LES VOLEURS DE LUNE (proposé par ALI)
LES VOLEURS DE LUNE
Par Paul Edouard GOETTMANN
(Proposé par ALI)
Sans bruit avec soin, l’aube vêtue
d’un manteau blanchâtre cotonneux couvrait la campagne. Elle cachait
soigneusement le croissant de lune qu’elle venait de dérober dans la clarté
festive du jour. Elle disparut aussi soudainement qu’au moment de son larcin.
Le jour, son complice orgueilleux et capricieux arborait son médaillon d’or
qu’il agitait au gré des heures.
L’oued transportait ses eaux jusqu’à
la mer en serpentant entre les forêts d’eucalyptus, les champs et les prés. Il
caressait même la petite mosquée du douar placé là par les hommes de la terre.
Un enfant guidait ses moutons le long de
la berge baguette à la main. Plus loin, une centaine d’oliviers aux feuilles
vert pâle prospéraient plantés en rangs espacés.
Le médaillon brillait jusqu’au fond
du ciel, le jour exposait ses richesses, une légère brume nappait sa couverture
bleue. J’essayais de le séduire en interprétant les signaux de quelques nuages
passagers, leurs formes, avaient elles une signification particulière
? Je me laissais aller au pays des
rêves. Je revoyais cette inconnue juchée sur son chariot tiré par un petit âne
au nez blanc. Elle semblait grande, un foulard de couleur sur la tête, une robe
de même couleur retroussée jusqu’aux mollets, assise sur le banc du chariot,
elle s’infiltrait dans le monde agité du souk sans peur des heurts toujours
possible, tant la circulation était difficile. Debout sur le pont de l’oued,
adossé à la margelle, je la regardais passer sans doute avec trop d’insistance,
pourtant elle m’adressa un sourire et disparut dans le tohu-bohu du marché.
Les coquelicots avaient envahi
les champs de blé aux tiges courtes, laissant des tâches couleur de sang sur le
paysage. Un petit vent venu de l’océan s’amusait à organiser des vagues sur les
branches des arbres et les maïs naissants. Les différentes couleurs de la
végétation donnaient du relief à la plaine fertile. Les fumées aspirées dans
les cheminées de l’usine à sucre, noires et malodorantes étaient recrachées
dans le ciel comme un panache soulignant pourtant sa beauté !
Le four en terre était bourré de brindilles et de feuilles
d’eucalyptus en feu, Rachida s’activait à entretenir soigneusement le brasier.
Le feu chauffait la terre du four sur tous ses côtés. Rachida avait auparavant
pris beaucoup de temps à pétrir la pâte, à confectionner des pains ronds
qu’elle s’appliquait à percer à l’aide d’une fourchette pour éviter qu’ils
gonflent exagérément lors de la cuisson et en les séparant soigneusement par morceaux
identiques. Elle referma l’orifice du four par une tôle recouverte d’une épaisseur de longs tissus usés et
mouillés qui fermaient soigneusement l’entrée du four pour entretenir une
humidité ambiante. Larabie protégé du soleil sous sa grande Thérésa à pompons
de laines multicolores, déambulant derrière ses moutons, les encourageant de la
voix, salua et passa près de Rachida et
du four sans s’en approcher.
Une file de chariots s’alignait sur la route, revenant du souk au trot
avec les femmes et les enfants jusqu’aux douars respectifs. Les plus jeunes
d’entre elles sautaient et riaient en
plaisantant du chariot encore en marche après avoir donné quelques dirhams au
cocher de fortune, souvent de jeunes
enfants. Les douars se trouvaient
généralement loin de la route, elles avaient beaucoup à marcher encore.
Les tous jeunes enfants étaient portés sur le dos retenus par un grand foulard
noué sur le ventre ou la poitrine, ils s’endormaient la tête contre une épaule
bercés par les pas réguliers de la maman. Les maisons de torchis étaient
restées brutes, quelques unes seulement avaient été peintes à la chaux. Seules
les petites mosquées émergentes au milieu des douars étaient construites en
briques. Des figuiers de barbarie
bordaient les chemins, leurs curieuses
feuilles larges, épineuses et piquantes en forme de raquette, il naissait à
leur extrémité des fleurs rouge vif où naîtrons des fruits, Tchimbou,
Akermus. Les figues de barbarie sont à
prendre avec précaution, avec des gants tant ces fruits aux abords sympathiques
sont blessant par leurs fines épines.
