Presque 50 ans après le succès des missions Apollo sur la Lune, les roches ramenées sur Terre sont encore bavardes.






    Presque 50 ans après le succès des missions Apollo sur la Lune, les roches         ramenées sur Terre sont encore                                 bavardes. 
            Chronique de Futura Sciences/Laurent SACCO  -  Proposé par Ali GADARI

L'une de ces roches lunaires s'est peut-être formée à partir d'une météorite... terrestre. Âgée d'environ 4 milliards d'années, elle aurait été éjectée de la Terre par l'impact d'un corps céleste.
Il y aura cinquante ans cette année, des Homo sapiens ont marché pour la première fois sur la Lune à l'occasion de la mission Apollo 11, ouvrant une nouvelle ère qui n'en est encore qu'à ses débuts, et dont on peut espérer qu'elle illustrera bien la phrase de Constantin Tsiolkovski : « La Terre est le berceau de l'Humanité, mais on ne passe pas sa vie dans un berceau. »
Toujours est-il que l'héritage des missions Apollo est bien vivant si l'on en croit un article publié dans Earth and Planetary Science Letters par une équipe internationale de chercheurs en géosciences qui, pour l'occasion, se sont transformés en sélénologues. Cet héritage repose sur une découverte faite en revisitant l'une des roches lunaires ramenées sur Terre.
Une présentation de la mission Apollo 14. Traduction et sous-titrages en français en cliquant sur la roue dentée en bas à droite de la vidéo. © Nasa STI Program

Les roches lunaires, des clés de l'histoire du Système solaire

Ces roches ont été entreposées à la fin des années 1970 au Lunar Sample Laboratory Facility, toujours situé au building 31N du Johnson Space Center, à Houston. Ces roches s'examinent dans des enceintes remplies d'azote inerte afin de diminuer les risques de dégradation lorsqu'elles sont manipulées avec des dispositifs de gants spéciaux de trois épaisseurs.
Découpées en plusieurs échantillons, mis à disposition de plusieurs laboratoires en minéralogie et cosmochimie à travers le monde, leur âge a pu être déterminé grâce aux méthodes de datation isotopiques. Les connaissances développées sur Terre dans le domaine de la magmatologie et des cratères d'impacts ont permis de reconstituer leurs origines et d'en tirer des informations sur l'histoire de notre satellite. En bonus, ces renseignements ont permis de dater les terrains lunaires et d'établir une relation entre le taux de cratérisation et les âges de ces terrains. Cela a permis d'en dater d'autres, ailleurs, dans le Système solaire, notamment sur Mars.
La roche lunaire 14321 est la plus grosse ramenée lors de la mission Apollo 14. Elle a reçu le surnom de « Big Berta » et pesait environ 9 kg. C’est la troisième plus grosse roche ramenée par le programme Apollo. © Nasa
En effet, la formation des planètes s'est accompagnée d'un fort bombardement initial de corps célestes dont les tailles et les fréquences de chute ont diminué exponentiellement avec le temps. Nous savons ainsi que des régions peu cratérisées, et avec des cratères de petites tailles, sont jeunes ; et inversement, selon une loi d'évolution dans le temps qui a été déterminée.
Les scientifiques ont donc une idée assez fiable de la chronologie associée à la région où s'est déroulée en février 1971 la mission Apollo 14, et de sa nature. Ainsi, la formation géologique Fra Mauro, qui est un massif montagneux s'étirant juste à l'ouest du grand cratère Fra Mauro, correspond à une région tapissée d'éjecta produit par l'impact dont résulte le bassin d'Imbrium.
Parmi les 42 kg de roches ramenées par les astronautes d'Apollo 14, nombreuses sont les brèches, c'est-à-dire des roches composées de fragments d'autres roches plus anciennes, qui ont été collées à chaud par d'autres impacts, que celles qui les ont formées. C'est l'une de ces brèches qui s'est révélée surprenante. Archivée initialement sous le numéro 14321, elle a été découpée en de multiples fragments et c'est celui portant le numéro 46 qui a donc fait l'objet d'une nouvelle analyse.
Ici, deux fragments de 14321,46 et 1310. Il ne reste actuellement qu'environ 70 % de la roche d’origine. Tout le reste a été utilisé pour des expériences. © Nasa

 Des zircons d'origine terrestre              dans Big Berta ?

