Accident de Bouknadel: Comment les victimes peuvent se faire indemniser






Accident de Bouknadel: Comment les victimes peuvent se faire indemniser


Par Faiçal FAQUIHI Ticket de voyage, PV judiciaire et attestation médicale comme preuves

L’accident ferroviaire peut donner lieu à un procès à Rabat

Wafa Assurance couvre le transporteur public
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L’accident ferroviaire intervenu mardi 16 octobre entre Rabat et Kénitra interpelle sur la responsabilité civile du transporteur, l’Office national des chemins de fer (ONCF) en l’occurrence. Le bilan provisoire fait état de 7 morts et 125 blessés (voir pages précédente et suivante).
De quel recours disposent les victimes et ayants droit pour réclamer une indemnisation? D’abord la bonne nouvelle. L’ONCF est couvert par Wafa Assurrance. «Le contrat souscrit couvre les salariés et la responsabilité civile du transporteur public. Nos équipes sont mobilisées depuis l’après-midi du 16 octobre», selon les informations recueillies auprès de la compagnie d’assurances.
En principe, la déclaration du sinistre par l’assuré devra ouvrir la voire à une expertise (lire ci-dessous). Tenu par le secret professionnel, le DG de la compagnie, Ramsés Arroub, n’a communiqué aucune donnée sur le montant de la prime versée par l’ONCF, la date de signature du contrat et ses conditions. L’Office devait «tenir hier après-midi un point de presse pour communiquer de manière plus large, y compris sur l’accompagnement de notre compagnie», indique le DG de Wafa Assurance.
Les usagers des chemins de fer peuvent toujours demander réparation du préjudice. Le dommage peut être de nature matériel ou moral. «Les deux polices d’assurance, matérielle et civile, vont toutes les deux jouer au profit des usagers et des tiers», pronostique un praticien. Les tiers, c’est aussi l’Etat avec qui l’Office a signé cinq contrats-programmes depuis 1996.
L’Etat peut se retourner contre un transporteur si un ouvrage d’art public est endommagé. Ce qui n’est heureusement pas le cas dans l’affaire ONCF: «Le pont de Bouknadel dans les environs de Kénitra n’a pas subi de dégâts significatifs visibles à l’œil nu. Une grue était postée mercredi 17 octobre sur l’ouvrage d’art pour dégager les lieux de l’accident», témoigne sur place notre journaliste-photographe, Abdelmjid Bziouat.
Ce sinistre va certainement engendrer un procès en indemnisation pour les victimes et ayants droits. «Un plaignant va devoir d’abord prouver qu’il empruntait le train le jour de l’accident. La preuve est libre», précise sous couvert d’anonymat un avocat du barreau de Casablanca spécialisé en droit des assurances. Un voyageur peut faire ainsi valoir son ticket de transport même s’il n’est pas nominatif.
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Le trafic de voyageurs en train est passé de 14 millions de passagers en 2003 à 39,5 millions en 2016. Vu sa mission de service public, l’Office national des chemins de fer (ONCF) a un monopole de droit 
Les procès-verbaux établis par la Gendarmerie royale mentionnent l’identité d’une personne décédée ou blessée par exemple. Vu qu’il y a eu des hospitalisations, les certificats médicaux sont aussi des pièces à remettre à la justice pour réclamer des dédommagements. Les ayants droit d’une personne décédée peuvent démontrer ainsi qu’il y a eu mort non naturelle.
«La procédure en vigueur chez le personnel médical est de déclarer aux autorités qu’une personne agressée ou accidentée a été accueillie par nos services. Cette déclaration s’effectue par téléphone. La gendarmerie ou la police se déplace à l’hôpital pour recueillir des renseignements sur l’identité de la victime et son état de santé», assure le médecin d’un hôpital public. 
Que faire après avoir constitué son dossier d’indemnisation? Saisir la justice.
Trois scénarios sont mis en avant par les juristes consultés par L’Economiste. Le plaignant va pouvoir s’adresser au tribunal civil, administratif ou pénal. «Cette dernière option est à écarter tant que le ministère public n’a pas poursuivi un salarié de l’ONCF ou sa hiérarchie pour homicides et blessures involontaires», précise un avocat du barreau de Casablanca. Le conducteur du train et son assistant ont été déclarés morts.
Quid de la responsabilité des prestataires?
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Le DG de l’ONCF, Mohamed Rabie Khlie, va devoir éclairer l'opinion publique sur les circonstances de l’accident ferroviaire qui s’est produit le 16 octore entre Rabat et Kénitra. Il interpelle la responsabilité civile des chemins de fer (Ph. Jarfi)
Saisir le tribunal civil ou administratif est l’option la plus plausible pour l’instant. La juridiction de Rabat est compétente vu que l’ONCF y siège. «Un justiciable va devoir payer 1% du montant de l’indemnisation réclamée que ce soit devant le juge civil ou administratif. C’est l’accès à la justice qui est gratuit mais pas la justice», ironise un plaideur.  
Une autre catégorie de victimes risque d’assigner l’ONCF en justice. Il s’agit des voyageurs ayant perdu des biens personnels ou se prévalant d’une perte de chance comme un rendez-vous d’affaires ou un concours manqué. Il est fort probable que leurs avocats penchent plus pour le tribunal civil de Kénitra vu que l'accident s'est produit dans sa juridiction à Bouknadel.
«Prouver la perte de chance est plus difficile pour une victime. Elle est délicate à évaluer. La jurisprudence évoque d’ailleurs un préjudice éventuel qui n’est pas généralement indemnisable», déclare un plaideur. Il assure par ailleurs que le juge administratif se révèle «plus généreux» en matière d’indemnisation même «si les délais de jugement sont plus longs».
Le praticien explique la longueur des délais par le nombre restreint des juridictions administratives. Deux cours d’appel à Rabat et Marrakech et 7 tribunaux.
La question de l’évaluation pécuniaire se pose aussi pour les biens personnels perdus alors même qu’ils ont été consignés dans le PV de la Gendarmerie. Les factures d’achat peuvent servir à prouver la propriété du bien et à en demander le dédommagement.
D’où l’intérêt de toujours les conserver pour les besoins... d’un éventuel procès. L’ONCF peut se retourner aussi contre ses prestataires chargés de la maintenance. D’où la portée du Dahir des obligations et des contrats et de la loi sur les marchés publics. La responsabilité peut être éventuellement établie par les investigations administratives de l’Office, l’expertise d’assurance ou l’enquête judiciaire en cours.
                                                           
