Les agriculteurs bio défendent le pesticide au cuivre





Les agriculteurs bio défendent le pesticide au cuivre

                           Article de Reporterre/Lorene LAVOCAT - Proposé par Ali GADARI


Connu sous la forme de bouillie bordelaise, le cuivre est utilisé par les agriculteurs bio pour combattre différents champignons, dont le mildiou. Ce mardi 27 novembre, des représentants européens doivent décider, ou non, de sa ré-autorisation. Si sa dangerosité pour l’environnement inquiète, les agriculteurs bio, aujourd’hui très dépendants de cette substance, craignent qu’une nouvelle restriction ne menace leur survie économique.
Actualisation - Mercredi 28 novembre 2018. Les autorités européennes ont décidé de renouveler l’autorisation du cuivre pour sept ans tout en abaissant les doses autorisées à 4 kg par ha et par an en moyenne sur 7 ans. Plus de détails ici.

- Caux (Hérault), reportage
Pour parvenir aux portes du château de la Font des Ormes, il faut s’enfoncer dans l’arrière-pays languedocien, dans le terroir basaltique de Pézenas. Là, au milieu des vignes et des oliviers, une bâtisse blanchie à la chaux abrite un majestueux chai où Mireille Fabre et Bertrand Quesne accueillent les visiteurs. Ils officient depuis près de cinq ans au Château, elle comme maître de chais, lui dans les 25 hectares que compte le domaine. Un domaine florissant, en pleine renaissance, porté par le boom du vin bio auquel ils se sont convertis il y a deux ans.
Mais dans la cave, la moitié des grandes cuves de vinification sont vides. « Cette année, nous avons eu un épisode de mildiou très fort, qui a détruit 80 % de la récolte au printemps », explique Bertrand Quesne. Pour sauver une partie de la production, il a utilisé de l’hydroxyde de cuivre. « Sans cela, nous aurions peut-être tout perdu ».
Mireille et Bertrand : « Cette année, sans l’hydroxyde de cuivre, nous aurions tout perdu ».
Comme lui, ils sont des milliers à recourir au cuivre — sous différentes formes, dont la plus connue est la bouillie bordelaise — pour lutter contre cette mycose très destructrice. Le mildiou, Plasmopara viticola de son petit nom latin, est la principale maladie de la vigne : « ça commence par les feuilles, puis la grappe, décrit Bertrand Quesne. Les tissus végétaux s’assèchent, et selon la saison, cela crée des moisissures blanches ou des taches brunes ». Quelle que soit la couleur, le résultat est le même : en 2012 en Champagne, les viticulteurs ont perdu en moyenne 25 % de leur récolte.
Contre cette épidémie, il existe donc un « remède miracle » : le cuivre. « On l’applique sur la plante, juste avant la pluie (le mildiou se développe avec l’humidité), détaille M. Quesne. On peut en mettre dix, quinze fois dans l’année, si la pression est forte. »Employé depuis la fin du XIXe siècle en combinaison avec d’autres éléments, le cuivre s’est répandu dans les vignes, mais également en arboriculture et en maraîchage (contre le mildiou de la pomme de terre), plébiscité pour son efficacité. Du fait de son caractère traditionnel, la substance est également autorisée en agriculture biologique et en biodynamie, constituant ainsi l’unique élément non naturel de la pharmacopée bio.
Une feuille de vigne atteinte par le mildiou.
Résultat : « En Europe, l’application quasi ininterrompue de bouillie bordelaise contre le mildiou a très fortement accru les teneurs des sols en cuivre, jusqu’à 500 mg/kg, contre 3 à 100 mg/kg dans les sols naturels », observe l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) dans un rapport sur le sujet. Est-ce grave, docteur « Le cuivre est un élément indispensable à la vie cellulaire, mais également toxique au delà d’une certain dose », écrit l’Inra. Concrètement, « les scientifiques ont constaté une toxicité chronique, liée à l’accumulation sur le long terme, pour les micro-organismes du sol et pour les vers de terre », précise Didier Andrivon, chercheur au sein de l’institut agronomique. Les oiseaux et les mammifères pourraient également être concernés, mais les avis divergent à ce propos.
En tout cas, les risques avérés ont conduit certains pays, comme le Danemark et les Pays-Bas, à interdire la substance. Ce sont également ces risques qui ont conduit l’Union européenne à fixer des quantités maximales de cuivre. Actuellement limitée à 6 kg/ha/an, cette dose pourrait être à nouveau abaissée. Des discussions sont en effet en cours à Bruxelles, car l’homologation du cuivre expire en janvier 2019. Comme pour toutes les substances actives phytosanitaires, il faut donc décider de sa ré-autorisation... ou pas. Si certains États, notamment d’Europe du Nord, poussent pour son interdiction pure et simple, un consensus se dessinerait péniblement autour de la position de la Commission européenne, partagée par la France, qui propose une ré-homologation pour cinq ans, avec une limite de 4 kg/ha/an. La décision pourrait tomber ce mardi 27 novembre.
