LES RÊVERIES DU JOUR Ali GADARI, petites nouvelles poétiques
Petites nouvelles poétiques
C
LES RÊVERIES DU JOUR
Compilation de petites
nouvelles
De Ali GADARI
DEUX GOUTTES D’EAU
Deux gouttes d
'eau glissaient sur la vitre de la cuisine comme des larmes sur la joue d’un
bébé, puis disparaissaient définitivement sur la terre du jardin, évacuées par
l’appui de la fenêtre. J'apercevais à travers la vitre les moineaux sautillants
allant à la chasse aux mies de pain jetées à terre et s'envoler sur les
branches du pommier. Le chat s'élance d'un seul coup sur le tronc du pommier
dans l'intention de déguster l'un de ces petits passereaux toutes griffes
dehors. Déçu d’avoir été floué, Minet rejoint la queue basse l’appui sous la
fenêtre et s’étend de tout son long. C’est l’époque des mouches, Monia avait
accrochée à l’entrée de la porte, un attrape mouches consistant en un ruban de
colle forte. Les mouches zigzagantes dans l’espace de la porte se collaient par
dizaines sur le ruban, obligeant Monia de le changer souvent. Les hirondelles
qui avaient construites leurs nids sous le toit étaient friandes de cet insecte
noir au vol lent, les oisillons étaient nourris par les parents de centaines de
mouches attrapées en vols avec dextérité. De la cuisine je voyais les nuages
défiler vers l’est, quitter la plaine et les rives de l’Atlantique pour se
diriger vers le massif du Rif et la Méditerranée. Des oiseaux poussés par le
vent, se poseront sur les pyramides d’Egypte, les temples d’Angkor, la Baie
d’Along. Moi, je regarde tout cela de mon fauteuil ou de ma chaise de cuisine.
Je suis un clandestin de la nature. Je vois dans ma tête ces merveilles placées
là par la nature et par l’homme. Je me laisse aller au bonheur de la rêverie
bercé par le bruit du vent dans les feuilles des arbres et les chants des
oiseaux. Je me fais tout petit, invisible même devant la cohorte de fourmis
brunes regagnant leur nid. Ce sont de curieuses bestioles les fourmis, les spécialistes
du monde animal, les zoologues ont découvert plus de douze mille espèces de
fourmis. Leur ressemblance avec les sociétés humaines est depuis fort longtemps
sources d’études scientifiques. Oh là là, serions également une sorte de fourmi
? Curieux quand même cette similitude, brrr, cela me froid dans le dos ! Le
mâle est un moins que rien, les ouvrières vivent de trois semaines à un an, la
reine se pavane jusqu’à plus de vingt ans. C’est un monde d’une totale cruauté,
auquel je ne voudrai pas être confronté. Je tourne la tête, je vois un papillon
blanc posé sur mon géranium. Elégant, léger, frivole, volant sans peur de fleur
en fleur et marquant de ses ailes blanches et fragiles une tâche presque
indélébile sur la rougeur du géranium. Je préfère le papillon aux fourmis,
pourtant elles ont toutes deux un rôle à jouer dans l’équilibre écologique. Là
encore, mon regard se porte sur le laurier fleurs, domaine des moineaux
brailleurs et batailleurs. Comment étaient ces oiseaux à l’origine du monde,
d’affreux prédateurs de deux mètres de haut aux griffes redoutables au bout de
leurs pattes longues comme des échasses. Leur bec pointu comme une pioche de
terrassier qui transperçait leurs proies de part en part. Cela ne devait pas
être facile tous les jours pour nos grands-parents, les homos sapiens, obligés
de vivre dans des grottes humides. Ils passaient leur temps à la chasse pour se
nourrir et à enduire les murs de ces grottes de dessins reproduisant leurs
animaux familiers. D’un seul coup, je me sens à nouveau projeté dans la réalité
par un vol bruyant de pigeons. Le couple de paons du voisin fait la roue, ils
sont splendides ! Tiens, Ahmed conduit son troupeau de moutons à la prairie,
aidé par son chien qui jappe après les indisciplinés. La charrette pleine de
foin tirée par des chevaux trapus sur le chemin de terre reviennent à la ferme.
