L'eau n'est pas un liquide comme les autres et depuis un siècle on découvre qu'il se transforme en de multiples phases cristallines selon les pressions et les températures.
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L'eau n'est pas un liquide comme les autres et depuis un siècle on découvre qu'il se transforme en de multiples phases cristallines selon les pressions et les températures.
Chronique de Futura Sciences/Laurent SACCO
On vient de vérifier qu'une de ces phases, la glace XVIII encore appelée glace superionique, existe bel et bien et que sa structure sous l'œil des rayons X est bien conforme à celle prédite par des simulations numériques. Cette glace devrait aider à comprendre l'intérieur des planètes géantes.
Chimistes et physiciens savent bien que l'eau est un liquide fascinant avec des propriétés étonnantes qui la distinguent de bien d'autres liquides. Il y a bien sûr le fait qu'elle joue un rôle essentiel pour le vivant mais la simple mécanique des fluides fait rêver l'Homme depuis longtemps comme en témoignent les dessins de Léonard de Vinci.
Depuis le XXe siècle, le domaine des études sur l'eau s'est considérablement élargi dans de multiples directions, par exemple celui des hautes pressions et celui de l'astrophysique, voire de l'exobiologie au-delà de la Terre. Il se trouve que ce premier domaine, qui relève de la physiquefondamentale, a aussi des applications pour le second. On peut s'en convaincre avec un article publié dans Nature par une équipe de chercheurs qui ont réalisé une série d'expériences au Laboratory for Laser Energetics (LLE) de l'université de Rochester aux États-Unis. Elles prolongent celles effectuées depuis des décennies concernant les différentes phases de la glace comme disent les physico-chimistes. Futura avait déjà parlé d'expériences similaires dans le précédent article ci-dessous.
Aujourd'hui, les chercheurs nous annoncent que grâce aux progrès de la technologie, notamment des lasers, il a été possible de vérifier l'existence d'une toute nouvelle phase de la glace prédite depuis 1988 grâce à des simulations numériques de dynamique moléculaire basées sur les équations de la mécanique quantique. Ce genre de simulation du comportement d'un grand nombre de molécules en interaction permet de faire des expériences virtuelles pour étudier le comportement de la matière dans des conditions qui sont difficiles voire impossibles à réaliser en laboratoire, ce qui est typiquement le cas des très hautes pressions.
En l'occurrence, ces simulations prédisaient même ce que l'on pourrait appeler un nouvel état de la matière, même si les termes de glace XVIII ou de glace superionique sont utilisés pour le désigner. Ainsi, notamment à des pressions de l'ordre de 100 à 400 gigapascals (1 à 4 millions de fois la pression atmosphérique de la Terre) et à des températures de 1.650 à 2.760 °C, l'eau liquide devait se changer en une structure où les atomes d'oxygène des molécules d'eau initiales occupent les sites d'une structure cristalline cubique, alors que des protons des atomes d'hydrogène pouvaient se déplacer comme les atomes d'un liquide à travers ce solide. Cette glace superionique devenait donc conductrice d'électricité.
Toutefois, malgré l'utilisation d'ordinateurs puissants, il avait fallu utiliser certaines approximations pour faire les calculs. Les sceptiques pouvaient ainsi faire valoir que les comportements étonnants de cette nouvelle glace conductrice d'électricité, plus chaude que de la lave, étaient un artefact de ces approximations.
Une présentation du Laboratory for Laser Energetics où sont conduites des expériences sur la matière à hautes pressions à l'aide de lasers, en particulier pour faire de la fusion inertielle et pour recréer en laboratoire l'intérieur des planètes géantes. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © WebsEdgeEducation
L'article de Nature vient de clore le débat en montrant que la glace XVIII existe bel et bien. Les physiciens l'ont obtenue en comprimant de l'eau liquide entre deux diamants à l'aide d'ondes de choc produites par l'irradiation de ces diamants à l'aide de faisceaux laser. La technique est similaire à celle employée pour faire des expériences sur la fusion inertielle. En vaporisant la surface des diamants, on déclenche la libération d'un gaz de particules provoquant le mouvementdes diamants dans la direction opposée en raison de la conservation de la quantité de mouvement.
Une autre série de faisceaux laser est utilisée parallèlement pour vaporiser une lamelle de fer qui conduit à la formation d'un plasma émetteur de rayons X. Ces rayons X à leur tour sont diffractés par leur passage à travers la glace XVIII ce qui permet d'obtenir une tache de diffraction analysable selon les méthodes bien connues de la cristallographie avec des rayons X.