Les sélénologues se sont intéressés de plus près aux zircons contenus dans une roche clastique présente dans le fragment 14321,46. Ces minéraux sont particulièrement résistants et peuvent traverser des milliards d'années en gardant la mémoire de leur composition au moment de leur formation. Sur Terre, ils sont utilisés pour tenter d'ouvrir des fenêtres sur ce qui s'est passé sur la planète bleue pendant l'Hadéen, il y a plus de 4 milliards d'années. On suspecte, mais cela est controversé, que certains zircons contenus dans les roches de la région des Jack Hills, en Australie, pourraient avoir 4,4 milliards d'années. En tout état de cause, il s'agirait de zircons provenant de l'altération de roches hadéennes, qui se sont retrouvés incorporés dans des roches plus jeunes. Il semble que ce ne soit pas le cas avec la roche clastique de 14321,46 dont l'âge est estimé à 4,011 milliards d'années.
Jusque là, rien d'étonnant. Mais la nature chimique des zircons de 14321,46 indique qu'ils proviennent d'un magma plus froid et plus riche en oxygène que ceux qui devient s'y trouver sur la lune, à cette époque. Surtout, ces zircons auraient dû se cristalliser à au moins 160 kilomètres sous la surface de la Lune. Cependant, il y a environ 4 milliards d'années, la taille moyenne des astéroïdes engendrant les cratères d'impact de cette époque ne devait pas permettre d'excaver des roches plus profondes que 70 kilomètres environ.
Cette brèche est ce qui semble être le type de roche éjectée le plus représentatif des matériaux de la formation Fra Mauro. La roche clastique où les zircons ont été trouvés est indiquée par la flèche. © Nasa
Tout change si l'on considère des conditions terrestres avec des zircons qui se forment alors naturellement à une profondeur d'environ 20 km. Mais ceci revient à dire qu'une partie de 14321,46 est, en fait, un fragment de roche d'origine terrestre de la fin de l'Hadéen qui deviendrait, si toutes ces analyses se confirment, un échantillon de la plus vielle roche terrestre connue à ce jour.
Mais comment une telle roche pourrait se retrouver sur la Lune ? En fait, cela n'a rien d'étonnant. Déjà sur Terre, se trouvent des météorites en provenance de la Lune et de Mars. Pour quelques dizaines d'euros, il est possible de se procurer des fragments sur le site du chasseur de météorites bien connu, Luc Labenne. Ces météorites proviennent d'impact d'astéroïdes qui ont éjecté ces fragments de roches. Or, il y a 4 milliards d'années, le bombardement avec des gros astéroïdes était encore intense et la Lune était bien plus proche de la Terre. De façon symétrique, elle devait donc saupoudrer son satellite de fragments qui lui ont été arrachés par des impacts géants.
La Lune n'a pas d'atmosphère, ni d'océan et pas de tectonique des plaques, elle a donc une bien meilleure mémoire géologique concernant l'Hadéen -- et a fortiori, l'Archéen -- que la Terre. Il s'ouvre donc de belles perspectives pour retrouver une partie du passé disparu de notre Planète bleue.
Une vue d'artiste de la Terre à l'Hadéen, il y a plus de 4 milliards d'années. De gigantesques cratères d'impacts provoquant la formation de mer de lave sont encore visibles, certains remplis de l'eau des futures océans. © Simone Marchi
  • Sur Terre, se trouvent des météorites martiennes et lunaires, éjectées par des impacts violents avec des astéroïdes. On pouvait s'attendre à ce qu'il en soit de même sur la Lune avec des météorites terrestres.
  • Une des brèches d'impact ramenée par la mission Apollo 14 contiendrait bien un fragment d'une telle météorite car elle possède des zircons dont la formation s'explique mal à partir d'un magma lunaire à forte profondeur, mais bien à partir d'un magma terrestre à faible profondeur, il y a un peu plus de 4 milliards d'années.
  • Plus généralement, la surface de la Lune devrait contenir des informations sur l'histoire de la Terre à l'Hadéen, par exemple avec son champ magnétique.
POUR EN SAVOIR PLUS

Les traces de l'aube du champ         magnétique terrestre...                     sur la Lune ?