Hanae a nettoyé l’écurie, les odeurs du fumier arrive jusqu’à moi, l’on dit que
ce ferment est source de vie ? Les poules ravies, grattent la paille pourrie et
malodorante pour en tirer les éléments nutritifs dont elles raffolent. Un avion
va atterrir, il laisse derrière lui une grande fumée blanche qui s’amenuise à
fur et à mesure. Le bleu du ciel est brisé par son passage assourdissant, les
corbeaux s’envolent pour se poser dans le champ en friches. Mes canards se
promènent à la queue leu leu dans un déhanchement de femmes fatales. Dans la
mare, ils ont une toute autre allure, seyante, fuyante, gracieuse, distinguée,
ce sont les reines de la surface aqueuse. Les grenouilles viennent tenter en
vain de les déranger par leurs sinistres coassements. Les têtards ne sont pas à
la fête ils sont consommés sin die par mes canards trop contents de déjeuner à
domicile. Regarde l’eucalyptus au coin du champ il est plus que centenaire, son
tronc à un sérieux diamètre, je ne peux le mesurer, ses feuilles bonifie l’air
et nous envoie des senteurs suaves et bénéfiques. Il est parfois conquis par
d’étranges lézards, l’inoffensif gros gecko, attendant la nuit pour
s’introduire dans les maisons. Cet eucalyptus est immense il monte droit vers
le ciel, il doit être l’un de ses gardiens, attentif à la moindre dégradation.
Le ciel ne doit pas être déchiré. Toute la clôture est protégée par des pieds
de figues de Barbarie formant une haie infranchissable. Cette haie nous donne
de magnifiques fleurs rouges qui accoucheront à leur tour de figues juteuses
que nous manierons avec délicatesse, leurs piquants minuscules s’incrustant
fortement dans la peau. Entre deux figuiers de Barbarie, pousse, je ne sais
comment un bougainvillier jaune magnifique, éclatant comme le soleil. De
l’autre côté, ma vigne de raisins rouges que je taille soigneusement chaque
année au mois de mars, me donne en gros plus de cinquante kilos de beaux et
bons raisins dont une bonne partie sera transformée en jus délicieux et frais.
J’ai trente oliviers que j’ai planté à la barre à mines tellement le sol était
dur. Tous les ans je récolte les olives que Hanae s’empresse de traiter. J’ai
aussi des oranges, des figues, des poires, des pêches, des mandarines et des
grenades. Côté fleurs, je suis également bien servi, des géraniums montant et
fleurissant jusqu’à deux mètres de hauteur, des bougainvilliers blancs et
rouges, des lauriers et des arbustes dont je ne connais pas le nom qui
fleurissent en rouge toute l’année. Ali, le cri de Hanae pour m’approcher de la
table, mais je reste assis, songeur devant la création et la diversité qui
l’accompagne, c’est trop beau, le monde est parfait seul l’homo sapiens est un
ravageur, un terrible prédateur, alors je me suis reconstitué mon monde de
douceur, de beauté pour échapper à la laideur, aux tours infernales des villes
invivables. Je préfère l’odeur du fumier à celle de la dictature de
l’automobile et du téléphone portatif. Ali, là il faut que j’y aille pour
éviter un conflit avec Hanae, je me lève de la chaise, je m’approche de la table
après m’être lavé les mains, Hanae me jette un coup d’œil réprobateur, elle a
horreur de répéter.
