1946





                                   1946
                   Nouvelle de Paul Edouard GOETTMANN



A cette époque, le Plateau d'Avron était devenu un immense gruyère, tellement son flanc était percé de galeries. C'était la grande époque du plâtre, les morceaux de gypse étaient acheminés jusqu'à l'usine du bord de Marne! Le gypse transformé en plâtre était chargé sans précaution sur les péniches amarrées au quai.
Nous, les enfants, notre jeu favori était de s'accrocher au dernier wagonnet plein de pierres de gypse jusqu'à la traversée de la chaussée centrale du bourg de Neuilly Plaisance. Là, un ouvrier italien muni de son drapeau rouge assurait la sécurité. Il nous chassait du wagonnet avec sa grosse voix et un langage complètement incompréhensible pour nous autres. Le tracteur à vapeur était capable de mener une dizaine de wagonnets remplis de pierres blanches jusqu'à l'usine avec un bruit de ferraille qui résonnait encore plus sur le raccordement des rails!
Après la traversée de la chaussée du Bourg, nous reprenions le convoi à la volée en nous accrochant fortement aux barreaux d'acier. Il y avait encore deux kilomètres de trajet à exécuter à travers un couloir de six ou sept mètres de largeur, c'était le paradis des orties et des herbes hautes, puis tout au bout, la Nationale 34, l'entrée de la grande usine à plâtre. Nous lâchions prise bien avant la traversée de la Nationale 34 et avec patience, nous attendions le retour du convoi vide, ce qui demandait une petite heure!
La traversée de la chaussée du Bourg par le petit convoi de plâtre était toujours un événement, les gens s'agglutinaient sur la place commerçante, sortaient rapidement des boutiques à chaque fois, comme si c'était important. Pourtant c'était un cycle immuable de quatre trajets allers retours par jour. Cette place était importante dans la commune, outre le monument aux morts et le drapeau bleu, blanc, rouge, qui flottait jours et nuits, les trois cent soixante cinq jours de l'année, la boulangerie avec sa patronne alsacienne à la poitrine généreuse sous son éternel corsage à fleurs, Gaétan le boucher à la grande moustache en croc, son tablier blanc croisé sur sa poitrine, il faisait peur aux enfants, mamzelle lise, qui trônait dans sa toute petite mercerie, endroit incontournable pour les femmes de la commune, le commissariat, juché sur sa cave haute en pierres molières au fond d'une cour parsemée de graviers grinçants et une nuée de vélos! L'école de briques rouges à côté du tout petit dispensaire blanc, les grands peupliers qui bordaient les édifices, les larges trottoirs pour un meilleur accès des enfants, embellissaient la place bordée de hauts lampadaires à lampes jaunes. C'était aussi le terminus de l'autobus 114 avec sa nacelle d'acier à l'arrière et sa petite marche d'accès. Sur le côté droit de la nacelle, d'où l'on ne pouvait se tenir que debout, pendait une chaîne terminée par un manche en bois, actionnée par le receveur en uniforme gris pour signaler les différents départs de l'autobus. Le receveur outre son costume gris avait juchée sur sa tête, une casquette également grise, ornée d'un galon d'or ou d'argent suivant le grade du fonctionnaire. Sur le ventre, était sanglée une étrange machine carrée munie d'une manivelle, son action servait à poinçonner le ticket de transport du passager. Des bancs de bois de chaque côté de la petite allée centrale étaient installés dans la cabine de l'autobus. Le voyage jusqu'à Vincennes était souvent cahotique du fait de nombreux arrêts passagers, tous les quatre cent mètres environ. Le terminus se faisait au Château de Vincennes, lieu d'arrivée et de départ de la ligne de métro reliant Neuilly sur Seine. Il fallait à chaque fois une heure pour effectuer le trajet dans sa totalité!
Ce jour là, la dizaine de garnements avaient lâché les barres d'acier du dernier wagonnet, abandonnant l'idée d'aller jusqu'à la Maltournée site de l'usine à plâtre. En groupe devant la boulangerie, assis sur l'escalier, nous importunions la clientèle en laissant si peu de passage que celle ci a fini par nous chasser du passage obligé.
C'est en quittant l'endroit que Denise et son éternel petit tablier bleu est venue comme une guêpe, subitement, m'appliquer un énorme baiser sur la joue. L'hilarité des autres petits voyous du groupe n'avait plus de borne, tellement cela semblait cocasse. Rouge de confusion et de honte, je n'eu d'autres ressources que de m'essuyer la joue avec la main et d'hurler à la cantonade une tonne de jurons.......heureusement, mes parents étaient absents!







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