SHAIITANE AL AHMAR
SHAIITANE AL AHMAR
LE DIABLE ROUGE
Par Paul Edouard GOETTMANN
Aodren de Kervinec
Le Saumur filant bon vent,
avait doublé Gibraltar et était entré
en Méditerranée. Le capitaine de ce vaisseau Aodren de Kervinec se sentait
l’esprit plus tranquille, La mission qu’il devait accomplir au nom du le Roi de France était d’une importance
capitale. Louis XIV voulait doter la France d’une marine puissante, capable de
rivaliser avec la Hollande et commercer avec les ports de la Méditerranée. Sur
les conseils de Mazarin, Louis XIV souhaitait obtenir un accord avec le sultan
d’Istambul, le Grand Vizir Fazil Ahmet Köprülü, maître de la Méditerranée,
d’une partie de l’Europe, de l’Asie et de l’Arabie. Son empire s’étendait sur
trois continents. Aodren ce marin
breton, nobliau de la région nantaise, loin des intrigues de la cour avait été
recommandé par l’évêque de Nantes à Mazarin pour effectuer cette délicate
mission. Aodren de Kervinec correspondait à l’homme providentiel, sachant tenir
sa langue, d’une honnêteté au dessus de tous soupçons, un homme de la mer prêt
aux sacrifices. Il avait accepté sans broncher et sans dire un mot de plus en
breton que :<< sentin
dont-a-benn>>, j’obéirai et je réussirais !
Deux felouques du Grand Vizir attendaient le Saumur au large
de la Crète pour le guider jusqu’au Bosphore et Istambul, protégés par
d’innombrables isles et toujours
accompagné par les deux felouques, le Saumur, un galion espagnol s’ancra à
quelques encablures du quai. Une barcasse avec quatre janissaires à bord accosta
et Aodren se laissa conduire jusqu’au palais du Grand Vizir. Il vivait intensément
ce moment, ébloui par les richesses dévoilées d’Istambul, telle que l’ancienne
cathédrale Sainte Sophie transformée mosquée après la conquête ottomane par Mehmet elle était
admirable avec son dôme et ses minarets visibles du port. Aodren était ébloui
par les multitudes de ruelles et de maisons en bois, avec de grandes baies s’ouvrant de
chaque côté donnant accès à la ruelle adjacente. Istambul grouillait de vies. Cinq
cent mille âmes s’y côtoyaient. Le Bosphore, étroit conduit de mer entre deux
continents, limitant l’Europe et l’Asie, entre la mer Noire et la mer de
Marmara impressionnait Aodren. Dès qu’il fut parvenu au palais, des esclaves
s’occupèrent de lui en le conduisant au hammam, le brossèrent, le parfumèrent
et lui mirent sur le corps un jabador or et le coiffèrent d’un turban rond. Ses
longs cheveux roux tissés et fixés par un catogan étonnaient les serviteurs du
Grand Vizir. Conduit dans un salon magnifiquement décoré de riches tentures
brodées, il fut laissé seul avec des esclaves peu vêtues, venues de tous les
continents, assises sur des sofas brodés. L’invitation était explicite !
Le Grand Vizir Fazil Ahmet Köprülü s’assit en face d’Aodren,
l’envoyé du Roi de France, marque de respect envers un étranger. Habituellement
le Grand Vizir mangeait seul dans son salon ou son jardin. Après les douceurs,
les fruits confits, les gâteaux au miel, le repas commençait par une soupe aux
légumes, de grains de blé et de queues de bœufs servie dans un grand bol aux
subtiles décorations. Puis les esclaves
remplacèrent son bol décoré de filaments d’or et d’argent par une kassriya,
grand plat en terre cuite décoré luxueusement, emplie d’un mélange d’olives
vertes, de fromage, de noix, de yaourt et parfumé à l’estragon. Le poulet
longuement mijoté dans un tagine de grande dimension avec du jus de citron, du
miel, de la cannelle, des amandes, des raisins et des abricots secs. Aodren
pour la première fois goûtait
l’accompagnement de riz safrané avec délice, ces mélanges de saveurs
sucrées et salées, accompagnées de vins de Grèce et de Chypre servis sur des
tables basses. Des coussins brodés d’or étaient disposés à terre sur des tapis
pour s’asseoir. Des récipients remplis d’eau de roses disposés sur les tables
basses permettaient de se rincer les doigts. Il n’y avait ni couteaux ni
fourchettes, l’on mangeait avec ses doigts, un pain coupé en plusieurs morceaux
servant judicieusement d’instrument de contenance entre le pouce et l’index.
Aussitôt le repas terminé, sur un signe du Grand Vizir,
quelques janissaires, le scribe
accompagnant celui-ci et Aodren s’isolèrent dans le diwan tout proche, toujours
somptueusement décoré. Gardé à
l’extérieur par des esclaves dévoués au Grand Vizir armés de sabres recourbés
aux manches sertis d’or. Aodren tout en s’inclinant remis le parchemin signé du
Roi Louis le quatorzième, Roi de France au Grand Vizir Fazil Ahmet Köprülü.
Bien que lettré, parlant cinq langues, le Grand Vizir ne possédait pas le
français. Ce fut le scribe Aytac Atkhan qui lut et traduisit avec force salamecs
et déférences le document royal. Fazil Ahmet Köprülü tira quelques bouffées de
son narghilé décoré d’or et serti de diamants, se leva en donnant des
instructions à Aytac Atkhan. <<Le Grand Vizir vous recevra ce soir après
la prière Al-‘Icha pour vous donner une réponse<<.
Aodren se fit
accompagner sur le Saumur par la barcasse. L’équipage et ses officiers
n’avaient pas soufferts de son absence, les esclaves du Grand Vizir avaient
apporté des vivres et du vin de Chypres en suffisance, ainsi que pour le retour.
Le muezzin appelait à la Al-‘Icha, Aodren fit le retour au palais un peu inquiet
quand même de la réussite de sa mission. Introduit de nouveau dans le diwan ,
le Grand Vizir Fazil Ahmet Köptülü les yeux fermés tirait sur le tuyau de sa
pipe à eau. Allongé sur un sofa, Aytac Atkhan à ses pieds s’attacha à faire une
déclaration diplomatique à Aodren relatant les options de Fazil Ahmet Köprülü
sur les rapports diplomatiques et commerciaux avec la France. Le sultan
d’Istambul s’engageait à protéger les navires du Roi de France en Méditerranée
contre les pirates d’Alger et de Tunis, de leurs ouvrir les ports sous sa
gouvernance pour y commercer en toute liberté. En contre partie Louis le
Quatorzième s’engageait à ne pas intervenir dans les conflits d’Istamboul avec
les Etats voisins en particulier Venise qui avait tendance à titiller un peu
trop l’hégémonie de la Turquie. Cette union ne pouvait que servir les intérêts
de chacun. Aodren remercia le Grand Vizir en lui baisant l’anneau de sa main
droite, il prit congé en courbant le dos à reculons.
Le vent était au levant, le Saumur voguait rapidement et
Tanger était maintenant derrière la poupe du Saumur. Le retour parut court à
Aodren et son équipage. L’entrée dans la Loire ne passa pas inaperçue à tel point
que sitôt arrivé à Nantes, l’émissaire du Roi de France monta à bord et
s’enquit de la situation. Muni du précieux document signé du Grand Vizir son
carrosse fila grand train accompagné par une garde de dix hommes armés jusqu’à
Versailles !
