- Mahéa
- Extraits du recueil de nouvelles érotique de Paul Edouard GOETTMANN
- Proposé par Jean Jacques Paul Coudiere
- Le trublion de l'écriture
C'était fou ! Des trombes d'eau
massacraient la plage et l'environnement ! On ne voyait plus où était la
mer tellement le ciel et l'horizontal se confondaient ! La pluie sonnait contre
la tôle du restaurant comme un leitmotiv, nous obligeant à écouter les échos
qui se répercutaient sur tout l'établissement. J'étais assis bien à l'abri,
essayant de percer le rideau gris qui nous entourait, mais en vain. Mes pensées
vagabondaient à droite et à gauche sans direction précise, changeantes devant
mon verre de rhum. C'était une situation compliquée comme nous en avons de
temps en temps, ne sachant pas quelle idée projeter.
Sur un signe de la main le jeune homme
du restaurant me présenta un autre rhum. J'avais l'impression qu'il y avait des
heures que ce temps de chien durait et je commençais à m'ennuyer avec le besoin
de changer les horizons de ma journée pour me sentir bien dans ma peau.
Enfin il pleuvait beaucoup moins et
c'est à ce moment qu'elle arriva en courant, trempée, les cheveux délavés et
tombant sur ses joues. Il m’était impossible de ne pas la remarquer lorsqu’elle
entra juste en face de moi. Comme un chien mouillé elle se tordit de tout son
corps essayant d'évacuer l'eau de ses vêtements. Elle ne regardait personne,
trop occupée par ses difficultés vestimentaires. De haut en bas, l'eau avait
collé ses vêtements à sa peau, il était difficile de ne pas s'en rendre compte.
Je ne suis pas sûr qu'elle-même s'en soit rendu compte pourtant cette situation
la laissait extrêmement suggestive : ses vêtements collaient littéralement sur
tout son corps, son tee-shirt soulignant parfaitement sa poitrine et son short
court habillait ses cuisses.
Elle avait ce que l’on appelle la tête
des mauvais jours ! La bouche fermée, les traits tirés… À ce moment là elle
semblait en vouloir au monde entier.
Je me levai en lui indiquant les
toilettes, pour l'inciter à mettre de l'ordre dans sa tenue. En retour je reçu
un regard glacial, toutefois elle accepta de se diriger vers l'endroit précité.
Je me rassis à ma table pour finir mon punch et retrouver la vision de la côte
avec ses arbres qui la bordent.
Elle m'interpella avec plus de douceur
qu'auparavant, cheveux peignés, les vêtements mouillés mais moins collants,
puis elle s'assit en face de moi sans demander si cela me plaisait… En fait
elle était sûre qu'il n'y aurait pas de problème. Elle commanda un planteur
dans lequel elle rajouta du rhum. Elle me regarda dans les yeux… de grands yeux
qui mangeaient son visage de braise.
Emmène-moi à Marigot, me dit elle avec
autorité… je suis à pieds et j'ai besoin de me changer.
Arrivée devant chez elle, elle ouvrit
rapidement la porte de la voiture et me laissa là, pantois sans un mot.
Estomaqué, je retournai au restaurant de la plage. La pluie cessait lentement
dans un ciel encore menaçant empli de gros nuages sombres poussés par les
alizés tandis que les feuilles des balisiers s'égouttaient doucement en
laissant des trous dans le sable.
Il y avait des heures que j'étais là en
tenant deux ou trois discussions sans importance avec des buveurs de passage.
C'était l'un des moments de la journée que j'appréciais particulièrement… La
disparition soudaine du soleil englouti par la mer Caraïbe dans une lueur rouge
comme un fer de forge. J’étais toujours étonné de ne pas voir la mer se
démonter avec d'énormes vagues provoquées par sa chute qui semblait brutale. Et
brutale aussi était l'arrivée de la nuit… Quelques secondes suffisaient pour
plonger cette partie de la Guadeloupe dans l'obscurité avec immédiatement le
concert des grenouilles et des invisibles dans une partition écrite bien
longtemps à l'avance. Il ne fallu pas longtemps pour voir et entendre le bruit
des chauve souris avec leurs cris stridents. Elles nichaient sous le toit des
toilettes et des douches de la plage. Les oiseaux de mer avaient disparu sous
une lune en morceaux affaiblie par les gros nuages.
Ce restaurant situé à Petite Anse était
en fait mon quartier général. Là, je retrouvais mes amis dans d'interminables
discussions que nous pensions intelligentes mais qui finalement ne menaient à
rien, sinon à passer le temps. C'était jour de fête chez Annie qui s'affairait
à délivrer repas et boissons. Léandre, son compagnon, avait conquis la terrasse
avec son quartet. La musique créole emplissait la plage de ses sons langoureux
et les couples entre deux assiettes dansaient ventre contre ventre sans trop
bouger les pieds.
La table était trop petite pour les six
énergumènes que nous étions. Préoccupés à décortiquer nos ouassous tout en
dégustant un vin blanc de la Loire, je tournai le dos à l'orchestre pour me
lancer comme d'habitude dans d'interminables discussions. Je ne pu engloutir ma
crevette tant le choc fut soudain. Je me suis senti tiré à l'arrière avec force
et persuasion ! Effectivement la surprise était de taille. La femme aux cheveux
mouillés se tenait là devant moi !
L'invitation à la danse était précise,
bien qu'un peu brutale sous les éclats de rire des autres garnements. J'eus à
peine le temps de m'essuyer les mains avant de l'enlacer, mais cela ne lui
avait pas plu. Elle les retira pour les monter autour de son cou avec autorité.
Ainsi fait, lovés corps à corps nous nous balancions au son d'un konpa
magistral.
C'était une femme curieuse, pas un mot,
seulement le discours de son corps qui me berçait sur les rythmes tropicaux jusqu'à
la fin de la fête, heureusement entrecoupés de temps en temps d'une coupe de
champagne que j'avais commandée à Annie. Léandre amusé me faisait des clins
d’œil et des sourires provocateurs qui me déplaisaient. Léandre annonça la fin
de la soirée par un konpa que tous les caribéens connaissaient : « Tchiré kilot
» (déchirer la culotte).
Après une dernière coupe de champagne,
elle était restée debout, je m'attendais à la même conclusion que la première
fois ; une disparition rapide au pas de charge. Elle était grande, bien faite
avec des yeux tirés comme une asiatique… Beaucoup de femmes de Basse Terre ont
ce profil. Ses cheveux, elle les avait laissés naturels. Ils étaient frisés et
noirs comme de l'encre, agencés dans d'harmonieuses retombées. Elle en eu sans
doute assez d'attendre, car soudain elle me prit le bras avec autorité et
m'exila de mes amis.
Avec peu de mots elle me fit comprendre
qu'elle me suivrait avec sa voiture jusque chez moi. Je suis resté ébahi…
Farce, provocation ou réalité amoureuse ? Je pris bien soin de conduire
doucement de peur de la perdre en route
Arrivés à
destination et juste le temps d'éclairer la terrasse, elle lova sa bouche
contre la mienne. Il n'y avait plus d’ambiguïté. ...............
Commentaires