Le médaillon d’or avait trouvé sa place tout en haut du firmament à la
verticale des champs et des oueds. Il se déplaçait vite et je m’en rendais compte à sa position désormais angulaire avec
l’Emir le grand eucalyptus du douar, lieu de rendez vous des voisins et
voisines abrités à l’ombre de ses branches. A tour de rôle, les femmes
préparaient le thé à la menthe servi sur une petite table basse en plastique,
chacun s’asseyait par terre devisait des petits problèmes journaliers et
absorbait le thé brûlant servi dans des verres décorés.
Larabie, toujours coiffé de sa Thérésa refaisait surface assis sur son
âne bâté et chargé de fagots pour allumer son four. Il interpellait l’assemblée
d’une voix forte. Descendu de sa monture, attachée à un piquet, il s’assit lui
aussi par terre pour prendre le thé traditionnel avant le repas. Le soleil
poursuivait sa course, l’angle s’était aiguisé, déplacé pour rejoindre bientôt
l’aube en catimini.
Ce matin, un mouton a été sacrifié, les pattes entravées la tête
tournée vers la Mecque, il eut la gorge tranchée. Dépouillé, Rachida armée d’un
long couteau effilé sépara les tripes du reste de la viande. Le mouton fut
coupé en deux dans le sens de la longueur. Les membres furent coupés, d’abord
les gigots, puis les pattes de devant avant
d’attaquer les côtes coupées en morceaux quatre par quatre. C’était
vendredi, jour du couscous, une patte avant fut coupée en tronçons pour mettre
dans la semoule. Le couscous est tout un art, le vendredi est un jour
particulier, quand tous les hommes sont à la mosquée, les femmes préparent le
repas. Les légumes bien nettoyés, grattés et coupés donneront au
court-bouillon, son goût particulier. Les morceaux de potiron, les carottes, les pommes de terre,
le chou, les navets jetés dans la couscoussière, donneront en plus du spectacle du tagine en terre décoré en ornant
la semoule de couleurs attrayantes et odorantes.
Une autre fois, les gigots enrobés dans du papier aluminium rôtiront dans le four en terre, allumé et
surveillé par Rachida. Les couscous et les gigots au four alimenteront la
frénésie des papilles, ah, le plaisir de communiquer autour d’une table !
Toute la famille sera là et quelques voisins, Larabie aussi. Des cônes de sucre en poudre agglomérée
seront offerts avec des litres de soda. Les figues du jardin, tendres et
sucrées mettront un terme aux repas, Habdoulilah !
Le bruit du motoculteur au travail chassait les chants d’oiseaux et
les roucoulements des pigeons. Said traçait dans le jardin un sillon propice à
la plantation de pommes de terre, de tomates ainsi que des semis d’haricots. Ce
jardin avait demandé beaucoup de travail sur cette parcelle de terre jamais
travaillée vierge de toutes plantations. Avant le motoculteur, toutes les
plantations d’arbres avaient été effectuées à la barre à mine pour y creuser le
logement des arbres, oliviers, figuiers, orangers, citronniers, pêchers et
cerisiers. Le fumier des moutons ayant servi d’engrais naturel. Au bout de
quelques mois les arbres avaient pris leur essor. Quel plaisir de se lever le
matin et de constater la floraison des arbres, ainsi que les feuilles vertes tendres ou foncées, fleurs
blanches, fleurs roses, qui donneront naissance à des fruits. Aujourd’hui, la
volonté de créer un potager est très forte, la terre est une amie, difficile
certes, mais toujours distributrice de richesses. Said était fier de sa petite
maison et de son bout de terre.