Quelques mois plu tard, Aodren reçut en son manoir Henri
Duplessis Guenégaud Conseiller à la mer du Roi Louis XIV. Celui-ci lui
apportait la reconnaissance du Roi par un acte signé étendant ses propriétés de
cinq mille arpents. Le Roi Louis le quatorzième l’autorisait également à
participer à la guerre de courses par un parchemin lui donnant droit de marque. A Nantes, Aodren retrouva le Saumur avec un
plaisir extrême. Le galion était un bon navire, trois mats, voiles carrées sauf
l’artimon grée en voile latine Sa coque fine augmentant ainsi la vitesse du
vaisseau sa bonne stabilité. Sa capacité de mille tonneaux, permettait au Saumur d’armer le vaisseau avec
cent marins pour les manoeuvres, de vingt artilleurs et de trois cents matelots
engagés pour les combats. Si lors de sa visite plénipotentiaire à Istambul,
l’équipage avait été choisi par l’évêché de Nantes, Aodren souhaitait choisir
lui-même ses matelots pour la course. Il garda les cent marins d’origine et les
officiers. Pour les autres il fallait des hommes courageux acceptant les
sacrifices, pleins d’abnégation, et sans peur pendant les batailles navales. Il choisi les
individus de pires espèces jetés au fond des geôles de Nantes et Saint Malo.
Plusieurs semaines se déroulèrent en mer, Aodren voulait des
hommes performants, les entraînements s’enchainaient aux entraînements, aux
manœuvres du Saumur et des voiles ainsi qu’aux canonnades. Tout était prêt. Dans
la nuit de la Saint Jean, les feux brûlaient sur les quais, le Saumur se fondit
dans la brume en quittant Nantes dans le bruit des vagues, des voiles et des
cordes claquant le long des mâts.
Aodren pirate du Bouregreg
Il y avait déjà une semaine que le Saumur naviguait à cent
miles des côtes espagnoles et portugaises cherchant une proie comme l’aigle des
Pyrénées juché sur son rocher. C’était la route des navires marchands remontant
aux Pays Bas et l’Angleterre. Les espagnols et les portugais serraient leur
route bien plus près de leurs côtes. La vigie agita frénétiquement sa cloche du
haut de son perchoir et hurlant à tue-tête :<<bateau à bas bord<<.
Sur ordre d’Aodren, le timonier changea de cap et fila droit sur la cible
encore lointaine. A quatre miles du Saumur, le second muni de jumelles
communiqua à Aodren les caractéristiques du navire qu’il avait observées<
navire marchand hollandais non armé mon capitaine, absence de canons, c’est une
barque à trois mâts<. Voilà une bonne nouvelle pensa tout haut Aodren<<Que
tout le monde soit sur le pont<<. En trente minutes, l’équipage était à son
poste, la quarantaine de gabiers, s’occupaient activement des cordages et des
voiles, prêts aux manœuvres d’abordage. Les canonniers avaient chargé les
pièces de trente huit livres de poudre et de boulets à proximité des canons.
Les hollandais étaient capables de ruse en cachant leurs canons sous les
sabords. Aodren se méfiait. Les matelots, sabre à la ceinture de toile autour
de la taille, étaient prêts à en découdre. Avant d’utiliser les armes blanches,
les matelots du Saumur se servaient de pistolets à silex, du tromblon, arme
terrible occasionnant moult dégâts dans l’équipage adverse par une pluie de
projectiles divers, verre, plomb, cailloux et du mousquet arme de longue portée
servant à neutraliser une partie de l’équipage avant l’abordage.
Très vite le Saumur s’approcha du Haarlem, vira de bord en
tirant des boulets sur le navire. Aodren ne s’était pas trompé, le Haarlem
avait caché ses canons sous ses sabords et les canonniers répliquèrent aux feux
du Saumur. Les matelots français aspergèrent
à vue l’équipage hollandais d’une pluie de projectiles. C’est seulement
lors de l’abordage que les pistolets de silex firent des dégâts. Les gabiers
très vite bordèrent les grands voiles et
e Saumur côte à côte avec le Haarlem lâcha une dernière bordée de boulets. Les
matelots sautèrent sur le pont et s’accrochant aux vergues du Haarlem sabrèrent
les matelots qui tentaient de s’y opposer. La fleur de lys flottait en haut du
mât encourageant l’équipage du Saumur. Les sabres cliquetaient les uns contre les autres, des étincelles
jaillissaient de ce conflit entre les aciers. Les matelots étaient déchainés,
acculant l’équipage du Haarlem à demander grâce. Le capitaine avait été tué dès
l’engagement des combats.
Les boulets du Haarlem avaient déchiqueté les bords du
Saumur, ceux du bateau hollandais étaient dans un état pitoyable. Les matelots
furent jetés en cale, les blessés et les morts jetés à la mer après des signes
de croix et des ainsi soit il marmonnés du moine embarqué. Le deuxième officier
du Saumur aidé d’une partie de l’équipage furent chargés de piloter le Haarlem
à Nantes. Le Haarlem passerait sous pavillon français, après réparations et
l’équipage échangé contre une rançon conséquente !
Le Saumur fut restauré par les charpentiers nantais. Etoupes,
goudron, planches de chênes provenant de la futaie Colbert à Tronçais, région
de l’Allier. Le Saumur avait été construit avec trois mille chênes ! Les
cales du Haarlem, vidées de ses marchandises, révélèrent toutes leurs
richesses, soieries d’orient, tapis précieux, vaisselles d’or, bois des Indes
et ivoire. Cinquante pour cent au Roi Louis, peut être à l’intention de
l’évêché de Nantes. Sur les cinquante pour cent restants, soixante pour cent
furent attribués à Aodren et ses officiers, les quarante pour cent restants à
l’équipage. Le Saumur remit en état, Aodren et ses officiers se mirent en
demeure de retrouver un nouvel équipage.
Deux mois après, pour la sixième expédition, Aodren
envisageait de piéger les anglais ou le hollandais à leur retour des Indes au
large des côtes d’Afrique. Il fit glisser le Saumur loin des côtes portugaises
pour éviter une rencontre inopportune. La tempête se leva, hoqueta, rugit,
balaya l’eau sur le pont du Saumur de ses vagues de six mètres de haut. Le
timonier, pour des raisons de sécurité, avait été attaché au pied de la barre à
roue, balayé par les vents et les hautes vagues. Les voiles avaient été
bordées, sauf le mât de misaine, pour continuer à se diriger avec juste le
petit perroquet hissé afin de ne pas dériver. Comme elle était venue, la
tempête se calma et la mer mit deux jours pleins pour se calmer. Aodren décida de se réfugier temporairement à Lanzarote,
isle la plus orientale des Canaries espagnoles pour réaliser les réparations
nécessaires des haubans et des voiles qui avaient souffert durant la tempête. Cette
initiative était risquée car Lanzarote était peuplée et surveillée du fait d’un
trafic d’esclaves importants vers l’Afrique du nord. Le Saumur prit la
précaution d’arriver la nuit, tous feux éteints. Il mouilla dans une crique
abritée et ceinturée de rochers de lave. Dès le jour levé, les gabiers se
mirent à l’ouvrage, coutures des accrocs des voiles, remplacement des cordages
défectueux. Le travail s’effectuait en silence dans toute la mesure possible.
Le coq était au chômage par précaution, les officiers et l’équipage se
contentaient de viandes séchées et d’eau
tirée aux tonneaux. La deuxième nuit éclairée par une pleine lune brillante et
le Saumur se reflétait dans l’eau de la crique. Malgré la fatigue de
l’équipage, Aodren fit doubler les hommes de guets, toujours inquiet de voir
surgir des bateaux négriers ou espagnols qui laisseraient peu de temps au
Saumur pour riposter !
