LE CORBILLARD D’ARABIE, les affres du terrorisme
C
Elle a comme mission de détruire une grande famille d'Arabie Saoudite qui finance les mercenaires terroristes d'Al Quaida. Ses aventures l'amène jusqu'en Afrique noire.
LA GOMME,
LE CORBILLARD D’ARABIE
Par Ali GADARI
Capitaine, je vous charge d’une mission très délicate, les
services du Mossad israéliens et nos agents dormants nous signalent que
l’Arabie Saoudite continue de financer Al Qaida et Aqmi, ce qui leur permet de
s’armer, de payer des nervis et d’organiser des attentats au Maghreb et en
Afrique sub-saharienne. Votre rôle sera d’éliminer ces financiers. Leur famille
est grande, importante, immensément riche, proche du pouvoir sans toutefois
appartenir à la famille royale. C'est une tâche difficile, mais je vous fais
confiance. Vous serez munie d'un passeport diplomatique, vous apparaîtrez comme
ingénieur de l’informatique et du réseau téléphonique, et l’ambassade vous
couvriront en cas de besoin. Lorsque vous arriverez à Riyad, présentez- vous à
l’ambassadeur, il vous remettra vos armes. Comme vous le savez, l’Arabie
Saoudite n’est pas un pays démocratique,tant s’en faut, qui pratique la
torture, le trafic d’êtres humains, et ne parlons pas de la condition réservée
aux femmes. Une pauvreté chronique y règne, en particulier pour les
travailleurs étrangers, alors que la richesse pétrolière explose, et
enrichissant la famille royale et quelques nantis. En mille neuf cents trente-deux
est arrivé au pouvoir et proclamé roi, Ibn Saoud. La richesse de ce pays
provient du pétrole, et l'Arabie Saoudite est devenue le chef du cartel des
pays pétroliers. Dans les années mille neuf cent quatre-vingt, les ultras
conservateurs et fondamentalistes s'emparent du pouvoir après la prise de la
mosquée de La Mecque. La Muttawa, police des mœurs, s’assure que tout ce qui se
passe dans le royaume n’enfreint pas les règles de l’Islam rigoriste, le
wahhabite. La musique, le théâtre ne sont pas autorisés en public. La
ségrégation sexuelle est fortement accentuée et le port du voile intégral
obligatoire. Voilà très rapidement présenter le tableau. Vous devrez donc
toujours vous vêtir d’une burka, et Abdéramane devra porter la tenue masculine
en usage dans ce pays. Occupez-vous donc de la famille Fashoghi, qui trafique
avec Al Qaida, et se compose du père régnant sans partage dans sa famille et
dans le monde des affaires, de ses deux fils et de ses trois neveux.
Paris, mercredi 8 septembre, il
était alors vingt et une heures au restaurant Ma Cuisine, établissement luxueux
coté cinq sur cinq par quatre grands spécialistes culinaires. Une longue
voiture noire, la limousine Mercédès 300D Classique, brillante et
impressionnante, s’arrêta le long du trottoir. Le chauffeur, aidé d’un employé
du restaurant en uniforme et casquette s’empressa d’ouvrir la porte aux trois
passagers, lesquels s’engouffrèrent rapidement dans le restaurant sous les
courbettes, compliments et remerciements d’usage. Six tables seulement dans
l’établissement. L’une d’elles leur avait été réservée. Aidées par deux membres
du personnel, les jeunes femmes s’assirent de même qu’un jeune homme élégant,
habillé à l’européenne, qui portait à l’index gauche une impressionnante bague
en or sertie d’un diamant. Bassam Siraj, fils aîné de Mohamed Fashoghi, loin
d’exercer la pratique de l’Islam wahhabite qu’il impose lui-même dans son pays,
s’adonnait aux plaisirs de la chair et de l’alcool. Les deux jeunes femmes, des
demoiselles de compagnie payées à prix d’or, l’accompagneraient ensuite vers un
hôtel de luxe, toutefois discret, situé dans le quinzième arrondissement, pour
l’une de ces bacchanales dont Bassam Siraj était friand. Il avait choisi le
menu : caviar, fruits de mer avec homards de la Baltique, daurade aux truffes,
salade variée et glaces parfumées, le tout arrosé de champagne Louis Roedérer.
Le bougre ne se privait de rien. Il appréciait le spectacle qui accompagnait
les repas, les danseuses nues et un chanteur de charme. A une heure du matin,
il se leva en compagnie des jeunes femmes, et laissa un pourboire qui
équivalait au salaire mensuel d’une femme de ménage. Les employés obséquieux
s’inclinèrent sur son passage. Il sortit le premier sur le trottoir, s’arrêta
quelques instants comme pour humer l’air environnant. Il eut juste le temps de
percevoir un sifflement avant de s’écrouler sur le trottoir dans une flaque de
sang, la gorge transpercée d’une flèche en acier de trente centimètres de
longueur. Une moto démarra et disparut dans les rues de Paris. Le gouvernement
français dépêcha une équipe de spécialistes sur les traces du tueur. Le
Président de la République salua les mérites de feu Bassam SIRAJ et envoya un
diplomate pour représenter la France auprès du cheikh Fashoghi. L’Arabie
Saoudite était un allié précieux pour la France, non seulement pour le commerce
du pétrole, mais aussi pour l’armement fourni à l’Arabie : les avions de
chasse MIRAGE 2000 ; le RAFALE, qui était une petite merveille d’avion de
combat, un bi réacteur volant à mille neuf cent kilomètres- heure, capable
d’atteindre quinze mille mètres d’altitude en soixante secondes. Des chars
légers aussi, rapportant des milliards d’euros à l’économie française. La
police n’avait pas retrouvé l’assassin de Bassam Siraj, et le gouvernement qui
craignait pour ses futurs rapports avec l’Arabie Saoudite, multipliait les
courbettes diplomatiques.
A Riyad, le samedi onze septembre
à seize heures, Zohra, Driss et Abderamane passèrent à l’ambassade du Maroc dès
leur atterrissage à l’aéroport du Roi Khaled où les attendait l’ambassadeur.
Après les présentations il leur remit une valise que Zohra ouvrit devant lui.
Elle y trouva son arbalète, son pistolet mitrailleur Glock et le petit pistolet
pneumatique à aiguilles ainsi que les Béretta de Driss et Abdéramane.
L’ambassadeur ne dit mot, mais resta un moment interloqué devant l’armement, en
particulier devant l’arbalète en acier. Ils parlèrent du travail à effectuer en
Arabie Saoudite, l’ambassadeur leur recommandant une grande prudence. Rentrés à
l’hôtel, où des chambres leur avaient été réservées, ils tinrent conciliabule
au sujet de la famille Fashoghi. Ils ne sont plus que cinq. Bassam Siraj avait
été liquidé par Zohra, et Abdélassam à Paris. Une organisation sans faille
était indispensable pour parvenir à leurs fins. Toute la police royale serait à
leurs trousses, sans compter les agents de la Muttawa. Réfléchissons, ayons des
idées et agissons ensuite. Abdéramane proposa de commencer par le cheikh et son
fils : les abattre avant le reste de la famille serait un exemple. Mais
cela risquait de les inciter à se replier sur eux-mêmes, s’enfermer avec une
armée de garde du corps, il serait plus facile de les localiser, mais plus
difficile de les abattre. De toute façon il fallait laisser le temps au temps.
Abdéramane et Driss regagnèrent leur chambre. Zohra réfléchit à ces
propositions et s’endormit après avoir fait sa prière. Le lendemain, sans
armes, ils déambulèrent dans Riyad pour mémoriser l’environnement. La grande
mosquée Al Rajhi était magnifique, en face d’un hôtel somptueux. Le pouvoir
autocratique donnait à Riyad des contrastes surprenants. D’une part, des
palais, de splendides lieux de culte érigés pour Allah, et de l’autre, des
masures alignées le long de rues peu engageantes. La Kaaba, mosquée sacrée,
lieu incontournable pour les croyants qui en avaient les moyens, aurait été
édifiée par Adan. Le jour de la grande prière du Jun’Ah, le vendredi à midi
était pratiquement une obligation pour tous les hommes. Après avoir fait leurs
ablutions et s’être parfumé le corps pour rendre grâce au seigneur, ils
entraient pieds nus dans la mosquée. L’Arabie Saoudite aurait, semble-t-il,
dépensé quarante-cinq milliards de dollars pour financer la construction de
mille cinq cents mosquées, en particulier dans les pays où les musulmans sont
minoritaires. L’Arabie Saoudite imposait le courant rigoriste wahhabite dans la
pensée sunnite. La Boutique nom donné par les agents au service avait fabriqué
un faux certificat de mariage à Abdéramane et Zohra pour qu’ils puissent se
promener en paix l’un derrière l’autre sans être coincés par la Muttawa. Ils
habitaient provisoirement à l’hôtel, une situation qui n’était pas du goût de
Zohra, même si ces deux complices respectaient les distances entre eux. Avec
l’aide de l’ambassadeur, ils louèrent très vite une villa dotée d’un certain
panache. Ils n’oubliaient pas qu’ils avaient un passeport diplomatique, et
aussitôt installé ils haussèrent le drapeau marocain au fronton. Les apparences
étaient sauves. Driss passait pour le chauffeur et le garde du corps, il
possédait un permis de port d’armes, Avec la villa, ils louèrent aussi une
limousine Mercedes Bifaro à faire rougir les pavés de Riyad. Driss en était le chauffeur
zélé, et porteur d’un pistolet mitrailleur des armureries Auxerre de neuf
millimètres GSG au cas de danger.
Ils avaient fait le tour de la ville en enregistrant
soigneusement dans leur mémoire les quartiers, les rues, les ruelles, les
particularités de Riyad, les villas de la famille Faghoshi. Ils étaient étonnés
de tant de taudis encore debout. Ils auraient voulu commencer par le père et le
plus jeune fils sortant de la grande mosquée. Cela s’était avéré impossible. La
mosquée donnait accès à une grande place dépourvue de tout emplacement
susceptible de les mettre à l’abri en cas de tirs. Il faudrait trouver un autre
environnement. Le frère cadet, Kazim, logeait dans une splendide villa parmi
les palmiers, au centre d’un magnifique jardin. Zohra demanda au Colonel de lui
faire parvenir par la voie diplomatique dix flèches explosives fabriquées par
la Boutique. Ils attendirent le bon moment, il n’y avait pas lieu de
s’inquiéter. L’arbalète, exécutée et modifiée par la Boutique, envoyait un
trait jusqu’à cent vingt mètres. Ils avaient observé depuis plusieurs semaines
les habitudes de Kazim et du cheikh Mohamed qui n’habitaient pas la même villa.
Les portes, gardées par une dizaine d’hommes, s’ouvrirent devant la somptueuse
automobile conduite par un chauffeur en costume, casquette vissée sur la tête.