ILS N’ONT PAS VU
Certains ignorants disent qu'il n'y a
rien à voir dans la plaine du Gharb. Je peux comprendre que la campagne
repousse les illuminés du savoir mais laissez-moi leur dire qu'ils sont passés
à côtés de merveilles, en fait c'est très bien ils nous les ont laissés pour
nous seuls. La brume du matin au lever du jour et la fraîcheur du mois de mars,
le petit déjeuner constitué de thé brûlant de pain grillé, des crêpes, de
l'omelette, des olives vertes et noires, de l'huile d'olive mélangée au beurre
frais, le miel d’eucalyptus, voyez-vous, tout cela ils nous l'ont laissé. La
brume s'est dissipée sous l'effet du soleil qui éclaire maintenant toute la
plaine d'un éclat privilégié, le ciel revêtu de son drap bleu velouté. Les
paysans sont là depuis longtemps, ces gens- là travaillent du soir au matin
quelques soit le temps, ce sont des ignorés du plus grand nombre les paysans,
trop souvent moqués. Le courage est leur motivation, sans cesse ils retournent
la terre, l'engraisse puis sèment le blé, l'orge. La betterave est semée dans
des sillons bien droits tracés dans le champ, ainsi la terre est mise à
l'épreuve, puis vient ensuite le blé ou l'orge. Ils n’ont pas vu Ahmed avec son
éternel tarbouche rond, blanc et rouge, réparer les vélos, changer une chaine,
arranger un dérailleur. Ils n’ont pas vu
Sulliman le vétérinaire aider la
vache de Hassan à vêler et mettre au monde, un miracle de la vie, un petit veau
encore tout sanguignolant. A peine sorti, il se précipite sur la mamelle nourrissière.
Là dans ce village s’écoulent des journées rythmées par les appels du muezzin.
Le jour du souk règne une agitation bienvenue autour des boutiques en toile.
Chez Hakim le boucher, un bœuf en entier a été accroché à l’étal devant le
trottoir, les clients viennent choisir leur morceau de viande. Un homme
s’occupait du grill imposant de chez Hakim. Une foule de clients souhaitait des
casse-croutes à la viande hachée et aux oignons avec des frites, ce jour-là il
y avait un gros débit, et puis il y avait l’artiste aux légumes qui savait tellement
décoré son stand avec des pommes de terre, des tomates, des concombres, des
artichauds, des courges, des potirons, des ails, des oignons, des haricots
verts, des épinards, des poireaux, du persil, des poivrons verts, des poivrons
rouges, des aubergines, des radis, des carottes et bien d’autres légumes,
présentés comme un tableau à la clientèle fascinée par la beauté de ce décor
qui lui faisait un triomphe à chaque présentation. Les couleurs des légumes
étaient judicieusement assemblées, Adan était un professionnel des marchés, il
avait compris qu’une bonne présentation de ses produits aidait la promotion et
la vente.