Ce fut soudain et brutal, l’équipage du Saumur n’avait rien
vu venir et ne put rien faire, tant l’attaque avait été élaborée. Venus par
dizaines sur de petits canots à rames silencieux au ras des flots, les pirates
se rendirent maîtres du Saumur en quelques minutes à l’aide de grappins, les
guetteurs furent sacrifiés, les officiers enfermés dans le château. Les six
écoutilles fermées empêchaient l’équipage de se manifester ! Rapidement
les ancres furent levées après qu’un brigantin à l’effigie des pirates du
Bouregreg, un drapeau rouge avec un visage dans un croissant de lune vienne
bord à bord. Une partie de l’équipage des pirates monta à bord sous la conduite
du second et les deux bateaux naviguèrent de concert jusqu’à SALE.
L’attaque avait été
un exemple de ruse, d’efficacité, chères aux pirates de la République du
Bourégreg. Depuis Robinson Crusoé, la légende des pirates du Bourégreg s’était
installée durablement dans toute l’Europe avec la peur des navigateurs de les
croiser sur leur route. Un certain nombre de bateaux préféraient abdiquer et
baisser pavillon plutôt que de combattre des équipages hétéroclites d’une
extrême cruauté. L’équipage, les officiers furent enfermés dans des
geôles humides de la kasbah en attente de leur vente comme esclaves aux riches
négociants de Tanger, de Nador et même d’Alger. Le moine eut la tête tranchée
sans aucune considération. Il n’était négociable pour quiconque ! Aodren
fut enfermé dans une geôle à proximité du diwan. Son sort était enviable par
rapport à son équipage. Il n’était pas seul, il partageait la cellule avec un
vieux juif. Elopher avait eu la vie sauve pour son érudition importante, parlant
l’hébreu, l’arabe, l’italien, le grec, le français et l’espagnol et la linga
franca, créole parlé dans la République. Il rendait de grands services à la
République qui faisait appel à lui pour toutes transactions importantes. Erudit,
savant en mathématiques, Elopher était un personnage haut en couleur, calme de
petite taille, des lorgnons au bout du nez, une barbe grise taillée à la hâte
et une chevelure longue et raide qui lui tombait dans le cou. La cellule
faisait dix mètres sur trois avec deux banquettes en guise de lits. C’était le
lieu des conférences journalières d’Elopher et Aodren. Des repas étaient servis
chaque jour ainsi que de l’eau en suffisance pour la toilette des deux hommes.
Les journées se passaient en apprentissage pour Aodren de la Franca linga,
créole de la République et de la langue arabe, dispensées par Elopher et les
discussions sur la situation géopolitique. Aodren était persuadé que le roi
Louis interviendrait en sa faveur mais au bout de quelques mois, il se rangea à
l’avis d’Elopher, le Roi Louis n’interviendrait pas. Il en conçu une rancune
tenace. Ses gardiens étaient toujours étonnés de la couleur rouge de ses
cheveux. Elopher les taillait tous les trois mois avec sa barbe. Une très forte
amitié s’était nouée entre Elopher et Aodren. Sa nouvelle connaissance de la
langue arabe et du franca linga faisait d’Aodren un homme nouveau qui vivait
désormais une autre approche de la vie, de Dieu. La république du Bouregreg avait autorité des
deux côtés du fleuve, mais le diwan était sur la rive gauche du fleuve. Seize
conseillers siégeaient au conseil représentatif sous la haute autorité du grand
Amiral Murad Reis. Huit provenaient de la rive gauche, les Hornachéros, huit
provenaient de la rive droite, les Andalous. Une haine réciproque sciemment
cultivée, aboutissant souvent à des combats meurtriers, finit par disloquer et
détruire définitivement la République !
Le Grand Amiral Murad Reis, après avoir consulté ses
conseillers, proposa à Aodren de faire allégeance à la République et de
s’engager dans la guerre de courses comme pirate du Bouregreg. Aodren consulta
le vieux juif. Celui-ci assis sur sa banquette, les deux mains sur ses genoux,
ressemblant ainsi à une statue, répondit tout de go :<<accepte les
propositions de Murad Reis, krouya mon frère, il ne te répétera pas son offre.
Tu as toujours été un navigateur, un coureur des mers et d’océans. Il te reste
peu de possibilités, accepter son offre ou tu seras vendu comme esclave.
Accepte cette opportunité et retrouve les grands espaces de liberté>>.
Aodren dormit peu. Les chiens aboyaient dans les ruelles de la kasbah. Qu’avait-
il à faire maintenant de son allégeance au Roi Louis ? Après une nuit
difficile, il demanda au petit matin à voir le Grand Amiral. Celui-ci se fit
attendre et ce n’est que quatre jours
plus tard qu’il se fit amener Aodren au diwan. Tous les conseillers étaient
présents autour de lui. Sur un signe il s’assit sur le sofa. C’était à Aodren à
s’exprimer le premier après les salamalecs d’usage :<<Je suis
d’accord avec vos propositions votre Excellence, mais j’y mets des
conditions>>, les conseillers tentèrent de contredire Aodren, mais Murad
Reis rétablit le calme, >> je veux recruter moi-même mon équipage, (les
pirates venus d’horizons différents, pour beaucoup n’ayant aucune connaissance
de la mer, de la navigation et des combats, je veux également choisir mon
navire, l’armer et pour terminer je vous demande la grâce du vieux juif>>,
les conseillers firent entendre un concert d’insultes et d’imprécations
hostiles. Aodren retourna la situation en sa faveur avec l’aide du Grand
Amiral :<< Elopher avec sa connaissance des langues, de la
navigation, des mathématiques et de l’astrologie vous sera plus utile à Tanger
en observateur zélé pour la République du Bourégreg. Donnez lui de quoi ouvrir
un petit commerce sur le port de Tanger avec des tapis, des bijoux, il vous
servira d’informateur. Pas un navire sur l’Atlantique et la Méditerranée ne
pourra lui échapper et vous aurez une parfaite connaissance du trafic maritime>>.
Le Grand Amiral approuva cette suggestion suivi de la majorité des conseillers
sauf un hornachéro, qui eu la tête tranchée au sortir du diwan !
Aodren fut immédiatement libéré,
accompagné d’Elopher et celui-ci fut accompagné par les hommes de Murad Reis
jusqu’à Tanger. Aodren mit deux semaines à venir à bout de ses douleurs
occasionnées par une trop longue inactivité. Réapprendre à se servir du sabre
et de l’épée l’épuisait au début. Les janissaires du Grand Amiral l’aidèrent à
se réadapter ! Il procéda également au recrutement minimum de l’équipage,
une cinquantaine de sbires prêts à tout, tirés des geôles du grand Amiral et
quelques aventuriers arabes capturés en amont du fleuve. C’était une nouvelle
grande aventure, il y avait beaucoup de choses à organiser et régler. Avec Elopher,
il organisa une poste par hamâmas avec un colombier de pigeons voyageurs à
Tanger, l’autre au Bouregreg. Au bout de quelques mois, entraînés part des
hommes de confiance, les hamâmas étaient capables de parcourir en quelques
heures la distance de deux cent kilomètres séparant Tanger de Salé. Il semblait
que tout était au point, scrupuleusement calculé. Il restait à créer une force
de police pour éviter tous dérapages de l’équipage. Hélopher proposa un corps
d’élite dévoué à Aodren sous les ordres d’Alim un mercenaire turc. Cette force
devait être d’une fidélité à toute épreuve et la répression, si cela devait se
produire, sans pitié. Une vingtaine de marins turcs, choisis par Elopher et
Alim formèrent une garde rapprochée pour les officiers et une milice maritime
lors des navigations à risques. Aodren fut informé par la voie des airs qu’une
gabare portugaise armée de vingt canons de douze livres faisait escale à
Tanger. La gabarre, navire rapide, tenant la mer, transportait un tonnage et un
équipage important. Informant le Grand Amiral, à la tête de ses cinquante
hommes, il embarqua dans quatre chaloupes équipées d’une voile. Les rames ne
feraient pas de bruit, elles serviraient seulement pour l’abordage. Aodren
avait retenu la leçon de la capture du Saumur ! Il fallut quatre jours
pour arriver à Tanger. Cachées dans les rochers près de la grotte d’Hercule,
l’équipage attendit le moment propice. L’un des hommes de guet signala à Aodren
que les officiers de la Santa Maria de Faro étaient descendus à terre. C’était
le moment, il donna à nouveau ses instructions :<<abordage en
silence, maîtriser l’équipage, fermer d’urgence les écoutilles, lever l’ancre
et Inch Allah ! Les chaloupes poussées loin des rochers, les matelots se
servirent de leurs rames silencieusement. Les pirates d’Aodren avaient retenu
la leçon, les matelots portugais restés sur le pont furent promptement égorgés.