C’était vendredi. Zohra et Abderamane s’étaient postés derrière un palmier et
une petite clôture de bougainvilliers, pour observer soigneusement leurs
agissements. Zohra ajusta son arbalète, la chargea d’une flèche et l’automobile
explosa, tuant ses passagers, Mohamed Fashoghi et un ami qui se rendaient à la
mosquée. Zohra et Abdéramane disparurent sans être inquiétés, l’absence de
coups de feu n’attirait pas l’attention sur leur présence. Cette famille tout
près du pouvoir avait été agressée. La famille royale exprima des regrets et
s’en prit aux nombreux contestataires du royaume, menaçant tous ceux qui
s’attaquaient aux familles dominantes. Une dizaine de rebelles furent arrêtés
et torturés, et l’un d’eux mourut après ces sévices. C’était la première fois
qu’un tel évènement avait lieu en Arabie Saoudite. La police était sur les
dents. Une arme nouvelle avait été employée, il était techniquement impossible
que l’automobile ait été piégée. Ce qui intriguait la police, c’était le
silence qui entourait l’utilisation du projectile. Elle ne trouva pas le lieu
exact d’où il avait été lancé. Un lance- roquettes aurait produit une
détonation, permettant de situer le tireur. Quelle était cette arme silencieuse
? Zohra et Abdéramane se devaient d’être prudents, la famille Fashoghi, sur ses
gardes, avait renforcé sa troupe de nervis. Le cheickh mort, la famille était
en ce moment intouchable en raison d’une sécurité renforcée. Il fallait
temporiser.
Le frère cadet, Kazim, habitait une villa de rêve, entouré de
serviteurs dévoués. La villa était défendue par une armée de gardes tant à
l’extérieur qu’à l’intérieur. Pas question d’une attaque frontale. Il aurait
fallu un drone… un matériel difficile à dissimuler. Abdéramane se promena
discrètement autour de la villa, défendue, difficilement approchable. Une idée
lui vint. Dans une masure en cours de destruction en face de la villa, il
serait possible, la nuit, de se hisser sur un mur pour mieux observer la villa,
et la détruire avec les traits explosifs. Deux nuits plus tard, ils revinrent.
Un éclairage agressif illuminait la villa. Des gardes étaient de faction devant
l’entrée. Un trait bien ciblé pourrait détruire une grande partie de la villa
et mettre le feu, entraînant la mort du frère cadet. Le problème, c’était que
des femmes résidaient à l’intérieur de la villa. Zohra ne voulait pas de
dommages collatéraux. Ils descendirent du mur et rejoignirent leur logement.
C’était pourtant une bonne idée ! Ils surveillaient toujours, sans progrès
notable toutefois.
Avant que son frère Bassam Siraj soit assassiné à Paris par
Zohra, son cadet habitait avec lui dans une partie réservée dont la surface
approximative pouvait être estimée à deux cents mètres carrés. Il était
célibataire, avait une vie très particulière, loin des dogmes de l’Islam, il
s’adonnait aux plaisirs de la chair et buvait de l’alcool. Zohra et Abdéramane
acquirent une meilleure connaissance de l’individu grâce à une rencontre
impromptue. Un soir, une jeune femme se présenta à la porte, pensant que
c’était une annexe de l’ambassade. Marocaine, native d’Oujda, elle demanda de
l’aide, raconta son histoire. Elle était venue travailler, munie d’un contrat
de trois ans, chez cet homme de la famille Fashoghi. Dès son arrivée, il lui
avait confisqué son passeport. Elle travaillait douze heures par jour, courses,
lavage, repassage, cuisine et nettoyage des locaux. Elle n’avait reçu aucun
salaire depuis deux années. Dernièrement il lui avait demandé de dormir avec
lui, ce qu’elle avait refusé. Elle était fiancée et devait se marier en rentrant
au MAROC. La tradition islamique veut que la jeune fille soit vierge pour sa
nuit de noces. Il fut brutal, la battit et la menaça, furieux de ses refus
réitérés. Il la viola, la fouetta avant de la jeter à la rue. C’est ainsi
qu’elle aboutit dans la villa de Zohra, qui, comprenant son traumatisme, tenta
de la consoler. Elle était passée par là en Afrique. Restez ici, lui dit-elle,
Ne répondez pas si on sonne à la porte, et donnez- moi votre téléphone. Je vais
le détruire pour effacer toutes traces. Décrivez-moi la situation de la villa
et les propres appartements de votre employeur.
La villa est très grande et très riche. Le frère aîné Bassam
Siraj disposait de la moitié de la villa, la seconde en est séparée par un
large corridor. Le grand salon donne sur le jardin, protégé par le mur en
béton, et la cuisine est du côté du corridor, les chambres du côté opposé au
salon. Aucune présence de femmes sauf quand il organisait des fêtes orgiaques,
en général les mercredis dans la piscine.
- Vous m’avez bien comprise, Leilla, ne sortez d’ici à aucun
prix.
-Elle acquiesça
-Nous allons faire quelque chose pour vous.
Le salon donnait sur le jardin protégé par un mur. A l’extérieur
quatre hommes montaient la garde, tout comme à l’intérieur. Il faudrait se
débarrasser des nervis en premier, l’arbalète serait d’un secours efficace.
Pour les gardes à l’extérieur, pas de difficultés majeures, mais pour
l’intérieur c’était autre chose. Ils seraient immédiatement repérés sur le mur.
C’est Leilla qui suggéra une solution. Il existait une petite porte en fer dans
le mur du côté des chambres. De là Zohra pourrait fusiller le garde à
proximité, puis, la porte ouverte à l’aide de matériel adéquat, ils
s’occuperaient des autres gardes. Zohra de l’un d’eux, Abdéramane et son Beretta
doté d’un silencieux de l’autre. Driss serait en couverture. Cela semblait
réalisable. Ils entreraient dans la villa, tête cagoulée, menaceraient et
ôteraient la vie du cadet après avoir récupéré la somme d’argent et le
passeport qu’il devait à Leilla. Ils s’enfuiraient par la petite porte. Zohra
aurait remis sa burka et Abdéramane ressemblait, copie conforme, à un natif du
pays. Ils réfléchirent encore pour peaufiner l’action à développer.
Zohra, Driss et Abdéramane surveillaient nuit et jour, à tour de
rôle, les agissements de Kazim. Un matin, une automobile inhabituelle dans ce
lieu entra dans la villa. Zohra eut le temps de photographier les passagers au
téléobjectif infrarouge miniaturisé. Photographie retransmise aussitôt au
colonel de la Boutique. Le soir, la sonnerie discrète de la montre de Zohra
appela son attention. Capitaine, l’individu aperçu dans l’automobile est Omar
Tazrabt, d’origine Chleue d’Algérie, chef du groupe salafiste d’AQMI dans toute
la région sub-saharienne. Il a été reconnu sans ambiguïté par le Mossad
israélien. Omar venait chaque jour de la semaine voir Kazim. Les tractations
devaient être difficiles. Le vendredi, il sortit de la propriété avec lui,
chacun dans son véhicule, pour se rendre à la mosquée. Quand il eut pris une
centaine de mètres d’avance, l’arbalète de Zohra lança un trait explosif sur la
tôle de l’automobile, aussitôt cernée de hautes flammes. L’explosion se fit
entendre dans tout Riyad. Pendant ce temps, les deux membres de la boutique
avaient pu s’éclipser et rejoindre leur villa. La police essayait de trouver un
indice, la direction du tir, derrière tous ces attentats. La Mutawa faisait
régner la terreur, s’introduisant dans les domiciles, menaçant les familles.
L’armée pensait que le lanceur était un fusil transformé, muni d’un silencieux
et envoyant des flèches en acier avec une étonnante précision. Petit à petit,
Riyad ressemblait à une prison. Le terroriste mort, il fallait régler au plus
vite le problème de Kazim. Il avait été soulagé de voir que l’assassinat ne
visait qu’Omar Tazrabt, sans doute la vengeance d’un autre groupe terroriste du
Sahel. Lors de l’explosion, il avait eu la peur terrible de subir le même sort,
après le meurtre de son père et de son frère aîné. Il ne comprenait pas les
motivations des tueurs envers sa famille. Zohra et Abdéramane auraient pu
également détruire son véhicule, mais il fallait qu’il s’explique sur le cas de
Leilla et qu’il sorte le passeport et des billets de banque de sa poche. Son
assassinat était reporté, mais aurait lieu comme prévu.
Le jeudi, sous la pleine lune, à deux heures du matin, ils se
faufilaient avec prudence dans l’ombre résiduelle. L’arbalète de Zohra abattit
le premier garde qui lui tournait le dos en fumant une cigarette. De la même
place, elle sacrifia le deuxième, debout contre le mur, d’un trait dans la
gorge. Elle se déplaçait sans bruit, trouva le troisième larron adossé à la
porte d’entrée, un genou replié, la chaussure contre la porte. Un trait le
meurtrit irrémédiablement, et Abdéramane, venu de l’autre côté, ne laissa
aucune chance au quatrième gardien en lui logeant une balle de Beretta, mode
incognito, dans la tête. Ils coururent vers la petite porte en fer située dans
le mur du côté des chambres. Zohra l’ouvrit avec un passe-partout électronique.
Elle grinça, mauvais augure… Et un garde arriva, curieux, avant de tomber
aussitôt, percé par un trait d’arbalète à la tête. Il en restait trois. Zohra
et Abdéramane s’avancèrent en catimini, longeant le mur de la villa. Juste dans
l’angle, ils étaient en conciliabule. Zohra arma son outil, le premier tomba,
rejoint par les deux autres exécutés par Abdéramane et Driss dans le silence le
plus complet. Ils firent marche arrière pour rejoindre les chambres. Zohra
coupa une vitre et ils s’introduisirent dans la villa. Tous portaient des
chaussures à semelle de crêpe silencieuses. D’après les détails fournis par
Leila, le salon était sur le côté opposé aux chambres. Kazim était assis dans
un super sofa, un verre de champagne à la main et un havane aux lèvres. Il ne
se refusait rien, le croquant. Il sursauta en les voyant arriver, cagoulés. La
peur se lisait sur son visage, la sueur ruisselait sur ses tempes.
-Que me voulez-vous ?
-Nous voulons le passeport de Leilla et l’argent que tu lui
dois!
-Je vous les donne, je vous les donne, du calme, je n’ai rien
fait.
-Oh si ! Aétuni, donne ce que tu dois. Tu as commis un crime
envers Allah, tu vas le payer, mais avant, paye. Kazim remit cinquante mille
dollars et le passeport, avant qu’une balle du Beretta le fige définitivement
sur le sofa. Ils se rhabillèrent, façon saoudienne, et sortirent
tranquillement. Et de quatre, commenta Zohra. Il reste les neveux avec Radwan,
entouré de ses quatre femmes et de ses enfants. Leila avait été d’un atout
précieux en indiquant avec précision le plan de la villa. Ils lui remirent en
rentrant l’argent et le passeport. Un large sourire éclairait son visage , et
ils ne lui révélèrent pas la punition subie par son patron. C’est encore elle
qui fournit une indication concernant les femmes. Celles-ci assistaient chaque
semaine avec leurs enfants à un défilé de mode qu’elles appréciaient beaucoup.
