Chronique sur la société israélienne, dans ce qu’elle a de plus surprenant
Chronique sur la société israélienne, dans ce qu’elle a de plus surprenant
Proposé par Ali GADARI
Chronique sur la société israélienne, dans ce qu’elle a de plus surprenant – son futurisme, son tribalisme, ses déchirements, ses espoirs. Aujourd’hui, pourquoi la gauche israélienne n'arrive pas à s'imaginer au pouvoir sans un général à sa tête.
Une soirée estivale sur le port de Jaffa. Un grand type aux airs patriciens cerné par un entourage aux aguets longe lentement le quai, feignant l’indifférence aux fêtards attablés aux terrasses. «Tiens, v’là le futur Premier ministre», lance-t-on. L’homme en question est Benny Gantz, 59 ans, ex-chef d’état-major de Tsahal, chef de guerre à Gaza en 2012 et 2014, celui qui a pris Gilad Shalit dans ses bras à sa libération.
A l’époque, la remarque penche plutôt du côté ironique. Le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, semble alors indéboulonnable et l’irruption de Gantz dans l’arène politique, perçue comme providentielle par une gauche israélienne sans boussole, a été annoncée tant de fois sans jamais se confirmer qu’elle tient autant du comique de répétition que de l’espoir spectral.
Et pourtant. La semaine dernière, alors que Nétanyahou payait dans les sondages le cessez-le-feu à Gaza et que ses rivaux d’extrême droite songeaient à faire imploser sa coalition, les instituts ont à nouveau «testé» Gantz, en l’imaginant à la tête d’un bloc de centre-gauche. Ce parti hypothétique talonnerait le Likoud de Nétanyahou. Presque aussi bien qu’en 2015, où, déjà, des études le présentaient en tombeur de «Bibi».
«Anémones»
Signe que la menace est prise au sérieux, la ministre de la Culture, Miri Regev, souvent décrite comme le pitbull de Nétanyahou, a lâché lundi une petite perfidie visant Gantz. En août 2014, lors d’un court arrêt des combats pendant l’opération Bordure protectrice, le général avait divagué prématurément sur ce «Sud rouge» où, bientôt, «les anémones et la stabilité» reviendraient. Quarante-huit heures plus tard, un enfant israélien de quatre ans était tué par une roquette. Et Regev de résumer : «La touche finale de son mandat fut de nous dire d’aller cueillir les anémones, et puis le petit Daniel Tragerman a été tué.» Fausse causalité ignoble, mais qui s’attaque au seul argument de vente de Gantz : ses états de services.
Pour le reste, l’homme n’a ni parti, ni programme, ni même d’idéologie définie. Tout juste sait-on qu’il «considère très sérieusement» un avenir parlementaire. Courtisé par les stratégistes travaillistes, élevé au rang d’icône par les magazines qui l’affichent en couverture tel un Clint Eastwood attendant sous le porche de son ranch qu’on l’appelle à nouveau pour zigouiller les méchants, Gantz reste une énigme, une bulle spéculative. Et la preuve que la gauche israélienne n’en a pas finie avec son complexe originel, son syndrome Moshe Dayan : la conviction que pour être crédible et rassembleuse, elle doit être menée par un militaire.
Couverture du magazine israélien «Le Libéral» en juillet.
«Téflon»
«Pour qu’un leader de gauche soit "téflon", imperméable aux accusations de sentimentalisme envers les Palestiniens, il faut qu’il ait tué, qu’il ait fait la guerre», explique le politologue Denis Charbit, maître de conférences à l’Université ouverte d'Israël. Théorème implacable : le prix Nobel de la paix Yitzhak Rabin était aussi l’ancien général qui voulait «briser les os» des révoltés de la première intifada. Ehud Barak, ex-chef d’état-major comme Gantz, compensait son allure bonhomme par sa réputation de plus redoutable tueur des forces spéciales… «En ce sens, Gantz est un peu le dernier espoir de ceux qui rêvent encore du grand leader ashkénaze aux yeux clairs, poursuit Charbit. Celui qui n’est pas clivant comme Nétanyahou, qui est rationnel, avec la croyance que les armes sont au-dessus des idéologies…»
En Israël, la popularité des généraux ne s’est jamais démentie. Les législateurs (plus par calcul tactique que par intérêt démocratique) ont tenté de la circonscrire en imposant une période dite de «refroidissement», portée à trois ans en 2007, et qui interdit l’entrée en politique d’un haut gradé immédiatement après la fin de son service. Revenu à la vie civile depuis 2015, il semblerait que l’option Gantz soit encore tiède.
Source:libération-Gil COHEN MAGEN/AFP
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