J’aime
aussi tendrement la rivière qui s’infiltre dans le village avec discrétion, et
pudeur, présentant ses eaux presqu’avec des excuses tant elle était attentive à
n’occasionner aucun problème, elle traçait son cours à travers le village. Ses
berges abritaient des sortes de hauts roseaux, des genêts blancs, le genévrier
rouge et l’eucalyptus. De nombreuses espèces vivent sur ces berges, les savants
répètent à profusion qu’il existerait cent cinquante-six espèces d’invertébrés,
avec les couleuvres, deux espèces de vipères se cachent dans les roches avec
les tortues terrestres. Ma rivière abrite cent soixante et onze espèces
d’oiseaux dont les flamants roses, les busards des roseaux, les sarcelles. Vous
voyez, tout cela, ces gens- là sont passés à côté. Il n’y aurait rien à voir
dans la plaine du Gharb ? Ils n’ont pas vu non plus, l’usine à sucre, qui
moult cannes à sucre et betteraves indifféremment suivant les saisons. Des
centaines de camions chargés font la queue sur la route sur près d’un kilomètre
également à l’intérieur de l’entreprise. La signification de tout cela est une
énorme fumée noire qui s’échappe de la cheminée. Attends, attends il y aussi
l’usine de farines ou sont moulus les grains de blés en une fine farine, des
forts en bras et forts en gueule soulèvent les sacs de cinquante kilogrammes
remplis de farine fraîche et les entreposent dans le grand hangar avant de les
charger dans les camions. Mais j’y pense, il y a aussi l’usine de production
d’eau filtrée qui sera distribuée aux abonnés du village, stockée dans deux
énormes châteaux d’eau, hauts de vingt mètres, de haut. Ils n’ont rien vu et
pourtant, le Gharb est au printemps sous le charme des couleurs, c’est
merveilleux, miraculeux. Les collines jaunes déparent les champs verdis par
l’abondance des cultures et la clarté de la rivière
Ils
n’ont pas vu les arbres parés de leurs fleurs splendides qui donneront des
fruits tout au long de l’année, des petites feuilles aux couleurs vert tendre
des arbres à feuilles caduques. Ils n’ont pas vu les pique-bœufs tous blancs
dans les champs, ni les cigognes retrouvant leurs nids en haut des pylônes
électriques. Ils n’ont pas vu les marécages surgissant au milieu des champs, ou
les grenouilles s’en donnent à cœur joie. Ils ne m’ont pas vu gai, heureux,
sifflant un air sur le chemin boueux de mon hameau, seuls les chariots tirés
par les chevaux en cette période peuvent passer aisément. Avec le soleil, le
chemin va rapidement sécher. Les tracteurs échappent à cette rhétorique, ces
mécaniques bruyantes passent partout, en effrayant les poules et les pintades
qui s’envolent bruyamment sur les côtés du chemin. Les voisins viennent vous
saluer et prennent le thé à la menthe avec nous. La vie est sociale, nous
connaissons tous de nos voisins, lorsqu’ils sont malades, les femmes du douar
viennent pour les aider, personne ne reste seul, surtout pas les vieillards. Les parents, les grands parents, vivent avec
les enfants ou petits- enfants, c’est une organisation qui perdure et
m’émeut. C’est un système qui a disparu en Europe et aux Etats Unis, mais ici,
c’est le bonheur de constater que toute la famille est réunie, une pièce fait défaut
et c’est le grand chambardement, qui va s’occuper des petits enfants,
cuire le riz, préparer le tagine, laver le linge ? C’est une parfaite
organisation, qui a disparu des habitudes occidentales. Les vieilles personnes
ne sont pas gênantes au contraire, elles occupent des tâches qui paraissent
secondaires mais sont en fait primordiales. Quand l’homme est parti travailler,
c’est son épouse qui devient la cheffe de la maison, chacun collabore et
s’exécute. Elle sort les moutons dans la prairie d’à côté, certaines familles
misérables sacrifie généralement l’aîné
des garçons pour garder les moutons, c’est son rôle il n’ira pas à l’école,
c’est ainsi, il est là pour garder les moutons, il les mène parfois assez loin
du domicile sur le bord des routes. Les autres enfants lavés, peignés par la
grand-mère ou la sœur ainée s’en vont groupés sur la route de l’école qui peut
être longue.
Rachida
prépare la pâte pour confectionner le pain, tant de fois malaxée, remuée,
triturée avant de la placer savamment dans des grands plats en tôle qui seront
disposés dans l’antre du diable, un four haut et large en torchis après l’avoir
allumé. La pâte est piquée en plusieurs endroits par une fourchette pour éviter
que le pain gonfle de trop. Des fers ronds traversent de part en part le four,
sur lesquels seront disposés des branches d’eucalyptus, qui s’enflammeront
rapidement sous la flamme de l’allumette. Celles-ci se consumerons très vite
pour donner la place à d’autres branches placées sur la terre. Les plaques de
tôle prendront place sur les fers ronds, alors le miracle s’accomplit, d’une
main experte, Rachida place la pâte à pain sur la tôle brûlante. Elle bouche le
four avec des morceaux de tissus mouillés, elle surveille attentivement
l’opération ; elle a un chronomètre dans la tête, quand elle soulève le
tissus, le pain est doré prêt à consommer. Un couple de cigogne quitte et
regagne leur nid à grands coups d’ailes, cela non plus, ils ne l’ont pas
vu !