Une créatrice saoudienne, Mashel Alrhaji, avait beaucoup de succès. Leila les
avait déjà accompagnés pour s’occuper des enfants. Elles s’y rendaient tous les
mercredis, laissant Radwane seul avec les filles qu’il avait fait venir,
protégé par les gardes du corps de la villa. C’était enfin l’opportunité
d’agir. Ce mercredi ils assistèrent au départ des femmes et des enfants
protégés par une armée de gardes du corps. Montée sur le mur de la masure,
Zohra arma son arbalète d’un trait explosif, visa le centre de la villa, et la
flèche propulsée à grande vitesse atteignit sa cible. Le bâtiment explosa,
sombra dans les flammes, et Zohra se dépêcha de réarmer et tira à nouveau sur
le côté droit. Tout fut détruit en quelques secondes. Rapidement ils se
fondirent dans la foule apeurée et inquiète. La presse accordait une place
importante à ces évènements. Quel groupe s’en prenait ainsi à l’une des
familles les plus riches du pays ? La police penchait pour la vengeance
d’un groupe terroriste qui n’aurait pas obtenu satisfaction sur le plan
financier, mais sans preuve ! La famille Fashoghi avait été meurtrie dans le
sang depuis quelque temps. La presse rappelait les faits, le chef de famille,
ses deux fils, ses deux frères…qui seraient les suivants ? Le pays était devenu
une terre de ragots, de trahisons. Tout était analysé et le recours à la
torture était même envisagé. Les opposants étaient systématiquement
emprisonnés, battus, humiliés. La moindre suggestion était immédiatement
traitée en complot contre la monarchie. Tortures et assassinats s’ensuivaient.
Le Roi voyait une tentative de déstabilisation de son régime, venu du Yémen,
pays qu’il avait réduit au silence par les armes. La muttawa avait reçu le feu
vert pour mettre son nez partout. Arrogante, elle s’arrogeait des droits, bien
loin du respect de la liberté. Tout individu suspecté de vivre à l’encontre de
la charia était immédiatement supprimé, liquidé sans procès. Heureusement
Zohra, Driss et Abderamane étaient protégés par leur passeport diplomatique,
mais en tant qu’étrangers ils avaient été souvent arrêtés et maltraités par la
muttawa, poussés contre un mur L’Arabie Saoudite sombrait dans le cauchemar de
la peur et de l’autoritarisme. Leur villa n’avait pas été fouillée du fait de
leur représentation marocaine. Pourtant, un jour, un commando de la muttawa les
avait arrêtés, insults à la clef. Zohra se rebiffa, sa jambe se détendit sur le
premier des nervis, qui s’effondra la gorge bloquée. Le second subit le même sort,
touché à la tempe, et tous deux rejoignirent rapidement le pays des enfers du
roi Shaiitane. Zohra fut rapidement emmenée par la muttawa, et enfermée dans
leurs locaux. La muttawa devenait dangereuse, elle s’attaquait à quiconque.
Cette police s’octroyait des droits incompatibles avec la liberté de croire ou
de circuler. Le pouvoir s’en servait dans le but de créer la peur et faire
recroqueviller le peuple des croyants sur eux-mêmes. Abdéramane et Driss
avisèrent immédiatement le colonel, qui fit le nécessaire auprès de
l’ambassadeur pour qu’il intercède très vite auprès de sa Majesté le roi
d’Arabie Saoudite. Celui-ci, confus, prit l’affaire en main, ordonna à son
secrétaire particulier d’intervenir rapidement auprès de la muttawa. Une
dizaine de soldats, gardes de sa Majesté, s’immiscèrent dans les locaux de la
muttawa, abattirent systématiquement tous les membres de cette
« association du crime », afin de prouver aux ambassades étrangères
qu’il faisait respecter la loi. Zohra, le visage tuméfié, portant la trace de
coups sur sa poitrine dénudée, le ventre et les jambes, était étendue,
inconsciente, sur le canapé du salon. Le chef d’escadron la recouvrit d’un
drap, et la fit transporter en urgence à l’ambassade du Maroc, où elle fut
prise en charge par les médecins du service. L’ambassadeur émit une
protestation officielle auprès du Roi d’Arabie, notant tous les symptômes
occasionnés par la muttawa. Le Roi du Maroc lui adressa aussi un message clair,
rappelant les liens d’amitié entre les deux pays. Un réel risque de rupture
diplomatique entre les deux pays subsistait. L’Arabie envoya un diplomate à
Rabat, chargé de rétablir la confiance avec un chèque de cinquante
millions d’euros. En dehors de ces tractations, les médecins avaient examiné
Zohra, « bien arrangée » par les sbires de la muttawa. Ils
appliquèrent immédiatement de la glace sur toutes ces parties du corps pour
faire dégonfler les plaies dans un premier temps, lui injectèrent un
antidouleur. Cinq jours plus tard, compte tenu d’une évolution favorable, ils
remplacèrent la glace par de l’huile essentielle d’hélichrysum d’Italie,
l’huile du boxeur. Zohra souffrait des jambes, du ventre et de la poitrine, et
avait le nez cassé à la suite des coups violents donnés par les sbires de la
muttawa. Ses pommettes avaient retrouvé leur arrondi, et un jour, elle fut
transportée dans une salle de l’ambassade désinfectée et transformée en salle
d’opération où, allongée, elle fut rapidement endormie. Rédouane Khafrézi,
chirurgien militaire envoyé spécial du ministre des armées, lui refit un nez
superbe, presque plus beau qu’avant. Les coups qu’elle avait reçus sur les
jambes et le corps l’empêchaient de se mouvoir, et retrouver leur usage normal
nécessiterait beaucoup de temps. Driss et Abdéramane avaient trouvé un jeu très
amusant durant l’absence de ZOHRA, une sorte de jeu de quilles, un élément de
la muttawa, une balle perdue de sorte que les effectifs avaient rapidement
fondu, conjugués avec celui détruit par la garde privée de sa Majesté. Ils
venaient voir Zohra tous les jours dans une grande limousine noire, ornée de
deux petits drapeaux marocains sur les côtés du capot, portant
l’immatriculation de l’ambassade achetée lors de leur installation dans la
villa. De ce fait, ils pouvaient circuler rapidement et en paix depuis les
évènements. Driss jouait le rôle du chauffeur. Il fallait finir le travail, et
une fois remise, Zohra continuerait de coordonner leurs actions. La famille
Fashoghi était gardée comme la banque du Maroc. L’un des neveux habitait à une
quarantaine de kilomètres de RIYAD. Driss et Abdéramane décidèrent d’aller
visiter le village et, par là même, la villa du neveu, protégée par une
véritable armée. Il n’y avait aucune possibilité d’entrer. Une dune s’était
plantée devant le grand portail sous l’effet du vent, à deux cents mètres
environ. C’était insuffisant pour les dissimuler. Elle était isolée et
l’environnement ne se prêtait pas à une attaque. Une palmeraie se situait à
quatre ou cinq cents mètres de la villa, trop loin pour lancer un trait explosif
et elle était occupée en permanence par des bédouins ! Cette enquête demandait,
comme chaque cas particulier, beaucoup d’anticipation. Ils s’installèrent
plusieurs jours avec les bédouins, accueillants au demeurant. Dormant sous la
tente, participant aux discussions avec eux, ce fut un court séjour,
intéressant de par la découverte des habitudes des nomades. C’était un monde à
part. Ils n’avaient aucun lien avec les gens des villes et villages sauf pour
le commerce. Ils n’en parlaient pas, mais ils nourrissaient une forte animosité
contre la muttawa, qui leur occasionnait beaucoup de problèmes du fait de leurs
coutumes de vie. Le neveu de la villa, chef de la muttawa locale, était investi
de beaucoup de pouvoirs dont il abusait. Il recevait en retour une haine
féroce. Zohra se dit que c’était peut- être une ouverture, et elle demanda à
ses compagnons de réfléchir au problème. Abdéramane en parla au chef des
nomades, car Zohra, en tant que femme, n’aurait pas eu le crédit attendu.
Celui-ci n’était pas hostile à une expédition punitive contre le caïd de la
muttawa, lequel l’empêchait de se rendre à Médine. Un plan fut discuté avec le
chef bédouin. Le caïd ne se méfierait pas des nomades qui abritaient Abdéramane
et Driss. A cent mètres maximum, l’arbalète récupérée par Abdéramane, armée
d’un trait explosif, serait lancée sur la garde extérieure, puis rechargée,
ferait exploser la villa grâce à la brèche ouverte dans le mur. Le plan fut
exécuté comme sur le papier, et les bédouins ne furent pas les derniers à tirer
sur les gardes. Arrivés à proximité de la villa en caravane prête à partir, les
gardes de la villa ne s’en préoccupèrent pas, habitués à leurs déplacements.
Montés sur des chameaux, Driss et Abdéramane, le visage enturbanné de bleu,
étaient anonymes. L’arbalète, cachée entre la bosse de l’animal et son cou,
détendit son ressort sur un geste d’Abdéramane. La flèche atteignit la garde
extérieure et le mur par une explosion, nettoyant l’environnement. Une autre
flèche, vite rechargée sur l’arbalète, frappa la villa, et ce fut l’enfer,
flammes et destructions. Un nettoyage de plus ! Il restait encore deux
frères du neveu à liquider. Le colonel était satisfait du résultat, mais
conseilla aux hommes de Zohra d’être très prudents. Ils devaient en être au stade
de rechercher de cloportes dans les tapis.
Chacun des deux derniers
frères habitait une villa différente. La disparition de leur frère avait été un
rude coup ainsi qu’à l’organisation de la muttawa. Ceux-ci s’étaient
volatilisés, plus de traces, de la fumée ou du brouillard. Driss et Abdéramane
durant une semaine remuèrent ciel et terre sans succès. Ils avaient été bernés
! Un bruit courait sur la possibilité d’un refuge à Jubail, dont le port,
autrefois un petit port de pêcheurs, offrait des perspectives d’évasion.
Aujourd’hui, s’étendant sur une superficie de soixante-quinze hectares, c’était
une ville industrielle et commerciale moderne dénommée Madinat Al Jubay As Sina
Iyah, (Jubail Industriel City), et l’un plus importants ports de l’Arabie
Saoudite, où transitaient produits chimiques, engrais, sidérurgie. Une base
navale importante de la marine royale saoudienne et une base aérienne de la
Royal Saoudi Air Force le défendaient. Rendons à César ce qui est à César, la
misère est endémique au Royaume, mais l’ensemble abrite la plus grande
compagnie pétrochimique du Moyen- Orient, et au niveau mondial elle se place à
la quatrième place. Abdéramane souffla à Driss que Jubail abritait également La
Sabic, l’une des plus grandes usines au monde de dessalement d’eau de mer
appartenant à la compagnie Marafiq, qui fournissait cinquante pour cent de
l’eau douce du pays. Arrivés à Jubail, ils se mirent à la recherche du bateau
de plaisance des deux frères, et le trouvèrent amarré sur le quai VII B destiné
aux bateaux de plaisance. C’était un confortable bateau à moteur de trente
mètres de long portant le nom de Jouj Jémoula, les Deux Chamelles. En plus de
l’équipage, une armée de gardes du corps hantait les espaces. Ils passèrent de
nombreux jours à observer. Ils allaient sans doute bientôt lever l’ancre, car
des provisions arrivaient sans cesse, passées au crible. Les deux frères
étaient invisibles, gardés par une armée de nervis payés à prix d’or. Il n’y
avait pas de femmes à bord. Tant mieux, il n’y aurait pas de débordement. Le
jour J approchait. Un camion-citerne empli de fioul approcha et le chauffeur,
aidé par un matelot, remplit le réservoir du bateau. L’ambiance était morose,
la joie ne se reflétait pas sur les visages pour le voyage envisagé. Le golfe
persique débouchant sur l’océan indien, il y aurait de l’espace. Le capitaine
du navire avait fait et refait le point, il fallait s’éloigner au plus vite de
Jubail. Trop d’interrogations et de soucis hantaient les esprits. C’était une
échappatoire, une fuite, mettre de la distance entre l’Arabie Saoudite et les
derniers membres de la famille Fashoghi. D’autant qu’ils ignoraient toujours
qui voulait la destruction de la famille. Cette interrogation alimentait la
peur, elle ne disparaîtrait que lorsqu’ils sortiraient du golfe. Abdéramane et
Driss étaient toujours assis au bout du môle, à surveiller Jouj Jémoula.