Ce matin, Said avait sorti sa moto ornée d’images auto collantes du
club de foot de Barcelone. Sa fille à cheval sur la selle tenait son père
solidement par la taille. Devant l’école, elle descendit pour rejoindre ses
amies. Said la surveillait, quand il fut sûr qu’elle était entrée dans
l’établissement scolaire, il fit pétarader son engin comme pour impressionner
les parents. Comme d’habitude son casque était attaché au guidon, le mettre sur
la tête le gênait. Il était temps de rejoindre l’usine à sucre pour commencer son
travail. En ce moment c’était la période de la canne à sucre, plus tard viendra
la betterave. Des dizaines et des dizaines de camions, de tracteurs tirant
également des remorques s’affichaient
sans complexe sur la route goudronnée et stationnaient attendant leur tour
devant l’usine. Les cannes étaient pesées, broyées et pressées pour en tirer le
nectar fertile en sucre. Le travail était pénible, les douleurs dorsales et des
épaules conséquences occasionnés par les nombreux portages effectués dans la journée.
En rentrant le soir, Said prenait une douche chaude, faisait sa prière et
s’allongeait sur le divan. Salma sa fille ainée s’occupait alors de son père.
Chaque soir, à son retour, elle lui massait longuement les épaules et le dos.
Rachida préparait toujours soigneusement les repas, Said venait en coup de vent
le midi pour manger le tagine du jour, sardines grillées avec des tomates,
poulet accompagné de pommes de terre, viande de bœuf très cuite avec des
carottes, des petits pois ou des haricots verts, des bifteck de dinde avec de
la salade. Le soir les restes étaient servis mais il n’était pas rare que
Rachida confectionne en plus du riz ou des pâtes avec de la viande hachée, Said
et les enfants ne devaient pas avoir faim ! Le pain confectionné dans le
four en terre et le lait cru, tiré de la vache le matin même complétait les
menus.
Une vieille télévision trônait sur un meuble bancal, toute la famille
se délectait des épisodes à n’en plus finir des feuilletons turcs. Le jour de
matchs de foot alors, pas question de parler, les femmes s’isolaient dans le
salon.
Un jour, la famille d’Abdelkader se présenta chez Said et Rachida, les
bras chargés de cadeaux. Moment important, le père d’Abdelkader venait demander
la main de Salma pour son fils, celui-ci
l’avait remarqué à de nombreuses reprises au souk. Salma et Abdelkader
avaient été évincés séparément provisoirement de la pièce, le temps que les
discussions préliminaires soient
terminées. La famille d’Abdelkader était une famille connue et respectée pour
son honnêteté et sa foi en Dieu. Said et Rachida étaient d’accord pour l’union
de leurs enfants, si Salma l’acceptait ? Avant de faire entrer les
enfants, Rachida demanda quel était le montant de la dot versée par
Abdelkader ? Mohamed, le père d’Abdelkader proposa dix mille dirhams.
Cette somme parut suffisante à Said et Rachida. Les enfants revenus, Said
demanda à Shelma si elle acceptait d’épouser Abdelkader. Elle rougit, toute
sotte de confusion et avec une toute petite voix donna son accord, Abdelkader
vint l’embrasser chastement sur le front. Il fut convenu qu’Abdelkader
viendrait loger une semaine dans la maison de Said et Rachida pour faire
connaissance avec la famille et sa future épouse. Il coucherait dans le
salon sur un divan. Il en sera de même
pour Salma. C’était un accord partagé par deux familles respectables, le
mariage se fera dans deux mois Inch Allah.
La grande tente berbère colorée fut dressée dans le pré, une estrade
de bois vite clouée servirait aux musiciens. Les femmes de la famille s’unirent
pour confectionner le repas. C’était un gros travail, gâteaux, tagine avec
poulets en sauce cuits à la cocote. Les
invités, les familles, les amis, les voisins arrivèrent par détachements en
chariots tirés par des chevaux pour la plupart d’entre eux ! Les musiciens
étaient sur place bien longtemps avant les invités, Les tambourins emplissaient
l’atmosphère de sons rythmés reliés par le chant de la flûte en roseau et le
violon marocain. La tente était maintenant pleine à craquer, les invités s’asseyaient
dans l’herbe en se hélant les uns les autres avec des éclats de rires. Salma
attendait dans une belle voiture mise à sa disposition à quelques mètres de la
guitoune. Abdelkader arriva majestueux sur un cheval blanc richement harnaché,
il resta un moment à côté de la voiture, puis descendit de cheval. Il ouvrit la
portière et tendit la main à son épouse pour l’aider à sortir. Elle était
resplendissante, rayonnante. Ils firent quelques pas vers la guitoune, à ce
moment, les pères respectifs vinrent prendre le bras de leur enfant et les
conduisirent sous la tente accueillis par les youyous de la centaine d’invités,
puis Salma et Abdelkader s’assirent sur la banquette richement décorée pour
recevoir les compliments. Au bout de quelques temps huit hommes en tenue rouge
coiffés d’un tarbouche de même couleur et de bottes courtes décorées
s’approchèrent des mariés avec des fauteuils spacieux, rembourrés de coton recouvert de soie. Chacun monta dans
un fauteuil munis de brancards à l’avant et à l’arrière, eux aussi stylisés.