LES MYSTERES DE LA VIE
J’ai
toujours aimé les mystères de la vie, je suis passionné par la naissance d’une
marguerite dans un champ, la naissance d’un petit veau, d’un oisillon. Je suis
passionné par les mystères de l’univers immense, tellement inconnu. Je sais que
quelque part la vie existe, pas forcément à notre image, mais elle existe, un
grand savant a fait remarquer que cet univers est tellement immense qu’il est
impossible que la vie n’existe pas ailleurs ! J’y crois. J’y crois
tellement fort pour affirmer que des civilisations bien supérieures à la notre
viendront un jour nous visiter et nous guider vers un monde meilleur. Un monde
où l’on respectera la nature, ou l’on ne coupera plus les arbres, ou les
animaux auront retrouvé tous leurs droits, ou les hommes seront fraternels. Je
rêve dites-vous, le rêve est une réalité floutée, mais une réalité. Ceux qui ne
rêvent pas sont déjà morts, le cœur meurtri par mille blessures non réparées.
Je
ne rêve pas quand le printemps arrive et couvre la planète de milliards de
fleurs multicolores, du blanc au rouge vermeille. Pourquoi dénier à ceux qui
croient, le droit de rêver au paradis, de retrouver leurs parents. Certains me
traitent de fou, les fous ont souvent raison dans leur génie, Mozart, Bizet
entre tous ceux géniaux qui ont marqués les siècles, et le sublimissime Léonard
de Vinci et Courbet, Monet, Picasso et tellement d’autres comme en musique. Ils
étaient fous aussi les Victor Hugo, Lamartine, Verlaine, Rimbaud, La Fontaine,
non, non, arrêtez, je ne me compare pas à tous ces fous géniaux qui ont changé
l’art de vivre et l’art tout court ! Je voulais décrire, oh si peu, que la
folie débouche souvent sur des créations, des découvertes qui changent et
changeront le monde et en Afrique du Nord cette multitude de poètes aux
vers convergeant vers le plaisir comme les vagues sur les plages de
l’Atlantique. L’Asie possède ses fous mais que ne connaissons pas, c’est
dommageable pour la connaissance.
Oui,
j’aime les mystères de la vie, je vis aujourd’hui au Maroc, un pays
accueillant, raffiné. Quand je suis arrivé je me suis installé avec mon épouse
dans une petite maison un peu délabrée. J’ai rêvé, j’ai remis cette vieille
maison en état, elle revit. Devant cette maison, la terre n’avait jamais été
travaillée, c’était comme du béton. J’ai planté une trentaine d’arbres
fruitiers et une haie de trente oliviers, avec une barre à mines, j’ai rêvé
certes mais aujourd’hui, j’ai des fruits toute l’année, grenades, pommes,
mandarines, citrons, raisins noirs, et des espèces de cerises noires dont je ne
connais pas le nom en français et des figues délicieuses. Rêver fait avancer,
donne à l’âme des aliments pour vivre avec les éléments qui nous entourent.
Pourquoi tous ces arbres ont poussé et génèrent tant de gentillesse à notre égard ?
Ils savent que nous les aimons, nous les traitons avec délicatesse, un arbre,
c’est sacré, ces racines vont chercher au creux de la terre ses commandements.