L’heure était venue, le grand bateau de plaisance s’éloigna du quai en se
dirigeant tout doucement vers la sortie du port. Abdéramane déplia son
arbalète, fixa un trait explosif et attendit que le bateau s’engage sur la
route du golfe. La flèche zébra la nuit, atterrit sur la coque, provoquant une
énorme explosion. C’était fini. Sans se presser, ils revinrent vers le complexe
industriel sans être inquiétés. Revenus à la villa, ils filèrent à l’ambassade.
Zohra appela le Colonel et lui fit part du succès de l’opération.
L’ambassadeur du Maroc les appela en urgence dans son bureau en présence de
Zhora.
-Jusqu’à présent, vous avez réussi toutes les opérations de
nettoyage, mais il subsiste un doute sur la présence de Jawhar Mathlouthi sur
le bateau que vous avez fait exploser. Troisième enfant de la quatrième femme
de Mohamed Fashoghi engagé dans le djihad, caïd actif au Niger, c’est lui qui
négocie le financement des groupes armés au Sahel et sub-sahariens. Il aurait
dû être sur le bateau, mais de nouveaux éléments sont apparus :il aurait
pris l’avion à Jubail l’après-midi de l’attentat. L’un de nos agents à
l’aéroport l’aurait aperçu. Si cela s’avère exact, votre travail n’est pas
terminé, loin de là. Je vous donnerai tous les éléments en ma possession après
le rapport complet de notre agent.
-De toute façon, nous devons attendre le complet rétablissement
de notre agent, Zohra avant de poursuivre notre travail, dit Abderamane. D’ici
là, nous sommes coincés. Cette enquête pourrie est devenue incontrôlable avec
la disparition de Jawhar, cet élément perturbateur que nous n’attendions pas.
Le lendemain, il fut confirmé que Jawhar avait pris l’avion pour
Tripoli, capitale de la Libye, suivi comme son ombre par l’homme de
l’ambassade. Il avait changé son plan au dernier moment. Avait-il appris ce que
Driss et Abdéramane projetaient ? Cela semblait improbable vu la discrétion de
derrière le chameau avec laquelle l’opération avait été préparée. Ce Jawhar
arrivait de nulle part, il n’était pas attendu, mais c’était un élément à
abattre, plus difficilement sans doute que le reste de la famille Fashoghi .
Les ecchymoses avaient laissé place à quelques traces rosées sur la peau de
Zohra, son visage avait retrouvé sa beauté originelle, son nez était neuf et ne
présentait plus un aspect écrasé. Elle parvenait à se relever, son dos et son
buste retrouvaient une certaine aisance, elle marchait encore difficilement,
mais l’entraînement auquel elle s’adonnait chaque jour laissait augurer un
retour à la normale d’ici deux ou trois semaines. Elle se forçait à marcher,
protégée par la limousine, puis à courir. Elle ne s’était jamais plainte,
faisant l’admiration d’Abdéramane et de Driss. La culture physique, les
massages pratiqués par le kinésithérapeute de l’ambassade, les courses dans
Riyad lui avaient redonné souplesse et vivacité. Elle se sentait prête à retourner au combat. L’ambassadeur la
félicita pour son courage
-Vous avez fini votre travail en Arabie Saoudite. La famille
Fashoghi se résume présentement aux quatre femmes de Mohamed, aux épouses
d’autres membres de la famille et aux petits enfants. Vous avez réussi au-delà
de nos espérances. Je vous félicite pour votre efficacité, votre discrétion.
Vous verrez avec le colonel, votre enquête vous appelle dorénavant sur un autre
terrain de chasse. L’Arabie Saoudite restera malheureusement un pays de refus
du progrès pour le peuple, mais les richesses apportées par le pétrole seront
réduites à néant par l’assèchement de la nappe pétrolière d’ici vingt ou trente
ans d’après les analyses des géologues. A ce moment, le peuple redeviendra
nomade, retrouvera ses traditions et les riches familles émigreront sans doute
vers les pays qu’ils ont enrichis artificiellement, où ils ont placé leurs
avoirs. L’ambassadeur eut un rire, ainsi va le monde, dit-il en se levant de
son fauteuil, la constance n’existe pas, Allah donne et reprend ! Il avait
commandé du café, un employé apporta une table nappée de blanc aux bords brodés
de bleu, et des tasses décorées de mosaïques bleues posées sur des soucoupes.
Fumez vous demanda-t-il ? Abdéramane et Driss qui hochèrent la tête
négativement quand il leur présenta un coffret de Cohiba. J’ai été très heureux
de vous connaître et d’apprécier votre valeur, et un dévouement pour le Maroc
allant jusqu’au sacrifice. Les relations avec les autres pays ne sont pas
toutes blanches, y compris avec nos alliés. Les relations diplomatiques sont en
fait des contrats à court ou moyen terme dans l’intérêt de pays qui s’appuient
sur un rapport de force financier ou industriel. J’admire quelquefois votre
détermination à régler les problèmes sans vous occuper des lois ou mesures
existantes. Votre seule exigence est le Maroc, point ! Vous ne vous préoccupez
pas des dégâts collatéraux, seule compte la réussite. Votre travail dans ce
pays aura permis de couper la filière financière avec Al Qaida et Aqmi via la
famille Fashoghi. Il se leva de son siège après avoir sonné. L’employé arriva
et conduisit les trois membres de la Boutique vers la sortie, l’entretien était
terminé. Ils attendirent encore une semaine pour que Zohra soit en pleine forme
physique.
En rentrant à la villa en compagnie de Driss et Abdéramane,
Zohra s’isola avec Leila
-Aimez- vous toujours votre fiancé ?
-Oui, mais que faire, celui-ci ne voudra plus de moi après le
viol que j’ai subi.
-Chouffé, écoutez Leila, il vous faut oublier ce drame, j’ai
subi la même chose en Afrique, mais je suis militaire, je ne me marierai pas,
je reçois un ordre, je l’exécute ! Vous, il faut penser à votre avenir, être
heureuse, avoir des enfants, avoir de la tendresse, de l’amour pour votre
époux. Il existe en France et à Tanger des cliniques de réparation de l’hymen.
Vous redeviendrez une vraie jeune fille. Cette intervention chirurgicale est à
votre portée, les cinquante mille euros changés en dirhams marocains vous
amènent dans la poche quatre cent soixante-huit mille quatre cents dirhams
marocains. Vous n’avez pas de soucis à vous faire. Avouez la vérité à votre
fiancé, la maltraitance et les coups que vous avez subis. Les zébrures sur
votre dos attesteront de la vérité de vos dires. Ne parlez pas du viol, dans la
vie il y a quelquefois des choses à cacher, Allah est miséricordieux, il vous
aidera.
-- Leila s’envola pour Tanger afin de retrouver son intégrité
physique avant de rejoindre sa famille à Oujda.
,
Tripoli mardi onze
heures, l’avion venant de Riyad atterrit sur l’aéroport international. Ils
étaient toujours munis de leur passeport diplomatique, ils se firent conduire à
l’ambassade du Maroc en taxi. Ils se présentèrent à madame Sadia Belthemaid
ambassadrice du Maroc en Libye. L’entrevue ne fut pas aussi courtoise qu’en
Arabie, subodorant des problèmes avec l’arrivée de ces agents, et au vu de
l’armement contenu dans la valise, elle s’attendait aux pires situations, elle
n’aimait pas cela du tout. Situé au Nord-Ouest du pays, Tripoli est la plus
grande ville du pays située tout au bord du désert. Même dessein, même méthode,
ils firent le tour de la ville à pieds et en taxis, notant chaque détail dans
leur mémoire. La Médina fut tracée à l’époque romaine, notaient les historiens.
Trois portes donnent accès à la ville, les remparts sont toujours là.
L’Ambassadeur de Riyad avait fourni des éléments importants sur les
déplacements de Jawhar suivi à la trace par les locataires de la Boutique. Il
descendait généralement au Libyan Hôtel, petit hôtel bon marché situé au
centre-ville à côté du Aker Brygge. Les locataires de la Boutique s’étaient
installés également dans un tout petit hôtel à deux pas du Libyan Hôtel,
l’Italian Apartments. L’établissement de
Jawhar prêtait des vélos à ses résidents, Jawhar en profitait, cela lui
permettait de se fondre dans le paysage, de mettre à profit cette semi-
clandestinité pour rencontrer ses contacts. Les trois membres de la Boutique
surveillèrent chacun leur tour les allées et venues de l’hôtel avec les vélos
également prêtés par leur hôtel. L’homme était rusé, il allait et venait dans
la médina pour revenir à l’hôtel ni vu ni connu. Là il prenait un vélo et se
noyait rapidement dans la foule. C’était un expert de la voltige, il se
faufilait rapidement entre deux automobiles, entre deux tréteaux de marchands,
haut sur les pédales comme s’il avait fait cela toute sa vie. D’un seul coup il
avait déposé son vélo contre un mur et disparu de la circulation non sans avoir
mis son anti- vol, laissant désemparés Zohra et ses colistiers. C’était un
renard, allant à ses affaires puis reprenant son vélo comme si de rien n’était.
Bien joué dit Zohra, il connaissait la science de l’escapade, il nous faudra
user dorénavant de ces mêmes ficelles. Jawhar devrait se rendre chaque jour à
ce lieu de rendez-vous, nous allons faire comme si cela était exact, Driss tu
te rendras dès le matin de bonne heure à l’endroit où il a déposé son vélo, tu
achèteras le journal, tu boiras un café, bref, tu as l’habitude, tu seras un
parfait quidam. Le , Jawhar avait changé d’endroit, il ne s’était pas rendu là
où Zohra l’attendait. C’était dans les traditions du renseignement. Elle ne
voulait pas l’éliminer sans connaître ses intentions. Le colonel avait demandé
à Zohra de ne pas communiquer avec madame l’ambassadrice, c’est lui-même qui
lui fournirait les renseignements. Le groupe de la Boutique était dans le flou
depuis plusieurs jours, Jawhar s’était volatilisé, continuant de disparaître
dans les souks. Dans le souk aux vêtements, une fusillade éclata, un assaillant
fut blessé et resta à terre. Zohra, Driss et Abdéramane sur leur vélo
zigzaguèrent jusqu’à leur hôtel. Après avoir mis leur anti- vol sur la roue du
vélo, ils montèrent dans leur chambre. Abdéramane frappa à sa porte, il était
blessé au bras droit. Elle alla vite chercher sa trousse de secours. Elle
déshabilla son torse, ôta sa chemise, son tricot de corps. Il saignait, mais ce
n’était pas grave, une éraflure de trois centimètres produite par une balle.
