C'est la petite boîte qui monte.





        C'est la petite boîte qui monte. 
          Chronique de Futura Planète/Céline DELUZARCHE   -   Proposé par Ali GADARI

Pas si petite en réalité : Ÿnsect vient de réaliser une levée de fonds record de 110 millions d'euros pour financer la plus grande usine mondiale de production d'insectes à Poulainville, dans les Hauts-de-France. Antoine Hubert, l'un des cofondateurs, nous explique comment il compte imposer ses matières premières (huile et farines) dans l'alimentation animale.
Avec l'accroissement de la population mondiale, les besoins nutritionnels de la planète augmentent. Pour les satisfaire, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture(FAO) recommande l'introduction d’insectes dans les menus. Nutritifs et peu nocifs pour l'environnement, ils représenteraient une des solutions possibles pour résoudre le problème de la faim dans le monde. D'ailleurs, les insectes remplissent déjà les assiettes de nombreux pays et nourrissent deux milliards de personnes, selon la FAO.
Les croquettes de votre chien en contiendront peut-être bientôt. Dans son site de production de Dôle, dans le Jura, Ÿnsect élève des millions de vers de farine, la larve du scarabée Molitor, pour les transformer en poudre ou en huile destinées à l'alimentation des animaux d'élevage et domestiques mais aussi, aux engrais végétaux.
Un marché tellement énorme (700 millions de dollars) qu'à peine huit ans après son lancement, l'entreprise s'apprête à construire la plus grande unité de production d'insectes, à Poulainville, dans les Hauts-de-France. Baptisée Ÿnfarm, cette ferme high-tech a fait l'objet de 25 dépôts de brevetset fournira à terme 20.000 tonnes de protéines par an. En attendant son ouverture en 2020, Ÿnsect dispose déjà d'un carnet de commandes de 70 millions de dollars de chiffre d'affaires sur les quatre prochaines années et veut accélérer son développement à l'international.
Antoine Hubert, cofondateur d’Ÿnsect. © Ÿnsect

  Quel type d’insectes va-t-on      trouver dans la future usine ?

Antoine Hubert : Ÿnsect a choisi de se spécialiser sur la production du Molitor, un scarabée dont la larve est le ver de farine, bien connu des scientifiques. Ce ver contient naturellement 72 % de protéines, un niveau équivalent à celui des meilleures farines de poisson et qui correspond aux besoins intrinsèques des principaux animaux d'élevage : saumons, crevettes, poulets, porcs... Il apporte aussi des bénéfices santé majeurs permettant de réduire l'usage des antibiotiques dans les élevages. On a ainsi réduit d'un tiers la mortalité dans les fermes à truites et crevettes notamment.

        Comment est fabriqué l’engrais   que vous proposez ?

A. H. : Très vite, Ÿnsect a cherché à valoriser les coproduits de l'élevage de Molitor, en particulier les déjections des insectes appelées frass. Il est apparu que ce produit avait des propriétés très intéressantes pour la nutrition des plantes. Notre engrais ŸnFrass dispose d'une teneur en NPK (Azote, Phosphore, Potassium) de 4-3-3, avec un taux de matière organique avoisinant 90 %, sans aucun intrant chimique. Des essais sur le blé, le soja et le maïs ont montré jusqu'à 300 % d'augmentation de la biomasse et de 20 % du rendement comparé à un engrais minéral. De plus, ŸnFrass stimule l'activité microbienne du sol et, contrairement au lisier, ne dégage aucune odeur.
Les vers de farine sont nourris avec des résidus de blé. Ils servent à alimenter les animaux et leurs déjections fournissent un engrais de qualité. Un véritable exemple d’économie circulaire ! © Ÿnsect

En quoi les insectes sont-ils des protéines plus intéressantes                        que les autres ?

A. H. : Ÿnsect part d'une évidence : dans la nature, tous les animaux mangent des insectes, c'est la base de leur régime alimentaire. Les plantes grandissent sur du compost naturellement produit par les insectes, les vers de terre, etc. Pourtant, aujourd'hui, aucun poisson que vous mangez n'a, lui-même, mangé dans sa vie des insectes, aucun grain n'aura poussé sur un engrais issu d'insectes. Savez-vous comment sont nourris les animaux d'élevage aujourd'hui ? Essentiellement avec du soja -- souvent génétiquement modifié --, des céréales, des farines de volailles ou de poisson dont les stocks s’amenuisent. L'élevage d'insectes émet aussi peu d'émissions de gaz à effet de serre et a une très faible empreinte au sol par rapport à toute autre protéine végétale ou animale.

     Y a-t-il des risques que des   insectes s’échappent de l’usine      ou des risques de pollution ?

A. H. : La sécurité de nos outils de production est une priorité. Il s'agit d'installations ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement), nous sommes, à ce titre, soumis à une réglementation stricte et des contraintes de sécurité très fortes. Notre unité de Dôle comporte ainsi plus de 3 niveaux de confinement avec plusieurs systèmes d'alarmes. Elle est équipée de technologies très sophistiquées qui assurent la biosécurité. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec la préfecture et en associant les associations environnementales locales.

