ILS N’ONT PAS VU de Ali GADARI

ILS N’ONT PAS VU Ali GADARI Certains ignorants disent qu'il n'y a rien à voir dans la plaine du Gharb. Je peux comprendre que la campagne repousse les illuminés du savoir mais laissez-moi leur dire qu'ils sont passés à côtés de merveilles, en fait c'est très bien ils nous les ont laissés pour nous seuls. La brume du matin au lever du jour et la fraîcheur du mois de mars, le petit déjeuner constitué de thé brûlant de pain grillé, des crêpes, de l'omelette, des olives vertes et noires, de l'huile d'olive mélangée au beurre frais, le miel d’eucalyptus, voyez-vous, tout cela ils nous l'ont laissé. La brume s'est dissipée sous l'effet du soleil qui éclaire maintenant toute la plaine d'un éclat privilégié, le ciel revêtu de son drap bleu velouté. Les paysans sont là depuis longtemps, ces gens- là travaillent du soir au matin quelques soit le temps, ce sont des ignorés du plus grand nombre les paysans, trop souvent moqués. Le courage est leur motivation, sans cesse ils retournent la terre, l'engraisse puis sèment le blé, l'orge. La betterave est semée dans des sillons bien droits tracés dans le champ, ainsi la terre est mise à l'épreuve, puis vient ensuite le blé ou l'orge. Ils n’ont pas vu Ahmed avec son éternel tarbouche rond, blanc et rouge, réparer les vélos, changer une chaine, arranger un dérailleur. Ils n’ont pas vus Sulliman le vétérinaire aider la vache de Hassan à vêler et mettre au monde, un miracle de la vie, un petit veau encore tout sanguignolant. A peine sorti, il se précipite sur la mamelle nourrissière. Là dans ce village s’écoulent des journées rythmées par les appels du muezzin. Le jour du souk règne une agitation bienvenue autour des boutiques en toile. Chez Hakim le boucher, un bœuf en entier a été accroché à l’étal devant le trottoir, les clients viennent choisir leur morceau de viande. Un homme s’occupait du grill imposant de chez Hakim. Une foule de clients souhaitait des casse-croutes à la viande hachée et aux oignons avec des frites, ce jour-là il y avait un gros débit, et puis il y avait l’artiste aux légumes qui savait tellement décoré son stand avec des pommes de terre, des tomates, des concombres, des artichauds, des courges, des potirons, des ails, des oignons, des haricots verts, des épinards, des poireaux, du persil, des poivrons verts, des poivrons rouges, des aubergines, des radis, des carottes et bien d’autres légumes, présentés comme un tableau à la clientèle fascinée par la beauté de ce décor qui lui faisait un triomphe à chaque présentation. Les couleurs des légumes étaient judicieusement assemblées, Adan était un professionnel des marchés, il avait compris qu’une bonne présentation de ses produits aidait la promotion et la vente. J’aime aussi tendrement la rivière qui s’infiltre dans le village avec discrétion, et pudeur, présentant ses eaux presqu’avec des excuses tant elle était attentive à n’occasionner aucun problème, elle traçait son cours à travers le village. Ses berges abritaient des sortes de hauts roseaux, des genêts blancs, le genévrier rouge et l’eucalyptus. De nombreuses espèces vivent sur ces berges, les savants répètent à profusion qu’il existerait cent cinquante six espèces d’invertébrés, avec les couleuvres, deux espèces de vipères se cachent dans les roches avec les tortues terrestres. Ma rivière abrite cent soixante et onze espèces d’oiseaux dont les flamants roses, les busards des roseaux, les sarcelles. Vous voyez, tout cela, ces gens là sont passés à côté. …..Il n’y aurait rien à voir dans la plaine du Gharb ? Ils n’ont pas vu non plus, l’usine à sucre, qui moult cannes à sucre et betteraves indifféremment suivant les saisons. Des centaines de camions chargés font la queue sur la route sur près d’un kilomètre également à l’intérieur de l’entreprise. La signification de tout cela est une énorme fumée noire qui s’échappe de la cheminée. Attends, attends il y aussi l’usine de farines ou sont moulus les grains de blés en une fine