Elle demanda à Driss d’aller acheter un gros oignon. Durant ce temps, elle
désinfecta la plaie avec de l’alcool à quatre-vingts- dix degrés et prépara une
aiguille avec du fil chirurgical. Driss
revenu, elle coupa l’oignon en deux après l’avoir épluché, puis elle le trancha
en rondelles elle écrasa l’une d’elles et pressa le jus sur la plaie puis posa
une rondelle sur la plaie en le tenant par du scotch stérilisé tout autour du
bras. Elle déplaça l’oignon une heure après, l’hémorragie avait cessé, elle
trempa l’aiguille et le fil chirurgical dans une tasse emplie d’alcool avant de
coudre la plaie pour rapprocher les deux bords de la plaie. Abdéramane ne se
plaignit pas, c’était un militaire au carré, large d’épaules, elle rajouta à
nouveau de l’alcool et entoura le bras d’une bande velpeau. Driss profita de
l’instant pour laver le tricot de corps et la chemise, l’union fait la force.
Ainsi Jawhar était entouré d’un groupe d’assassins qui les avaient également
filés et passés à l’attaque. Le chien du désert, c’est ainsi qu’il était appelé
dans l’univers du djihad. Il avait les crocs pointus et les attaques
sournoises. Le colonel avait été prévenu et avisa Zohra que le Mossad était
certain qu’il se rendait à l’Ecole Française de Tripoli rencontrer à ne pas douter
un recruteur pour les étudiants disponibles pour le djihad. Voilà donc où se
rendait le dernier des Fashoghi, à l’Université française. L’Université A Fateh
réunie plusieurs disciplines fondées en mille neuf cent cinquante-sept, elle
réunit quarante-cinq mille étudiants. L’Université française était installée
rue Karatchi, hors des murs de la Médina. Elle avait un grand nombre
d’étudiants. Il serait difficile de s’immiscer dans les locaux, de trouver le
recruteur parmi les professeurs sans se faire repérer, hoc est quaestio !
Les journaux n’avaient pas parlé de la fusillade, ordre du gouvernement ?
C’était curieux que les médias n’aient pas eu accès à ces informations.
Abdéramane avait encore un peu mal au bras, mais sans être un handicap, il
pouvait s’en servir et tirer s’il le fallait, la plaie se refermait grâce aux
talents de couturière de Zohra. Toute l’équipe savait maintenant qu’ils avaient
été découverts malgré les précautions de Zohra et son équipe. Ils avaient à
faire face à un commando de professionnels protégeant Jawhar. Qui allait-il
voir à l’université française, professeur, membre de la diversité technique ou
administrative, parmi cette multitude il était difficile de s’y retrouver.
Vendredi, juste après- midi, l’appel de
l’adhan, la grande prière du Junu’Ha rassemblant dans la mosquée d'Al Mansouri
Al Kabira des centaines de fidèles pieds nus, ayant procédés à leurs ablutions
et s’étaient parfumés le corps pour plaire à Allah. L’Imam récitait en litanies
les versets du Koran écouté en silence avec un grand intérêt. Les hommes
sortirent de la mosquée sans se presser et se chaussant de leurs chaussures
laissées à l’extérieur. Des cris se firent entendre avec une concentration de
fidèles sur un point donné, un homme s’était aspergé d’essence et avait mis le
feu, immolé, il s’était transformé en brasier, les fidèles le couvrirent d’une
djellaba pour éteindre l’incendie qui le consumait. Il mourut dans d’atroces
souffrances avant d’arriver à l’hôpital. Les journaux relatèrent l’évènement à
l’aide de photographies et de commentaires dithyrambiques. L’homme carbonisé
était connu comme étant Hassan Farouk professeur de français à l’université
française de Tripoli. Quel lien avait-il avec Jawhar se demandait Zohra ?
Les journaux du lendemain, à qui l’on avait donné du grain à moudre titrait en
première page : Hassan Farouk l’homme de l’ombre, martyr du djihad à
l’université Al Fateh a sublimé par son geste désespéré le djihad et atteint le
paradis promis par Allah. Foutaises grogna Driss, ainsi c’était bien lui le
lien avec Jawhar, il entretenait avec ses étudiants une harmonie équivoque.
Cette affaire fit grand bruit, Hassan Farouk était une sommité à l’université
française, comment avait-il échappé au flair de la police libyenne. Depuis, la
police recherchait les étudiants qui auraient pu se trouver embrigadés dans la
mouvance djihadiste. Les étudiants parlaient d’un tel ou d’un tel abandonnant
les études pour rejoindre le djihad, ils savaient qu’Hamed Makhrouf avait été
tué dans le sud Libye, sans en connaître plus ! Les autres avaient disparu
où étaient-ils, personne ne le savait. Les étudiants ne pouvaient pas
renseigner plus en avant la police.
Jeudi après-midi, un homme s’écroulait
sur le trottoir à côté de la grande mosquée percé par un coup de feu. Il eut le
temps de prononcer Toummo enregistré par un passant penché sur lui et
l’infirmier de l’ambulance, il rendit le dernier soupir avant d’arriver à
l’hôpital. La police sur les lieux interrogea les curieux autour du corps et
retient avec intérêt les indications importantes du quidam. Toummo, serait une
petite ville frontière du Niger à environ mille trois cents kilomètres à vol
d’oiseau de Tripoli, mais ce serait également un djihadiste nommé
Fawemhimi Imarou connu de la communauté internationale sous le surnom de
Toummo, né dans cette petite commune frontalière avec la Libye. Il serait avec
Jawhar l’un des caïds de Libye, d’Algérie, d’Aqmi ainsi qu’en Afrique
sub-saharienne, Zohra après réflexions et contacts avec le colonel,
préféra s’en tenir à une action d’Imarou sur un membre du réseau devenu
dangereux par ses trop grandes connaissances de l’organisation en Libye. Cet
assassinat mettait en relief ce pays en tant que pays terroriste, alimenté par
les incessants combats livrés dans le sud du pays depuis la chute de Kadafi.
Jawhar et Imarou se trouveraient encore à Tripoli préparant sans aucun doute la
relève d’Hassan Farouk qui s’était sacrifié pour le djihad en s’immolant ou
l’organisation d’un attentat qui marquerait les esprits. C’était une période difficile pour la
Boutique, percer les objectifs des terroristes, les loger pour aboutir à leur
destruction. Zohra avait horreur de cette situation, elle avait l’habitude de
l’action. L’attente ne l’aidait pas à réfléchir à trouver une solution, elle
s’en rendait compte. De nombreuses
planques existaient pour cacher les adeptes du djihad, avec celles-ci de
nombreuses adeptes, d’enfants qui les qui prévenaient en cas de danger. Il n’y
avait pas de téléphones portables ni d’ordinateurs, pas de suivis téléphoniques
ou informatiques. Le message était comme en Afrique, imagé, une statuette
agitée par un tiers annonçait un danger imminent, les djihadistes prenaient la
poudre d’escampette. Ni vus, ni connus, anonymes, qui pouvaient se méfier de
bougres à pieds ou en bicyclette agitant devant la fenêtre d’une maison une
figurine en bois ? C’était du beau et bon travail, des professionnels de
l’esbroufe, de la comédie, mais infiniment dangereux, des religieux tarés et
criminels. Zohra citait un professeur de sa connaissance, on leur avait appris
à lire, mais pas la manière de s’en servir. Au même moment de l’assassinat de
l’individu sur le trottoir de la grande mosquée, un drone attaquait le port de
Ras Tanoura lancé de la Méditerranée. Un missile balistique tomba sur Dahran
sans faire de victimes ou de dégâts, précisa le gouvernement. Les informations
désignaient sans équivoque les rebelles Houthis soutenus par l’Iran. La
situation était précaire en Libye, au sud les djihadistes contrôlaient
pratiquement toute la région. A Dahran, au Salon mixte de coiffures, le seul
existant sur la ville, travaillait de dix heures du matin à vingt et une heure
sans interruption. Le salon ** salun mukhtalit
lilhilaqua** que Sarah Metlhouji commandait avec le sourire, grâce et
fermeté. Un homme était assis dans le fauteuil trente-cinq ans environ, les
cheveux longs bruns et une barbe de dix centimètres. Le personnel avait été
formé dans les meilleures écoles de coiffure d’Italie, c’était une forme
d’élite. L’un d’eux s’approcha du barbu, quelques mots avaient suffi. L’employé
mis une serviette sur les épaules du barbu, il pencha la tête de son client
dans le lavabo et lui lava la tête avec un shampoing aux herbes odoriférantes.
Il s’empressa de lui enduire soigneusement les cheveux d’une teinture rousse.
Il recommença une deuxième fois avant de lui rincer la tête abondamment.
Saisissant le sèche-cheveux, il sécha rapidement la chevelure et la tête de son
client. L’homme était devenu comme poil de carotte. Les ciseaux et la tondeuse
ont servi à lui couper les cheveux très courts. C’était très réussi, l’homme
avait belle allure. Il restait la barbe, la serviette fut mise autour du cou,
la tête renversée, l’employé avec une petite brosse passa la teinture sur la
barbe, séchée, l’employé la coupa de moitié, c'est-à-dire à cinq centimètres de
longueur, l’homme se regarda dans la glace, quelque chose n’allait pas dans son
profil, ha, c’était les sourcils, il souhaitait également qu’ils aient la même
couleur que les cheveux et la barbe. L’employé lui massa les joues et le cou
avec de l’eau de Cologne de qualité. Une fois levé, il l’aida à passer sa veste
au client, il lui laissa un pourboire. Il s’approcha de la caisse joliment
décorée où siégeait Sarah, il paya en restant un peu de temps à lui serrer la
main.
Vingt-deux heures au café de Tripoli,
le client de salon de coiffure était là à converser avec deux autres hommes en
djellaba, rejoints par Sarah. Salam alékoum Toummo, Alékoum salam répondit-il.
Le **salun sart mutalhujiun lilhalaqa** était un lieu privilégié pour les
rencontres, les messages des terroristes d’Aqmi et d’Al Qaïda. Fawehinmi Imarou
après le meurtre du quidam sur le trottoir de la grande mosquée était venu se
réfugier au salon. Toummo jouait à saute-mouton, après Tripoli, Dahran et après
sans doute Toummo au Niger. Jawhar avait pris un autre chemin. La séparation
était propice à la clandestinité. L’homme assassiné sur le trottoir de la
grande mosquée était le facteur de l’organisation, il avait cherché à connaître
les relations entre les différents messages sibyllins qui lui étaient remis,
erreur fatidique dans le contexte de la terreur. Devant le silence radio de ses adversaires,
Zohra avait mis sur pied tout un programme de recherches avec des bakchichs
distribués aux enfants déshérités, Abderamane et Driss en avaient fait tout
autant. Toummo était connu en Libye, il devrait être retrouvé en premier?