Les hommes en rouge s’emparèrent en chœur prestement des brancards et les
posèrent sur leur épaule. Les jeunes mariés naviguèrent ainsi tout autour de
l’assemblée jusqu’au centre de la tente, là, les hommes en rouge d’un commun
accord firent sauter les fauteuils sur leurs épaules, les mariés subirent en souriant
les sauts successifs et la projection hors de leur coussin.
Les parents invitèrent les invités à se diriger vers la dizaine de
tables rondes pour déguster le poulet en sauce après avoir servi des douceurs
sucrées présentées et proposées dans des paniers. Les photographes avaient officié depuis le
début, des centaines de photographies avaient été prises ainsi que plusieurs
heures de vidéos, ils crééront un album et une vidéo de la cérémonie du mariage.
L’orchestre jouait debout sans interruption, les invités dansaient bras levés
sur les rythmes de la musique arabe.
Autour du kamân, le violon arabe, les autres instruments s’accouplaient
parfaitement, harmonieusement, rehaussés par le chant aigu de la flute en
roseau. Deux chanteuses aux longs chevaux noirs retenus en chignon par des
épingles de couleurs, les yeux bordés de khôl, vêtues de magnifiques robes
bleues, amples, ouvertes au niveau des genoux, décorées de broderies et de perles
leur permettaient de se déplacer aisément pendant les chants et les danses. La
musique typique attendue résonna sous la tente, les chanteuses se
transformèrent en danseuses, d’un geste elles dénouèrent leur chignon, leurs longs
cheveux descendirent jusqu’aux reins, elles agitèrent la tête dans tous les
sens, leurs cheveux flottèrent comme la crinière d’un cheval au galop. Sans
crier gare, elles s’élancèrent sur le long tapis rouge et exécutèrent de
concert un saut périlleux en se rétablissant avec grâce sous les yeux des
invités ravis de cette prestation tant attendue ! Les mariés avaient
disparu, pressés de se connaître. Petit à petit les chevaux furent à nouveau
attelés pour prendre le chemin du retour.
Le lendemain matin au réveil, Rachida s’enquit auprès de Salma des
nouvelles de sa nuit de noces. La table dressée, la famille proche goûta aux
fruits du jardin, aux gâteaux sucrés au miel d’eucalyptus, aux beignets maison
et au thé versé dans des grands verres. Les discussions allaient bon train ponctuées
d’éclats de rire sur la vie à venir de Salma et Abdelkader. Les jeunes mariés
restaient encore réservés l’un à côté de l’autre. Salma avait revêtu une robe
blanche, légère qui lui descendait jusqu’aux chevilles, un foulard également
blanc noué avec élégance autour de la tête. Durant une semaine, les familles se
côtoyèrent et pour certains de leurs éléments se découvrirent un peu mieux.
Salma et Abdelkader habiteront ensuite chez les parents d’Abdelkader,
qui avaient aménagé une chambre en attendant de construire un petit bâtiment en
briques offrant un meilleur confort et leur laissant une certaine
indépendance. Une nouvelle famille était née Elle connaîtra des hauts et des bas ainsi va
la vie. La vie à deux est parfois difficile. Les partages des rôles se feront
par l'habitude, par l'amour porté à celui et à celle avec qui l'on vit! Salma
était devenue indispensable, elle aidait chaque jour sa belle mère aux tâches
journalières, la cuisine, le lavage du linge, et la propreté de la maison. Les
sols de celle ci était lavée à grande eau chaque jour, brossés énergiquement.
Les femmes travaillaient beaucoup en dehors de la cuisine et du ménage, les
activités de la ferme prenait beaucoup de temps. La traite des deux vaches puis venait le temps d'amener la dizaine de
moutons au pré avant la cuisson du pain. La vie était dure à la campagne.
