BOEING ARRÊTE LA PRODUCTION DE SES 737 MAX







Le couperet est tombé. Neuf mois après l’immobilisation de tous les 737 MAX, Boeing a décidé lundi 16 décembre d’interrompre à partir de janvier 2020 la production de cet appareil, impliqué dans deux crashs ayant coûté la vie à 346 personnes. Une décision qui a un impact direct sur les chaînes d’assemblage de l’avionneur américain, mais aussi sur l’activité de ses  fournisseurs. Et en particulier de Safran : avec son partenaire américain General Electric, le motoriste français développe et construit le moteur Leap qui équipe tous les Boeing 737 MAX au sein de leur société commune CFM International.
Sur le papier, l’arrêt temporaire de la production du 737 MAX apparaît comme un coup très rude pour Safran.


LEMONDE.FR





Le Leap est sans conteste le produit phare du groupe. Rappel des faits : Safran a commencé à plancher sur ce moteur dès les années 2000, en vue de remplacer ce qui était alors le moteur le plus vendu au monde, le CFM 56, équipant les Boeing 737 et les Airbus A320 et livré à près de 35 000 exemplaires. Avec pour argument de réduire la consommation de carburant d’environ 15%, tout en repartant de l’architecture globale de son prédécesseur. Pour l’anecdote, le terme "leap" (le saut en français) était le nom de code du moteur en développement, et a été conservé.
Le Leap, best-seller annoncé
Lancé en 2008 et développé pour environ 1 milliard d’euros, le Leap rencontre un succès commercial immédiat : Comac l’adopte le premier, puis Airbus et enfin Boeing. Ces deux derniers voyant la possibilité de remotoriser leurs monocouloirs, qui deviendront les A320neo et les 737 MAX. CFM International accumule 18 750 commandes, à fin septembre. Alors que la production de ce moteur a démarré mi-2016, quand dans le même temps celle du CFM56 était peu à peu réduite, le carnet de commandes du Leap s’établit à 15 778 moteurs qui restent à produire. La ligne d’assemblage du groupe située à Melun Villaroche (Seine-et-Marne) assure du coup la moitié de cette production.
Dès le mois de septembre, Safran avait joué la transparence : la baisse de cadences du Boeing 737 MAX – passée de 52 à 42 avions par mois en avril – représentait un impact financier de l’ordre de 300 millions d’euros par trimestre. Les compagnies aériennes ne payant plus les acomptes (échelonnés dans le temps) versés pour les avions qu'elles ont commandé, Safran ne perçoit plus, de la part de Boeing, ni certains acomptes ni le solde à livraison au titre des moteurs qu’il fournit…
Un impact financier certain
Au final, l’impact financier devrait s’élever pour Safran à environ 800 millions d’euros pour la seule année 2019 : 200 millions d’euros pour le deuxième trimestre, 300 millions pour d’euros pour les troisième et quatrième trimestres. L’arrêt temporaire de production décidé par Boeing va encore alourdir ce manque à gagner dans la trésorerie, qui devrait toutefois être récupéré au moment des livraisons. Sauf à ce que le 737 MAX ne revole plus jamais, ce qui est peu probable au vu des quelque 5000 appareils commandés de par le monde, Safran doit prendre son mal en patience. Reste que cet impact pourrait vraisemblablement atteindre, voire dépasser, le milliard d’euros dès le début de l’année 2020.
Si le groupe a les reins solides – 21 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018 et un résultat net de 1,4 milliard d’euros au premier semestre 2019 – les déboires du 737 MAX ont bien un impact significatif. Suivant la durée de la suspension de la production, le motoriste aura à réduire plus ou moins la voilure, tout en veillant à ne pas perdre la main sur l’assemblage d’un moteur composé de quelque 25 000 pièces. Ceci dit, le motoriste peut toujours compter sur l’autre grand client du Leap (qui équipe un peu plus de la moitié des A320neo, en concurrence avec Pratt & Whitney) : Airbus, qui cherche quant à lui à augmenter les cadences de son A320, et en particulier des différentes versions de l’A320neo : l’avionneur vise une cadence de 60 monocouloirs par mois d’ici la fin de l’année et 63 d’ici 2021.