     À terme, l’Homme mangera-t-il aussi des                              dérivés d’insectes ?

A. H. : Pour l'instant, nous visons exclusivement l'alimentation animale. Mais nous allons bientôt étendre nos marchés aux volailles et aux porcs.
20.000 tonnes de farine devraient sortir chaque année de la future ferme high tech baptisée Ÿnfarm. Elle sera la plus grande usine de production au monde d’insectes. © Ÿnsect

       Pourquoi avoir choisi de              s’implanter en France ?

A. H. : Il existe dans ce pays une convergence très favorable aux industries innovantes et à Ÿnsect en particulier : nous y sommes à la fois particulièrement doués en mathématiques, en intelligence artificielle et en Deep Tech. Notre modèle agricole est l'un des plus performants au monde et la France excelle sur le haut-de-gamme. Le site de Poulainville, quant à lui, se trouve au cœur de l'un des plus grands gisements céréaliers au monde et bénéficie de synergies avec la zone industrielle Amiens Nord et de la proximité d'une zone logistique majeure.

     Ÿnsect peut-il devenir une         nouvelle licorne française ?

A. H. : Bien sûr, c'est un passage obligé, étant donné nos ambitions internationales. Mais ce n'est pas une fin en soi !

Une technologie ou innovation qui va changer le monde, selon vous ?

A. H. : La voiture autonome électrique et le stockage efficace d'énergies renouvelables, les deux allant de pair : si l'un nous manque, nous ne pourrons pas réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et les polluants.

       Une autre entreprise ou              startup  que vous auriez                          pu créer ?

A. H. : Il y en a tellement plein ! Pour rester dans le domaine de l'agriculture, alimentation et développement durable, je pense, par exemple, à La Marque du Consommateur [produits «C'est qui le Patron»] ou encore Phénix, qui récupère les produits invendus des entreprises pour les redistribuer ou les valoriser.

Ÿnsect : données clés

Date de création : 2011
Domaine : alimentation animale
Fondateurs : Antoine Hubert, Alexis Angot, Jean-Gabriel Levon, Fabrice Berro
Montant levés : 175 millions de dollars levés en 5 ans
POUR EN SAVOIR PLUS

    Des insectes au menu des animaux ? C'est l’avenir, selon                        Ynsect

Article d'Agnès Roux publié le 19/08/2013
Les insectes ne sont pas encore autorisés pour l'alimentation humaine en Europe. Jean-Gabriel Levon croit pourtant à l'essor de ce secteur, et a fondé la société Ynsect qui produit des farines d'insectes destinées aux animaux. Interviewé par Futura-Sciences, il nous éclaire sur les enjeux de son entreprise et les raisons pour lesquelles il pense que les insectes constituent une source nutritionnelle intéressante.
Criquets et cigales n'apparaîtront pourtant pas tout de suite dans les rayons des supermarchés français. En effet, pour le moment les institutions européennes n'ont pas autorisé la mise sur le marché des insectes pour la consommation humaine, même si elle est tolérée dans certains restaurants atypiques. Il en fallait plus pour décourager Jean-Gabriel Levon, président d'Ynsect, une société qui produit des insectes pour l'alimentation animale.
Jean-Gabriel Levon : Nous lisons et entendons beaucoup d'arguments erronés sur l'efficacité environnementale et nutritive des insectes, ainsi que sur leurs bienfaits pour la santé. Il se dit par exemple que les insectes sont riches en oméga 3, mais c'est faux. De la même manière, on entend souvent parler de l'efficacité de l'insecte en termes de bioconversion protéique, par rapport à d'autres élevages animaux. Il est vrai que les insectes ont des besoins énergétiques moindres. Cependant, la production d'insectes est pour le moment beaucoup moins bien optimisée que celle des poissons ou des volailles par exemple. L'industrie de l'insecte doit donc rattraper son retard sur d'autres filières d’élevage pour arriver à une optimisation équivalente. Ces éléments mis de côté, les avantages nutritionnels de l'insecte sont similaires à ceux de viandes et de poissons gras, riches en lipides et en protéines. Ils représentent donc une alternative très intéressante à d'autres ingrédients riches en protéines.

  Comment a émergé l’idée de   création de votre entreprise ?

Jean-Gabriel Levon : L'entreprise Ynsect est née en 2011 d'un constat simple : les techniques de production d'insectes sont encore relativement artisanales, et ne peuvent répondre qu'aux besoins de certains secteurs spécialisés comme les zoos ou les animaleries. En améliorant les technologies de production, nous pensons pouvoir toucher de nouveaux marchés, tels que la nutrition de certains animaux d'élevages et de compagnie. Au cours des années 2012 et 2013, nous nous sommes principalement consacrés à la recherche et au développement de nouvelles techniques de production d'insectes et à l'établissement de tests avec nos clients potentiels. Nous sommes aujourd'hui presque à la fin de cette première phase de recherche durant laquelle a émergé notre concept de « bioraffinerie d'insectes ». La prochaine étape aura lieu l'année prochaine avec la construction d'une première unité de production à l'échelle industrielle.
Les insectes ne sont pas encore dans les assiettes européennes. Pour que les restaurants servent un tel plat de chenilles, il faudra commencer par faire tomber des barrières administratives et culturelles. © Flying Pterodactyl, Flickr, cc by nc nd 2.0

Pourquoi un intérêt si marqué pour l’alimentation animale et moindre pour l’alimentation humaine ?

