Le bateau français qui transforme l’eau de mer en boisson
Le bateau français qui transforme l’eau de mer en boisson
L’entreprise, fondée par un ancien marin et ingénieur haut en couleur, vient d’armer un navire-usine avec des investisseurs privés.
Par Luc Lenoir Proposé par Ali GADARI
Dimanche dernier, à 21h50, une première bouteille sortait des entrailles d’Odeep One, nouveau bateau usine français, à environ 200 kilomètres au large de Marseille. Son contenu? De l’eau... de mer, passée par différents traitements naturels pour retirer le sel. Son goût? Finalement assez classique, avec une certaine sensation de fraîcheur au premier abord, puis une douceur finale assez surprenante, mais en rien écœurante, comme Le Figaro a pu le tester avec des bouteilles produites ces derniers mois dans la même zone.
Sourcier en chef de cette boisson atypique, le capitaine Régis Revilliod, ingénieur passé par la Marine marchande et le conseil dans le domaine de l’offshore, avant de se lancer dans l’aventure de l’armement maritime, avec un projet industriel quasiment inédit: pomper, traiter et embouteiller de l’eau de mer, potable et vertueuse, à bord d’un même navire.
«Nous étions trop innovants pour les financements publics»
Lorsqu’il raconte les débuts de l’entreprise, le capitaine insiste sur les espoirs déçus d’un éventuel soutien des pouvoirs publics. En recherche de financements à partir de 2013, le créateur sollicite Bpifrance, alors en plein essor. L’entrepreneur croit en ses chances, compare son projet avec certaines entreprises technologiques plus aléatoires en termes d’emploi, et pourtant subventionnées: «nous, on était dans le dur, l’industrie, avec de l’innovation technique et des métiers nouveaux» souligne-t-il.
Mais c’est à cause de l’innovation, précisément, que les aides publiques vont rester inaccessibles. Ocean Fresh Water multiplie les présentations, les interlocuteurs, mais n’obtient rien, le modèle d’entreprise étant inclassable et difficilement comparable au reste du marché. «La BPI a des cases, et n’investit que dans les entreprises qui entrent dans ces cases. Mais l’innovation, par définition, c’est ce qui ne rentre pas dans les cases existantes. Mon projet a été refusé précisément parce qu’il est innovant!» tonne Régis Révilliod. «La BPI nous a fait perdre cinq ans», ajoute-t-il, amer, reconnaissant toutefois une attitude constructive, à défaut de soutien concret. Contactée par Le Figaro, Bpifrance confirme avoir étudié le dossier, mais ne pas y avoir donné suite, les caractéristiques du projet ne «rentrant pas dans son champ d’intervention» et dans la doctrine d’investissement des fonds ouverts à l’époque. L’organisme souligne avoir «orienté la société vers des établissements spécialisés dans le financement de projets d’infrastructure, notamment dans le domaine maritime».
Peine perdue: Régis Revilliod finira par lever trois premiers millions d’euros en 2015 et 2016 auprès de son réseau personnel, afin de lancer l’aventure, et de fonder le premier armateur français depuis la compagnie du Ponant (fondée en 1984, NDLR).
Ces premiers moyens lui permettent alors de concevoir et construire un petit bateau pour commencer à puiser l’eau et la filtrer. Little Odeep est lancé en 2017, rattaché au port d’Hyères. Rapidement, le procédé industriel est stabilisé, les tests sanitaires sont concluants et l’entreprise vend ses premières bouteilles d’une eau collectée au large de Porquerolles. Le capitaine s’enorgueillit de cette première expérience «qui servait au départ de support à notre recherche, mais nous a en plus permis de faire du chiffre d’affaires rapidement».
Un navire usine pour puiser, filtrer et embouteiller l’eau des profondeurs
En 2018, le groupe décroche un soutien de poids, avec le fonds d’investissement «éthique» La Compagnie Agricole Investissement, mené par le financier Frédéric Leroux. Ocean Fresh Water travaille ses projets de production et de distribution, se renomme OFW ships et lance l’achat de son premier navire usine de grande taille. Un ancien ferry de transport de train soviétique est trouvé, et profondément transformé depuis 2019 afin d’accueillir le matériel de filtration et d’embouteillage.
Et c’est lorsque le capitaine Revilliod évoque son nouveau bateau qu’il retrouve tout son enthousiasme. Et détaille d’abord les solutions techniques mises en œuvre. Aux alentours de 300 mètres de fond, l’obscurité empêche le développement des bactéries, mais l’eau reste chargée de ses minéraux. Régis Révilliod souligne que «les 78 minéraux contenus dans notre produit sont parfaitement assimilables par l’organisme humain» car préalablement chélatés par la digestion du phytoplancton sur plusieurs millions d’années. Si les planctons ont disparu à cette profondeur, les substances bienfaisantes restent présentes, en grande quantité.
Pompée à 6 degrés, l’eau de mer circule pour climatiser le bateau usine avant d’être filtrée selon une méthode constituant le «secret industriel» d’Ocean Fresh Water. Pas de procédé chimique, assure-t-on, mais un simple retrait du chlorure de sodium. Le fondateur insiste: il s’agit d’un «filtrage sélectif» et non d’une simple dessalinisation au sens classique, un procédé industriel assez polluant puisqu’il rejette de la saumure près des rivages, avec des risques d’atteinte à la biodiversité côtière. Quant au sel pur en poudre retraité, il est rejeté en mer (mais pas entièrement: certains chefs réputés s’intéressent aussi à ce sel des profondeurs). L’eau est embouteillée à bord, une méthode industrielle originale qui permettra de distribuer rapidement. Les bouteilles d’Ocean Fresh Water constituent une «boisson» au sens légal (car, en droit, les eaux de table proviennent de sources terrestres).
Des kites pour stabiliser le bateau
Sur le plan écologique, OFW veut recycler autant, voire plus de bouteilles qu’elle n’en utilise pour sa boisson. Les rejets de soufre, tendon d’Achille du transport maritime? L’entreprise répond que le bateau est déjà compatible avec les prochaines réglementations internationales sur les carburants et utilise le diesel oil, le plus respectueux. Les bateaux battent pour l’instant pavillon panaméen, «non pour des raisons fiscales» jure l’armateur, mais «parce que nous avions besoin d’immatriculer et d’assurer le bateau immédiatement, et que l’administration française ne voulait pas nous répondre» ajoute-t-il. Idem pour son projet de kite pour stabiliser les bateaux lors des phases de pompage: «nous avions travaillé six mois, à huit ingénieurs, pour produire un dossier scientifique de 750 pages. J’ai déposé ce volumineux dossier à l’ADEME un mardi, et reçu une réponse négative... le vendredi, pour mes demandes de subventions» peste-t-il encore. Contactée par Le Figaro, l’agence n’a pas donné suite à nos demandes. Mais Régis Révilliod perd vite son amertume, car les projets d’avenir sont bien plus obsédants: produire une partie du diesel utilisé à bord en recyclant des matières plastiques par pyrolyse, passer à un emballage totalement «vert», créer les conditions d’une alimentation des régions entières en situation de stress hydrique, multiplier les navires et produire sur les sept mers son eau miraculeuse... Un capitaine doit toujours voir loin.
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