien-gorge vite dégrafé. Là
elle enleva elle-même son slip de dentelle couvrant le haut de ses cuisses.
Debout, je reconnaissais sa taille ronde et sa forte poitrine ; elle était
enrobée avec un visage éblouissant auréolé d’une chevelure brune très longue.
La
douche prise, tous les deux allongés sur le lit, je la regardais. Comment en
étions-nous arrivés là ? Elle m’embrassa longuement en passant sa main sur
mon torse. Je la sentais trembler, je l’ai prise dans mes bras pour lui faire
évacuer le stress qui la terrassait en cet instant, et je décidai, pour éviter
la peur qui la dominait, de ne pas aller trop vite. Je pris le parti de la
caresser avec ma langue, elle réagit immédiatement en creusant les fesses, les
jambes ouvertes. Ses mains m’agrippaient doucement la tête en me caressant les
oreilles, puis comme souvent dans de pareils cas elle me désarçonna de ma
position par la montée du plaisir, m’obligeant très vite à revenir lui procurer
le plaisir qu’elle avait un moment interrompu. Elle resta plusieurs minutes
abasourdie constatant la déferlante du plaisir qui l’avait emplie de mille
joies.
Je
l’embrassai tendrement, lui caressant la poitrine de mes doigts et de ma
langue, la faisant frissonner. Mes doigts allaient et venaient au creux de son
ventre tandis que mon désir était au maximum. Je lui écartai doucement les
cuisses et elle me regardait avec des yeux brillants. Je pénétrai en poussant
doucement dans son intimité avec des va-et-vient doucereux jusqu’à sa défaite.
Pas de cris, juste un gros soupir expressif. Elle n’avait pas menti, elle était
vierge et cela me faisait l’effet d’avoir fauté, de lui avoir enlevé toute une
partie de son corps. Femme elle était devenue, femme elle resterait !
Rachida était douce, amoureuse, expérimentant sur moi des caresses inventées
par ses propres fantasmes ; mon corps était devenu un champ d’expérimentation.
La nuit fut longue et fusionnelle jusqu'au sommeil réparateur.
Il était presque midi
quand je ramenai Rachida près de chez elle. L’histoire dura très longtemps et
puis tout a une fin. Elle s’exila un jour en Italie pour rejoindre une partie
de sa famille… Nous avons fait semblant
de nous oublier.
L'AMOUR C'EST COMME L'ORTOGRAPHE
Le
souk s’étendait sur une bonne partie de la Médina, coincé contre les fortifications
de briques de terre jaune. D’innombrables ruelles étroites sillonnaient le
quartier, coupées à angles droits de ruelles encore plus étroites. Territoires
incontestables et incontestés de cyclistes et cyclomotoristes zigzaguant entre
la foule et les tabourets posés au bord des échoppes. Une foule considérable
arpentait à petits pas les ruelles du souk en allées et venues frustrantes.
Chaque produit avait son empire : la viande, les volailles, les légumes,
les produits laitiers, les œufs, les vêtements, les chaussures… Les bayyaz (17)
vous interpellaient devant leurs échoppes
pleines à craquer. Moi, je cherchais un jabador (14)
à mon goût dans cette circulation difficile du souk aux vêtements qui pendaient
par dizaines, suspendus sur des cintres. Cette façon de me diriger me
fatiguait, j’avais l’impression d’avoir couru dix kilomètres ! Une échoppe
m’intriguait par le physique du bayyaz assis sur un tabouret bas à l’entrée de
l’échoppe. Il paraissait sortir directement du dix-septième siècle avec un
estomac volumineux qui remplissait son jabador, une longue barbe rouge teintée
au henné ; il ne lui manquait que le sabre des pirates du Bouregreg pour
compléter l’image. Quand il m’interpella en se levant du tabouret, j’eus à
faire face à un géant, un colosse de chairs et d’os qui aurait pu fracasser le
toit d’une voiture d’une seule main ! Mon salam alékoum (22)
avait trop l’accent français pour le tromper.