Une bonne nouvelle pour les lombrics, mais une catastrophe pour les agriculteurs bio. « En cas de pression forte du mildiou, c’est la seule lutte efficace à notre disposition », insiste Bertrand Quesne, qui, à titre personnel, n’en utilise pas plus de 3 kg/ha/an. Dans le sud, le climat est moins favorable au champignon.
Vigne traitée au cuivre, ce qui lui donne une teinte bleutée.
Près d’Ancenis (Loire-Atlantique), Jacques Carroget cultive une vingtaine d’hectares de vignes bio. D’après lui, « dans l’état actuel des choses, sans accompagnement, sans alternative, 4 kilos par an, ce n’est pas suffisant ». L’affaire est donc simple : « Si on continue à diminuer les doses, les agriculteurs vont se détourner de la bio et retourner au conventionnel. Et mieux vaut du cuivre que du glyphosate ou du métham-sodium, car depuis 150 ans qu’on en utilise, il n’y a pas eu d’épidémies ou de cancers causés par cette substance. » Et le vigneron de conclure : « L’enjeu avec cette ré-homologation, c’est de sauver la viticulture bio ».
« A 4 kg, ça risque d’être difficile pour certains territoires, il va y avoir de la casse », reconnaît Marc Chovelon, de l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab). Dans une enquête menée il y a cinq ans auprès des viticulteurs, l’Itab concluait en ce sens : « Il est impossible de maintenir une viticulture biologique en limitant l’utilisation à 6 kg/ha/an ». En cause : « L’insuffisance d’alternatives, la variabilité climatique, et la nécessité du renforcement de l’expérience des agriculteurs récemment convertis à la bio ». Autrement dit, il faut connaître sa vigne et son terroir pour pouvoir réduire sa dépendance au cuivre. « Avec le temps, on acquièrt un savoir-faire et une connaissance qui nous permet de réduire les doses, acquiesce Jacques Carroget, installé depuis 20 ans. Je sais quand traiter, quelle quantité minimum mettre, comment prévenir le développement du champignon. » Aujourd’hui, il n’utilise pas plus de 3 kg/ha/an, qui est la limite acceptée par le label biodynamique Demeter.
C’est d’ailleurs dans ce savoir-faire que réside la lueur d’espoir pour la bio. « On n’arrivera pas à une efficacité équivalente au cuivre en faisant juste de la substitution de produits, observe Didier Andrivon. Par contre, il y a des pistes alternatives qui nécessitent des changements plus systémiques, et cela ne se fera pas du jour au lendemain ». L’Inra a exploré les leviers disponibles pour diminuer le recours au cuivre. Préparations et huiles essentielles qui renforcent la plante et l’aident à se défendre, mise en œuvre de pratiques agronomiques préventives (comme l’enfouissement des feuilles mortes qui peuvent “contenir” du mildiou), création de variétés résistantes. Ce dernier point paraît le plus prometteur à Didier Andrivon, mais il se heurte à un problème de taille : « En France, la majorité des cahiers des charge des AOC [appellation d’origine contrôlée] n’autorise que certains cépages précis ». Impossible donc pour ces vignerons de planter des ceps issus de croisement, quand bien même ils sont plus résistants à la maladie.
« Il ne faut pas chercher un produit miracle mais des systèmes adaptés à chaque climat et à chaque terroir, estime quant à lui Marc Chovelon. Et il faut faire confiance aux viticulteurs : aucun n’a envie d’être dépendant du cuivre, et ils sont toujours preneurs de solutions et d’expérimentations pour réduire les doses. » Par exemple, la réglementation européenne actuelle autorise un lissage sur cinq ans du recours aux produits cupriques. Dans d’autres termes, un viticulteur peut utiliser plus de 6 kg/an/ha une année à forte pression, s’il restreint sa quantité à moins de 6 kg/ha/an une autre année. « Cela nous incite à réduire au maximum les doses, comme ça on économise et on peut faire face en cas de gros pépins », souligne Bertrand Quesne.
« En 2004, lors de la précédente homologation, avec une limitation à 6 kg, beaucoup de gens disaient qu’on y arriverait jamais. Mais on y est arrivé », se rappelle Marc Chovelon. Donc, un nouvel abaissement n’est pas infaisable, mais il faudra un accompagnement renforcé. C’est pourquoi la Fnab, qui fédère les agriculteurs bio, demande un « plan cuivre » au gouvernement. Recherche sur le mildiou et sur les alternatives, formation des producteurs, structuration économique de ces filières alternatives...
« Nous alertons les pouvoirs publics depuis 2015 sur cette question et aucun soutien n’a encore été apporté, nous comptons sur le changement de tête au ministère de l’Agriculture et le maintien d’une dynamique volontaire au ministère de la Transition Ecologique pour être enfin entendus » espère Sylvie Dulong, présidente de la Fnab.
Reporterre/Lorene Lavocat

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