Jean-Gabriel Levon : Plusieurs raisons nous ont poussés à nous consacrer principalement à l'alimentation animale. Tout d'abord, il nous a semblé naturel de nourrir avec des insectes certains animaux comme les poissons et les volailles, qui sont insectivores. D'autre part, nous souhaitons proposer aux éleveurs une nouvelle source protéique pour leurs animaux. En effet, pour le moment 75 % des protéines consommées par les animaux d'élevage en Europe sont importées, le tourteau [agrégat de graines ou de résidus de l'industrie de l'huilerie, NDLR] de soja OGM constituant la part protéique majoritaire de leur alimentation. Les insectes pourraient représenter une source nutritive alternative pour ces animaux.
Plusieurs obstacles nous empêchent pour le moment de nous consacrer à l'alimentation humaine. Il est encore interdit en Europe de commercialiser des produits à base d'insectes pour l'alimentation humaine, sauf exception après validation par la Commission européenne qui encadre très strictement l'introduction de nouvelles denrées alimentaires. Le carmin, un colorant rouge issu du broyage de la cochenille, est la seule source nutritionnelle à base d'insecte autorisée.
Le second écueil est d'ordre culturel. Plusieurs études, françaises et néerlandaises notamment, montrent que l'introduction d'insectes dans les assiettes européennes n'est pas pour demain. Au démarrage de la création d'Ynsect, nous avons exploré la piste de l'alimentation humaine et cette idée nous accompagne toujours. Des essais ont d'ailleurs conduit à la création de prototypes prometteurs. Il nous faut cependant faire preuve de patience et attendre que les Français soient prêts pour ce type d'alimentation.

Quels insectes utilisez-vous ?

Jean-Gabriel Levon : De par le monde, les espèces les plus utilisées pour la nutrition animale sont les coléoptères, les vers à soie et les diptères. Chez Ynsect, nous étudions en particulier les coléoptères et les diptères. Nous sélectionnons des espèces locales qui doivent remplir plusieurs critères. L'exposition prolongée à ces insectes ne doit comporter aucun risque professionnel, et il est essentiel que leur consommation ne soit pas nocive pour les animaux et les humains. Ensuite, il est primordial que le risque de dissémination dans l'environnement soit facilement contrôlable et limité au maximum. Dans l'hypothèse où la dissémination de quelques individus aurait lieu, les espèces ne doivent pas constituer une menace pour les écosystèmes locaux ou les activités humaines.
Une fois ces conditions remplies, nous choisissons nos insectes afin que la chaîne de production soit la plus efficace et la plus rentable possible.
L'entreprise Ynsect pratique l'élevage de coléoptères (le plus grand groupe d'insectes, avec les scarabées, les hannetons et coccinelles) et de diptères (dont font partie les mouches, les moustiques et les taons dont on voit ici une tête agrandie). © Dagwald, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Pouvez-vous nous expliquer    votre concept de bioraffinerie                     d’insectes ?

Jean-Gabriel Levon : Nous produisons des insectes en masse et nous cherchons à optimiser le rendement, c'est-à-dire à obtenir le plus de composés utilisables avec le moins de déchets possible. Pour cela, nous utilisons des espèces ayant une physiologie optimale. Nous les nourrissons avec des matières autorisées, et non avec des déchets, car certains peuvent contenir des produits dangereux pour la santé. Nous nous intéressons cependant à certaines catégories de déchets qui ne sont pas toxiques. Leur utilisation n'est pour le moment pas autorisée par la réglementation mais pourrait le devenir.

À quels types d’animaux sont             destinés les insectes ?

Jean-Gabriel Levon : Les insectes sont destinés aux animaux qui en consomment naturellement. C'est le cas de certains poissons, volailles, et animaux de compagnie. Nous sommes en contact avec des entreprises de différents secteurs comme l'aquaculture, l'aviculture et la nourriture pour animaux de compagnie. Nous ne voulons pas utiliser d'insectes pour l'alimentation des bovins, qui ne se nourrissent pas naturellement de protéines animales.

   Quelles sont vos actions en            matière de recherche et                     développement ?

Jean-Gabriel Levon : Nous avons développé des partenariats avec des centres de recherche français et européens, notamment dans le cadre d'un projet nommé Desirable, qui rassemble AgroParisTech, le CNRS, l'Inra, le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) et l'Irstea (Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture). Ce projet s'intéresse au processus global de fabrication des insectes, depuis l'élevage jusqu'à l'alimentation de poissons et volailles. Cette étude est suivie par plusieurs associations de consommateurs et par des institutions publiques intéressées par le sujet.

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