La terre notre mère est à préserver, abandonner les engrais, seraient une très
bonne chose, mais la face cachée de l’humanisation fait que l’on continue à
détruire ce qui nous nourrit. Un arbre a un cœur, une âme, je le pense
vraiment, il étend ses branches vers le ciel comme une prière qui monterait
vers lui pour nous protéger du mal. Il y avait un eucalyptus dans le champ d’à
côté, un eucalyptus plus que centenaire, j’allais le voir tous les jours. Le
paysan a lâché ses moutons dans le champ chaque jour. Le mouton est un terrible
prédateur, le troupeau a mangé l’écorce de mon arbre jusqu’à deux mètres de
hauteur. Il en est mort, j’en aurai presque pleuré. Ces branches ont jauni, le
paysan a coupé l’arbre, maintenant il me manque, il m’appelle par ce vide crée
par la tronçonneuse. Serais-je un homme des bois ? J’ai besoin d’eux
et de leurs odeurs si différentes qui enchantent mon nez. J’ai besoin d’eux
pour leur beauté, leurs formes différentes, leurs feuilles si particulières. Le
sapin qui atteint le ciel, le bouleau à l’écorce fragile, l’eucalyptus droit
comme un I, et l’arbrisseau penché sur la rivière comme pour le saluer au
passage de son eau. Je trouve que l’on va chercher bien loin le bonheur alors
qu’il nous côtoie à chaque instant de chaque jour. Le soleil levant nous
indique la direction de ce que serait diront certains, le centre du monde par
les mélopées religieuses qui s’échappent des temples, des églises, des
mosquées. Cela reste du domaine du divin. L’orage qui gronde lançant ses
éclairs dans l’espace qu’il a choisi, cet arc en ciel et son demi-cercle géant
englobant deux mondes en même temps. Sous les éclairs la pluie tombe et mouille
abondamment les cultures et les ruisseaux fugueurs. Le pêcheur surpris tout
mouillé s’est mis à l’abri sous le hêtre tout près de lui, en laissant sa canne
et son fil plantés dans l’eau s’amusant avec le courant. C’est terminé, le
soleil est revenu, chacun vaque à ses occupations, le vieux cheval traînant
encore son chariot de fourrages vers le ferme toute proche.
Regarde
l’hirondelle dans son nid de terre accroché sous le toit de la maison, le
pinson rigolo sur la branche du figuier, je suis heureux, l’argent n’a rien à
voir avec cela. Cela s’appelle le bonheur !
DANS LE SENS DU VENT
Le vent change très souvent de direction, nous le perdons au détour d’un
chemin, mais il nous rafraîchit la mémoire en soufflant dans nos cheveux. Le
vent indique le sens de nos aspirations, pourquoi suis-je arrivé très près de
la Baie de Somme dans cette petite ville très jolie, historique avec un nom
curieux comme celui d’une rue. En effet cette petite ville se nomme Rue, elle
appelle à la traverser doucement, délicatement en prenant soin de découvrir ces
innombrables trésors. Je ne veux pas jouer à l’agence touristique mais j’ai été
surpris de toutes ses beautés. La Maye petite rivière ravissante alimente un
petit moulin en tournoyant dans la ville. Elle était au temps jadis une étape
de Wikings qui avaient construits des huttes dans le marécage bordant la mer.
Rue subissait de fait beaucoup d’incursions wikings. Rue par la suite était
devenu un port de pêches florissant avant l’ensablement inexorable qui changé
la physionomie de la ville, bien qu’il existe encore de nombreux marais et
ruisseaux.
Ce
n’est pas seulement les paysages, la rivière, le moulin les marécages et les
ruisseaux qui font la beauté et la réputation de cette petite ville, mais
tout le côté historique qui m’a bluffé en arrivant à Rue. La chapelle Saint
Esprit est du véritable gothique, Le beffroi inscrit au patrimoine mondial de
l’Unesco. La réputation des frères Caudron, pionniers de l’aviation au début du
siècle dernier, la commune leur a dédié un musée dans la maison de la culture
de la ville. Avant de vous rendre dans la Baie de Somme arrêtez- vous à Rue,
vous ne le regretterez pas !