Les écoutilles fermées, les ancres levées, la Santa Maria de Faro portée par
les vents de terre s’éloigna de Tanger. Sur l’Atlantique, la gabarre prit le
large à douze nœuds, longeant les côtes marocaines elle entra au Bouregreg
trois jours après.
Aodren avait son navire. Le château
à l’avant de la gabare était suffisamment vaste pour accueillir les officiers
en lieu et place des marchandises rares soigneusement entreposées. Les écoutes
ouvertes, les marins portugais enfermés depuis plusieurs jours aspirèrent l’air
avec avidité. Une centaine d’hommes furent vendus au marché aux esclaves de la
Médina. Aodren paya scrupuleusement sa dîme au Grand Amiral. Celui-ci lui
octroya un magnifique ryad tout à côté de la mosquée Jamaa Al Atiq. Ce ryad
avait appartenu à Hassan Ben Dayma tué au combat contre une caraque portugaise,
en raison sans doute d’un orgueil incommensurable. La caraque imaginée par les
charpentiers de marines portugais était en fait une forteresse de la mer,
imprenable, capable de transporter deux mille hommes d’équipage !
Le ryad était superbe, bâti sur
trois étages donnant accès au fleuve et à l’océan. Chaque mur était recouvert
de mosaïques arabes de couleurs différentes, des fontaines de marbre d’Italie
laissaient jaillir l’eau en résonnances musicales. Les tapis recouvraient le
sol de chaque pièce. Les tables basses en bois précieux étaient disposées au
milieu des pièces avec des narghilés. La chambre se trouvait au bout d’une
grande pièce. Le grand lit haut butait contre un mur caché de tous les côtés
par des tentures ornées de filaments d’or. Une grande pièce décorée
somptueusement par son prédécesseur servirait de lieu de vie aux esclaves qu’il
avait acheté la veille à la Médina. Quatre jeunes vierges garanties par la
matrone de service lors de l’achat n’ayant pas plus de quinze ans. Une
africaine l’intéressait particulièrement. Aodren aurait le temps de la
découvrir ! Le ryad l’occupait pour le moment plus que son bateau. Elopher
lui indiqua le moyen de se procurer un eunuque lettré pour son service et la
protection de son harem. Celui-ci Adjib, était égyptien. Il portait un sabre de
cérémonie au manche ciselé avec une lame courte mais terriblement aiguisée. Au
souk de la Médina, il aida Aodren à trouver les quatre esclaves nécessaires à
son service. Ceux-ci s’occuperaient des jardins et des tâches journalières, de
la protection du ryad sous la direction d’Adjib.
Abir, une égyptienne également
recrutée par Hélophen, compte tenu de son érudition deviendrait la secrétaire
d’Aodren, en plus de la gestion stricte des affaires du Hammam, de l’éducation
amoureuse des femmes, de l’apprentissage de l’arabe, du Koran et de l’écriture.
Aodren pénétra dans le salon des femmes. Après une courte conversation avec
Abir, Salâa, la jeune éthiopienne entra dans l’eau du hammam. Sa peau noire
brillait comme la lune. Aodren une fois déshabillé par une autre esclave entra
lui aussi dans l’eau. Salâa le frotta avec une pierre, sa peau devint toute
blanche, puis avec de l’huile elle le massa, sans omettre les caresses
conseillées par Abir. Séchés, parfumés, ils s’allongèrent sur le lit. Les
autres esclaves s’empressèrent de tirer les rideaux de chaque côté de la
couche.
SHAIITANE
AL AHMAR- LE DIABLE ROUGE
Elopher avait communiqué à Aodren une
découverte venant de Chine. Il décida de l’utiliser sur son bateau baptisé
SHAIITANE AL AHMAR pour tromper l’adversaire. En fait il s’agissait de coller
une plaque de fer aimantée sur une autre plaque pour que celles-ci soient unies
solidement par collage. Deux plaques de fer de deux mètres de longueur et de un
mètre de hauteur furent apposées à l’avant et à l’arrière de la gabare avec le
nom originel de SHAIITANE AL AHMAR. Il suffisait alors de coller une plaque
aimantée avec le nom de bateau de hasard de nations européennes à l’approche
des combats pour tromper l’adversaire sur l’origine du bateau. Les artisans de
la Médina eurent plusieurs semaines de travail pour œuvrer dans ce domaine.
Accompagné
d’Alim, ils choisirent et achetèrent cinquante nouveaux matelots au marché aux
esclaves. Arrivés devant la gabare,
Aodren fit un bref discours en forme d’avertissement :<< j’ai besoin
de vous pour compléter mon équipage, votre vie ne sera pas facile, la vie de
pirates est pleine d’aléas, dangereuse, la guerre de courses pourra vous coûter
la vie, mais vous n’avez pas le choix. Ou vous embarquez avec moi, ou je vous
revends au marché aux esclaves de la Médina avec une plue - value à mon
endroit<< ! ……Aucun ne dit
mot, l’affaire était entendue. La milice d’Alim aurait du travail à surveiller
tous ces bougres venus d’horizons différents.
Les
travaux allaient bon train. Quatre mois quand même furent nécessaires pour
coudre et monter une voilure neuve avec de la toile d’une grande solidité venue
d’Extrême Orient. Un double jeu fut même cousu pour des réparations et
remplacement si besoin était. Les plaques étaient vissées de chaque côté sur la
proue et la poupe de la gabare. Le temps de la course était venu !
Quelques jours avant le départ, les vivres, l’eau et les boulets de douze
livres furent montés à bord. Comme sur le Saumur, l’armement était complété par
les pistolets à silex, les tromblons et les mousquets enfermés en cale jusqu’au
combat. Avec les quatre officiers, les deux chirurgiens arabe, le coq, Alim et
sa milice, les cent matelots embarquèrent avant pour sécuriser le bâtiment et
veiller aux détails et aux défaillances toujours possible. Aodren rejoignit
Salâa au hammam.
