LA VOLEUSE DE LUNE
LA VOLEUSE DE LUNE
Publié le 28 avril 2019
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Jean Jacques Paul CoudiereLe statut est en ligne
Jean Jacques Paul Coudiere
Le trublion de l'écriture
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Par Paul Edouard GOETTMANN, tiré du recueil de nouvelles **chroniques de mon village et d'ailleurs**
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Par Paul Edouard GOETTMANN, tiré du recueil de nouvelles **chroniques de mon village et d'ailleurs**
Sans bruit avec soin, l’aube vêtue d’un manteau blanchâtre cotonneux couvrait la campagne. Elle cachait soigneusement le croissant de lune qu’elle venait de dérober dans la clarté festive du jour. Elle disparut aussi soudainement qu’au moment de son larcin. Le jour, son complice orgueilleux et capricieux arborait son médaillon d’or qu’ii agitait au gré des heures.
L’oued transportait ses eaux jusqu’à la mer en serpentant entre les forêts d’eucalyptus, les champs et les prés. Il caressait même la petite mosquée du douar placé là par les hommes de la terre. Un enfant guidait ses moutons le long de la berge baguette à la main. Plus loin, une centaine d’oliviers aux feuilles vert pâle prospéraient plantés en rangs espacés.
Le médaillon brillait jusqu’au fond du ciel, le jour exposait ses richesses, une légère brume nappait sa couverture bleue. J’essayais de le séduire en interprétant les signaux de quelques nuages passagers, leurs formes, avaient elles une signification particulière ? Je me laissais aller au pays des rêves. Je revoyais cette inconnue juchée sur son chariot tiré par un petit âne au nez blanc. Elle semblait grande, un foulard de couleur sur la tête, une robe de même couleur retroussée jusqu’aux mollets, assise sur le banc du chariot, elle s’infiltrait dans le monde agité du souk sans peur des heurts toujours possible, tant la circulation était difficile. Debout sur le pont de l’oued, adossé à la margelle, je la regardais passer sans doute avec trop d’insistance, pourtant elle m’adressa un sourire et disparut dans le tohu-bohu du marché.
Les coquelicots avaient envahi les champs de blé aux tiges courtes, laissant des tâches couleur de sang sur le paysage. Un petit vent venu de l’océan s’amusait à organiser des vagues sur les branches des arbres et les maïs naissants. Les différentes couleurs de la végétation donnaient du relief à la plaine fertile. Les fumées aspirées dans les cheminées de l’usine à sucre, noires et malodorantes étaient recrachées dans le ciel comme un panache soulignant pourtant sa beauté !
Le four en terre était bourré de brindilles et de feuilles d’eucalyptus en feu, Rachida s’activait à entretenir soigneusement le brasier. Le feu chauffait la terre du four sur tous ses côtés. Rachida avait auparavant pris beaucoup de temps à pétrir la pâte, à confectionner des pains ronds qu’elle s’appliquait à percer à l’aide d’une fourchette pour éviter qu’ils gonflent exagérément lors de la cuisson et en les séparant soigneusement par morceaux identiques. Elle referma l’orifice du four par une tôle recouverte d’une épaisseur de longs tissus usés et mouillés qui fermaient soigneusement l’entrée du four pour entretenir une humidité ambiante. Arabie protégé du soleil sous sa grande Thérésa à pompons de laines multicolores, déambulant derrière ses moutons, les encourageant de la voix, salua et passa près de Rachida et du four sans s’en approcher.