Vous
voyez comme le vent nous pousse, nous sommes déjà dans le petit train à vapeur
qui nous fait faire un magnifique voyage autour de la baie de Somme. J’aime
voir la fumée sortir de cette cheminée et d’entendre le bruit particulier de la
locomotive. Dans le leitmotiv de ses roues d’acier, nous contournons les
marais, nous franchissons des ponts, nous voyons, les hérons, les cygnes, les
aigrettes et toutes sortes d’oiseaux. Le vent n’est pas toujours mauvais.
J’aime beaucoup ces petits voyages à la sauvette, faits d’idées saugrenues
venues sur le moment. Retour à Rue pour manger des spécialités de Picardie. Un
joli restaurant avec façade en bois, magnifique restauration à l’ancienne, nous
invite à entrer. Un très bon accueil, une bonne table et une dégustation d’une
coupe de Champagne offerte par le patron.
Ensuite nous attaquons directement sur un agneau de pré salé de la Baie
de Somme, accompagné de champignons de Paris avec de la flamiche, pâte brisée
avec un mélange d’œufs et de poireaux. Nous avons fini par gourmandise par un
gâteau battu. Nous avons arrosé le tout, d’une bière régionale des brasseries
de la Somme. Le vent était bon enfant ce jour-là.
Le
monde est beau, chaque pays recèle des beautés qu’il est bon d’observer,
partout règne une empreinte particulière, du Fado Portugais, chanté par la
magnifique Mahalia Rodriguès, au Fandango Espagnol, au Chaabi Berbère, à tous
les chants et musiques de cœur des peuples du monde. Les montagnes de
l’Himalaya, le volcan du Maroc saharien le Siroua haut de trois mille mètres,
tout est beau dans le monde, ne sacrifions pas cette beauté ! Ou le vent
vous pousse, vous trouverez de l’amour, de la beauté, de l’oasis du Sahara à
Rue en Picardie, sur l’archipel de Guadeloupe, au Siam, sur chaque parcelle de
terre de notre monde. Les animaux nous accompagnent sans eux nous ne sommes
rien, le monde est un tout. Je me laisse pousser par le vent bon et mauvais,
mais où je serai, je sentirai l’amour.
-
UN JOUR COMME LES AUTRES
Ce jour-là je rentrai plus tard à la maison, j’avais bu le thé avec des
amis au café de Rachid et discuté sur les performances du Raja-club. Comme
d’habitude personne n’était d’accord et en arrivant je me ferai passer un savon
par Hanae. J’en avais l’habitude, Hanae
ne supportait pas que j’arrive en retard pour dîner. Sur le chemin de retour
pour retrouver mon automobile, je tombais sur une bande de gamins qui
martyrisait un chien, terrifié couché à terre, n’osant pas se relever. Il y en
avait même un qui avait un bâton et tapait sur la pauvre bête. Après y avoir
mis le hola, les gamins s’éparpillant de tous côtés, je m’approchais de ce
pauvre chien, c’était un petit griffon, je voulu le caresser, j’eu droit à une
profonde morsure à la main. Je me résolu à ne pas laisser cette pauvre bête dans
la rue, j’avais une couverture dans la voiture. Après l’avoir prise, je la
jetais sur l’animal. Aveuglé par la couverture, j’ai pu le prendre dans les
bras et l’amener jusqu’à la voiture. Je me résolu de me rendre chez le
vétérinaire, mais avant je téléphonais à Hana pour lui expliquer la situation.
Le vétérinaire avec beaucoup de dextérité lui enfila une muselière pour éviter
de se faire mordre à son tour. Avant toute chose il le vaccina puis, il le
palpa pour observer des malformations handicapantes. Se fut son employée qui
pris les choses en mains, en baignant le petit chien, le savonnant doucement
avec des produits désinfectants qui le débarrassait de ses parasites. Il avait
meilleure allure. Le vétérinaire m’interrogeant :
-Comment voulez l’appeler ?
