Des habitants d’un village du Nord se dressent contre un pylone de téléphone





Des habitants d’un village du Nord se dressent contre un pylone de téléphone   


    Didier Harpagès (Reporterre)          Proposé par Ali GADARI



En vertu d’un accord entre l’État et les opérateurs pour généraliser la couverture mobile du territoire français, les antennes-relais poussent dans les campagnes. Dans le Nord, un projet du groupe TDF trouve sur sa route l’opposition de riverains.
  • Oudezeele (Nord), reportage
Le 14 janvier 2018, le gouvernement annonçait, à la suite des propositions faites par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), un accord destiné à généraliser la couverture mobile de qualité sur l’ensemble du territoire français. Autrement dit, un « New Deal Mobile » était passé entre l’État et les quatre opérateurs que sont Free, SFR, Bouygues Telecom et Orange. Ainsi la 4G devait être déployée dans les zones dites « blanches », où la couverture mobile est jugée insuffisante. Tout propriétaire d’un smartphone doit pouvoir de nos jours, nous dit-on, accéder à tous les services de la téléphonie mobile, quel que soit le lieu où il se trouve : en pleine campagne, à la mer, à la montagne, sur l’autoroute, dans le train… Cette couverture du territoire exigeait, dans les cinq ans, un investissement de 3 milliards d’euros à la charge des opérateurs. Ces derniers ont été vigoureusement rappelés à l’ordre, en juillet 2019, par le [« gendarme des télécoms » | surnom de l’Arcep], en raison du retard pris dans la généralisation de la 4G, contredisant ainsi l’engagement pris lors de ce « New Deal Mobile ».

« Cet agriculteur a préféré le chèque à la préservation des terres agricoles » 

La mise en œuvre de la 4G, comme celle à venir de la 5G, suppose l’implantation d’antennes-relais. Certaines sont fixées sur des pylônes, dont l’installation est l’une des nombreuses activités du groupe privé TDF, très éloigné aujourd’hui du statut d’établissement public (TéléDiffusion de France) créé en 1975. Il se trouve qu’un pylône de 39 mètres de hauteur, équivalent à un immeuble de treize étages, doit être érigé précisément sur la commune d’Oudezeele (Nord), à la limite du hameau Le Ryveld (qui dépend de Steenvoorde), au pied de Cassel, élu en 2018 « Village préféré des Français ». Le carrefour près duquel le pylône serait ancré se situe à proximité de la motte féodale d’Oudezeele, site classé, de La Chapelle Saint Roch, élément architectural protégé, et d’un petit coin de bocage, rare dans la région en raison d’une transformation du paysage rural lié au développement d’une agriculture industrielle moderne. Ce lieu champêtre, intégré à plusieurs itinéraires de promenade répertoriés par le département du Nord depuis les années 1990, fait le bonheur des randonneurs, des cyclistes et des cavaliers français ou belges.
Thomas Calabrese, responsable de la recherche et de la négociation chez TDF, considère qu’il était du devoir de son groupe de se mettre au service des opérateurs — et de Free en particulier — soumis aux injonctions de l’Arcep depuis juillet 2019. « C’est dans le Nord que se trouve le plus grand nombre de petites communes mal irriguées. Nous devons permettre aux populations rurales d’accéder à davantage de services, d’être en contact facile avec les réseaux sociaux et de faire usage des multiples objets connectés », déclare-t-il par téléphone à Reporterre.
Un petit coin de bocage, rare dans la région.
Le choix du lieu d’implantation a fait l’objet d’une controverse entre Jean Luc Debert, le maire d’Oudezeele, et TDF. Thomas Calabrese affirme avoir contacté Jean Luc Debert au début de l’année 2019 afin de lui faire part du projet. « Mais le maire n’est jamais revenu vers nous, affirme le responsable de TDFCe fut silence radio ! » Joint par Reporterre, Jean Luc Debert s’explique : « TDF a contacté certains agriculteurs, propriétaires de terrains sur lesquels le pylône pouvait être installé. L’un d’entre eux a accepté l’offre de TDF sans me prévenir. J’en ai gros sur la patate ! Cet agriculteur a préféré le chèque à la préservation des terres agricoles. J’étais hostile à ce projet mais désormais je ne peux plus m’y opposer car le pylône se situe sur un terrain privé. J’ai été placé devant le fait accompli ! Lorsque j’ai organisé une réunion publique, le 24 septembre 2019 pour informer les habitants de la commune, une invitation a été adressée au représentant de TDF, qui l’a déclinée. »