Le successeur du 737 MAX à l'horizon
Mais l’horizon est-il forcément en train de s’assombrir pour Safran ? Lors d’une rencontre organisée mi-décembre avec la presse, le directeur général du groupe, Philippe Petitcolin, n’avait pas caché ses inquiétudes sur le 737 MAX et sur les difficultés liées à sa remise en service en ordre dispersé. Tout en entrevoyant une issue positive pour Safran. "Si Boeing a vraiment fait le travail demandé, les choses rentreront dans l’ordre rapidement, a assuré le dirigeant. Mais si un problème persiste, sans même aller jusqu’à un autre crash, cela pourrait pousser Boeing à lancer plus vite le remplaçant de ce programme [le 737 MAX, ndlr]. Ce scénario ne peut être occulté." Un projet qui intéresserait Safran…
Et Philippe Petitcolin d’imaginer alors le lancement de cet appareil vers 2022-2023, pour une mise en service vers 2030. Soit avec plusieurs années d’avance sur la nouvelle génération de monocouloirs censés remplacer les 737 MAX et les A320neo. "Le modèle économique du Leap définissait ce moteur comme un intermédiaire", a rappelé le directeur général de Safran. Autrement dit, le Leap doit faire la jonction entre les anciennes et les nouvelles générations de moteur. Le lancement anticipé d’un appareil côté Boeing, qui pourrait dans la foulée inciter Airbus également à réagir, représenterait dès lors un défi… aussi pour les motoristes.
Car pour séduire un avionneur avec un nouveau moteur, un motoriste doit être en mesure de lui proposer un gain d’efficacité d’environ 15% à 20%. "Comme on est capable de fournir un gain de 1% par an environ, cela signifie que nous sommes en mesure aujourd’hui de faire un moteur qui serait 5% plus efficace que le Leap", a détaillé Philippe Petitcolin. Soit des performances qui ne constituent pas encore un saut significatif… Le challenge technologique est donc immense pour Safran et pourrait représenter une opportunité industrielle, alors que le projet d’avion de milieu de marché NMA (pour New Midmarket Airplane) de Boeing que le motoriste souhaitait équiper, semble reporté aux calendes grecques.
Un éventail de technos possibles
Safran dégainera-t-il son open rotor, le moteur à hélice non carénée qu’il développe depuis plusieurs années ? "Grâce à la suppression du carénage, la masse est fortement réduite ce qui permet d’augmenter fortement le taux de dilution, avec un gain de 15%, qui peut être porté à 20% grâce à des technologies avancées sur les différents éléments du moteur", soutient Stéphane Cueille, directeur de l’innovation et de la R&T du groupe. Un démonstrateur a été testé au sol à Istres en 2017. "Nous avons notamment prouvé qu’il ne générait pas plus de bruit que le moteur Leap actuel", souligne Stéphane Cueille. Boeing, qui va chercher à reconquérir la confiance de ses clients, osera-t-il mettre en œuvre cette technologie certes plus efficace, mais encore peu mâture?
A moins qu’une autre voie, encore peu explorée jusque-là, ne soit privilégiée : celle de l’architecture dite BLI (boundary layer ingestion), qui consiste à intégrer les moteurs contre le fuselage. La couche d’air ingérée par les moteurs étant plus lente contre le fuselage, cela améliore le rendement propulsif. Cette technologie suppose au passage une bien plus étroite collaboration entre le motoriste et l’avionneur, pour définir de concert l’architecture de l’appareil. "C’est une option dont nous discutons de l’intérêt actuellement avec Airbus notamment, qui nécessite encore du travail", détaille Stéphane Cueille. Et si la crise du Boeing 737 MAX accélérait les développements en cours ? Au passage, cela permettrait de mettre sur le marché des avions plus vertueux et de réduire les émissions de CO2 du secteur…

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