-Quel jour sommes-nous docteur ?
-Nous sommes jeudi
-Bien dis-je l’appellerai Jeudi
Il me remplit son carnet de santé à
son nom, et maintenant dit-il à nous deux.
-Donnez-moi votre main
Il me désinfecta la plaie qui me
faisait souffrir mis dessus une crème recouverte de sparadrap.
-Enlevez votre chemise dit-il d’un
air autoritaire, ceci fait, il me piqua dans l’épaule avec de l’antibiotique si
vous deviez avoir quelques problèmes d’ici deux ou trois jours, allez voir
votre médecin. J’avais acheté un collier que j’avais passé autour du cou de
Jeudi relié à une laisse en cuir. Je lui enlèverai sa muselière à la maison.
J’ai remercié le vétérinaire, une fois payé, j’ai traîné Jeudi dans mon
automobile qui n’en revenait pas d’avoir un passager à quatre pattes. Je
m’attendais à une scène de ménage en rentrant à la maison, comment allait
réagir Hanae ?
-C’est à cette heure que tu rentres,
je travaille sans arrêt à la cuisine et monsieur arrive à son heure !
-Je te l’ai dit Hanae je suis passé
au vétérinaire, regarde avec qui je viens.
-Qu’est-ce que c’est que ça ?
-Je m’attendais à une scène de ménage
historique, mais Dieu soit loué, non.
-Il est très beau dit- elle, elle le
caressa, il avait sa muselière
-J’avais acheté un paquet de
croquettes et un bol en plastique chez le vétérinaire, j’étais content de la
réaction de Hanae. Je déposais le bol dans un coin de la cuisine, le rempli de
croquettes à la viande et dans une boîte vide de margarine que j’avais rempli
d’eau. Je lui enlevais avec précaution sa muselière et m’éloignais. Il ne
bougea pas, encore terrifié par le boucan des enfants sur le trottoir. Ici il
n’aura plus de problème, il n’aura que de l’amour. Après avoir dîné je passais faire un tour à
la cuisine, Jeudi avait avalé toutes ses croquettes, c’était bon signe. J’avais
installé des chiffons par terre à côté de mon lit pour qu’il puisse se coucher
à l’aise. De ce côté-là ce n’était pas gagné, il restait dans la cuisine
allongé les pattes en avant sur le carrelage, nous regardant avec des yeux si
tristes que nous en aurions pleuré. Le matin j’allais voir dans quel état se
trouvait Jeudi, il n’avait pas bougé de sa position de la veille au soir, les
pattes toujours en avant. Je voulu lui donner des croquettes, il grogna quand
je voulu approcher, il n’avait pas oublié le coup de la couverture. Hanae était
la seule à l’approcher, elle distribua les croquettes dans son bol et lui
caressa le dos sans qu’il y trouvât à redire. C’était toute une approche,
d’abord Hanae, ensuite moi s’il le voulait bien. Il fallut plus de dix jours
pour que Jeudi m’accepte, il avait beaucoup changé, son agressivité avait
disparu, ses yeux battus du début n’étaient plus. Sa queue battait la mesure,
il mettait ses pattes sur nos genoux en se dressant sur ses pattes arrière et
en nous léchant les mains. Nous avions trouvé un nouvel ami. Au moment ou Hanae
allait lui accrocher la laisse, mon rêve se brisa, m’abandonna et disparu si
bien que j’oubliais de quoi il s’agissais, tant Jeudi tirait sur la couverture
pour que nous le sortions comme tous les jours. Jeudi était la réalité pas une
fantaisie venue du fond de mon cerveau à travers un rêve. Je mis les pieds par
terre Jeudi était tout joyeux en agitant sa queue de droite à gauche. Une
nouvelle journée commençait !
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