Les légumes du jardin de Said avaient poussés à la grande joie de
celui-ci, qui, dès qu’il avait du temps libre, désherbait, sarclait. Les pieds
de tomates attachés à de grands tuteurs de fer le mettaient en grande joie,
elles étaient déjà de la grosseur d’une grosse cerise. Les pommes de terre
étaient sorties de terre, Said avait sarclé autour des tiges. Les haricots verts à peine sortis de terre,
s’élançaient à la conquête de l’espace. Le petit carré de menthe était
largement pourvu, ainsi que les rangs adossés à la clôture de thym et de
persil. Quelques fleurs semées dans les allées reflétaient leurs couleurs dans
la verdure du jardin,. Said partait au travail, l’esprit tranquille.
L’Emir se perdait dans le ciel vu sa grande hauteur, une colonie de moineaux
avait prise possession dans ses branches en piaillant bruyamment. Il
contemplait chaque jour Rachida confectionner le pain en agitant ses branches
sous un vent léger, c’était sa façon d’approuver. Je suis convaincu que les
arbres nous écoutent, nous comprennent, si non pourquoi croîtraient ils,
fleuriraient ils ? Les arbres ont une âme, forcément leur force vient de la terre où ils puisent
tous les éléments nécessaires à leur existence. Ils connaissent mieux que nous
l’origine du monde, ils sont en osmose avec la composition originelle de notre
planète. Les couper est un crime contre notre humanité ! La civilisation
est un vain mot, qui cache en fait la destruction systématique de notre belle planète !
Devant chaque étable le fumier
s’étalait sur le sol exhalant son odeur jusqu’au passage du camion de ramassage
chaque semaine. Le fumier était ensuite revendu aux horticulteurs et aux
nombreux maraîchers de la commune. Avec le lait, le fumier était un rapport
financier complémentaire pour les
familles, quelques centaine de dirhams, certes, mais dans une économie
en autarcie, ce n’était pas négligeable. Au moment de l’Aïd El Kébir la vente
d’un ou deux moutons au souk, permettait aux familles de voir venir. Les
poulets étaient également vendus au souk à la demande des négociants puis
sacrifiés sur place au choix de la clientèle, permettaient aux petits agriculteurs
d’augmenter leur pécule. Les œufs étant réservés à la consommation familiale,
crêpes, galettes, gâteaux, omelettes. C’était le cas de Said et Rachida qui
prenait bien soin de renouveler consciencieusement leur cheptel de poulets et
d’agneaux, le salaire de Said ne suffisant pas pour faire vivre convenablement la
famille ! En plus de son travail à l’usine à sucre, il djobait à droite et
à gauche chez des maçons, chez des paysans au moment des moissons. Il faisait
des livraisons avec sa moto pour des commerçants chez des habitants loin du
bourg ne pouvant se déplacer. Said avait à cœur d’aider sa famille qui était
tout pour lui. Salma étant mariée, il restait Fouzia encore petite. Il
souhaitait aussi transformer sa maison, donner plus de confort à Rachida, la
rendre heureuse, depuis leur mariage, la vie leur a été difficile, il a
beaucoup travaillé pour les enfants, pour qu’ils ne manquent de rien. Le temps
serait venu de vivre mieux. Pour lui c’était de mieux aménager la maison,
d’offrir à Rachida un beau salon dans une pièce rénovée, repeinte avec une
télévision moderne comme il avait vu au bourg. Il souhaitait aussi que Rachida
ait une cuisine bien aménagée plus facile pour cuisiner, avec un congélateur,
un nouveau frigidaire. Il rêvait d’offrir à son épouse une machine à laver,
Rachida lavait toujours le linge de la famille le dos courbé dans une grande
bassine posée sur une planche soutenue
par deux tréteaux avec une brosse sur une planche, elle rinçait à grande eau en
transportant l’eau claire dans un arrosoir plastique en plusieurs voyages. Il
savait que c’était sans doute impossible mais il priait Dieu et travaillait beaucoup pour changer le
cours des choses.
