Bangladesh : la première ministre Sheikh Hasina en route pour un quatrième mandat
Bangladesh : la première ministre Sheikh Hasina en route pour un quatrième mandat
Article du Monde/Bruno PHILIP - Proposé par Ali GADARI
La « Ligue Awami » au pouvoir depuis 2009 et dont l’autoritarisme est dénoncé par opposants et activistes, est en passe d’emporter les élections législatives, dimanche.
La première ministre sortante du Bangladesh, Sheikh Hasina, 71 ans, devrait pour la quatrième fois en 22 ans être bientôt en mesure de diriger le prochain gouvernement issu des élections législatives du 30 décembre. Mais alors que la « Ligue Awami », le parti au pouvoir, était largement en tête en milieu de soirée dans les bureaux de vote où les bulletins avaient déjà été dépouillés, il n’est pas exclu que les résultats puissent provoquer lundi des réactions violentes dans le contexte d’un scrutin marqué par la mort de 17 personnes et une situation politique des plus volatiles.
Au Bangladesh, les périodes électorales sont toujours tendues et la dérive autoritaire de la « Ligue » n’aura rien fait pour arranger les choses : le Parti national du Bangladesh (BNP), principale formation de la coalition de l’opposition, a affirmé que 10 400 de ses membres et de ses activistes ont été arrêtés depuis que le scrutin a été annoncé, le 8 novembre.
La présidente du BNP, la « Begum » Khaleda Zia, qui ne cesse de « s’échanger » le pouvoir avec sa rivale Sheikh Hasina depuis le retour à la démocratie en 1990, purge par ailleurs depuis février une peine de prison de cinq ans pour corruption. Et l’opposition dénonce déjà des fraudes électorales et de multiples intimidations de ses candidats et supporters, affirmant qu’un « climat de peur » a été instauré par les nervis du régime en place. Quant au chef de la coalition, le vieux juriste et ex-ministre Kamal Hossain, qui fut un proche allié de la première ministre avant de se retourner contre elle, a dénoncé le 21 décembre, lors d’une conférence de presse, « un niveau de harcèlement sans précédent et contraire à la Constitution ».
Un rythme de croissance sans précédent
La troisième victoire consécutive de la Ligue Awami, le parti symbole de l’indépendance arrachée au Pakistan en 1971, pourrait cependant illustrer un autre type de réalité, d’ordre socio-économique celle-là : depuis 2009, date de l’accession au pouvoir de la première ministre, – elle a aussi été à la tête du gouvernement entre 1996 et 2001 –, le « pays des Bengladais » (Bangladesh) a connu un rythme de croissance sans précédent (7,8 % cette année). Sous son « règne », la dérive antidémocratique aura été de pair avec la chute de l’extrême pauvreté, tendance enclenchée depuis une vingtaine d’années : cet indicateur est passé de 34,3 % à 12,9 % entre l’an 2000 et 2016, selon la Banque mondiale. Pas mal pour un jeune pays qui était encore, au tournant du siècle, l’un des plus miséreux de la planète et dont la population (169 millions d’habitants) est la nation la plus densément peuplée du monde.
« Je considère que les droits de l’Homme, c’est d’être capable de fournir assez à manger, des emplois et des soins médicaux [aux Bangladais] », a déclaré Sheikh Hasina lors d’une interview au New York Times. Défiante à l’égard des accusations croissantes de comportement autoritaire à son encontre, Mme Hasina a dit à son fils, qui l’a répété et vient d’être cité par l’Agence Reuters, qu’elle considérait « comme une marque d’honneur d’être accusée d’autoritarisme par les médias étrangers ». Son fils Sajeeb Wazed a plus tard précisé que cette provocante déclaration était une référence au fait que l’ancien premier ministre singapourien, Lee Kwan Yew, était lui aussi taxé de tyran quand il conduisait son pays sur les voies de la prospérité…
« Encore plus autoritaire »
Le Bangladesh fait aussi face depuis une dizaine d’années à d’autres évolutions : non seulement celles de l’islamisation et de la bigoterie, mais aussi celles de la violence de type djihadiste – même si ce pays à 90 % musulman pratiquait encore récemment un Islam tolérant influencé par la mystique du soufisme. Les dirigeants du BNP ont ainsi choisi de capitaliser sur le désir religieux en affichant, de longue date, leur proximité avec le parti fondamentaliste Jamaat-e-islami. Une formation accusée de crimes de guerre durant la guerre d’indépendance contre le Pakistan, au début des années 1970 – entre 1947 et 1971, le Bangladesh s’appelait « Pakistan oriental », conséquence de la partition de l’empire des Indes britanniques.
Les accusations de disparitions forcées et de tortures aux mains des forces paramilitaires bangladaises concernent d’ailleurs surtout les membres de cette organisation islamiste, que le parti au pouvoir a fait interdire en 2013. La Ligue Awami, dont le fondateur et père de l’actuelle première ministre, Sheikh Mujib-Ur Rahman, qui fut le premier chef de gouvernement du Bangladesh indépendant avant d’être assassiné en 1975, avait opté pour un Bangladesh laïque et tolérant à l’égard des minorités hindoues, chrétiennes ou bouddhistes. Mais l’islamisation croissante du pays a conduit le parti au pouvoir à instrumentaliser, lui aussi, cette demande religieuse en donnant des gages à certains lobbies des milieux islamo-conservateurs. La question de la place de l’Islam dans la société et de ses rapports avec l’Etat est ainsi devenue centrale dans le débat électoral, confirmant un affaissement réel du sécularisme originel.
Le scrutin du 30 décembre revient ainsi pour certains observateurs à choisir « entre deux maux » : c’est ce que pense Iftekharuzzaman, directeur de l’ONG « Transparency international » pour le Bangladesh. Il n’est pas optimiste pour la suite des événements : « si Mme Hasina gagne un nouveau mandat », affirme-t-il, « elle deviendra encore plus autoritaire qu’elle ne l’était déjà ».
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