Etat d’urgence dans le droit commun : les terroristes ont-ils eu notre haine ?






    Etat d’urgence dans le droit commun : les terroristes       ont-ils eu notre haine ? (Proposé par ALI)



Pourquoi laisser les lois céder là où les hommes résistent ? Tribune, par Laure Heinich et Kami Haeri, avocats au Barreau de Paris.

Pour en finir avec la question du caractère temporaire de l’Etat d’urgence et de son renouvellement, Emmanuel Macron propose de l’adopter définitivement en faisant entrer dans le droit commun ce qui était jusqu’à présent considéré comme un régime d’exception. Il va donc se produire ce sur quoi les vigies des Libertés nous alertent depuis le début : les exceptions liberticides vont devenir les règles.
Le Projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure qui sera présenté au conseil des ministres le 21 juin 2017 reprend quasiment toutes les mesures de l’Etat d’urgence. On y retrouve les mesures d’exceptions telles que les perquisitions administratives, l’instauration sans véritable limitation de "périmètres de protection", les assignations à résidence ou les fermetures des lieux de cultes qui n’auront donc plus rien d’exceptionnelles - même plus le nom - puisque l’Etat d’urgence deviendra tout simplement l’état du droit…
Le projet de loi confie ces pouvoirs extrêmement attentatoires aux libertés individuelles entre les mains du ministère de l’Intérieur et du préfet sans les encadrer de contre-pouvoirs puisqu’il n’est pas prévu que le juge judiciaire puisse exercer un quelconque contrôle de ces mesures. Seul le juge administratif pourra exercer un contrôle juridictionnel, mais a posteriori, c’est-à-dire une fois les mesures prises, une fois les dégâts commis… Tout au plus de rares mesures feront l’objet d’une information préalable et, très exceptionnellement, d’une autorisation du parquet.
Le projet de loi soumis au conseil des ministres porte donc atteinte à la séparation des pouvoirs qui est au fondement de notre démocratie. Puisque l’Etat d’urgence a malheureusement montré son inefficacité à vaincre le terrorisme et qu’aucune des mesures du projet ne pourra enrayer un seul attentat, est-ce bien utile de bafouer davantage nos principes fondateurs ?
Quel bénéfice aurait notre société à accepter un glissement vers davantage de police sans contrôle judiciaire ?
Il y aura peu de citoyens pour s’offusquer, car on pense aisément que la loi est par essence moins dangereuse que le terrorisme. Ce serait oublier que la loi est porteuse d’une autre violence, plus silencieuse, plus insidieuse, qui endort peu à peu nos consciences, anesthésie notre indignation. Or, c’est précisément le principe du contrôle du judiciaire sur l’exécutif qui nous prémunit de cette violence. Que des mesures exceptionnelles soient prises en des temps exceptionnels peut susciter des débats légitimes sur leur pertinence et leur efficacité. Mais même dans le tumulte des idées et des positions respectives, nous savions pouvoir bénéficier du secours, sinon du réconfort, apporté par les contre-pouvoirs.
Personne n’aurait imaginé que le gouvernement de François Hollande utiliserait les assignations à résidence facilitées par l’Etat d’urgence pour empêcher des militants écologistes de manifester. Cela a pourtant été fait. Aujourd’hui, personne n’imaginerait qu’Emmanuel Macronviendrait à dénaturer des pouvoirs conférés par la loi mais personne ne peut non plus assurer le contraire, ni pour lui ni pour ses successeurs. Surtout, personne ne sera véritablement en mesure d’en contrôler l’expression, d’en limiter la portée, d’en pondérer les effets. La loi n’est précisément pas écrite pour postuler qu’elle sera mise entre de bonnes mains, il faut donc garantir que ces mains soient liées par le respect du droit : c’est précisément l’objet des contre-pouvoirs.
Au lendemain d’attentats, les mots présidentiels enjoignent la population à ne pas céder à la peur, à l’image des pancartes "Not afraid" qui se brandissent, de celles et ceux qui, personnellement touchés, refusent de céder à la haine. On se félicite du fait que les terroristes "n’auront pas notre haine" car on sait ce que notre haine causerait en termes de fin démocratique. Avec une loi telle qu’elle est proposée, les terroristes pourraient finalement avoir notre haine d’Etat.
Pourquoi laisser les lois céder là où les hommes résistent ?
Laure Heinich et Kami Haeri, avocats au Barreau de Paris  dans L'Obs




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