Une file de chariots s’alignait sur la route, revenant du souk au trot avec les femmes et les enfants jusqu’aux douars respectifs. Les plus jeunes d’entre elles sautaient et riaient en plaisantant du chariot encore en marche après avoir donné quelques dirhams au cocher de fortune, souvent de jeunes enfants. Les douars se trouvaient généralement loin de la route, elles avaient beaucoup à marcher encore. Les tous jeunes enfants étaient portés sur le dos retenus par un grand foulard noué sur le ventre ou la poitrine, ils s’endormaient la tête contre une épaule bercés par les pas réguliers de la maman. Les maisons de torchis étaient restées brutes, quelques unes seulement avaient été peintes à la chaux. Seules les petites mosquées émergentes au milieu des douars étaient construites en briques. Des figuiers de barbarie bordaient les chemins, leurs curieuses feuilles larges, épineuses et piquantes en forme de raquette, il naissaient à leur extrémité des fleurs rouge vif où naîtrons des fruits, Tchimbou, Akermus. Les figues de barbarie sont à prendre avec précaution, avec des gants tant ces fruits aux abords sympathiques sont blessant par leurs fines épines.
Le médaillon d’or avait trouvé sa place tout en haut du firmament à la verticale des champs et des oueds. Il se déplaçait vite et je m’en rendais compte à sa position désormais angulaire avec l’Emir le grand eucalyptus du douar, lieu de rendez vous des voisins et voisines abrités à l’ombre de ses branches. A tour de rôle, les femmes préparaient le thé à la menthe servi sur une petite table basse en plastique, chacun s’asseyait par terre devisait des petits problèmes journaliers et absorbait le thé brûlant servi dans des verres décorés.
Arabie, toujours coiffé de sa Thérésa refaisait surface assis sur son âne bâté et chargé de fagots pour allumer son four. Il interpellait l’assemblée d’une voix forte. Descendu de sa monture, attachée à un piquet, il s’assit lui aussi par terre pour prendre le thé traditionnel avant le repas. Le soleil poursuivait sa course, l’angle s’était aiguisé, déplacé pour rejoindre bientôt l’aube en catimini.
Ce matin, un mouton a été sacrifié, les pattes entravées la tête tournée vers la Mecque, il eut la gorge tranchée. Dépouillé, Aïcha armée d’un long couteau effilé sépara les tripes du reste de la viande. Le mouton fut coupé en deux dans le sens de la longueur. Les membres furent coupés, d’abord les gigots, puis les pattes de devant avant d’attaquer les côtes coupées en morceaux quatre par quatre. C’était vendredi, jour du couscous, une patte avant fut coupée en tronçons pour mettre dans la semoule. Le couscous est tout un art, le vendredi est un jour particulier, quand tous les hommes sont à la mosquée, les femmes préparent le repas. Les légumes bien nettoyés, grattés et coupés donneront au court-bouillon, son goût particulier. Les morceaux de potiron, les carottes, les pommes de terre, le chou, les navets jetés dans la couscoussière, donneront en plus du spectacle du tagine en terre décoré en ornant la semoule de couleurs attrayantes et odorantes.
Une autre fois, les gigots enrobés dans du papier aluminium rôtiront dans le four en terre, allumé et surveillé par Rachida. Les couscous et les gigots au four alimenteront la frénésie des papilles, ah, le plaisir de communiquer autour d’une table ! Toute la famille sera là et quelques voisins, Arabie aussi. Des cônes de sucre en poudre agglomérée seront offerts avec des litres de soda. Les figues du jardin, tendres et sucrées mettront un terme aux repas, Habdoulilah !
Le bruit du motoculteur au travail chassait les chants d’oiseaux et les roucoulements des pigeons. Said traçait dans le jardin un sillon propice à la plantation de pommes de terre, de tomates ainsi que des semis d’haricots. Ce jardin avait demandé beaucoup de travail sur cette parcelle de terre jamais travaillée vierge de toutes plantations. Avant le motoculteur, toutes les plantations d’arbres avaient été effectuées à la barre à mine pour y creuser le logement des arbres, oliviers, figuiers, orangers, citronniers, pêchers et cerisiers. Le fumier des moutons ayant servi d’engrais naturel. Au bout de quelques mois les arbres avaient pris leur essor. Quel plaisir de se lever le matin et de constater la floraison des arbres, ainsi que les feuilles vertes tendres ou foncées, fleurs blanches, fleurs roses, qui donneront naissance à des fruits. Aujourd’hui, la volonté de créer un potager est très forte, la terre est une amie, difficile certes, mais toujours distributrice de richesse. Said était fier de sa petite maison et de son bout de terre.