Qu’est-ce
que tu veux ? me dit-il.
Après
lui avoir expliqué, il me mit sur le dos un jabador ample, léger, de couleur
gris avec des grands carreaux plus foncés. C’était ce que je souhaitais. Il
était sympa ce pirate. D’un geste il fit signe à un enfant qui accourut avec
une théière et deux verres. Mon pirate commença à remplir les verres en prenant
soin de les vider et de recommencer aussi souvent qu’il le désirait. Une bonne
demi-heure passa ainsi à nous raconter nos vies. Au moment de nous séparer, il
m’embrassa en me disant : « qu’Allah te garde, khrouya (24),
longue vie à toi ». J’eus depuis de nombreuses occasions de le saluer.
Il
me fallut encore jouer des coudes pour m’extraire de cette immense foule
coagulante comme le sang d’une blessure. Ouf, je pus revoir le soleil,
l’esplanade, les massifs de fleurs et les palmiers nains. Assis sur un banc,
mes pieds hors des sandales, j’appréciais ce moment de détente, la tête haute
vidée de tous problèmes, les yeux fermés ; j’étais seul au monde dans mon
monde. Ce monde, de temps en temps perceptible par le cliquetis du tramway. La
tête vidée, je m’étais sans doute endormi quand une voix au fort accent
britannique me demanda si je connaissais les Oudayas 18.
J’ouvris les yeux pour me trouver face à face avec une demoiselle à la longue
chevelure blonde.
Voyez,
lui dis-je en lui montrant du bras… Ce sont les fortifications en hauteur que
vous apercevez de l’autre côté du fleuve. Il vous faut traverser le pont. Des
indications en français vous aideront ensuite à poursuivre votre chemin.
Elle
me remercia dans un français légèrement hésitant. Au moment où elle se remit en
marche, une pulsion me fit la rappeler.
Je
vais avec vous, lui dis-je.
Un
beau sourire me récompensa. Je fis signe à un taxi qui nous déposa à la porte
des Oudayas, face aux jardins. Elle me prit le bras, un sac de toile brute couleur
beige pendait sur son côté. Les jardins traversés, nous fûmes la cible
d’étudiants voulant nous guider à travers les Oudayas. À force, j’en
connaissais autant qu’eux ! Elle était conquise par la cité bleue,
souvenir des Andalous. Elle n’arrêtait pas de photographier le site sous toutes
ses coutures. Sur l’esplanade surplombant le Bouregreg elle m’offrit un jus
d’orange en me racontant son histoire. Elle s’appelait Maddie et était
originaire de Galway, une cité côtière au sud-ouest de l’Irlande où elle faisait
ses études de droit. Elle me décrivit Galway comme une cité vivante avec de
nombreux festivals auxquels elle participait. Une publicité d’agence vantait
les voyages vers le Maroc, mais elle regrettait d’y être venue seule, car elle
s’ennuyait un peu et c’est pourquoi elle était contente de notre rencontre.
Elle avait trouvé un hôtel populaire à Salé à des prix raisonnables. Je lui
vantais Salé, ville historique, sa médina, son histoire que je lui contais
rapidement. Elle me prit le bras, et moi je pris la décision de l’emmener
dîner. Je connaissais un restaurant sympa à Salé qui proposait barbecue et
cuisine traditionnelle.