« Effectivement, ce pylône a un impact visuel. Mais avec le temps, on s’y fait, on peut s’adapter assez facilement » 

Thomas Calabrese souligne quant à lui l’importance des contraintes techniques et économiques qui pèsent sur son entreprise : « Une fois l’accord donné par l’agriculteur, j’ai envoyé la déclaration en mairie et je n’ai pas eu de retour. Il faut comprendre le fonctionnement de notre groupe. Nous devons faire vivre 1.400 salariés au sein de l’entreprise TDF et pour cela, il faut impérativement dégager des bénéfices. Free voulait implanter ses antennes pour répondre aux exigences de l’État, TDF se devait de satisfaire la demande de Free ! »
Des habitants d’Oudezeele et de Steenvoorde ont créé l’association Marabout vert afin de contester l’arrimage du pylône. Noëline Vandenabeele, membre active de l’association, s’appuie sur le Code des postes et télécommunications électroniques pour dénoncer le projet : « En vertu de l’article L-34-9-1, toute personne souhaitant exploiter une antenne-relais doit transmettre un dossier d’information au maire un mois avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme. Le maire doit ensuite mettre ce dossier d’information à la disposition des habitants, qui peuvent alors formuler des observations. Or, dès février 2019, TDF a eu un premier contact avec le maire ; le 18 juin la déclaration préalable de travaux a été déposée en mairie ; l’avis de non-opposition du maire a été signé le 12 juillet. Ce dernier document a été affiché sur le terrain début septembre. Et enfin, c’est seulement le 24 septembre, après les sollicitations répétées de riverains, que le maire a consenti à organiser une réunion publique. » Soulignant que la réunion publique n’a pas permis de « véritable dialogue », Noëline Vandenabeele regrette d’avoir été placée devant le fait accompli, sans pouvoir formuler des observations. Pour ces raisons, l’association Marabout vert était créée un mois plus tard.
Un pylône de 39 mètres de haut doit être érigé ici, au pied de Cassel, élu en 2018 « Village préféré des Français » et dont le mont apparaît en arrière-plan.
Les membres de Marabout vert pointent du doigt les travers de la loi Élan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) promulguée le 27 novembre 2018 et qui vise notamment à accélérer cette fameuse couverture numérique sur le territoire. Ainsi, l’avis de l’architecte des Bâtiments de France devient simplement « consultatif » pour l’installation d’antennes-relais alors qu’auparavant son avis « conforme » était requis« Avec cette loi, observe Valérie Vandenabeele, fille de Noëline et également membre du Marabout vert, les installateurs peuvent faire à peu près tout ce qu’ils veulent. Ils ne sont plus tenus de s’entretenir avec les riverains, d’évaluer les effets de leurs projets, ni de démontrer la réalité de leurs besoins. Ainsi, tous les freins à l’installation sont levés. » En cas de désaccord, la loi Élan impose d’engager devant le tribunal administratif un recours contentieux, lequel ne peut être déposé que par une association ayant plus d’un an d’existence (article L600-1-1 du Code de l’urbanisme). Cela réduit les possibilités de s’opposer à ce type de projet.
Le mot d’ordre de Marabout vert est : « Oui aux paysages ruraux, non au pylône entre Oudezeele et le Ryveld » ! La dégradation du bocage flamand préoccupe gravement les adhérents. « Comment peut-on imaginer planter une structure métallique de 39 mètres de haut dans un coin de verdure aussi ravissant ? Pourquoi vouloir détruire un tel paysage ? » s’insurge Valérie Vandenabeele. Sur ce sujet, Thomas Calabrese pose un autre regard : « Effectivement, admet-il, ce pylône a un impact visuel. Mais avec le temps, on s’y fait, on peut s’adapter assez facilement. Et puis, si nous avions pu échanger avec le maire, nous aurions pu trouver une solution ! »