Ce matin, Said avait sorti sa moto ornée d’images auto collantes du club de foot de Barcelone. Sa fille à cheval sur la selle tenait son père solidement par la taille. Devant l’école, elle descendit pour rejoindre ses amies. Said la surveillait, quand il fut sûr qu’elle était entrée dans l’établissement scolaire, il fit pétarader son engin comme pour impressionner les parents. Comme d’habitude son casque était attaché au guidon, le mettre sur la tête le gênait. Il était temps de rejoindre l’usine à sucre pour commencer son travail. En ce moment c’était la période de la canne à sucre, plus tard viendra la betterave. Des dizaines et des dizaines de camions, de tracteurs tirant également des remorques s’affichaient sans complexe sur la route goudronnée et stationnaient attendant leur tour devant l’usine. Les cannes étaient pesées, broyées et pressées pour en tirer le nectar fertile en sucre. Le travail était pénible, les douleurs dorsales et des épaules conséquences occasionnés par les nombreux portages effectués dans la journée. En rentrant le soir, Said prenait une douche chaude, faisait sa prière et s’allongeait sur le divan. Salma sa fille ainée s’occupait alors de son père. Chaque soir, à son retour, elle lui massait longuement les épaules et le dos. Rachida préparait toujours soigneusement les repas, Said venait en coup de vent le midi pour manger le tagine du jour, sardines grillées avec des tomates, poulet accompagné de pommes de terre, viande de bœuf très cuite avec des carottes, des petits pois ou des haricots verts, des bifteck de dinde avec de la salade. Le soir les restes étaient servis mais il n’était pas rare que Rachida confectionne en plus du riz ou des pâtes avec de la viande hachée, Said et les enfants ne devaient pas avoir faim ! Le pain confectionné dans le four en terre et le lait cru, tiré de la vache le matin même complétait les menus.
Une vieille télévision trônait sur un meuble bancal, toute la famille se délectait des épisodes à n’en plus finir des feuilletons turcs. Le jour de matchs de foot alors, pas question de parler, les femmes s’isolaient dans le salon.
Un jour, la famille d’Abdelkader se présenta chez Said et Rachida, les bras chargés de cadeaux. Moment important, le père d’Abdelkader venait demander la main de Shelma pour son fils, celui-ci l’avait remarqué à de nombreuses reprises au souk. Shelma et Abdelkader avaient été évincés provisoirement de la pièce, le temps que les discussions préliminaires soient terminées. La famille d’Abdelkader était une famille connue et respectée pour sa respectabilité et sa foi en Dieu. Said et Rachida étaient d’accord pour l’union de leurs enfants, si Salma l’acceptait ? Avant de faire entrer les enfants, Rachida demanda quel était le montant de la dot versée par Abdelkader ? Mohamed, le père d’Abdelkader proposa dix mille dirhams. Cette somme parut suffisante à Said et Rachida. Les enfants revenus, Said demanda à Shelma si elle acceptait d’épouser Abdelkader. Elle rougit, toute sotte de confusion et avec une toute petite voix donna son accord, Abdelkader vint l’embrasser chastement sur le front. Il fut convenu qu’Abdelkader viendrait loger une semaine dans la maison de Said et Rachida pour faire connaissance avec la famille et sa future épouse. Il coucherait dans le salon sur un divan. Il en sera de même pour Salma. C’était un accord partagé par deux familles respectables, le mariage se fera dans deux mois Inch Allah.