La
chevelure blonde de Maddie fit sensation parmi les piliers de bar accros au
foot. Assis au fond, loin du bruit, nous continuions notre conversation avec un
jus d’orange en ayant commandé tous les deux des brochettes de bœufs avec des
frites. Je sentais qu’elle avait besoin de compagnie, sa solitude l’effrayait
un peu. Je me lançai en lui demandant si elle voulait dormir chez moi et je fus
récompensé par un magnifique sourire ponctué d’un « ho, yes ! »
C’est
toujours intimidant ce moment où l’on découvre l’intimité de l’autre, de ces
gestes. Je n’avais pas encore remarqué que sa poitrine était aussi généreuse,
coincée sous une robe répressive. Maddie était experte, ses caresses ne
permettaient plus de retour en arrière alors je l’accompagnais, nous avions
gagné tous les deux le pays du non-retour. Ses cheveux blonds flottaient comme
un drapeau sur mes épaules ; le drapeau de la flibuste. Elle m’avait
piraté, enchaîné, s’enchaînant elle-même à mon corps consentant. Elle prenait
la barre, ne me laissant pas le loisir de gouverner à ma guise ; c’était
un supplice. Le plaisir multiplié par dix, le souffle court, je la laissais
parcourir mon corps de haut en bas pendant qu’elle me récitait des obscénités
qui augmentait mon désir et qui à m’écouter ne s’éteindrait jamais !
Chacun
de nous était repu d’amour, encore ivre de cette violence amoureuse, couché sur
le dos, elle me dit : « tu sais, l’amour c’est comme l’orthographe,
ça s’apprend ». Elle m’avait sidéré.
Longtemps
après j’y pense encore, elle avait raison. Combien de fois faut-il faire
l’amour pour parvenir à la plénitude amoureuse, au respect de l’autre dans le
plaisir, dans la connaissance des envies et des pulsions de l’autre ?
Combien de fois en dehors de notre mauvaise foi ou d’orgueil de mâle avons-nous
raté une expérience amoureuse conduisant au désastre ? Alors arrive le
temps de l’amour, le temps de la compréhension mutuelle du désir charnel des
deux corps couchés l’un contre l’autre, le temps de la jouissance nous faisant
perdre temps, raison et conscience en un bouleversement cosmique, repoussant
l’univers encore plus loin. Ce privilège, Dieu nous l’a octroyé, c’est celui de
nous reproduire, mais aussi celui d’aimer, d’aimer à en mourir comme nous
chantait le poète.
LA FLEUR FANNEE
Seulement
20 ans ! Basma faisait le ménage chez tous ceux et toutes celles qui
avaient besoin de ses services. Elle faisait vivre sa famille, car sa mère
veuve ne pouvait plus travailler. Basma était une jeune musulmane et comme
toutes les femmes du Maroc, ses yeux cernés de khôl 11
renforçaient son regard. Ses mains et ses pieds étaient décorés soigneusement
par des dessins au henné et un long foulard couvrait sa tête, son tour de cou
pour finir sur son épaule.
Seulement
vingt ans et Basma se vendait pour cinq centS dirhams (20)
aux hommes qui la désiraient, et le plus souvent aux propriétaires des
logements chez qui elle s’activait la journée au nettoyage des lieux. Basma
portait bien son nom, « Belle », c’est vrai qu’elle était belle,
tellement qu’il fallait s’efforcer de ne pas la regarder.
Elle
ne devait pas habiter très loin de mon domicile, car je la croisais souvent
chez les commerçants du quartier, presque hautaine, le regard fixe. La pauvreté
faisait qu’entre l’allure et la clandestinité des faits il y avait un
fossé ! J’étais loin de me douter de la réalité de sa vie contrariée par
les lois d’Allah.
Je
ne croisais plus Basma. C’est là que j’appris la nouvelle… Elle avait été
emprisonnée, dénoncée par une voisine jalouse ou une épouse trompée. La Charia (15)
ne badinait pas avec ce genre de comportement. Enfermée à ZAKI, la prison de
Salé, Basma en avait au moins pour deux ans à subir tous les sévices que
pourraient lui infliger les gardiennes ou pire les autres prisonnières pendant
que sa mère allait subir la misère.
Mariée
à seize ans, malgré les nouvelles lois en vigueur, à un époux violent qui la
frappait chaque jour pour un rien, introduisant au domicile d’autres femmes, pratiquant
ses accouplements devant elle. Basma ne pouvait être qu’atterrée et résignée
jusqu’au jour ou elle s’échappa pour se réfugier chez une tante à Kenitra. Elle
s’y réfugia pendant près de deux années sans se douter que sa mère subissait
des menaces du mari à la suite de la procédure de divorce. Une procédure
symbolique sachant qu’elle n’obtiendrait aucun dédommagement en dehors d’un
semblant de liberté !