La glace superionique, une clé du champ magnétique de Neptune ?
Les astrophysiciens, en particulier, sont intéressés par ces nouveaux résultats démontrant l'existence de la glace superionique. Ils savent en effet que la majeure partie de l'eau dans le Système solaire doit se trouver sous forme de glace à l'intérieur des géantes que sont Uranus et Neptune. D'importantes couches de glace solide mais néanmoins chaude devraient se trouver aussi dans les profondeurs des planètes océans. Chaude, quatre fois plus dense que la glace ordinaire, noire et conductrice de l'électricité comme le ferait un métal où le fluide d'électronsaurait été remplacé par un fluide de protons, la glace XVIII pourrait donc être la glace extraterrestre la plus répandue dans le royaume des exoplanètes.
Il se trouve que lorsque la sonde Voyager 2 a atteint Uranus, puis Neptune au cours des années 1980, elle a mesuré et dans une certaine mesure cartographié le champ magnétique de ces géantes. Il est atypique par rapport à celui de la Terre sous plusieurs aspects. Il est plus complexe que celui d'une barre aimantée avec une composante dipolaire majoritaire et surtout non seulement l'axe de cette composante, qui est aussi présente, est-il dans les deux cas fortement incliné par rapport à l'axe de rotation des deux planètes mais il en est aussi décalé. Ainsi dans le cas de Neptune, Voyager 2 a observé un champ magnétique fortement incliné par rapport à l'axe de rotation de 47° et un décalage d'au moins 0,55 rayon, soit environ 13.500 kilomètres, du centre physique de la planète.
On pense que tout comme dans le cas de la Terre c'est une géodynamo avec des mouvements de convection dans un fluide conducteur qui doit être responsable de ces champs magnétiques. Mais pour rendre compte de leur bizarrerie, il fallait supposer que la partie fluide devait se trouver en quelque sorte confinée dans une sorte de coquille, pas très profondément à l'intérieur de ces géantes.
On n'en comprenait pas la raison mais la découverte de la glace superionique permet de penser qu'on a maintenant la clé de l'énigme puisqu'il se confirme qu'à partir d'une pression suffisante, précisément celle que l'on peut rencontrer dans le cas de Neptune et Uranus, cette glace peut se former. On obtient alors l'existence d'un cœur solide plus important que ne le prédisait la majorité des modèles de l'intérieur de ces géantes. En bonus, ce cœur serait conducteur et en partie convectif. Les planétologues vont donc pouvoir se pencher plus en détail sur l'origine du champ magnétique des deux géantes glacées et plus généralement sur les modèles d'intérieur de leurs cousines chez les exoplanètes.
On peut s'attendre à quelques surprises car la glace à l'intérieur de Neptune et Uranus n'est pas faite uniquement de molécules de H2O. Des molécules de méthane et d'ammoniac sont aussi présentes et il va falloir étudier la question de la formation d'une glace superionique avec elles.
CE QU'IL FAUT RETENIR
- Les expériences de la physique des hautes pressions, menées depuis le début du XXe siècle, ont révélé l'existence de plusieurs phases de glaces solides. Certaines de ces glaces doivent exister sur d'autres planètes, dans le Système solaire en particulier à l'intérieur d'Uranus et de Neptune, ou plus loin encore.
- Une technique de compression par faisceaux laser permet de percer les secrets de la genèse de ces glaces en observant les détails de leur formation avec des rayons X. Le premier succès a été obtenu avec la glace VII il y a quelques années, et maintenant c'est une nouvelle glace prédite par des simulations numériques en 1988 qui vient d'être produite et étudiée en laboratoire.
- Baptisée glace superionique ou encore glace XVIII, elle est probablement la plus abondante dans le Système solaire et elle doit permettre notamment de mieux comprendre l'origine du champ magnétique des géantes glacées, y compris l'intérieur d'exoplanètes similaires ou de planètes océans.
POUR EN SAVOIR PLUS
Glaces extraterrestres, les secrets de leur formation découverts
Article de Laurent Sacco publié le 22/07/2017
Notre Univers ne renferme pas uniquement de la glace ordinaire. Il existe par exemple une glace extraterrestre appelée « glace VII ». Pour la première fois, la formation de celle-ci à haute pression vient d'être observée avec un laser à rayons X.
C'est relativement peu connu (sauf des physiciens et chimistes confrontés au sujet), mais il y a, dans le cosmos, plusieurs types de glaces. Celles-ci apparaissent dans différentes phases selon les conditions de température et de pression. Nous en connaissons plus d'une dizaine de formes cristallines.