Marabout vert a fait appel à un avocat 

Par ailleurs, l’exposition de la population locale aux champs électromagnétiques ne trouble pas le responsable de TDF : « Notre pylône respecte la législation française », affirme-t-il. Les opposants au projet ne l’entendent pas de cette oreille car l’incertitude sanitaire demeure. La nocivité n’est pas prouvée mais l’innocuité non plus, estiment-ils. À ce propos, Valérie Vandenabeele évoque la situation préoccupante d’enfants scolarisés à Rexpoëde, petite ville distante d’une quinzaine de kilomètres d’Oudezeele. « Deux cas de cancer du cerveau, précise-t-elle, ont été diagnostiqués chez des enfants inscrits dans une école primaire à la suite de l’implantation de plusieurs antennes-relais à moins de 100 mètres. Un enfant est mort en 2009 bien que les opérateurs aient fait valoir des mesures en deçà des normes en vigueur. Il est d’ailleurs interpellant que les normes applicables en France datent de 2002 alors qu’en Europe les chiffres ont nettement évolué depuis. En outre, le pylône que TDF veut implanter ici devrait desservir un territoire très étendu, il va donc recevoir des antennes-relais aux émissions particulièrement puissantes. Ce projet induirait assurément une forte exposition de presque tous les Ryveldois. » Et d’ajouter : « De plus, avec la 5G, le recours aux ondes millimétriques sera nécessaire. Elles ne traversent pas les murs, il faudra donc multiplier les antennes. Et tout cela au nom de performances technologiques et de services sur lesquels il conviendrait de s’interroger. »
Les membres de Marabout vert ne sont pas les seuls à être préoccupés par ces questions. Sur l’autre versant du mont Cassel, à Sainte-Marie-Cappel, où un pylône a été érigé, les opposants demeurent vigilants dans l’attente d’un jugement. Non loin de là, à Herzeele, une forte mobilisation des habitants a permis le recul du propriétaire du terrain, qui a renoncé au bail accordé à TDF pour l’implantation d’un pylône de 40 mètres. « À l’échelle nationale, précise encore Valérie Vandenabeele, plusieurs associations, dont Priartem, le Criirem ou Robin des toits font un travail précieux. »
Marabout vert a fait appel à un avocat. Dans un premier temps, celui-ci a déposé une requête introductive d’instance dont l’issue ne devrait être connue que d’ici un an et demi à deux ans. Les travaux ayant débuté, il a également adressé une requête introductive d’instance référé-suspension au tribunal administratif de Lille. À la suite de l’audience du 26 novembre 2019, le juge des référés n’a pas reconnu « l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée », c’est-à-dire qu’il n’a pas ordonné la suspension des travaux. Le pylône pourrait être construit, mais la question de sa légalité ne sera de toute façon tranchée que par les trois juges du fond. En attendant, Noëline et Valérie ainsi que leurs amis diffusent une pétition, qui a déjà recueilli près de 700 signatures en ligne et 400 sur papier.
L’espoir : que Marabout vert remporte son combat judiciaire contre TDF, à l’instar du village de Saméon (près de Saint-Amand-les-Eaux, Nord), où le même opérateur n’a pas été autorisé à ériger un pylône de 45 mètres de haut sur une parcelle privée, à la suite de la décision du tribunal administratif de Lille le 24 janvier 2019.

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