Basma
en prison, à la limite c’était encore mieux que sa vie antérieure,
pensait-elle. L'obligation de se donner aux hommes pour vivre décemment avec sa
mère avait rongé son âme et sali son corps alors, elle priait Allah pour qu’il
lui pardonne, et lui redonne la lumière. Allah l’entendit et consentit à lui
pardonner par la grâce du Roi Mohamed VI qui en ce jour gracia Basma ainsi
qu’une dizaine d’autres condamnés.
Glossaire
1.
LACQ : commune française dans les Pyrénées
Atlantiques connue pour ses gisements de gaz
2. LACQUEUR :
travailleur du gaz de Lacq
3. PANHARD :
véhicule automobile de Panhard & Levassor
4. LA SAULDRE :
rivière française et affluent du Cher
5.
FADO : genre musical portugais, chant
mélancolique
6. FADISTE :
chanteur(se) de fado
7.
SIROUA : vaste volcan et point culminant de
l’Anti-Atlas
8.
Makrèl : commère de voisinage
9.
sé sèl médikaman nou ni :
c’est le seul médicament que nous ayons
10.
ti ni bèl bonda mam’zèl la :
la demoiselle a de belle forme
11.
KHÔL : crème de maquillage noir pour les
yeux
12. INCH ALLAH :
si Dieu le veut
13. CHÉCHIA :
couvre-chef masculin
14. Jabador :
tunique longue en soie ou coton, généralement grise pour les hommes
15.
CHARIA : la charia ou
charî'a (arabe : الشَّرِيعَة) représente les diverses doctrines
sociales, culturelles, et relationnelles édictées par la « Révélation
». Le sens religieux signifie : « chemin pour respecter la loi
de Dieu ». La charia légifère à la fois les aspects publics et privés de la vie
d’un musulman, ainsi considérée comme l’émanation de la volonté de Dieu (Shar')
16.
Zakât : don aux pauvres en argent ou en
nourriture
17.
BAYYAZ : vendeur
18. Oudayas :
forteresse de Rabat construite par les Almoravide
19.
Bab : porte
20.
DIRHAM : monnaie marocaine (ex : 1
dirham = 10 centimes d’Euro ; 10 dirhams = 1 Euro)
21.
Hajji : viens
22. SALAM ALEYKOUM :
Salâm Alaykoum, formule de politesse qui signifie « que la paix soit sur
vous.
23.
Bled : campagne loin des villes, isolée
24.
Khouya : frère
SOMMAIRE
................................................................................................................. 7
Chapitre
1
Michelle.................................................................................................. 11
La
Sauldre.............................................................................................. 16
Amina..................................................................................................... 19
O’
Fado.................................................................................................. 22
Tu
es si belle, dors mon amour !.......................................................... 26
Dormir
avec toi, c’est mourir ensemble !............................................ 27
Chapitre
2
Juste
un baiser....................................................................................... 31
L’Habituée
Négresse............................................................................. 32
Les
voyages d’Émilie............................................................................. 34
L’amour
n’a pas d’âge.......................................................................... 36
La
symphonie de la baignoire.............................................................. 38
Marie-Odile............................................................................................ 40
Mahéa..................................................................................................... 42
Chapitre
3
L’âme
d’Anissa...................................................................................... 49
Sur
la route de Kenitra......................................................................... 50
Chicha
Blues.......................................................................................... 54
Ce
sont encore des enfants................................................................... 57
Les
wagons de l’Oued des Oliviers....................................................... 63
Rien
que toi............................................................................................ 67
L’amour
c’est comme l’orthographe................................................... 70
La
fleur fanée........................................................................................ 73
Glossaire................................................................................................. 75
Commentaires