La première glace découverte par l'humanité, celle des glaciers et de la neige, a été classifiée au début du XXe siècle par Gustav Tammann, sous l'appellation de « glace Ih » (la lettre « h » indique qu'elle fait partie des cristaux dont la maille cristalline est hexagonale). Tammann a aussi découvert les glaces de types II et III.
Pionnier de la physique des hautes pressions, le physicien P. W. Bridgman a contribué à l'extension de notre connaissance des types de glaces en fabriquant, en 1912 d'abord, les glaces V et VI, puis, en 1937, la glace VII. Ces connaissances nous permettent de spéculer sur la structure interne des planètes géantes comme Jupiter et Neptune mais aussi, maintenant, sur l'intérieur de certaines exoplanètes, en particulier les grandes planètes océans.
Comment l’eau liquide se transforme-t-elle en glace extraterrestre ?
Ces découvertes sur les phases de la glace sont donc presque centenaires mais l'on aurait tort de croire que l'Homme sait désormais tout à leur sujet. Et pour cause : même aujourd'hui, l'eau liquide continue de nous surprendre. Nous l'avons vu récemment avec des travaux ayant montré qu'elle était en réalité un mélange complexe de deux phases liquides.
Les recherches concernant les différents types de glaces se poursuivent donc, notamment parce qu'elles devraient nous permettre de mieux comprendre la structure et la genèse des corps célestes glacés du Système solaire (comme Europe), mais aussi parce qu'elles pourraient avoir des applications technologiques imprévues. Un type de glace baptisé « glace XVI » est par exemple susceptible de nous aider à mieux comprendre les immenses gisements d'hydrate de méthane situés au fond des océans. Or, si nous pouvions efficacement faire de la capture de CO2 pour supprimer son injection dans l'atmosphère en continuant à consommer des énergies fossiles, ces gisements pourraient nous servir à relever les défis de la deuxième moitié du XXIe siècle.
Récemment, des chercheurs états-uniens ont publié un article dans Physical Review Letters. L'objectif de leurs travaux : comprendre comment l'eau liquide peut se transformer en glaces extraterrestres comme celles que l'on doit rencontrer à hautes pressions (aussi bien lorsque des comètes entrent en collision qu'à grandes profondeurs dans les exoplanètes océans). Les physiciens ont pu suivre en détail, pour la première fois, et à l'échelle microscopique, comment les molécules d'eau s'organisent une à une pour passer d'une phase désordonnée et liquide à une phase solide et ordonnée appelée « glace VII ».
La glace VII passée aux rayons X
La performance est d'autant plus spectaculaire que le changement de phase s'est produit en quelques milliardièmes de seconde. Pour obtenir ce changement, les chercheurs ont utilisé une technique à la base des expériences de fusion contrôlée dite inertielle et qui permet d'atteindre rapidement de très hautes pressions.
Ils ont ainsi commencé par placer un échantillon d'eau entre deux plaquettes, dont une était constituée de diamant. En bombardant cette dernière avec un flash laser, une partie de sa matière s'est vaporisée et, tout en quittant la plaquette, elle a exercé sur elle une pression de plus de 50.000 atmosphères, comme si on avait allumé sur elle un petit moteur-fusée.
Simultanément, un faisceau de rayons X intense produit par un laser à électrons libres (le plus puissant du monde et qui équipe le laboratoire Linac Coherent Light Source, à Stanford) est passé à travers les plaquettes et l'échantillon d'eau, permettant de révéler l'évolution de l'ordre microscopique par diffraction (une méthode au cœur des progrès fulgurants de la cristallographie depuis un siècle). L'équivalent de plusieurs photographies montrant l'apparition d'une structure à base de molécules d'eau a ainsi été pris pendant une durée d'environ 6 milliardièmes de seconde à l'aide d'une série de flashs en rayons X qui duraient eux-mêmes une femtoseconde, c'est-à-dire un millionième de milliardième de seconde.
L'un des résultats obtenus fut surprenant. Alors que la théorie prévoyait que les molécules d'eau allaient s'assembler en donnant des structures en forme de sphères, ce sont des structures en forme de barreaux qui ont été obtenues. Une fois de plus, la nature nous prouve que nous ne sommes pas au bout de nos surprises avec l'eau. Nous disposons en tout cas désormais d'un nouvel outil pour percer les secrets des différentes formes de glaces qui peuvent être rencontrées en dehors de la Terre et même du Système solaire.
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