                                          Article de Laurent Sacco publié le 11/12/2008
 Les archives géologiques concernant les cinq cents premiers millions d'années de notre planète sont extrêmement rares car elles ont été détruites en très grande partie par le bombardement météoritique puis par la tectonique des plaques. Un groupe de chercheurs pense que la Lune pourrait avoir conservé dans son sol non seulement la date de l'apparition du champ magnétique de la Terre mais aussi peut-être de la vie...
Aller sur la Lune pour déterminer quand la vie est apparue sur Terre et quand le champ magnétique de notre planète s'est mis en place : la proposition semble de prime abord absurde. Toutefois, les arguments fournis depuis quelque temps par un groupe de géochimistes méritent qu'on les examine de plus près.
On a peu de traces de l'Hadéen et du début de l'Archéen, même si l'on a récemment découvert dans la ceinture verte du Nuvvuagittuq ce qui pourrait être la plus ancienne roche connue sur Terre, et si l'analyse récente de zircons indique que la tectonique des plaques était déjà active à l'Hadéen. Le flou règne et on ne sait pas exactement quand les premiers organismes producteurs d'oxygène sont apparus ni même quand la géodynamo a commencé à fonctionner, entourant notre planète d'un cocon protecteur, sa magnétosphère.
Il n'y a plus de doute aujourd'hui, grâce à l'expérience VKS, que le champ magnétique terrestre tire son origine du mouvement turbulent d'un alliage de fer et de nickel dans le cœur de la Terre et que la rotation de la planète intervienne dans le phénomène. L'énergie alimentant le mécanisme semble provenir de la cristallisation de la graine mais on ne sait pas très bien quand elle a démarré ni produit suffisamment d'énergie pour former un champ conséquent. Tout juste peut-on estimer, si l'on croit aux dernières mesures de champ magnétique rémanent découverts dans des météorites, que la génération d'un champ magnétique par effet dynamo a pu démarrer très vite dans de nombreux corps célestes du système solaire.
Une image du sol lunaire lors d'une mission Apollo. © Nasa
Minoru Ozima et Yayoi N. Miura de l'Université de Tokyo, Qing-Zhu Yin de l'université de Californie (Davis) et Frank Podosek, de l'université Whashington à St. Louis dans le Missouri, ont eu une brillante idée pour, peut-être, apporter des réponses à ces questions.

      Le souffle de la Terre                           sur la Lune

Ils font d'abord remarquer que la géologie lunaire a été moins perturbée depuis quatre milliards d'années environ que celle de la Terre. Ensuite, la Lune était à l'époque deux fois plus proche de la Terre. Si le champ magnétique terrestre était faible, le vent solaire pouvait donc emporter vers la surface de la Lune une partie des atomes d'hélium, d'azote, d'oxygène, de néon et d'argonprésents dans la haute atmosphère, la planète n'étant pas autant protégée du souffle du Soleil que de nos jours.
L'évolution de ces traces dans le temps permettrait donc au minimum de reconstituer l'histoire du champ magnétique terrestre. Les auteurs expriment même l'espoir de retrouver un indice du début de production d'oxygène par les premiers organismes vivants photosynthétiques. La couche d'ozone qui se serait formée présenterait alors un rapport isotopique caractéristique des organismes vivants. Une infime portion de cet oxygène venant de l'ozone stratosphérique pourrait donc résider encore dans des grains de poussière lunaire.
Une autre image du sol lunaire lors d'une mission Apollo. © Nasa
La stratégie est donc simple mais fastidieuse. De nombreuses missions devraient rapporter du sol lunaire des centaines de milliers de grains contenant un minéral appelé l'ilménite. Les techniques d'analyse isotopique permettent en effet de dater les couches de ces grains. Il serait donc possible de repérer des enrichissement anormaux constitués des éléments cités, de leurs isotopes et de déterminer à quelles époques ils se sont formés. En principe, si le champ magnétique de la Terre ne s'est constitué que vers -3,5 milliards d'années, comme certains le pensent, alors on devrait pouvoir détecter une contamination du sol lunaire en provenance de la Terre dans son passé lointain.
Les chercheurs ne dissimulent pas un redoutable problème. En effet, un seul laboratoire bien équipé devrait pouvoir analyser quelques milliers de grains au plus. Or, il faudrait effectuer des analyses sur des dizaines de milliers de grains. Seule une collaboration internationale regroupant donc des dizaines de laboratoires pourrait venir à bout de la tâche.
Quoiqu'il en soit, il faudra retourner sur la Lune. Il semblerait bien, vu le nombre de missions récentes en direction de notre satellite, que l'humanité soit prête pour cela. L'installation d'une base permanente dans quelques dizaines d'années est d'ailleurs au programme...
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