farine, des forts en bras et forts en gueule soulèvent les sacs de cinquante kilogrammes remplis de farine fraîche et les entreposent dans le grand hangar avant de les charger dans les camions. Mais j’y pense, il y a aussi l’usine de production d’eau filtrée qui sera distribuée aux abonnés du village, stockée dans deux énormes châteaux d’eau, hauts de vingt mètres, de haut. Ils n’ont rien vu et pourtant, le Gharb est au printemps sous le charme des couleurs, c’est merveilleux, miraculeux. Les collines jaunes déparent les champs verdis par l’abondance des cultures et la clarté de la rivière Ils n’ont pas vu les arbres parés de leurs fleurs splendides qui donneront des fruits tout au long de l’année, des petites feuilles aux couleurs vert tendre des arbres à feuilles caduques. Ils n’ont pas vu les pique-bœufs tous blancs dans les champs, ni les cigognes retrouvant leurs nids en haut des pylônes électriques. Ils n’ont pas vu les marécages surgissant au milieu des champs, ou les grenouilles s’en donnent à cœur joie. Ils ne m’on pas vu gai, heureux, sifflant un air sur le chemin boueux de mon hameau, seuls les chariots tirés par les chevaux en cette période peuvent passer aisément. Avec le soleil, le chemin va rapidement sécher. Les tracteurs échappent à cette rhétorique, ces mécaniques bruyantes passent partout, en effrayant les poules et les pintades qui s’envolent bruyamment sur les côtés du chemin. Les voisins viennent vous saluer et prennent le thé à la menthe avec nous. La vie est sociale, nous connaissons tous de nos voisins, lorsqu’ils sont malades, les femmes du douar viennent pour les aider, personne ne reste seul, surtout pas les vieillards. Les parents, les grands parents, vivent avec les enfants ou petits enfants, c’est une organisation qui perdure et m’émeut. C’est un système qui a disparut en Europe et aux Etats Unis, mais ici, c’est le bonheur de constater que toute la famille est réunie, une pièce fait défaut et c’est le grand chambardement ; qui va s’occuper des petits enfants, cuire le riz, préparer le tagine, laver le linge ? C’est une parfaite organisation, qui a disparu des habitudes occidentales. Les vieilles personnes ne sont pas gênantes au contraire, elles occupent des tâches qui paraissent secondaires mais sont en fait primordiales. Quand l’homme est parti travailler, c’est son épouse qui devient la cheffe de la maison, chacun collabore et s’exécute. Elle sort les moutons dans la prairie d’à côté, certaines familles misérables sacrifie généralement l’aîné des garçons pour garder les moutons, c’est son rôle il n’ira pas à l’école, c’est ainsi, il est là pour garder les moutons, il les mène parfois assez loin du domicile sur le bord des routes. Les autres enfants lavés, peignés par la grand-mère ou la sœur ainée s’en vont groupés sur la route de l’école qui peut être longue. Rachida prépare la pâte pour confectionner le pain, tant de fois malaxée, remuée, triturée avant de la placer savamment dans des grands plats en tôle qui seront disposés dans l’antre du diable, un four haut et large en torchis après l’avoir allumé. La pâte est piquée en plusieurs endroits par une fourchette pour éviter que le pain gonfle de trop. Des fers ronds traversent de part en part le four, sur lesquels seront disposés des branches d’eucalyptus, qui s’enflammeront rapidement sous la flamme de l’allumette. Celles-ci se consumerons très vite pour donner la place à d’autres branches placées sur la terre. Les plaques de tôle prendront place sur les fers ronds, alors le miracle s’accomplit, d’une main experte, Rachida place la pâte à pain sur la tôle brûlante. Elle bouche le four avec des morceaux de tissus mouillés, elle surveille attentivement l’opération ; elle a un chronomètre dans la tête, quand elle soulève le tissus, le pain est doré prêt à consommer. Un couple de cigogne quitte et regagne leur nid à grands coups d’ailes, cela non plus, ils ne l’ont pas vu !

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