Deux
heures plus tard, Adjib vint le chercher :<<la marée est
haute<< lui dit il, le SHAIITANE AL AHMAR pouvait sortir de l’estuaire du
Bourégreg et voguer plein vent. Les
voiles gonflées entraînaient la gabare à plus de douze nœuds. C’était une
grande satisfaction pour Aodren, il en profita pour faire manœuvrer son
équipage sans relâche. Les cent marins devaient être prêts lors des
confrontations sanglantes avec les autres équipages. Depuis sept jours la
gabare naviguait au portant. Au petit matin, la vigie du haut de ses trente
mètres, juché sur son balconnet, hurla après la cloche :<<trois mâts
anglais à tribord<<. Le second repéra le PORSTMOUTH avec des jumelles perfectionnées
par des savants persans. Immédiatement les matelots hissèrent le Red Ensing et
collèrent sur les plaques de la coque KING GEORGES, destiné à tromper les
officiers anglais. Aodren fit hisser le pavillon de courtoisie de l’Ecosse. Le PORTSMOUTH favorable fit
hisser à son tour son pavillon de courtoisie. Aodren fit manœuvrer son équipage
pour naviguer dans le même sens que le PORTSMOUTH. A quelques encablures, les
grands voiles furent bordées par les gabiers en même temps que les dix canons
de la gabare détruisirent toutes possibilités de reprendre l’avantage par des
canonnades pour les anglais. Bord à bord, la poudre des mousquets, des
tromblons et des pistolets utilisés par les matelots d’Aodren firent quelques
dégâts parmi l’équipage anglais. Le combat fut d’une atrocité incroyable, le
choc des sabres et des épées faisait jaillir des étincelles lors des corps à
corps. Les marins mutilés churent sur le pont par dizaines, piétinés par les
combattants. Devant l’incroyable audace et férocité des marins du Bourégreg,
les officiers du PORTSMOUTH demandèrent grâce pour leur équipage, en déposant
les armes. Les blessés trop graves aux yeux des chirurgiens et les morts furent
jetés à la mer ainsi que ceux du SHAIITANE AL AHMAR. La légende du Diable Rouge
était née. Les plaques de fer du KING GEORGES furent enlevées pour laisser
apparaître le nom de SHAIITANE AL AHMAR. Le pavillon du Bourégreg fut hissé en
haut, du mât par les gabiers.
Après
cette première intervention victorieuse, la détente était nécessaire, sous la
surveillance des hommes d’Alim. Les armes à feu bien rangées dans un lieu clos
de la gabare, le coq servit du vin de Chypre. Un gabier jouait de la derbouka,
fifre en roseau, l’un des chirurgiens de la guitare andalouse, le navigateur du
tambourin. Aodren surveillait avec bienveillance, le sourire aux lèvres, cette
fête impromptue. Une dizaine de matelots dansaient les bras levés frappant de
leurs pieds, le pont de la gabare, s’accompagnant de castagnettes rudimentaires.
Le
Bourégreg était en vue neuf jours après la capture du PORTSMOUTH. Les officiers
et l’équipage du navire anglais étaient servis et abreuvés par le coq sous la
surveillance des hommes d’Alim. Ils étaient lavés à l’eau de mer à l’aide de
seaux après un rapide déshabillage pour
éviter les maladies et la transmission aux hommes du SHAIITANE AL AHMAR !
Aodren
avait hâte de retrouver Salâa, sa favorite au hammam. Des heures passèrent
derrière les tentures rouges du grand lit. Les autres esclaves devinaient les
jeux auxquels s’adonnaient Aodren et Salâa.
Une
nouvelle fois, il fallait renouveler l’équipage
car les combats avec l’équipage
anglais avaient fait des dégâts. Aidé par Adjib, il acheta quarante marins pris
au cours de combats par d’autres pirates du Bourégreg et destinés à
l’esclavage. Ils aidèrent les charpentiers aux réparations nécessaires sur la gabare. Les voiles avaient souffert, malgré
la qualité de celles-ci. Le deuxième jeu fut monté par les gabiers et bordé
convenablement, mais il était nécessaire de reconstituer un jeu de voiles
complet avant un nouveau voyage. Une nouvelle course se préparait. Le coq
s’occupait des vivres, du sel et des vins de Chypre. Le second attentif, se
chargea de la poudre et des boulets, surveilla l’état des canons et des
chaloupes. Aodren envisageait un long voyage, il avait besoin d’Elopher. Il
libéra un hamâma avec un message explicite. En retour, le pigeon lui apprit une
triste nouvelle, Elopher avait été un compagnon de chaque jour, fidèle et
dévoué. Acher le cousin d’Elopher avait repris dès le décès de celui-ci, la
suite des affaires auxquelles il coopérait déjà. Il proposa à continuer les
contacts, les affaires avec Aodren. Sans avoir les grandes connaissances
d’Elopher, il avait su nouer des contacts utiles avec des émissaires et
intermédiaires dans tout le nord de l’Afrique et de l’Espagne. Acher possédait
des cartes marines prises sur des bâtiments capturés et judicieusement achetés
à des officiers soudoyés. Celles-ci feraient l’affaire d’Aodren, en particulier
les routes maritimes du nord de l’Europe, Angleterre, Irlande et l’Ecosse. Il y
avait même une tracée par la main d’un pirate aujourd’hui décédé, sujette à
caution, une carte justifiant une route de l’Ecosse à l’Islande ! Aodren
demanda à Alim de faire le voyage à Tanger, de payer Acher et de revenir à Salé
avec les cartes.
Revenu
un mois plus tard, Alim remit les cartes à Aodren. Après les avoir étudiées,
Aodren réunit ses quatre officiers dans le château. Voilà leur dit il,
j’envisage d’aller naviguer sur les cotes écossaises, de faire le plein et
ensuite me diriger sur l’Islande, pays peu connu, situé en limite du pôle. Les
marins de Norvège décrivent ce pays comme l’enfer, le feu sort de terre à de
grandes altitudes et il ne fait jamais nuit. Ce voyage prendrait au moins une
année, qu’en pensez- vous ? Le second répliqua, approuvé par les trois
autres :<<pour moi ce sera une belle aventure, peu sont allés en
enfer, allons voir à quoi cela ressemble<< ! Fort de l’appui des
officiers, le lendemain matin, réunissant l’équipage, il leur tint le même
discours. Si Alim et sa milice étaient d’accord, les hommes d’équipage avec
quelques meneurs à leurs têtes réclamaient une part plus importante du butin.
Les hommes d’Alim supprimèrent les meneurs. Tout rentra dans l’ordre. Aodren ne
pouvait tolérer les hésitants ! Les corps sans vie furent jetés dans les
eaux du Bourégreg.
Le
voyage serait long, Aodren se décida de se consacrer à Salâa. Dans le hammam,
en plus des soins de toilettes elle lui prodiguait des caresses sous les yeux
d’Abir. Ses cheveux rouges, sa barbe étaient quotidiennement brossés. Ses cheveux
avaient encore poussé. Salâa l’aimait ainsi, elle attachait ses cheveux en
tresses à l’intérieur d’un catogan de soie bleue. Le SHAIITANE EL AHMAR devait
reprendre la mer d’ici une quinzaine de jours pour au moins une année. Sur la
demande d’Abir, il se décida d’honorer ses autres femmes, même si Salâa restait
sa favorite, c’était la volonté d’Allah !
SOIXANTE CINQ DEGRES NORD DIX HUIT DEGRES
OUEST
Les cales de la gabare
étaient pleines de tonneaux de viandes et de poissons séchés et des haricots
secs à profusion pour ce long voyage. La cambuse avait été rénovée par le coq
avec des gamelles en cuivre et plusieurs grosses marmites. L’équipage se
servirait directement dedans. La pêche ne serait pas négligée pour la
consommation de produits frais.
La sortie de Salé ne fut pas
facile. En pus des hauts fonds protégeant son accès, des hautes vagues se
projetaient sur les rochers dans une pluie d’écumes et il fallait toute la
science et l’habitude du timonier pour sortir du port. Une fois en pleine mer,
le barreur pris l’option de louvoyer tant le vent était contraire et profiter
du vent du nord pour prendre de la distance avec la côte toujours dangereuse.
La mer restait en colère, de hautes vagues frappaient la coque, le pont et les
mâts à grande hauteur. C’était prévu, toute la traversée se ferait en vents contraires. Le SHAIITANE AL AHMAR se
balançait de tribord à bâbord avec l’impression que les mâts trempaient dans l’eau
à chaque gîte. Plusieurs fois, des bateaux furent aperçus au loin. Ils apparaissaient
puis disparaissaient au gré des vagues dans le lointain, forme fantomatique
dans la brume océane. Aodren naviguait loin des côtes pour éviter tous contacts
préjudiciables, si loin du Bouregreg.
