Retraites: «Derrière le mouvement social, la crise du régime politique»




Retraites: «Derrière le mouvement social, la crise du régime politique»

FIGAROVOX/TRIBUNE - L’historien Maxime Tandonnet dénonce l’étrange aveuglement face aux vrais motifs de la mobilisation contre le projet de réforme des retraites, symptôme d’une profonde crise du régime politique français.
Par Maxime Tandonnet

SEBASTIEN SALOM-GOMIS/AFP

Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, l’historien Maxime Tandonnet décrypte l’exercice de l’État pour le FigaroVox. Il est l’auteur de nombreux ouvrages historiques, dont une Histoire des présidents de la République (Perrin, 2017) et a récemment publié André Tardieu - L’incompris(Perrin, 2019).

Alors que 68 % des Français sont solidaires du mouvement social malgré les perturbations qu’il engendre sur leur vie quotidienne (source: Harris), la réforme des retraites est l’arbre qui cache la forêt d’une profonde crise du régime politique français, dans un étrange climat d’aveuglement. «Rien n’est plus tranquille qu’un dépôt de munitions, une demi-seconde avant l’étincelle» écrivait André Tardieu. Le projet d’instaurer un système de retraite «à points», aussi flou soit-il, est l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, tout comme la «taxe carbone» a provoqué le mouvement des «gilets jaunes». Bien au-delà d’une simple revendication catégorielle, il catalyse une colère populaire qui fermente depuis des années. Il traduit une rébellion face au sentiment de mépris des élites dirigeantes envers la majorité silencieuse, la révolte des «moutons noirs», des «sans dents» ou des «Gaulois réfractaires». En ce sens, cette rébellion poursuit sous d’autres formes et amplifie le mouvement des «gilets jaunes», mais avec en plus une arme redoutable: la prise d’otages massive des usagers
Retraites: le gouvernement ira-t-il jusqu'au bout?
Edouard Philippe a rappelé cet après-midi dans l’hémicycle qu'il était déterminé à faire cette réforme des retraites. On en débat sur le plateau de Points de vue.
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La secousse qui ébranle une nouvelle fois la France, quelle qu’en soit l’issue, reculade ou pourrissement, est le résultat du pire fonctionnement politique que la France n’ait jamais connu depuis 1944. Elle traduit l’exaspération des Français devant sa dérive narcissique. Rien n’est plus vulnérable qu’un régime qui concentre toute l’image du pouvoir autour d’un personnage emblématique, omniprésent, sur lequel se cristallisent les frustrations et les souffrances, excitant la colère. Cette secousse traduit la défiance croissante de la population envers une classe dirigeante ressentie comme d’autant plus hautaine et arrogante qu’elle échoue dans le règlement des problèmes (chômage, pauvreté, violence, déficits, crise migratoire, etc.). Elle exprime la perte radicale de crédit d’une parole politique abîmée par le flot de paroles et les volte-face, la fuite dans la communication, les promesses abandonnées, les mystifications et les scandales à répétition. Et au paroxysme de l’incompréhension se répand le soupçon, à tort ou à raison, que cette réforme est avant tout le fruit d’un calcul de posture, tournée, non pas vers le bien commun, mais vers l’objectif électoral de 2022.
Malgré le « grand débat  », aucun enseignement n’a vraiment été tiré de la crise des gilets jaunes.
Ces événements sont le fruit de la déconnexion exacerbée des élites dirigeantes par rapport à la nation et de leur incommunicabilité croissante. Ils sont la conséquence du sentiment général que la démocratie n’est plus qu’un vain mot. Il est impressionnant de constater à quel point, malgré le «grand débat», aucun enseignement n’a vraiment été tiré de la crise des «gilets jaunes». Dans n’importe quelle démocratie pluraliste, un projet de réforme des retraites devrait commencer par un débat au Parlement. Les représentants de la nation, élus au suffrage universel, ont seuls la légitimité pour débattre d’une question de cette importance pour l’avenir de la société française. Or, l’Assemblée nationale, dans le système présidentialiste français, issu du quinquennat, n’est plus qu’une annexe de l’Élysée, neutralisée, privée de toute souveraineté et de toute crédibilité. Les débats qui n’ont pas lieu à l’Assemblée nationale, entre une majorité et une opposition, se transposent dans la rue, sous la forme du chaos et de la violence. À l’opposition droite/gauche s’est substituée une sorte de guerre entre les élites dirigeantes et la nation. Le «nouveau monde» de 2017 a ainsi conduit la France au bord de l’abîme.
Dès lors que l’autorité du parlement a été anéantie, le référendum gaullien pourrait être, sur des sujets aussi importants que celui de l’avenir des retraites, une voie démocratique. Trop tard: le climat de défiance paroxystique entre la France dite «d’en haut» et la France dite «d’en bas» est beaucoup trop dégradé pour qu’une consultation populaire ne puisse être autre chose que l’expression d’une déferlante de colère. Les supposés «experts» se gargarisent aujourd’hui sur la «solidité des institutions» qui garantit le maintien de leur place aux dirigeants du pays. Illusion: le sentiment d’impunité de dirigeants intouchables, irresponsables, et à l’abri de toute sanction politique, qui n’ont de compte à rendre à personne pendant cinq ans quelles que soient les défaillances individuelles et collectives, nourrit le ressentiment populaire et la perte d’autorité des politiques. Garder la place, oui, mais à quoi bon si la disparition de la confiance et de l’autorité ne permet plus de gouverner?

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