Déclarer le sinistre à l’assureur et après?
L’assurance responsabilité civile n’est pas obligatoire pour les véhicules rattachés à des voies ferrées. C’est du moins l’avis de plusieurs praticiens. «L’ONCF et l’Office chérifien des phosphates (OCP) étaient leurs propres assureurs par le passé. Ils se sont rendu compte que ce n’est pas viables financièrement à long terme», témoigne un avocat spécialisé en droit des assurances.
Malgré l’ampleur de l’accident et ses échos médiatiques, «l’assuré est tenu de déclarer le sinistre dans un délai déterminé», indique un praticien. Il y a un délai légal et conventionnel. Le code des assurances donne en général 5 jours à l’assuré pour faire sa déclaration de sinistre. Elle permet à l’assureur de constituer une réserve provisoire pour chaque dossier ouvert.
«En cas de non déclaration, la déchéance d’assurance entre en jeu. Ce qui ne dédouane pas la compagnie qui va dédommager les victimes avant de se retourner contre son client pour violation d’engagements contractuels. La déchéance d’assurance est malheureusement très peu connue par les juges et les entreprises», précise sous couvert d’anonymat un avocat spécialisé.
La déclaration du sinistre ouvre la voie à une expertise. L’assureur va diligenter un expert pour constater les dégâts. «Son rapport préliminaire détermine les causes éventuelles de l’accident. Il est décisif pour démontrer si les circonstances du sinistre sont couvertes ou non par la garantie», selon un assureur.
A moins d’un fait exceptionnel comme un tremblement de terre, la responsabilité civile du transporteur reste engagée: «L’Office a une obligation de résultat qui lui impose de transporter les voyageurs jusqu’à leur destination», confirme notre avocat du barreau de Casablanca.
Comment expliquer que le train de Kénitrat-Casablanca ait déraillé? Erreur humaine du conducteur, défaillance technique, vétusté du matériel... Sur les 2.110 km du réseau ferroviaire, la vitesse atteint dans la majorité des lignes les 160 km / h. C’est du moins les données communiquées par le ministère de l’Equipement et du Transport.
Une enquête judiciaire vient d’être ouverte sur instruction royale. Daté d’avril 2017, le rapport de la Cour des comptes livre des pistes notamment sur la maintenance et la fiabilité du matériel roulant «en partie ancien»: une locomotive a en moyenne 40 ans d’âge.
Economie-Faiçal FAQUIHI

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