Trois mois de navigation et
enfin une côte se dévoilait à tribord. Le second tenait les cartes et annonçait
à Aodren :<<c’est l’Irlande restons loin d’elle et filons vers
l’Ecosse qui sera atteinte suivant mes prévisions d’ici une quinzaine de
jours<<. Il en fallu vingt pour apercevoir enfin les côtes d’Ecosse se
profiler dans la brume. Les voiles bordées par les gabiers attentifs au
débarquement de l’équipage, dans une crique où dormait un petit village aux
toits de pailles. Les ancres accrochées au fond, les chaloupes furent mises à
l’eau en silence. Le village silencieux s’était endormi, des braises brûlaient
encore. L’équipage attendait les ordres d’Aodren. Au petit jour, quelques
hommes sortirent des paillotes, ils n’eurent pas le temps de réagir tant
l’attaque fut soudaine et violente. La gorge tranchée pour éviter qu’ils
préviennent le reste du village, ce qui fut une formalité ! Les paillotes
visitées, les hommes furent sacrifiés. Seuls quelques uns d’entre eux
s’échappèrent pour se réfugier dans la montagne environnante. La légende du
SHAIITANE AL AHMAR, n’était pas prête de s’éteindre. L’opération fut rondement
menée, trente minutes avaient suffit pour tout régler ! L’équipage en
profita pour consommer sans aucune mesure les villageoises. Les hommes de Salim
montaient la garde au cas d’un retour impromptu de renforts ?
Quatre moutons furent
sacrifiés et montés sur une broche et quatre autres dépecés furent jetés dans
le sel. Le pavillon rouge des pirates de Salé flottait fièrement en haut du
mât. C’était la fierté de l’équipage, il n’était plus jamais descendu I Il
était temps de lever les amarres, une mauvaise rencontre étant toujours
possible. Après la viande, une barrique d’alcool serait appréciée par les
européens du Bouregreg et des peaux de loutres furent prises dans les paillotes
pour se couvrir du froid. Dommage que le voyage soit si long, les femmes
auraient rapporté gros au souk de la Médina. Les chaloupes repoussées à la mer,
tout l’équipage était aux manœuvres. Cap sur l’enfer, d’après la carte
retrouvée et faite main, l’Islande se trouverait au soixante cinq degré nord et
dix huit degré ouest, pas très loin du pôle de glaces. Cinq cent cinquante
miles séparaient l’Islande de l’Ecosse un long trajet à parcourir par vent
contraire. L’équipage était de mauvaise humeur ayant l’impression de rester sur
place, la milice d’Alim observait et contrôlait tout mouvement d’humeur.
L’équipage était intrigué par les grandes baleines blanches et les oiseaux
planant sans cesse autour du bateau.
Trois longs mois étaient encore passés, l’Islande paradait
dans ses propres eaux, des hautes flammes jaillissaient en intermittence des
volcans avec le bruit de l’enfer. La carte était bonne, le pirate avait eu une bonne
main ! Le SHAIITANE AL AHMAR contourna la côte sud de l’isle pour remonter
à l’ouest vers Reykjavik un village au fond d’une baie. La carte semblait
précise. Une chaloupe avec le second et six rameurs partirent en observation.
Ce ne fut que tard dans la journée qu’ils rejoignirent la gabare. Le second
s’exprima :<<nous avons un sérieux problème, un brick anglais, le
TAMISE est ancré devant un gros bourg qui semble bien être Reykjavik. Le TAMISE
est bien armé, quarante canons de douze et un équipage conséquent. Les six matelots
eurent droit à un verre d’eau de vie servi par le coq avec parcimonie pour les
récompenser. Aodren voulait éviter le combat qui serait inévitablement
dommageable au bateau et aux matelots. Huit chaloupes furent descendues à la
mer dont l’une chargée de poudre, remorquée par les matelots du Bourégreg
jusqu’au flanc bâbord du TAMISE. La chaloupe fut encordée au gouvernail, la
mèche allumée, un tonnerre de feu retentit jusqu’au pôle. En raison d’une voie
d’eau sous la ligne de flottaison, le TAMISE désormais indisponible s’enfonçait
inexorablement jusqu’au fond de la mer. Quelques matelots restés à bord,
surpris, n’eurent aucune grâce. Piégés certains sautèrent à l’eau. Les pirates
de Salé ne firent pas de quartier, les marins anglais furent tous passés au fil
de l’épée. Les chaloupes reprirent la mer. Aucun marin du Bourégreg n’avait été
blessé, tant l’attaque avait été soudaine. De retour, Aodren sécurisa le
village de Reykjavik avec la milice d’Alim et quelques matelots. Un feu faisait
office d’autodéfense. La température était fraîche mais supportable grâce aux
peaux de loutres écossaises. Une garde solide veillait sous le jour permanent
de l’Islande. Le reste de l’équipage et les officiers se reposaient sur le
navire.
Aodren et ses officiers se
réunirent dans le château pour envisager la suite des évènements. La TAMISE
était coulée, mais l’essentiel de l’équipage était à terre, une réaction était
toujours possible par les chemins du littoral. Aodren devait protéger son
équipage et prévoir les réactions des anglais. Il se décida à lever l’ancre du
SHAIITANE AL AHMAR pour l’éloigner suffisamment de la crique. Toutes les
chaloupes ayant été mises à la mer, il embarqua les deux tiers de l’équipage
pour se cacher aux creux des rochers à proximité du bourg de Reykjavik. Les
autres restèrent dans la crique comme appât avec l’ordre de prendre la fuite
avec les chaloupes restantes pour rejoindre le bateau en cas d’attaque. Aodren
ne s’était pas trompé. Le capitaine de la TAMISE voulait sa revanche, il
amenait ses hommes par les chemins de la montagne pour surprendre les hommes
d’Aodren. Une cinquantaine de matelots de la TAMISE restaient à Reykjavik,
Aodren lança ses hommes dans le bourg surprenant une nouvelle fois l’équipage
anglais qui se défendit vaillamment aidés par les habitants du bourg. C’était
moins facile que prévu, le nombre important d’hommes gênait considérablement
les desseins d’Aodren. Il fallait faire vite. Les pirates du Bourégreg habitués
aux combats, laissaient sur le sol de nombreux blessés jusqu’à reprendre la
supériorité numérique. Les habitants de Reykjavik reculèrent pour se mettre à
l’abri derrière leurs murs. Les derniers marins de la TAMISE furent anéantis et
laissés à terre, laissant la population, le soin de les enterrer.
Aodren conduisit ses hommes
dans la montagne pour préparer une embuscade capable de laisser le champ libre pour la razzia de Reykjavik.
Les mousquets et les tromblons chargés de petites pierres trouvées sur le
chemin feraient du dégât dans la troupe de la TAMISE. Il plaça ses hommes de
chaque côté du sentier, seul accès à Reykjavik. Le soleil déclinait un peu
lorsque des voix se firent entendre dans le sentier. Chacun était à son poste,
l’ordre était d’abattre en premier le capitaine et les officiers à l’aide des
mousquets. Les tromblons serviraient ensuite à l’élimination d’un certain nombre de marins avant d’en
venir au corps à corps ! L’équipage de la TAMISE empêtré dans l’étroitesse
du sentier eut du mal à résister aux assauts des pirates d’Aodren. <<pas
de quartier, hurla Aodren<< ! Surpris par la violence de l’attaque,
ils succombèrent presque sans combattre. Peu de blessés ou de morts parmi les
hommes d’Aodren. Celui-ci en fit un bilan positif. Le jour était toujours
présent, plongeant le village dans la peur, les habitants terrés dans leurs
maisons. L’équipage du SHAIITANE AL AHMAR alluma un grand feu de défense. Une
nouvelle journée commençait. Aodren envoya une chaloupe sur le bateau pour
connaître les résultats de son entreprise, pendant qu’une partie de l’équipage
restait à Reykjavik. La grande majorité des matelots suivant les conseils
d’Aodren avait regagné la gabare. Pendant ce temps, plusieurs chaloupes
rejoignirent le bâtiment avec des chargements de barriques d’eau douce, deux
quintaux de morues séchées et deux chevreaux jetés dans le sel. C’était aussi
le temps des réjouissances avec les femmes des pêcheurs sans que ceux-ci
puissent intervenir !