Quatorze jours après, un premier indice apparaissait, il serait parti de
Tripoli pour Darhan. Avec ces gens-là, il fallait se méfier, ils distribuaient
des informations qui suggèrent à la défiance. Zohra a demandé aux enfants de
passer le mot à Darhan et de continuer à chercher à Tripoli. Dans le même
après-midi un enfant revint et lui dit qu’il est effectivement à Darhan, il
aurait été vu dans un café avec un groupe de personnes, dont une femme. Le
petit renifleur Mustapha retrouvé à la porte de la mosquée confirma la présence
de Toummo, il l’avait vu au salon de coiffure, il n’avait plus les mêmes
cheveux, ils sont peints en rouge dit le gamin et le soir je l’ai vu au café de
Tripoli avec la patronne du salon de coiffure et trois hommes en djellaba.
Zohra lui remit cent dirhams lui demandant de disparaître un certain temps.
Driss serait de corvée à surveiller le salon. Sarah Metlhouji avait un
appartement qui servait de repaire aux djihadistes quelques jours ou quelques
semaines. Driss suivit un soir après la fermeture du salon un homme en djellaba
jusqu’à l’appartement de Sarah Metlhouji. Il en informa Zohra qui dès le
lendemain prit une photographie au téléobjectif et la fit parvenir au colonel.
Bingo dès l’appel du colonel, elle savait que Driss avait déniché un gros
morceau. Abdoulaye Bahlaoui dit le rieur, d’origine algérienne, caïd d’Al Qaïda
en Libye et l’Algérie était à Darhan avec Toummo et Jawhar. Leur présence
révélait un élément clef dans le conflit, une préparation minutieuse d’une
offensive d’envergure sur le sud Libye. Les moudjahidines d’Algérie, du Niger,
de Libye formeraient une troupe de deux cents mercenaires pour combattre les
troupes loyalistes. Les caïds se réunissaient dans l’appartement de Sarah après
avoir dans la journée contacté les différents capitaines d’Aqmi et D’Al Qaïda,
au salon de coiffure ou au café de Tripoli pour connaître leurs positions
stratégiques et monter une stratégie innovante et gagnante. Quand ils
arrivèrent à l’appartement, ils ouvrirent le feu immédiatement, Toummo et Le
Rieur étaient à terre, Jawhar était absent, il avait des antennes le bougre, il
échappait à chaque fois aux attentats. Le lendemain soir, Zohra se présenta au
salon bien décidé à faire parler Sarah. Les coiffeuses avaient quitté le salon.
Elle s’assit et attendit un moment puis brutalement elle demanda où était passé
Jawhar. C’était toujours le même système, elle ne connaissait pas Jawhar.
Pourtant, il faudra qu’elle parle. Elle ferma la porte du salon et ne laissa
qu’une petite lumière. Elle reposa la question, elle reçut la même réponse,
elle la vouvoya :
-Pourquoi ne pas me
donner la réponse, je resterai au salon tant que vous ne me direz pas où est
passé Jawhar
-Je ne connais ce
monsieur, fichez-moi la paix avec ce Jawhar
-Très bien, je vais
être obligé de me fâcher et de vous faire mal et j’ai horreur de ces
extrémités, c’est très fâcheux pour vous Sarah.
-Je ne sais rien
-Bon, elle lui mit
une gifle monumentale, sa tête fit un aller-retour, allez- vous parler, vous
voyez et ce n’est qu’un début. Je vous le redis, vous allez avoir mal. Elle
récidiva ces joues étaient en feu, avec une grosse rougeur sur la joue gauche.
Vous voulez jouer à l’héroïne comme le professeur ?
-La douleur lui avait
fait couler quelques larmes, elle restait muette
-Cela gênait Zohra
elle n’aimait pas maltraiter les femmes, mais là, il fallait aller jusqu’au
bout, Sarah était la cheville ouvrière de l’organisation en Libye. Elle lança
son pied contre sa jambe droite, le choc lui fit un mal de chien, elle geignit.
Vous êtes ridicule, vous allez souffrir et finir par me dire ce que je veux, où
se trouve Jawhar ?
-Recroquevillée sur
le fauteuil de coiffures, elle agita sa tête dans la négative.
-Zohra prit une
broche et enfonça l’aiguille dans la main de Sarah, qui sursauta dans un petit
cri. Zohra continua à piquer ici et là sur sa main qui commença à saigner et à
gonfler. Elle changea de cible en piquant les joues, Sarah se contusionna sur
son fauteuil. Des larmes coulaient de ses yeux entourés de khôl, je n’aurais de
cesse que lorsque vous me donnerez l’adresse de Jawhar. Elle prit une tondeuse
électrique avec l’intention de raser la tête de Sarah.
-Qaf, arrêtez, pas
ça, je vais vous le dire. Il est parti pour Niamey organiser la bataille qui
s’annonce au sud de la Libye
-Vous connaissez sa
résidence ?
-Non, je ne sais pas
où il réside
-Zohra remit le petit
moteur de la tondeuse en marche
-il est chez un
djihadiste nigérien Mamame Abdou répliqua aussitôt Sarah.
-Il faut que je vous
arrache les mots de la bouche, je veux aussi son adresse.
-Il est à l’hôtel du
Désert
-Bien, vous voyez
quand vous voulez cela devient plus facile. Quand aura lieu le déclenchement
des hostilités ?
-Cela dépendra de la
coordination du mouvement du djihad, sans doute en fin de mois.
Zohra se posait la
question, faut-il éliminer Sarah, cela la dérangeait, mais laisser Sarah en
liberté annulait toutes les initiatives des membres de la Boutique, à peine
Zohra aurait refermé la porte du salon de coiffure qu’elle s’empresse d’avertir
Jawhar ou son facteur. Elle était dubitative, cela ne lui plaisait pas, qu’elle
était la solution finale ?
-Combien sont-ils en
Libye pour participer aux hostilités annoncées ?
-Environ une centaine
entraînée au NIGER par Mamame Abdou
Ces quelques minutes
ont été utiles aux réflexions de Zohra, elle sortit son pistolet pneumatique de
son sac et tira à bout portant une aiguille dans la tête de SARAH, que Dieu
l’accepte, dit-elle en hommage. Elle sortit du salon ** salun sart mutalhujiun
lilhalaqa**, elle se retrouva dehors, Abderamane et Driss étaient là à
surveiller ses arrières.
L’avion se posa à Niamey, ils se
présentèrent à l’ambassade, monsieur l’ambassadeur était d’origine du Togo par
ses parents, naturalisés marocains, né au Maroc, Mohamed Okoué Metogo avait
fait de hautes études à l’université de Fes, l’Université Sidi Mohamed Ben
Abdelah puis à l’université de droit de Rabat. Monsieur Mohamed Okoué Metogo
était rompu aux tractations internationales, aux solutions bancales des
ambassades. Son poste d’ambassadeur au Togo était un poste important pour le
Maroc au sein de l’Afrique livrée aux tourments des guérillas. Il ne posa
aucune question après les demandes de Zohra sur l’armement sans doute
nécessaire à son travail au Niger. Monsieur Okoué Metogo connaissait très bien
les problèmes de guérillas actionnées par les moudjahidines, il renseigna ZOHRA
sur le partage des zones de conflits et s’engagea à lui fournir les armes
demandées au plus vite. Ils saluèrent monsieur l’ambassadeur et comme d’habitude
firent le tour de Niamey à pieds et en taxis. La capitale est la plus grande
ville du pays, elle est située au bord du fleuve Niger complètement à l’ouest
du pays. Niamey est une ville neuve, crée dans les années mille neuf cent sur
un plateau de deux cents mètres de hauteur à quatre cents kilomètres de
OUAGADOUGOU. L’eau potable provient du fleuve pollué par la salmonelle et les
staphylocoques d’après les spécialistes. Zohra aimait bien connaître les
antécédents des villes où elle descendait. Elle craignait depuis toujours les
eaux filtrées, elle ne buvait que de l’eau de source. Monsieur l’ambassadeur
leur avait conseillé l’hôtel de la gare, discret, tout prêt du marché. L’hôtel
du désert était dans le quartier résidentiel, relativement éloigné de l’hôtel
de la gare. Elle attendait les armes transmises par l’ambassade de Libye avant
toute opération. A tour de rôle, ils observaient Jawhar toujours accompagnés de
cinq rebelles. Ils retrouvaient d’autres hommes en djellaba au café du désert.
Ils étaient huit autour de la table toujours en forte discussion. Les trois
boutiquiers restaient loin d’eux de peur de se faire reconnaître, mais ils les
suivaient à la trace, pas question de les perdre. Monsieur Okoué Métogo, par le
biais du colonel, les avisa de l’arrivée de l’armement. Ils se rendirent à
l’ambassade, saluèrent monsieur l’ambassadeur et récupérèrent leurs armes
habituelles plus trois fusils lance-missiles et des petites billes explosives
qui éclataient irrémédiablement un mur de béton, invention des artificiers de
la boutique. Maintenant il fallait exfiltrer du groupe Jawhar l’un des hommes
qui l’accompagnait où l’un des hommes en djellaba. Ce serait plutôt l’un des
hommes en djellaba coiffé du Habar-Kada de couleurs, chapeau traditionnel
Haoussa. C’étaient des hommes du nord du Niger, de tribus marginalisées et
pratiquement toutes engagées dans le djihad. Le plan se résumait à suivre ces
trois nigériens et de reconnaître le point de séparation. Le lendemain après la
séparation avec Jawhar les trois hommes remontèrent vers le fleuve, ils se
séparèrent au niveau du pont qui rejoignait les deux rives. Ils laissèrent un
homme prendre de l’avance. Il se dirigeait vers un hameau de petites maisons
aux toits de roseaux. Il entra dans l’une sans porte, juste une toile de jute
pour la fermeture. Ils attendirent cinq minutes et entrèrent dans la maison,
elle n’avait qu’une seule pièce, une natte cachait la terre, un petit banc haut
de trente centimètres et une table à demeure. L’homme sorti un sabre de dessous
la couche, le Glock de Zohra calma ses ardeurs meurtrières, il se recula
presque à écraser le mur en terre. Tout doucement Zohra lui intima l’ordre de
s’asseoir, ce qu’il fit, menacé par le Glock et les Beretta d’Abderamane et de
Driss. Elle lui demanda quand l’attaque aura lieu, il répondit qu’il ne
comprenait pas la question en langue nigérienne.
-Je sais que tu
comprends l’arabe nous t’avons vu avec Jawhar, arrête de jouer au rigolo. Vous
préparez une insurrection au sud Libye avec des groupes de Libye et du Niger
-Je ne sais rien du
tout
-Bien, puisque tu
joues au rigolo de service nous allons nous aussi jouer au rigolo, c’est ton
dernier mot ?