La grande tente berbère colorée fut dressée dans le pré, une estrade de bois vite clouée servirait aux musiciens. Les femmes de la famille s’unirent pour confectionner le repas. C’était un gros travail, gâteaux, tagine avec poulets en sauce cuits à la cocote. Les invités, les familles, les amis, les voisins arrivèrent par détachements en chariots tirés par des chevaux pour la plupart d’entre eux ! Les musiciens étaient sur place bien longtemps avant les invités, Les tambourins emplissaient l’atmosphère de sons rythmés reliés par le chant de la flûte en roseau et le violon marocain. La tente était maintenant pleine à craquer, les invités s’asseyaient dans l’herbe en se hélant les uns les autres avec des éclats de rires. Salma attendait dans une voiture mise à sa disposition à quelques mètres de la guitoune. Abdelkader arriva majestueux sur un cheval blanc richement harnaché, il resta un moment à côté de la voiture, puis descendit de cheval. Il ouvrit la portière et tendit la main à son épouse pour l’aider à sortir. Elle était resplendissante, rayonnante. Ils firent quelques pas vers la guitoune, à ce moment, les pères respectifs vinrent prendre le bras de leur enfant et les conduisirent sous la tente accueillis par les youyous de la centaine d’invités, puis Salma et Abdelkader s’assirent sur la banquette richement décorée pour recevoir les compliments. Au bout de quelques temps huit hommes en tenue rouge coiffés d’un tarbouche de même couleur et de bottes courtes décorées s’approchèrent des mariés avec des fauteuils spacieux, rembourrés de coton recouvert de soie. Chacun monta dans un fauteuil munis de brancards à l’avant et à l’arrière, eux aussi stylisés. Les hommes en rouge s’emparèrent en chœur prestement des brancards et les posèrent sur leur épaule. Les jeunes mariés naviguèrent ainsi tout autour de l’assemblée jusqu’au centre de la tente, là, les hommes en rouge d’un commun accord firent sauter les fauteuils sur leurs épaules, les mariés subirent en souriant les sauts successifs et d’être projetés hors de leur coussin.
Les parents appelèrent les invités à se diriger vers la dizaine de tables rondes pour déguster le poulet en sauce après avoir servi des douceurs sucrées présentées et proposées dans des paniers. Les photographes avaient officié depuis le début, des centaines de photographies avaient été prises ainsi que plusieurs heures de vidéos. L’orchestre jouait debout sans interruption, les invités dansaient bras levés sur les rythmes de la musique arabe. Autour du kamân, le violon arabe, les autres instruments s’accouplaient parfaitement harmonieusement, rehaussés par le chant aigu de la flute en roseau. Deux chanteuses aux longs chevaux noirs retenus en chignon par des épingles de couleurs, les yeux bordés de khôl, vêtues de magnifiques robes bleues, amples, ouvertes au niveau des genoux, décorées de broderies et de perles leur permettaient de se déplacer aisément pendant les chants et les danses. La musique typique attendue résonna sous la tente, les chanteuses se transformèrent en danseuses, d’un geste elles dénouèrent leur chignon, leurs cheveux descendirent jusqu’aux reins, elles agitèrent la tête dans tous les sens, leurs cheveux flottèrent comme la crinière d’un cheval au galop. Sans crier gare, elles s’élancèrent sur le long tapis rouge et exécutèrent de concert un saut périlleux en se rétablissant avec grâce sous les yeux des invités ravis de cette prestation tant attendue ! Les mariés avaient disparu, pressés de se connaître. Petit à petit les chevaux furent à nouveau attelés pour prendre le chemin du retour.
Le lendemain matin au réveil, Rachida s’enquit auprès de Salma des nouvelles de sa nuit de noces. La table dressée, la famille proche goûta aux fruits du jardin, aux gâteaux sucrés au miel d’eucalyptus, aux beignets maison et au thé versé dans des grands verres. Les discussions allaient bon train ponctuées d’éclats de rire sur la vie à venir de Salma et Abdelkader. Les jeunes mariés restaient encore réservés l’un à côté de l’autre. Salma avait revêtu une robe blanche, légère qui lui descendait jusqu’aux chevilles, un foulard également blanc noué avec élégance autour de la tête. Durant une semaine, les familles se côtoyèrent et pour certains de leurs éléments se découvrirent un peu mieux.
Salma et Abdelkader habiteront ensuite chez les parents d’Abdelkader, qui avaient aménagé une chambre en attendant de construire un petit bâtiment en briques offrant un meilleur confort et leur laissant une certaine indépendance !
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