Toutes les chaloupes
regagnèrent le SHAIITANE AL AHMAR. Le moral était au beau fixe. Toutes voiles
dehors, bien gonflées par le vent portant, le SHAIITANE AL AHMAR surfait à
quinze nœuds sur les vagues de l’Atlantique. Aodren ordonna que chaque jour, le
coq distribue un peu d’alcool et du vin de Chypre. Il autorisa les musiciens à
jouer de leurs instruments et aux matelots de danser sous la surveillance des
hommes d’Alim. Il fallait récompenser l’équipage pour son courage.
Cinq mois après son départ
de Reykjavik, la gabare entra dans le Bourégreg. Elle fut très vite entourée de
barques avec des hommes armés. Le SHAIITANE AL AHMAR se positionna le long du
quai accompagné des barques. Les hommes se positionnèrent sur le quai le long
de la gabare armés de mousquets. Aodren descendu à terre fut poussé sans
ménagement jusqu’au diwan. La, il resta figé dans l’attente d’une solution. Le
sultan Moulay Rachid vous attend. La porte ouverte, Aodren se trouva debout
devant celui qui avait réunifié le Maroc. Les querelles entre hornachéros et
andalous avaient causée la perte de la République du Bourégreg et aidé en cela de
la prise de pouvoir par le sultan Moulay Rachid. Le sultan subtil commença par
féliciter Aodren de ses exploits. Il lui demanda en quoi consistait son dernier
voyage. Aodren lui fit part de son aventure au bout du monde, en donnant force
détails sur cette isle aux volcans cracheurs de feu entouré de glaces. Aodren
ne manqua pas d’indiquer au sultan Moulay Rachid la richesse de sa cargaison.
Le sultan Moulay Rachid remercia Aodren et tout de go lui dit :<<ma
présence à Salé est dûe à la chute de la République. J’ai chassé le conseil
sous les ordres du Grand amiral pour finir d’installer ma domination
territoriale sur tout le Maroc. Dorénavant ce sera l’un de mes hauts
conseillers qui dirigera le port de Salé et sa région. La situation est claire,
la dynastie alaouite est maître du Maroc, Habdoulilah<< Tout miel, mais
pragmatique, le sultan Moulay Rachid s’adressa une nouvelle fois à
Aodren :<<mon pouvoir ne peut se passer de marins compétents,
ardents et prêts à prendre des risques pour défendre mes intérêts et ceux de la
dynastie. Je pense que vous êtes l’un de ceux là, je saurai vous récompenser à
la hauteur de vos exploits<< ! Aodren n’avait pas le choix, il
s’engagea et porta allégeance au sultan Moulay Rachid. Il lui baisa l’anneau de
la main droite puis sortit à reculons du diwan. Aodren gardait le SHAIITANE AL
AHMAR, son équipage avec la possibilité de continuer la guerre de courses à son
bénéfice et celui du sultan. La vente du butin s’avéra lucrative. Le ryad, ses
femmes et son personnel lui avait été restitués, à la suite de son allégeance.
Aodren, de nouveau se sentait libre, d’agir et de courir les mers.
Il avait hâte de revoir
Salâa. Une surprise l’attendait, celle-ci enceinte avait accouché en son
absence d’une petite fille. Elle attendait son retour pour lui donner un nom.
Aodren, retrouva ses habitudes au hammam, la propreté du corps après de si
longs mois en mer et les caresses :<<elle s’appelera Abia lui dit il
Abia l’exceptionnelle<<, avant de se replonger dans les plaisirs de
l’amour !
TAREK LE CONQUERANT
Après deux mois de repos consacré aux plaisirs, Aodren
réfléchissait à de nouveaux raids, de nouveaux abordages sur la route des Indes
au large des côtes africaines. Il envoya un hamâma à Achèr pour obtenir des
cartes précises des côtes d’Afrique et de ses isles. Les cartes en sa
possession donnaient des indications précises sur les routes suivies par les
navires remontant la route des Indes. Les isles du Cap Vert l’intéressaient
particulièrement et surtout la petite isle de Santa Luzia. Celle-ci était
inhabitée, sauvage, accidentée, facile d’accès, située à 1100 miles des côtes
africaines de Gambie. Elle devrait permettre de s’y réfugier rapidement après
un abordage. Le coq devrait se munir d’une réserve d’eau suffisante pour
alimenter l’équipage !
Le ryad d’Aodren, ce n’était
pas coutume, servit de lieu de réunion avec les officiers sous les frondaisons
fleuries. Chacun était attiré par la route des Indes. Ce devrait être une
course lucrative. Les hollandais, les anglais et les portugais frétaient des
bâtiments en nombre pour le transport des richesses de l’orient et de l’extrême
orient. Las d’être attaqués par les pirates et les corsaires, ils avaient
constitué une flotte de protection de leurs navires marchands, en particulier
les portugais avec leur forteresse des mers, les caraques, inattaquables par
les navires plus petits et surtout moins bien armés ! La course devenait
de plus en plus dangereuse pour les prédateurs de toutes communautés. Les
officiers étaient d’accord pour Santa Luzia, offrant des opportunités de refuge
avec une côte découpée, inhabitée et volcanique.
Les choses se répétaient à chaque expédition, recrutement
et remplacement des membres de l’équipage. Les exercices succédaient aux
exercices. Les gabiers furent particulièrement concernés. Le coq toujours le
même depuis l’origine était devenu le chef cuisinier avec l’enrôlement d’un
autre coq pour l’aider. Les deux chirurgiens arabes étaient également là. Ils
s’approvisionnaient en herbes guérisseuses, en onguents et drogues arrivant de
la région de Nador au Maroc, du Sahel et du Sénégal riches en racines qui
soulageaient la douleur. (La réserpine, neuro sédatif, la jusquiane et le
hachich drogue calmante, narcotique. Les racines de fagora, calmant efficace et
un bon nombre de racines). Toutes ces plantes arrivaient en caravanes jusqu’à
Tanger et vendues à prix d’or ! Les chirurgiens arabes étaient passés
maîtres dans la connaissance et l’application thérapeutique de ces produits.
Le pavillon du Bourégreg
avait été remplacé en haut du mât par celui des Alaouites, deux lions défendant
la couronne surmontant le soleil et l’étoile verte à cinq branches sur fond
rouge. La marée était haute, le timonier manoeuvra le SHAIITANE AL AHMAR avec
beaucoup de précaution. Bon nombre de navires s’étaient cassé les dents en
voulant remonter le Bourégreg pour canonner Salé ! Les feux des ruelles de
la Médina éclairaient la nuit blafarde comme emplies de tristesse saluant le
départ du SHAIITANE AL AHMAR. La barre à l’ouest durant la première journée
pour éviter toutes rencontres inopportunes, le timonier infléchit la route de
la caraque sur l’ordre d’Aodren, cap plein sud pour se trouver sur la route des
isles du Cap Vert à six cent miles de Salé ! De fortes vagues frappaient
avec insistance la coque du SHAIITANE AL AHMAR, inondant le pont devenu
glissant. Les voiles de travers poussées par un vent d’ouest étaient gonflées
d’espérance La gabare se comportait bien et filait douze nooeuds, il lui faudrait
une dizaine de jours pour accoster à Santa Luiza du Cap Vert. Plusieurs fois le
second qui tenait les cartes demanda au timonier de rectifier légèrement sa
route car un fort courant marin venant de guinée poussait la caraque vers
l’ouest malgré un vent constant !