C’était tout vu il ne
parlerait pas, une aiguille d’acier plantée dans le crâne par le pneumatique de
Zohra, il mourut sans un cri et sans bruit. Ils n’avaient rien appris, le
Nigérien n’avait pas parlé. Le plan B serait d’éteindre l’incendie en liquidant
toute l’équipe ? Il fallait d’abord suivre avec attention les déplacements
de Jawhar après le meurtre du Nigérien, il y avait fort à parier qu’il allait
s’efforcer de disparaître. Driss avait été désigné pour surveiller l’hôtel du
désert, mais en se renseignant auprès de l’accueil, Jawhar avait déjà mis les
voiles avisés par les enfants qui couraient pieds nus dans tout Niamey. Ces
enfants avaient suivi le trio de la Boutique dès que les djihadistes s’étaient
séparés, les voyant entrer derrière l’homme à la djellaba coiffé de son
tarbouche, ils étaient retournés en informer vivement Jawhar qui avait pris
sans attendre la poudre d’escampette ! Il avait la science de se fondre
dans le néant, il les avait encore une fois devancés avec un temps d’avance.
Jawhar avait un prénom rare qui signifiait la fête, il l’avait bien mérité, car
il faisait leur fête au trio de la Boutique en s’échappant dans un trou de
serrure. Zohra n’avait pas vu les gamins qui les suivaient, elle s’en voulait
de cette erreur qui remettait à beaucoup plus tard l’arrestation ou la
suppression physique de Jawhar. Au moment où une guerre allait éclater, la
situation était grave. Ou était-il passé, était-il encore à Niamey ? Elle
s’intéressa aux deux autres hommes en djellaba en se servant en retour des enfants
aux pieds nus comme renifleurs. Deux jours plus tard, elle eut une information
capitale, les renifleurs avaient logé les deux djihadistes de la communauté du
nord du Niger les Imghads dans un village au bord du fleuve. Village torturé
par des voies d’accès difficiles et étroites entre les maisons de terres et les
toits en feuilles de bananiers ou de grandes herbes. Ils n’habitaient pas
ensemble, chacun dans leur maison, ils étaient mariés avec des enfants. Des
chèvres se promenaient librement sur tout le territoire de la tribu, les
chameaux étaient bridés par des liens aux pattes, des hippopotames se
prélassaient dans la boue du fleuve, et l’ouette d’Egypte avait colonisé les
abords. Ce sera difficile de s’immiscer dans ce territoire, ils seront très
vite remarqués par la population. Ils étaient venus avec une Jeep contenant
également un ballon à air chaud et son pilote. Le ballon avait été déplié, le
brûleur se mettrait en route en quelques secondes. Le petit renifleur, gentil
gamin, leur fit voir la maison d’Abdel Mawoulou. Le gamin sur ordre attendit la
nuit pour se présenter et lui dire que quelqu’un voulait le voir, il était
inquiet, avant de sortir il prit un pistolet qu’il arma, il suivit le gamin
jusqu’à la sortie du village, là il tomba sur les trois locataires de la
Boutique et de l’aérostier. En minorité il remit son pistolet à Zohra et monta
avec eux dans la nacelle. Du brûleur jaillit une flamme qui projetée vers le
ballon, le gonfla et l’aéronef s’envola, Abdel était terrorisé. Le vent venait
de l’océan et poussait le ballon vers le désert. Il ne fut pas long, tellement
la peur le tenaillait à fournir les renseignements demandés par Zohra. Jawhar
était toujours à Niamey chez un partisan du djihad, il s’appelait Oudou hadji
ben Soufou. Il avait un magasin de chaussures dans la vieille ville. Oudou
avait une aura toute particulière auprès de la population du fait de son
pèlerinage à La Mecque. Il en était que plus dangereux ! Zohra ne pouvait
pas laisser en vie Abdel Mawoulou, à trois cent mètres de hauteur, Driss et
Abderamane le balança dans le vide, qu’Allah le reçoive dans son paradis.
L’aérostier fit redescendre le ballon au-dessus d’un village. La population
resta interloquée devant l’aérostat. Le chef du village avait un quatre-quatre,
il accepta de les reconduire à Niamey distante de soixante kilomètres contre
monnaie sonnante et trébuchante sur des pistes en terre.
Niamey mercredi 16
heures chez monsieur l’ambassadeur Okoué Métogo Zohra rendit compte des
différentes actions accomplies à Niamey. Monsieur l’ambassadeur leur fournit
rapidement l’adresse de Oudou hadji ben Soufou bien connu des services spéciaux
de l’ambassade. Jawhar avait une nouvelle fois disparu, il n’était plus chez le
marchand de chaussures. C’était un fin renard, il effaçait ses traces,
difficile de le suivre, professionnel jusqu’au bout des ongles. Il devait se
réjouir d’échapper ainsi au filet de pêche tendu par ZOHRA et son équipe. Vingt-deux
heures, un petit renifleur aux pieds nus se présenta à l’hôtel de Zohra, il
avait repéré Jawhar dans une barcasse du fleuve, accrochée à un baobab
centenaire. Bingo se dit Zohra, tous les trois membres de la Boutique prirent
la direction de la barcasse accompagné du gamin. C’était un vieux ponton
flottant aménagé en masure. S’approchant sans bruit et avec précaution ils
entrèrent dans ce qu’il avait lieu d’appeler une péniche, il n’y avait personne
à l’intérieur, leur homme avait une nouvelle fois disparu. Zohra n’avait pas
lieu de suspecter le gamin pour qui chaque indication était une manne qui
tombait du ciel. Le fleuve possédait de nombreux refuges sur l’eau et sur les
rives. C’était encore un coup pour rien, un dégagement en touche, mais une
touche invisible. Tout autour du vieux ponton, d’autres nouvellement construits
et des barques longues de plusieurs mètres peints de couleurs vives manœuvrées
par des rames et une voile carrée. Les rives étaient colonisées par des petites
maisons en bois, en bonco, argile sèchée ou en torchis peintes elles aussi de
couleurs vives à gros motifs. Dans tout ce grouillement de vie, Jawhar pouvait
s’y glisser aisément et disparaître aux yeux du trio de la Boutique. Les petits
renifleurs ont été une nouvelle fois appelés à la rescousse, pour 20 XAF, Franc
CFA, (0 dirham33 marocains), les gamins faisaient des miracles. Ils
connaissaient Niamey comme leur poche ainsi que les voyous qui sévissaient dans
les quartiers. Ils s’étaient constitué un réseau d’informations supérieur à
celui de la police qui se heurtait à la peur de représailles. Les prostituées
étaient également propices à la délation contre de la monnaie, 100 XAF et elles
parlaient, du moins celles qui travaillaient seules. Zohra prit sur elle d’en
faire parler quelques-unes. Zoubeida sur le bord du fleuve se prostituait chez
elle dans sa petite maison en banco.
-Fofo, bonjour
Zoubeida, je cherche un homme qui m’échappe toujours, il est toujours à Niamey,
il était dernièrement sur le ponton accroché au baobab, il se nomme Jawhar, as-tu
des informations, je serai généreuse, 200 XAF pour un renseignement.
-Je connais ce Jawhar
comme beaucoup à Niamey pour ses relations avec la gérilla.
-C’est bien lui,
c’est un homme dangereux, je cherche à lui couper l’herbe sous les pieds.
-Reviens me voir
demain à midi j’aurai sans doute des informations à te donner.
-Lari, merci
Elle est repartie suivie par les deux hommes de la
Boutique. Elle les mit au courant, par prudence, ils devraient se tenir tout
prêt de Zohra. Les prostituées comme les gamins sont au courant de toutes les
choses de la ville, la peur de représailles les condamne au silence pour la
plupart d’entre elles. Le soir ils allèrent au restaurant à côté de l’hôtel,
Aux Wedges du Niger, ils commandèrent des wedges, c’était un plat inconnu pour
eux trois et de l’eau en bouteille. Le wedge est fait de grosses lamelles de
patates douces avec des cacahouettes hachées sur les faces, des herbes et du
piment. C’est un plat excellent, le trio a beaucoup aimé cela, la cuisine
africaine recèle de formidables recettes inconnues des européens. Douze heures
pile chez Zoubeida, elle ouvrit la porte et fit entrer Zohra. Je n’ai pas
encore de renseignements, j’ai des filles qui cherchent dans les maisons du
bord du fleuve. Elle lui offrit du thé avec des petits gâteaux à la noix de
coco. Ils bavardèrent sur les incessants conflits que traversent la région,
cela donnait à Zohra des renseignements sur la politique du pays. Le lendemain
même heure, Zoubeida ne répondait pas, Zohra entra, Zoubeida gisait par terre,
la gorge tranchée, c’était le travail de Jawhar. Zoubeida disparue, la peur va
s’installer parmi les prostituées, il faudra à nouveau avoir recours aux gamins
sans chaussures. BOULOU arriva un matin tout mouillé, il résuma à Zohra sa
fuite en traversant à la nage le grand fleuve.
Il avait repéré Jawhar, celui-ci s’en était aperçu et voulait faire la
peau du gamin, Boulou sauta à l’eau et rejoignit l’autre rive puis l’hôtel de
Zohra. Elle demanda à Abderamane d’acheter des vêtements à Boulou et de revenir
très vite à l’hôtel. Le gamin pris une douche, c’était la première fois, se
sécha et enfila ses vêtements neufs, un short et une chemisette. Zohra lui
remit 100 XAF. Elle lui demanda de faire très attention à Jawhar et de demander
aux autres pieds nus de le rechercher et de l’informer. Ces enfants vivaient
dans la rue et avaient vite appris les ruses pour échapper aux commerçants
qu’ils venaient de voler, de s’esquiver pour devenir invisibles. Avec l’aide de
Boulou l’ayant vu dans son dernier terrier, Jawhar finira par se faire prendre.
Boulou avait désormais de l’importance par rapport aux autres enfants depuis
qu’il avait été habillé par Zohra, surtout la chemisette qu’il avait enfilée
sur le buste. C’était un bataillon d’une dizaine d’enfants disséminés dans tout
Niamey qui traquaient Jawhar. Lui-même avait des hommes qui le protégeaient,
des assassins de la pire espèce. Ne pouvant le localiser, le trio ne pouvait
éliminer ses gardes du corps. Les ballons à air chaud s’envolaient par dizaines
poussés par le vent d’ouest dans cette fin de journée promenant dans les airs
les touristes amoureux de paysages. Des Jeeps viendront les rechercher après
l’atterrissage. Ils retournèrent au restaurant, Aux Wedges du Niger, manger des
Wedges qu’ils avaient précédemment appréciés. La langue officielle au Niger est
le français, même si dans l’ouest du pays la langue parlée est le Haoussa. Le
fleuve est pollué par les industries et les mines d’or et d’uranium, il
refoulait vers l’océan tous ces ingrédients agressifs pour les populations.