Un soir, la famille d’Abdelkader et
Salma arrivèrent en chariot ils s’invitèrent sans autre signe de
protocole. Said et Rachida tous contents les reçurent avec joie. Autour du thé
et des crêpes ils donnèrent des nouvelles fraîches de leurs enfants. Lorsque la
théière fut vide, il y eut un court moment de silence, ce fut Abdelkader qui
annonça la nouvelle, Salma était enceinte Habdoulilah. Rachida la prise fortement
dans ses bras avec des larmes dans les yeux, Said frappa son verre vide
fortement sur la table en signe de joie. Abdelkader dit :<< si c’est
un garçon nous l’appellerons Ali, si c’est une fille ce sera
Aicha<< ! Dieu est grand dirent en chœur les deux familles. Les
parents d’Abdelkader étaient contents, Mohamed le père d’Abdelkader annonça
qu’il commencerait les travaux de construction de leur petite maison à la fin
de la semaine. Avec l’aide de Said et d’Abdelkader, cela devrait aller vite.
Rachida organisa un dîner autour d’une omelette géante et des frites. L’humeur
était joyeuse, Mohamed se laissait aller à quelques blagues loin de ses humeurs
habituelles.
Le ciel n’était qu’un tapis gris bordé de noir zébré de langues de feu
avant que se déclenche un déluge passager. La pluie faisait un bruit d’enfer à
croire que tout le ciel tombait en microscopiques morceaux. Elle inondait le chemin
et le jardin tant elle était forte et dominatrice, puis comme elle avait
commencée elle disparue rapidement avec et les éclairs de feu. Le tapis s’était
déchiré, le bleu s’octroyait une place entre les nuages encore présents. La
chienne rassurée remuait la queue aplatie contre le sol en se frottant contre Rachida. Le chemin était
détrempé le mais le soleil aurait vite fait de le remettre en état.
L’orge avait été coupé et battu dans la machine d’Amrane, il reposait
dans des grands sacs plastique bleus noués solidement avec de la ficelle.
Entreposé dans la cour d’Amrane, stocké en attente du négociant qui viendra
l’acheter. Amrane était le plus riche du douar, il possédait un tracteur qu’il
louait aux petits agriculteurs, c’est ainsi que chaque année il retournait la
terre de tout le périmètre du douar. Il avait aussi fait forer la terre jusqu’à
la nappe phréatique à trente mètres de profondeur une pompe à moteur diesel
aspirait sans discontinuer l’eau pour la redistribuer sur ses terres, orges,
betteraves, maïs. Il alimentait également contre rétribution avec de longs
tuyaux souples en plastique, les champs des voisins. Amrane n’avait jamais
refusé d’aider un voisin, le crédit était de principe, il recevait son dû, lors
de la récolte de celui ci. Amrane avait une vieille deux chevaux Citroen, à la
tôle plissée, qu’il choyait et ménageait depuis des années. Il l’a sortait pour
aller à la mosquée du bourg chaque
vendredi, bien propre, bien astiquée. C’était un véhicule anachronique par les temps qui couraient mais
il aimait cette voiture.
Bassim le radieux vivait dans une petite maison en torchis aux murs
peints à la chaux blanche, il était coutumier de l’appeler mokadem, un peu par
respect dû à son âge mais surtout par habitude familiale, son père et grand
père étaient des mokadem de village. Bassim
le radieux de par le rôle joué par son père avait fait des études, il
écrivait et lisait l’arabe mais aussi le français. Il avait de fortes notions
mathématiques, géographiques et historiques, rares à la campagne. C’était très
agréable de s’asseoir en face de lui pour boire le thé et discuter de toutes
choses. Il donnait des conseils aux habitants du douar, de la construction de
leur maison aux notions d’époux du futur marié, à la gestion de leur petit
patrimoine. Bassim le radieux avait un jardin dans un enclos en face de sa
maison qu’il surveillait attentivement. Curieusement c’était un bananier transplanté
qu’il vénérait. Il ne donnerait jamais de fruit mais Bassim le radieux faisait
comme ci le bananier lui donnerait un jour un régime. Il l’arrosait
copieusement chaque jour au petit matin comme un sacerdoce.
Le moteur de la pompe d’Amrane
crépitait encore, l’eau claire venue des profondeurs, aspergeait en fines
gouttelettes les betteraves naissantes en créant un arc en ciel au bleu
profond.
Photo anguillesousroches.com
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