Lisle de Santa Luiza était
en vue, Aodren donna l’ordre de border les voiles et de laisser danser la
caraque en attendant la nuit. Tous les feux éteints, le SHAIITANE AL AHMAR
s’approcha doucement de Santa Luzia avec juste le foc gonflé. L’isle était
désolée, pas un arbre, pas une herbe, que des rochers et de la terre jaune
stérile. Une petite baie entre deux blocs proéminents offrait son hospitalité.
Le SHAIITANE AL AHMAR s’y ancra. Le jour se levait, la lune était encore
présente. Deux goélettes portugaises, la SANTA MARIA DE FARO et le DOURO se
positionnèrent de façon à bloquer l’accès de la sortie de la baie. Comment le
SHAIITANE AL AHMAR avait pu être repéré ? Cela reste encore un mystère.
Leurs batteries de canons de trente huit livres crachèrent leurs boulets en
deux canonnades espacées de quinze minutes. De gros dégâts étaient constatés
sur la gabare, tant matériels qu’humains. Aodren fit lever les voiles, malgré
le peu de vitesse, le timonier obéissant aux ordres fonça droit sur le DOURO,
l’éperonna. Toute sa structure trembla et craqua sous le coup de boutoir de la
caraque. Les gabiers sautèrent dans les filins du DOURO et s’activèrent à
neutraliser ceux du navire portugais. Les combats faisaient rage sur le pont du
DOURO, l’équipage du SHAIITANE AL AHMAR était en infériorité mais se battait
avec détermination. La SANTA MARIA DE FARO avait viré de bord pour rejoindre la
gabare et aider l’équipage de l’autre navire portugais. Il fallait fuir,
c’était perdu d’avance mais la baie était bouchée par les deux navires
portugais. Le second fit monter un tonneau de poudre qui allumé fut jeté sur le
pont du DOURO. Une immense explosion se fit entendre jusqu’au Sénégal, la
gabare poussa le navire endommagé pour se dégager et prendre le large. La SANTA
MARIA DE FARO avait tiré une nouvelle bordée de boulets de trente huit,
couchant le mât de misaine de la gabare sur le pont. Les combats se
poursuivaient dans les vergues et un marin portugais se servant d’un cordage
comme balancier réussit à frapper Aodren avec la lame de son sabre. Celui-ci
l’avant bras coupé tomba inconscient. La destruction du DOURO et malgré les
combats encore existants dans les vergues, permit au SHAIITANE AL AHMAR de
sortir de la baie en donnant un dernier coup de sa batterie de canons, laquelle
atteignit la SANTA MARIA DE FARO restée sur place pour s’occuper des survivants
du DOURO.
Les chirurgiens s’occupèrent
d’Aodren. Constatant de visu la blessure, ils attachèrent solidement Aodren au
plat bord. Le coq fit rougir des braises dans une grande cocote, un grand
couteau plongé dans les braises. Quand le couteau fut de la couleur des
braises, un chirurgien l’appliqua sur la plaie saignante. Aodren hurla, les
larmes coulaient le long de ses joues, elles se noyaient dans sa barbe. L’opération
fut renouvelée plusieurs fois pour être sûr que la plaie fut cautérisée !
Aodren s’était de nouveau évanoui. Les chirurgiens s’occupèrent des blessés et
comme d’habitude, les morts et les blessés graves furent jetés à la mer, les
autres soignés par des plantes. L’autre chirurgien préparait une décoction de
hachich mélangé avec des extraits de racines et de plante du Sahel, (réserpine,
jusquiane). Aodren se réveilla avec une atroce douleur, les chirurgiens lui
administrèrent rapidement cette décoction. Elle eut un effet bénéfique, Aodren
s’était endormi sous l’effet des drogues. A chaque réveil, les chirurgiens lui
administrait cette décoction qui le soulageait et l’endormait.
Le SHAIITANE AL AHMAR AVAIT
SOUFFERT, l’absence de mât de misaine brisé par la canonnade ralentissait
considérablement son allure. Deux mois furent nécessaires pour rentrer au
Bourégreg. Aodren se portait mieux, la plaie s’était cicatrisée, les
chirurgiens avaient fait du bon travail ! Comment allait réagir Salâa à
son amputation ? Sa fuite devant les navires portugais le mettait mal à
l’aise. C’était la première fois qu’il abandonnait le combat. Il s’interrogeait
aussi sur ses rapports avec Dieu. Sa blessure, la fuite devant l’ennemi l’avait
amené à cette réflexion.
Arrivé à Salé, il se
présenta devant le haut conseiller du sultan Moulay Rachid pour lui faire part
de son échec au Cap Vert et lui expliquer les raisons de sa blessure. Salâa ne
sut que dire devant cette terrible blessure, elle lui embrassa le front et la
main droite et l’entraîna au hammam. Aodren se donna six mois de réflexion et
décida de se convertir à l’Islam commettant l’acte d’apostasie envers l’église
catholique. Le Haut Conseiller du sultan Moulay Rachid en fut très heureux et
le convoqua au diwan. Il se retrouva devant l’imam de la Médina et divers
notables de Salé. La conversion à l’Islam est facile, juste une petite phrase à
prononcer et vous entrez dans le monde d’Allah :<<j’atteste qu’il
n’y a pas de divinité en dehors d‘ALLAH et que MUHAMMAD est son
prophète<< C’était tout ! L’imam lui demanda quel nom il choisissait
à la suite de sa conversion à l’Islam, Tarek répondit il, ce qui signifie
conquérant.
Cet acte symbolique et
profond le fit réagir également à propos de ses femmes. Il décida de prendre
pour épouses Salâa et Fouzia. Il donna Salma en mariage à Sélim et Zara à son
second. Abir était satisfaite de la conversion de Aodren, désormais Tarek le
conquérant mais aussi à la décision de marier ses femmes, Abdoulilah ! Des
mois passèrent à se consacrer à Allah, à apprendre les prières. Déjà quinze moi
que Tarek était revenu et l’aventure lui manquait, lui titillait l’esprit. Il
avait pris l’habitude quand son bras le faisait souffrir de fumer une longue
pipe avec un petit foyer rempli de tabac du Nil mélangé avec du hachich. Il
avait repris contact avec son second, Alim et le coq. Eux aussi avaient cette
envie de naviguer dans la cervelle. Le second organisa une nouvelle expédition
avec la bénédiction de Tarek, il s’occupa de tout, du recrutement, de la
réparation du SHAIITANE AL AHMAR par les charpentiers de Salé, du remplacement
du mât de misaine, du remplacement de toute la voilure. Deux mois après la
gabare avait fière allure prête à fendre à nouveau les flots de l’Atlantique.
Le timonier sortit le
SHAIITANE AL AHMAR prudemment du Bourégreg. Les hauts fonds n’avaient pas
disparu. Sur l’océan il regarda Tarek qui avait retrouvé le sourire, l’envie
d’oublier sa peu glorieuse fuite devant les deux navires portugais. Malgré son
amputation, il avait foi en son destin avec l’aide d’Allah, il vaincrait !
Le SHAIITANE AL AHMAR avait
pris une route plein ouest, Inch Allah, Tarek aimait son bateau et son
équipage. La caraque disparaissait doucement dans la brume de la mer où allait-
elle ? Les vagues la transportaient vers des horizons inconnus. Les voiles
se confondaient avec les grands oiseaux venus de nulle part. Tarek avait allumé
sa pipe assis sur le devant du château. Les voiles et les cordes claquaient
dans le vent et le long des mâts, c’était la musique des longs cours !
FIN
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