Zohra était dans l’attente, c’était un moment désagréable, soumis à l’attention
des gamins aux pieds nus. Pour faire passer ce sale moment, elle décida de
passer par le Wedges du Niger. Ce soir-là, ils changèrent de plat, ils commandèrent
du riz sauce avec des grillades de zébu et kilishi, viande séchée, la cuisine
était bonne, ils étaient satisfaits. Au moment de partir ils furent soumis à un
feu nourri de pistolets mitrailleurs, heureusement les assaillants s’étaient
trop précipités, le trio n’avait pas était touché, mais en répliquant ils
avaient fauché deux agresseurs qui gisaient à terre. Quatre paisibles dîneurs
avaient été tués par les assassins de Jawhar. Cela a été son erreur, les pieds
nus l’ont suivi jusqu’à son antre, un ponton sur le bord du Niger à deux
kilomètres de Niamey dans le village de Foulani Koira. Zohra avisée conçut un
plan pour éliminer définitivement ce djihadiste, descendre le fleuve en barque
la nuit et ouvrir le feu avec les fusils lance-missiles en arrivant devant le
ponton. Le jour de l’intervention,
Boulou signala à Zohra que Jawhar n’était plus sur le ponton, il avait dû
s’enfuir de nuit sur une barque. Cela agaçait grandement Zohra de cette
situation du chat et de la souris. Cela faisait partie du jeu dangereux qu’elle
menait avec les deux partenaires de la Boutique. Jawhar avait sans doute l’idée
de remonter le fleuve vers le Sahel pour préparer définitivement son coup de
force. Il avait disparu, les gamins aux pieds nus ne le retrouvaient plus. Zohra
avait avisé monsieur l’ambassadeur de sa disparition. C’était l’époque des
pluies tous les ans de juin à octobre de gros orages avec de fortes pluies
éclate sur tout le sud du Niger, détrempant les chemins et les villages, c’est
l’hiver qui africain. Le fleuve est
rouge par la terre apportée par les pluies, il est devenu plus puissant, il
charrie très vite toutes les branches et ordures tombées dans le courant vers
l’océan, à mille kilomètres de là. Niamey est inondée dans certains quartiers,
les rives en terre sont tombées dans le fleuve avec des maisons de bonco
construites trop près de l’eau. Les longues barques peintes attachées aux
arbres naviguent au gré du courant, d’autres s’éloignent avec le flot, les
attaches ayant rompu. Les hôtels heureusement étaient construits loin du
fleuve. Un homme de monsieur l’ambassadeur l’avisa que Jawhar était à Tillabén,
une centaine de kilomètres de Niamey. Entouré d’une vingtaine de djihadistes,
s’étaient installés sur le bord du fleuve. La police les reliait à l’attentat
contre l’église Sainte Sophie de la ville, le prêtre avait été tué, la tête
tranchée, avec une vingtaine de fidèles lors de la messe du dimanche, ils
avaient détruit des sculptures offertes par la population. Leurs forfaits
commis, ils avaient disparu sans laisser de traces. Un petit Cesna transporta
le trio à Tillabén. Ils se logèrent au petit hôtel de France. L’agent de
l’Ambassade les avisa que Jawhar s’était propulsé après l’attentat de l’église
de Tillabén à Zinder la cité ouverte et quartier- général des djihadistes et de
Boko-Haram au sud du pays. Là il trouverait la protection voulue auprès des
terroristes en tant que caïd d’Aqmi. Plus de mille kilomètres séparaient Niamey
de Zinder. Un avion de la compagnie nigérienne les amena à Zinder. Cela
devenait lassant de courir sans arrêt après Jawhar, celui-ci jouait à saute-mouton
avec le trio de la Boutique, mais c’était le jeu des services spéciaux. Le
diplomate marocain leur avait conseillé de louer une maison au cœur de la ville
plus discret que l’hôtel. Pas question d’appeler les gamins aux pieds nus à la
rescousse, ils étaient des deux côtés à la fois et en particulier avec
Boko-Haram. Ils attendaient à la fois des renseignements fiables de l’ambassade
marocaine et des services du gouvernement du Niger. Le vendredi après leur
arrivée, Boko-Haram déclenchait une mini insurrection contre les troupes du
Président Mahamadou Issoufou, tuant quarante-deux soldats de l’armée
nigérienne. Le lendemain c’étaient les djihadistes du peuple d’Allah qui
s’emparèrent du village d’Issou Koto comptant près de six cents habitants
terrorisés par l’intrusion des terroristes. Ils assassinèrent le chef de
village pour son allégeance au Président Mahamadou Issoufou et le remplacèrent
par l’un des leurs. C’était l’œuvre de Jawhar via un commando de djihadistes.
Il oeuvrait en secret pour réfléchir à des coups spontanés difficiles à
contrer. Il entraînait ainsi ses troupes pour l’assaut futur du sud Libye.
Sachant que Zohra, Driss et Abdéramane étaient sur son dos, il se méfiait de
tout le monde. Mercredi après la prise d’Issou Koto, la villa du trio de la
Boutique fut prise dans une fusillade digne de la guerre d’Algérie, les fusils
lance-missiles faisaient des dégâts considérables dans les murs de clôture, la
villa avait explosée dès les premiers tirs heureusement sans conséquence pour
les membres de la Boutique qui s’étaient réfugiés dans le jardin, recevant des
bris de murs issus des éclats produits par les tirs. Jawhar n’y avait pas été
avec le dos de la cuillère, il avait sorti l’arsenal numéro un ! Couverts
de ciment et de plâtre, ils communiquèrent avec le colonel pour l’aviser de la
situation. Une fois n’est pas coutume, le colonel devant la situation difficile
de ses agents aligna en plus cinq soldats de la Boutique qui arrivèrent à
Zinder quatre jours après. Leurs armes arrivèrent par un agent de l’ambassade
du Maroc de Niamey, armes lourdes, fusils d’assauts, fusils lance-missiles,
grenades minuscules grosses comme des billes, mais occasionnant des dégâts deux
fois plus importantes qu’une grenade de guerres. Zohra mit au courant les cinq
arrivants de la situation, tous commandos parachutistes recrutés par le
colonel. C’étaient des hommes de confiance, travaillant depuis longtemps avec
les différents agents. Leur nouvelle villa indiquée par l’Ambassade était dans
la médina à côté d’un restaurant, Le Bel Hôtel, Zohra avait indiqué les postes
de défenses aux hommes de la boutique. Elle voulait piéger Jawhar mais
l’individu avait du flair. Elle avait demandé à tous ses compagnons de se
méfier, il était capable de tout, de renifler un ennemi à deux cents mètres de
lui. C’était un prédateur, un crocodile
affamé, un boa constrictor, la bête du Gévaudan, bref, un malfaisant de
premières mains.
Deuxièmes attaques de Boko-Haram de
concert avec les djihadistes du peuple d’Allah contre le village de Sibao-Mojo,
toutes les jeunes filles ont été rassemblées et transportées dans un site
inconnu. Une dizaine d’hommes ont été massacrés par les djihadistes et laissés
dans la terre détrempée. L’armée a été appelée sur les lieux, mais bien trop
tard. Jawhar avait encore frappé en assassinant des villageois. L’homme de
l’Ambassade signala à Zohra sa position actuelle. Il gérait ses coups à partir
d’une villa située dans la ville fortifiée habitée au départ par les
haoussas avec ses lieutenants. La villa avait été repérée par les nombreuses
allées et venues de ses locataires. Zohra accompagnée par les cinq hommes de
main de la Boutique qui s’étaient séparés à l’approche de la villa avait repéré
la situation. La villa se trouvait au centre de l’avenue à côté de la mosquée
du sultan. Zohra avait prévu d’attaquer la villa lors de la prière du Dhour à
douze heures trente. Les cinq locataires de la Boutique avaient pris position
tout autour de la villa avec Zohra, Driss et Abdéramane. Les fidèles avaient
déjà pris place dans le lieu de culte. Sur un signe de Zohra, les
lance-Missiles crachèrent leurs munitions détruisant entièrement la villa et
les locataires y habitant. Le feu avait assaini l’environnement, Jawhar avait
disparu dans la destruction du bâtiment et du feu intense. Il n’y eut aucun
survivant, qu’Allah prenne soin d’eux. Les fidèles étaient ressortis en masse
de la mosquée et assistait impuissant à cette destruction. Contrairement à
Zohra, Driss marmonna : qu’ils aillent griller chez Shaiitane. Ils se rendirent
par l’avion de la compagnie du Niger, Niger Air-Lines à Niamey. Ils rendirent
visite à monsieur l’ambassadeur du Maroc Mohamed Okoué Metogo
pour déposer leurs armes et lui faire un rapport circonstancié de la mort de
Jawhar. Elle l’avisa de la puissance de Boko-Haram dans la région et de
l’incapacité des troupes officielles du Niger à contrôler la situation, il
connaissait d’ailleurs très bien cette situation et la suivait de très près, en
ayant un homme qui suivait les agissements de Boko-Haram et des djihadistes du
peuple de Allah et qui avait renseigné Zohra à un certain moment. Cet homme
risquait sa vie chaque jour pour renseigner l’ambassade, il était d’une grande
prudence et d’une intelligence remarquable. Zohra ne l’avait jamais rencontré,
mais elle l’admirait pour son courage. Monsieur l’ambassadeur leur souhaita bon
courage pour leurs actions à venir. Ils sortirent de l’ambassade, une fusillade
éclata, deux membres qui accompagnaient Zohra étaient restés à terre. Les
autres poursuivirent les assassins, ils étaient trois, ils furent décimés tous
les trois avant qu’ils puissent s’esquiver ! L’un des soldats de la
Boutique était mort, l’autre était blessé sérieusement, transporté à l’hôpital
de Niamey, le commando et Zohra attendit des nouvelles et resta sur place pour
accomplir les démarches du rapatriement de ce soldat, Mourad Guélatti, mort
pour le Maroc. Il s’envola pour Rabat avec l’avion du soir. Adan Berkhrief
opéré en urgence, le chirurgien enleva deux balles de gros calibre fichées dans
son thorax. Le pronostic vital était engagé, Zohra à l’hôtel déplia son tapis
et fit une prière pour Adan, qu’Allah le protège. Elle dormit très mal pensante
toujours à l’attaque qu’ils ont subie, elle ruminait cela sans cesse, c’était
de sa faute, elle croyait que c’était terminé. Ce serait donc toujours ainsi,
la mort régnait à tous les coins de rue. Par moment elle en avait assez de ces
tueries, envie de tout lâcher, de rejoindre son unité de parachutistes à Salé
et puis le sens de l’honneur, du sacrifice reprenait le dessus, le devoir
envers son pays. Elle alla le lendemain visiter Adan sans le réveiller, le
chirurgien ne pouvait dans les conditions actuelles se prononcer, il avait fait
tout ce qui était en son pouvoir, Allah jugera. Ils restèrent douze jours dans
l’attente du verdict professoral. Le chirurgien annonça à Zohra et à son
commando qu’Adan était sauvé, il respirait encore sous oxygène, mais cela
allait vite s’améliorer, avec son accord, Zohra demanda au colonel un avion
sanitaire avec une infirmière, un chirurgien et de l’air avec un masque.
L’avion de l’armée marocaine atterrit à Niamey cinq jours plus tard. Tout était
prévu, le chirurgien nigérien prodigua ses conseils au staff médical de l’avion
sanitaire marocain, tout le groupe de Zohra embarqua, l’avion roula sur la
piste et décolla pour le Maroc dans une accélération bruyante. L’infirmière se
trouvait au chevet d’Adan avec le chirurgien militaire. Zohra avait pris place
à côté du pilote, sans un mot, ils se regardèrent avec connivence, c’était bon
de retrouver son pays.
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